Article

Cour de cassation, 12/10/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/9, p. 767-772

Cour de cassation 12 octobre 2007

ASSURANCES
Assurance terrestre - Contrat d'assurance en général - Faute grave - Intoxication alcoolique - Déchéance de couverture - Présomption du lien causal entre le sinistre et la faute grave - Déséquilibre entre les prestations des parties - Clause illégale - Existence du lien causal - La charge de la preuve repose sur l'assureur
En l'espèce, une clause d'un contrat d'assurance omnium d'un véhicule à moteur stipule que ne sont pas couverts les sinistres survenus alors que le conducteur se trouve en état d'intoxication alcoolique au moment du sinistre, mais cette exclusion ne s'applique pas si l'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateur de l'exclusion et le sinistre. En vertu des considérations soulevées, le jugement attaqué a pu légalement décider que la clause précitée créait un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties, et qu'elle est dès lors contraire à l'article 31 LPCC du 14 juillet 1991.
En vertu de l'article 8, deuxième alinéa de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (faute lourde) et de l'article 11 de la même loi (déchéance de couverture), l'assureur qui invoque une clause d'exonération au sens de l'article 8, deuxième alinéa n'est dispensé de répondre du sinistre que s'il démontre un lien de causalité entre la faute lourde déterminée dans la police et le sinistre. Le jugement attaqué, qui suppose que la loi ne règle pas la charge de la preuve du lien de causalité entre la faute lourde et le sinistre, viole les articles 8, deuxième alinéa et 11 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre.
VERZEKERINGEN
Landverzekering - Verzekeringsovereenkomst in het algemeen - Zware fout - Alcoholintoxicatie - Verval van dekking - Vermoeden van oorzakelijk verband tussen schadegeval en zware fout - Onevenwicht tussen de prestaties van partijen - Onrechtmatig beding - Bestaan oorzakelijk verband - Bewijslast op verzekeraar
In casu is in een omniumverzekering voor een motorrijtuig de clausule bedongen “dat de schade veroorzaakt in staat van alcoholintoxicatie op het ogenblik van het schadegeval is uitgesloten van dekking, maar deze uitsluiting niet geldt indien de verzekerde bewijst dat er geen oorzakelijk verband is tussen het feit van de uitsluiting en het schadegeval”. Op grond van de aangehaalde overwegingen, heeft het bestreden vonnis wettig geoordeeld dat deze clausule een manifest onevenwicht schept tussen de rechten en plichten van partijen en bijgevolg strijdig is met artikel 31 van de WHPC van 14 juli 1991.
Krachtens de artikelen 8, tweede lid van de wet op de landverzekeringsovereenkomst (zware fout) en artikel 11 van de wet op de landverzekeringsovereenkomst (verval van dekking) is de verzekeraar die zich beroept op een exoneratie­beding in de zin van artikel 8, tweede lid van de wet op de landverzekeringsovereenkomst enkel vrijgesteld van dekking wanneer hij het bewijs levert van een oorzakelijk verband tussen de zware fout bepaald in de polis en het schadegeval. Het bestreden vonnis dat ervan uitgaat dat de wet de bewijslast van het oorzakelijk verband tussen de zware fout en het schadegeval niet regelt, schendt de artikelen 8, tweede lid en 11 van de wet op de landverzekeringsovereenkomst.

AXA Belgium / A.M.

Siég.: Ch. Storck (président de section), D. Batselé, A. Fettweis, Ch. Matray et S. Velu (conseillers)
M.P.: J.-M. Genicot (avocat général)
Pl.: Me Ph. Gérard

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Les moyens de cassation

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Premier moyen
Dispositions légales violées

- articles 1166, 1341, 1347, 1348, 1349 et 1353 du Code civil;

- article 149 de la Constitution.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté les faits suivants:

“Le 7 mai 1997, [la défenderesse] a vendu à un certain G. une voiture d'occasion Golf au prix de [399.000 francs convertis en] 9.890,95 euros; [la défenderesse] a envoyé à G. deux rappels par recommandé postal, l'un du 4 septembre 1997 et l'autre du 7 octobre 1997; un troisième rappel par recommandé postal a été envoyé à G. le 9 avril 1998 par l'avocat de [la défenderesse]; [la défenderesse] ne produit aucun retour de ses courriers recommandés; le 12 mai 1997, G. fut l'auteur d'un accident de roulage alors qu'il conduisait cette même voiture Golf; G. avait souscrit auprès de [la demanderesse] une assurance couvrant sa responsabilité civile et ses dégâts matériels propres; les policiers qui ont constaté cet accident notent dans leur procès-verbal que:

- le véhicule de G. est 'hors d'usage' et emporté par une dépanneuse,

- le test par éthylomètre révèle une alcoolémie de 1,06 gramme par litre d'air alvéolé expiré;

G. est condamné par jugement prononcé par le tribunal de police d'Arlon le 14 janvier 1998 à une peine unique réprimant deux infractions, en résumé, d'une part, le taux d'alcoolémie précité et, d'autre part, la perte du contrôle de sa voiture; excipant d'une clause de déchéance en cas d'intoxication alcoolique, [la demanderesse] prétend ne rien devoir à G. qui ne lui a demandé aucune indemnisation; [la défenderesse] exerce en l'espèce l'action oblique fondée sur l'article 1166 du Code civil”,

et après avoir considéré “que les conditions d'exercice de l'action oblique sont les suivantes: le caractère certain et exigible de la créance de [la défenderesse] à l'égard de G.; G. est inactif; [la défenderesse] a intérêt à agir”,

le jugement attaqué décide que la condition de l'action oblique relative au caractère certain et exigible de la créance de la défenderesse à l'encontre de G. est remplie et que l'action formée par la défenderesse contre la demanderesse est entièrement fondée; il condamne dès lors la demanderesse “à payer à son assuré G. le montant total de l'indemnité due en vertu de son contrat n° 010617461160, en principal et intérêts compensatoires échus depuis le 12 mai 1997, date de l'accident, jusqu'à la fixation de l'indemnité au principal”.

Le jugement attaqué fonde sa décision sur les motifs suivants:

“[La demanderesse] soutient qu'en l'absence de reconnaissance de dette, la preuve de la créance ne serait pas faite par [la défenderesse]; [la demanderesse] souligne aussi que G. n'a pas la qualité de commerçant; [la demanderesse] prétend encore que [l'absence de paiement du] solde de 200.000 francs démontre une contestation de la facture en l'absence de preuve de l'insolvabilité de G.; subsidiairement, [la demanderesse] conteste le montant réclamé en l'absence de justificatif des paiements effectués [...]; certes, [la défenderesse] ne fournit pas de contrat ou de reconnaissance de dette signée de la main de G.; en revanche, il ressort à suffisance de l'ensemble des éléments concordants produits par [la défenderesse] que sa créance à l'égard de G. est fondée, et notamment: la facture initiale; les rappels ne suscitant aucune protestation; un paiement partiel de 199.000 francs qui n'est accompagné d'aucune protestation pour le surplus; la concordance entre la marque et le type de véhicule vendu et celui accidenté le 7 mai 1997 alors que G. était au volant; la concordance entre l'adresse figurant sur la facture [et] les trois rappels et sur le jugement du tribunal de police d'Arlon du 14 janvier 1998; le tribunal [d'appel] donne foi pour le moins à l'avocat de [la défenderesse], qui n'a manifestement pas reçu en retour son rappel du 9 avril 1998 par recommandé postal puisqu'il n'en fait pas état; la déontologie des avocats le garantit; ceci démontre non seulement que le rappel est bien parvenu à son destinataire mais aussi que les précédents rappels ont été adressés à la véritable résidence de G., inchangée depuis celle figurant sur la facture et nécessairement indiquée par l'acheteur G.; l'envoi des deux premiers rappels, rédigés par [la défenderesse] elle-même, est établi par les récépissés de recommandé postal qui les accompagnent; l'absence de paiement du solde n'implique pas nécessairement de contestation de la facture; ce n'est pas nécessairement parce qu'il est insolvable qu'un débiteur ne paie pas; nonobstant l'absence de qualité de commerçant dans le chef de G., les éléments commentés ci-dessus sont à ce point forts, précis et concordants qu'ils suffisent à la démonstration de la créance de [la défenderesse] à l'égard de G.; cette créance est bien certaine et exigible.”

Griefs

En vertu de l'article 1353 du Code civil, les présomptions qui ne sont point établies par la loi sont certes abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat mais celui-ci ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes “dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte soit attaqué pour cause de fraude ou de dol”.

L'article 1341 du Code civil dispose: “Il doit être passé acte devant notaire ou sous signature privée de toutes choses excédant une somme ou valeur de 375 euros, même pour dépôts volontaires; et il n'est reçu aucune [...] preuve par témoins contre et outre le contenu aux actes, ni sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes, encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre de 375 euros. Le tout sans préjudice de ce qui est prescrit par les lois relatives au commerce.”

L'article 1347 du Code civil admet une exception à cette règle “lorsqu'il existe un commencement de preuve par écrit”, celui-ci étant défini comme “tout acte par écrit qui est émané de celui contre lequel la demande est formée, ou de celui qu'il représente, et qui rend vraisemblable le fait allégué”. L'article 1348 du même code admet également une exception “toutes les fois qu'il n'a pas été possible au créancier de se procurer une preuve littérale de l'obligation qui a été contractée envers lui”.

L'article 1166 du Code civil dispose que “les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne”. Lorsque celui qui se prétend créancier exerce une action contre un tiers qu'il prétend être le débiteur de son débiteur, il doit prouver sa propre créance en se conformant aux règles de preuve précitées, à moins qu'il ne puisse se prévaloir des règles de preuve prévues par les lois relatives au commerce.

En l'espèce, le jugement attaqué constate “l'absence de qualité de commerçant dans le chef de G.”, à l'égard duquel la défenderesse prétendait avoir une créance, résultant de l'absence de paiement intégral du prix du véhicule qu'elle lui avait vendu. Il ne ressort du reste d'aucun motif du jugement attaqué que les règles de la preuve prévues par les lois relatives au commerce seraient d'application à un quelconque autre titre. Par ailleurs, le jugement constate que la défenderesse “ne fournit pas de contrat ou de reconnaissance de dette signée de la main de G.”. Il résulte de cette constatation que la dette de G. à l'égard de la défenderesse n'est pas établie par un acte passé devant notaire ni par un acte sous seing privé.

Le jugement attaqué décide toutefois que la créance de la défenderesse à l'égard de G. est “bien certaine et exigible”, en se fondant sur un ensemble d'éléments qui “sont à ce point forts, précis et concordants qu'ils suffisent à la démonstration de la créance de (la défenderesse) à l'égard de G.”. Le jugement décide donc que la preuve de cette créance est faite par présomptions de l'homme.

À défaut de constater, soit l'existence d'un commencement de preuve par écrit émané de G., soit l'impossibilité pour la défenderesse de s'être procurée une preuve littérale de l'obligation contractée par G., ce qui aurait rendu admissible la preuve de la dette de G. à l'égard de la défenderesse par présomptions, le jugement attaqué ne justifie pas légalement sa décision de déclarer fondée l'action oblique formée par la défenderesse contre la demanderesse (violation des articles 1166, 1341, 1347, 1348, 1349 et 1353 du Code civil) et, du moins, en ne permettant pas à la Cour d'exercer son contrôle sur la légalité de cette décision, n'est pas régulièrement motivé (violation de l'article 149 de la Constitution).

Deuxième moyen
Dispositions légales violées

- articles 1134 et 1315 du Code civil;

- articles 31 et 33 § 1er de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, tels qu'ils étaient rédigés avant la modification de ladite loi par la loi du 7 décembre 1998;

- articles 1er, A et 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre.

Décisions et motifs critiqués

Après avoir constaté les faits suivants:

“Le 7 mai 1997, [la défenderesse] a vendu à un certain G. une voiture d'occasion Golf au prix de [399.000 francs convertis en] 9.890,95 euros; [la défenderesse] a envoyé à G. deux rappels par recommandé postal, l'un du 4 septembre 1997 et l'autre du 7 octobre 1997; un troisième rappel par recommandé postal a été envoyé à G. le 9 avril 1998 par l'avocat de [la défenderesse]; [la défenderesse] ne produit aucun retour de ses courriers recommandés; le 12 mai 1997, G. fut l'auteur d'un accident de roulage, alors qu'il conduisait cette même voiture Golf; G. avait souscrit auprès de [la demanderesse] une assurance couvrant sa responsabilité civile et ses dégâts matériels propres; les policiers qui ont constaté cet accident notent dans leur procès-verbal que:

- le véhicule de G. est 'hors d'usage' et emporté par une dépanneuse;

- le test par éthylomètre révèle une alcoolémie de 1,06 gramme par litre d'air alvéolé expiré;

G. est condamné par jugement prononcé par le tribunal de police d'Arlon le 14 janvier 1998 à une peine unique réprimant deux infractions, en résumé, d'une part, le taux d'alcoolémie précité et, d'autre part, la perte du contrôle de sa voiture; excipant d'une clause de déchéance en cas d'intoxication alcoolique, [la demanderesse] prétend ne rien devoir à G., qui ne lui a demandé aucune indemnisation; [la défenderesse] exerce en l'espèce l'action oblique fondée sur l'article 1166 du Code civil”,

le jugement attaqué décide que la créance de G. à l'égard de la demanderesse est établie et, partant, “reçoit l'action originaire et la dit entièrement fondée; condamne la [demanderesse] à payer à son assuré G. le montant total de l'indemnité due en vertu de son contrat n° 010617461160, en principal et intérêts compensatoires échus depuis le 12 mai 1997, date de l'accident, jusqu'à la fixation de l'indemnité au principal”.

Le jugement attaqué fonde cette décision sur les motifs suivants:

“[La défenderesse] fait état d'un sinistre total subi par G. Cette donnée n'est pas contestée par [la demanderesse], qui invoque néanmoins la cause d'exclusion de la garantie fondée sur l'article 14, 1°, b), des conditions générales de la police souscrite par G., soit en l'espèce l'état d'intoxication alcoolique de G. au moment de l'accident, à un taux d'alcoolémie répréhensible. Le dernier alinéa du littera b) de l'article 14, 1°, de ces conditions générales supprime cette cause d'exclusion si 'l'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateur de l'exclusion et le sinistre', soit en l'occurrence entre l'intoxication alcoolique de G. et l'accident. [La défenderesse] invoque le caractère abusif de cette clause, en transgression de la directive communautaire 93/13 du 5 avril 1993, transposée en droit belge par la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce. En règle, une directive européenne n'est pas directement applicable en droit belge, mais guide obligatoirement l'interprétation par le juge de la loi qui la transpose en droit interne. [La défenderesse] invoque l'article 31 de ladite loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, qui définit une clause abusive comme toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et obligations des parties. La preuve positive à charge de l'assureur de l'intoxication alcoolique est nettement plus facile à apporter que la preuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une intoxication alcoolique de l'auteur d'un accident de la circulation et ledit accident. Il est aussi nettement plus facile de prouver qu'un accident est dû à l'intoxication alcoolique déjà avérée de son auteur que le contraire. En effet, il est notoire que, même quand l'alcool ne prive pas un conducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentir ses réflexes. Une présomption très forte existe donc qui, associée avec d'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité. En revanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accident est survenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'un conducteur. [...] Selon les conclusions de [la défenderesse], le caractère abusif de la clause querellée en empêche l'application. [...] La nullité s'étend à la clause d'exclusion ainsi qu'à la charge de la preuve relative au lien de causalité. En effet, la lecture de la police d'assurance sans le dernier alinéa du littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas le déséquilibre entre les droits et obligations des parties. Il faut pour cela que la preuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique et l'accident soit prévue et à charge de la compagnie d'assurance. La loi du 14 juillet 1991 ne permet pas de redresser ce déséquilibre puisque la sanction qu'édicte son article 33 est la nullité des clauses incriminées (à laquelle le consommateur ne peut pas renoncer et sans entraîner nécessairement la nullité du reste du contrat). Le même article 33 prévoit que la nullité des clauses abusives n'entraîne pas celle du reste du contrat.”

Griefs
Première branche

Aux termes de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, “pour l'application de [cette] loi, il faut entendre par clause abusive, toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée à une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties”. L'article 33 § 1er de ladite loi, tel qu'il était d'application en l'espèce (c'est-à-dire avant sa modification par la loi du 7 décembre 1998), dispose que, “sans préjudice des autres sanctions de droit commun, le juge peut annuler les clauses et conditions ainsi que les combinaisons de clauses et conditions définies à l'article 31”.

La clause qui peut être annulée sur la base des deux dispositions précitées doit créer “un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties”. La Cour de cassation peut vérifier si le juge n'a pas méconnu cette notion légale dans l'appréciation qu'il en donne au cas d'espèce.

Le contrat d'assurance est défini comme suit par l'article 1er, A de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre: “un contrat en vertu duquel, moyennant le paiement d'une prime fixe ou variable, une partie, l'assureur, s'engage envers une autre, le preneur d'assurance, à fournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait un événement incertain que, selon le cas, l'assuré ou le bénéficiaire a intérêt à ne pas voir se réaliser”. Lorsque l'assuré commet une faute lourde de nature à aggraver le risque couvert par le contrat, il peut porter atteinte à l'aléa qui constitue un élément essentiel du contrat d'assurance et créer un déséquilibre entre les droits et obligations des parties audit contrat. L'article 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 permet d'ailleurs à l'assureur de “s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat”.

Lorsque, dans un contrat d'assurance des dégâts matériels d'un véhicule automoteur, une exclusion de la garantie est prévue en cas de sinistre survenu alors que l'assuré conduisait en état d'intoxication alcoolique punissable, à moins que l'assuré prouve l'absence de relation causale entre cet état et le sinistre, cette clause, loin de créer un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties, au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991, remédie au contraire au déséquilibre entre lesdits droits et obligations, créé par la conduite du véhicule en état d'intoxication alcoolique punissable, lequel a pour effet de diminuer l'habileté à conduire et d'augmenter notablement le risque d'accident.

La difficulté éventuelle de prouver qu'un accident survenu alors que l'assuré conduisait en état d'intoxication alcoolique punissable est dû à une autre cause que cet état, comparée à la facilité éventuelle de prouver que le sinistre est dû à cet état, ne suffit pas à justifier qu'une telle clause crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties, au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991.

Dès lors, en décidant que l'article 14, 1°, b), des conditions générales de la police d'assurance conclue entre G. et la demanderesse crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties et est dès lors nulle en application des articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet 1991, au motif “que la preuve positive à charge de (l'assureur) de l'intoxication alcoolique est nettement plus facile à apporter que la preuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une intoxication alcoolique de l'auteur de l'accident de la circulation et ledit accident; qu'il est aussi nettement plus facile de prouver qu'un accident est dû à l'intoxication alcoolique déjà avérée de son conducteur que le contraire; qu'en effet, il est notoire que, même quand l'alcool ne prive pas un conducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentir ses réflexes; qu'une présomption très forte existe donc qui, associée avec d'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité; qu'en revanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accident est survenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'un conducteur”, et en refusant dès lors d'appliquer la clause d'exclusion de la garantie prévue au contrat d'assurance, qui fait la loi des parties, le jugement attaqué viole lesdits articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet 1991, 1er, A et 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992, ainsi que l'article 1134 du Code civil.

Seconde branche (subsidiaire)

L'article 1315 du Code civil dispose: “Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.” L'article 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre dispose: “L'assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire. Toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat.” Par application des dispositions précitées, il incombe à l'assureur, qui prétend être déchargé de la garantie en application d'une clause d'exclusion de la garantie, prévue en cas de faute lourde, de prouver que le sinistre est dû à une faute lourde commise par l'assuré et expressément déterminée dans le contrat.

Il ressort du jugement attaqué et des conclusions des parties que l'article 14, 1°, b) des conditions générales de la police de dégâts matériels de son véhicule automoteur souscrite par G. auprès de la demanderesse était rédigé comme suit: “ne sont pas couverts les sinistres: 1°) survenus alors que le conducteur se trouve en état d'ivresse, d'intoxication alcoolique punissable”, le dernier alinéa de ladite disposition contractuelle prévoyant toutefois que “les exclusions” ne s'appliquent pas si “l'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateur de l'exclusion et le sinistre”.

Le jugement attaqué considère que la disposition précitée du contrat, en tant qu'elle met à charge de l'assuré la preuve que sa conduite en état d'intoxication alcoolique punissable est sans lien causal avec le sinistre, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties, que cette clause est abusive et qu'elle doit dès lors être annulée en vertu des articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet 1991. Dès lors que le dernier alinéa de cette disposition contractuelle, qui contient le règlement de la charge de la preuve du lien causal, est tenu pour nul, en raison du déséquilibre manifeste créé, la clause d'exclusion de la garantie est limitée à l'énoncé suivant: “ne sont pas couverts les sinistres survenus alors que le conducteur se trouve en état [...] d'intoxication alcoolique punissable”, sans que la charge de la preuve soit réglée par le contrat, de sorte que le droit commun de la preuve doit trouver à s'appliquer. En vertu du droit commun résultant de l'application de l'article 1315 du Code civil et de l'article 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992, il incombe dès lors à l'assureur de prouver le lien causal entre la conduite en état d'intoxication alcoolique punissable et le sinistre. Dans le cas où l'assureur échouerait dans cette preuve, l'assuré ne se verrait pas appliquer la clause d'exclusion de la garantie et obtiendrait l'indemnité prévue au contrat, ce qui ne serait pas de nature à créer un déséquilibre quelconque entre les droits et les obligations des parties au contrat d'assurance. Il n'est donc pas nécessaire qu'il soit expressément prévu dans le contrat d'assurance que la preuve du lien causal entre l'intoxication alcoolique du conducteur et l'accident est à charge de l'assureur, pour que ledit déséquilibre soit évité.

Cependant, pour décider que la nullité s'étend à toute la clause d'exclusion de garantie et pas seulement à la disposition finale relative à la charge de la preuve qui, selon le jugement, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties, le jugement attaqué considère “que la lecture de la police d'assurance sans le dernier alinéa du littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas le déséquilibre entre les droits et obligations des parties; qu'il faut pour cela que la preuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique et l'accident soit prévue et à charge de la compagnie d'assurance”; en refusant pour ce motif d'appliquer le contrat qui fait la loi des parties, le jugement attaqué viole les articles 31 et 33 de la loi du 14 juillet 1991, 1134 et 1315 du Code civil et 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992.

III. La décision de la Cour

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Sur le deuxième moyen
Quant à la première branche

Dans sa rédaction applicable au litige, l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur dispose que, pour l'application de cette loi, il faut entendre par clause abusive toute clause ou condition qui, à elle seule ou combinée à une ou plusieurs autres clauses ou conditions, crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.

Il incombe à la Cour de vérifier si, dans le cadre de son appréciation, le juge du fond n'a pas méconnu la notion légale de déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.

Le jugement attaqué constate qu'en vertu de l'article 14, 1°, b) des conditions générales de la police, la garantie est exclue en cas d'intoxication alcoolique mais que cette exclusion ne s'applique pas “si l'assuré démontre l'absence de relation causale entre le fait générateur de l'exclusion et le sinistre”.

En considérant que “la preuve positive à charge de [l'assureur] de l'intoxication alcoolique est nettement plus facile à apporter que la preuve qu'il n'existe aucun lien de causalité entre une intoxication alcoolique de l'auteur d'un accident de la circulation et ledit accident”, qu'“il est aussi nettement plus facile de prouver qu'un accident est dû à l'intoxication alcoolique déjà avérée de son auteur que le contraire”, qu'“il est notoire que, même quand l'alcool ne prive pas un conducteur du contrôle de ses actes, il est susceptible de ralentir ses réflexes”, qu'“une présomption très forte existe donc qui, associée avec d'autres éléments, permet d'apporter la preuve du lien de causalité” et qu'“en revanche, il est beaucoup plus malaisé de prouver que l'accident est survenu pour d'autres causes que l'alcoolémie déjà avérée d'un conducteur”, le jugement a pu légalement décider que la clause précitée créait un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties.

Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.

Quant à la seconde branche

En vertu de l'article 8, alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, l'assureur répond des sinistres causés par la faute, même lourde, du preneur d'assurance, de l'assuré ou du bénéficiaire; toutefois, l'assureur peut s'exonérer de ses obligations pour les cas de faute lourde déterminés expressément et limitativement dans le contrat.

Conformément à l'article 11 de ladite loi, le contrat d'assurance ne peut prévoir la déchéance partielle ou totale du droit à la prestation d'assurance qu'en raison de l'inexécution d'une obligation déterminée imposée par le contrat et à la condition que le manquement soit en relation causale avec la survenance du sinistre.

Il suit de ces dispositions que l'assureur qui se prévaut d'une clause d'exonération au sens de l'article 8, alinéa 2 précité n'est dispensé de répondre du sinistre que s'il démontre un lien de causalité entre la faute lourde déterminée dans le contrat et le sinistre.

Pour décider que “la nullité s'étend à la cause d'exclusion ainsi qu'à la charge de la preuve relative au lien de causalité”, le jugement attaqué considère que “la lecture de la police d'assurance dans le dernier alinéa du littera b) de son article 14, 1°, ne supprime pas le déséquilibre entre les droits et les obligations des parties; qu'il faut pour cela que la preuve du lien de causalité entre l'intoxication alcoolique et l'accident soit prévue et à charge de la compagnie d'assurance”.

Le jugement attaqué, qui suppose que la loi ne règle pas la charge de la preuve du lien de causalité entre la faute lourde et le sinistre, viole les dispositions légales précitées.

Le moyen, en cette branche, est fondé.

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