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Cour d'appel Liège, 08/10/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/9, p. 808-809

Cour d'appel de Liège 8 octobre 2007

DROIT CIVIL - GÉNÉRALITÉS
Abus de droit - Inertie du créancier lors du recouvrement - Recouvrement au taux d'intérêt conventionnel
Vu les circonstances, on doit décider que lorsqu'un créancier vend un bien immobilier hypothéqué et que le produit de la vente est insuffisant pour l'apurement de sa créance mais que le débiteur n'en n'a pas été informé, le créancier commet un abus de droit en procédant après 10 ans au recouvrement du solde, et en réclamant des intérêts au taux fixé dans le contrat initial, alors que les taux d'intérêt ont diminué fortement au cours de la période concernée. La sanction de cet abus de droit consiste en la limitation par le juge du taux d'intérêt applicable au recouvrement.
BURGERLIJK RECHT - ALGEMENE BEGINSELEN
Rechtsmisbruik - Stilzitten schuldeiser bij invordering - Invordering aan conventionele interestvoet
In de gegeven omstandigheden moet geoordeeld worden dat wanneer een schuldeiser een gehypothekeerd onroerend goed verkoopt en de opbrengst van de verkoop ontoereikend is ter voldoening van zijn schuldvordering maar dit niet wordt meegedeeld aan de schuldenaar, de schuldeiser rechtsmisbruik pleegt door na 10 jaar tot invordering van het saldo over te gaan, en daarbij de interestvoet wil aanrekenen die in het oorspronkelijke contract bepaald was, terwijl de interestvoeten over de betrokken periode sterk gedaald zijn. De sanctionering van dit rechtsmisbruik bestaat erin dat de rechter de interestvoet waaraan ingevorderd mag worden, beperkt.

SA Axa Belgium / H. Maes et F. Mancuso

Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et M.-C. Ernotte (conseillers)
Pl.: Mes F. Dumont de Chassart loco F. Lausier et I. Baldo

(…)

Les intimés ont formé, le 31 août 2005, opposition au commandement préalable à saisie immobilière que l'appelante leur a fait signifier le 1er août 2005 pour un montant, arrêté au 20 juillet 2005, de 7.413,44 EUR.

Il est en effet constant que le 15 décembre 1997, l'appelante a été subrogée dans les droits de l'OCCH pour avoir le 15 juin 1995 payé à celui-ci 181.071 FB (4.488,63 EUR) après que l'immeuble qui lui était hypothéqué ait été vendu pour un prix insuffisant à éteindre la créance.

Alors que près de 10 années se sont écoulées et que les intimés ont réussi à acquérir un nouvel immeuble moyennant un autre prêt, l'appelante les a mis en demeure par courrier du 11 avril 2005 de payer 9.486,90 EUR, soit le principal de 4.488,63 EUR et 4.998,27 EUR d'intérêts.

Le 9 mai 2005, l'appelante a demandé au greffe de convoquer les intimés en conciliation en invoquant l'article 59 § 1er de la loi du 4 août 1992. Elle a toutefois fait signifier le commandement, premier acte d'exécution, avant que la convocation donnée le 16 juin 2005 ait fourni aux intimés l'occasion de s'expliquer puisque l'audience de conciliation était fixée et a été tenue le 5 septembre 2005.

Il est certain toutefois, comme le premier juge l'a admis en constatant qu'il avait rendu une décision en ce sens le 17 octobre 2005, que la conciliation préalable n'était pas nécessaire. De toute façon, l'aurait-elle même été que la signification d'un commandement avant la tenue de cette séance n'a pas pour conséquence de rendre nul l'acte de poursuite.

Le 19 octobre 1994, l'OCCH avait annoncé au notaire chargé de vendre l'immeuble hypothéqué que “le solde sera communiqué aux clients sous peu”. Aucune trace n'est fournie d'un message invitant les intimés à payer un solde non couvert par le prix de vente de leur premier immeuble.

Cette inertie du créancier initial et de l'appelante qui s'est vu subrogée dans ses droits par l'effet du paiement auquel un acte de cautionnement l'obligeait, a conduit le premier juge à considérer que la procédure était abusive, ce qu'il sanctionne en ramenant le taux d'intérêt conventionnel au taux légal tandis qu'il accorde aux intimés, malgré le dépassement du délai de forclusion de 15 jours prévu par l'article 1334 du Code judiciaire, des délais de paiement à raison de 50 EUR par mois pour un total de 6.026,18 EUR englobant principal et 5 années d'intérêts.

L'appelante s'insurge à l'encontre de cette décision parce que, le capital pour lequel il y a eu subrogation n'étant pas contesté, la seule sanction de l'inertie du créancier doit tenir dans la prescription des intérêts remontant à plus de 5 ans.

Il y a abus de droit lorsque “entre différentes façons d'exercer son droit, même avec une utilité différente”, le créancier fait choix “de celle qui procure un avantage disproportionné aux charges corrélatives de l'autre partie” (Cass. 10 septembre 1971, Pas. 1972, I, 28; S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wéry, “Chronique de jurisprudence, Les obligations: les sources”, J.T. 1996, p. 707, n° 45).

S'il n'est pas contesté que les intimés ont rencontré des difficultés dans le remboursement de leur prêt à l'OCCH et ont décidé de vendre leur immeuble en septembre 1994, encore l'OCCH a-t-il marqué son accord pour cette vente de gré à gré au prix de 1.300.000 FB et donné mainlevée de l'hypothèque sans communiquer aux intimés, contrairement à ce qu'il avait déclaré au notaire, le montant du solde dû. L'OCCH n'a pas davantage informé les intimés de ce que, le 3 novembre 1994, elle réclamait le solde de 180.071 FB directement à l'appelante en sa qualité de caution.

En s'abstenant de toute communication d'un solde, et a fortiori de toute réclamation pendant plus de dix ans, l'appelante fondait la croyance légitime des intimés qu'ils ne devaient plus rien (voir Stijns et Samoy, “La confiance légitime en droit des obligations”, in Les sources d'obligations extracontractuelles, la Charte, 2007, pp. 89 et s.). Même si le montant de 181.071 FB (4.488,63 EUR) remboursé par l'appelante n'est actuellement pas contesté, encore celui-ci a-t-il été artificiellement gonflé par la débition d'intérêts de retard au taux conventionnel, mentionné dans le décompte de l'appelante à 11,75% alors que le prêt du 23 mai 1991 stipule un taux de 11,25%, puisque les intimés ont été placés dans l'impossibilité de l'apurer en temps utile à défaut de toute connaissance de l'existence même d'un solde. Cette situation était d'autant plus préjudiciable aux intimés que, le temps s'écoulant, les taux d'intérêt sur les marchés diminuaient de façon substantielle.

Ces circonstances particulières caractérisent un abus de droit dans le chef de l'appelante, lequel a été sanctionné à juste titre par le premier juge à la réduction du droit à son usage normal, soit la débition des seuls intérêts au taux légal à partir du 1er août 2000, étant entendu toutefois que la créance continue à produire des intérêts jusqu'à complet paiement.

En ce qui concerne les termes et délais, les intimés sont forclos à en bénéficier puisqu'une telle demande n'a pas été formée dans les quinze jours à partir du commandement (art. 1334 C. jud.).

(…)