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Commentaire cour d'appel de Bruxelles 21 mars 2008, R.D.C.-T.B.H., 2008/8, p. 740-742

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente exclusive - Qualification - Conditions - Absence de risque économique - Inapplicabilité de la loi du 27 juillet 1961
Il n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi du 27 juillet 1961, lorsque, notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prix de vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risque de mévente.
TUSSENPERSONEN IN DE HANDEL
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Kwalificatie - Voorwaarden - Afwezigheid van economisch risico - Niet toepasselijkheid van de wet van 27 juli 1961
Er is geen sprake van een verkoopconcessie in de zin van de wet van 27 juli 1961 ingeval de beweerde concessionaris niet over de vrijheid beschikt om de verkoopprijs te bepalen, hij een commissie ontvangt en hij geen enkel risico draagt voor de slechte verkoop van de producten.
Commentaire cour d'appel de Bruxelles 21 mars 2008
Aimery de Schoutheete et Amélie Meulder [1]

1.L'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles publié ci-avant rappelle clairement les critères qui permettent de qualifier une relation commerciale “de distribution” - nous conservons volontairement cette appellation générale - de contrat de concession (exclusive) de vente, ou, au contraire, de lui dénier ce qualificatif, et, partant, l'application éventuelle de la loi du 27 juillet 1961.

2.Les faits de la cause, pour être classiques, méritent d'être rappelés. La société Pietercil distribuait, depuis 1975, auprès des magasins de grande distribution, les produits de la marque “Barilla” sur un territoire couvrant la Belgique et le Luxembourg. Aucun contrat écrit ne venait préciser la nature de cette relation commerciale.

En juillet 2001, les parties discutent déjà de la terminaison de leurs relations contractuelles, moyennant le paiement d'une indemnité de 20 millions de francs belges, et de la mise en oeuvre d'un nouveau contrat, apparemment “de commission”, d'une durée de quatre ans. Ces négociations ne semblent pas avoir abouti puisque, en septembre 2002, Barilla met unilatéralement fin à ses relations contractuelles avec la société Pietercil, moyennant l'octroi à cette dernière d'un délai de préavis de 6 mois.

3.La société Pietercil conteste la durée du préavis et réclame les indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961. Face au refus de Barilla de lui reconnaître la qualité de concessionnaire au sens de cette loi, et de l'indemniser en conséquence, la société Pietercil cite Barilla devant le tribunal de commerce de Bruxelles aux fins de l'entendre condamner au paiement des diverses indemnités - indemnité compensatoire de préavis, et indemnités complémentaires de clientèle et de licenciement - prévues par la loi de 1961.

Par un jugement du 7 septembre 2004, le tribunal fait intégralement droit à la demande de la société Pietercil.

4.Saisie de l'appel interjeté par Barilla, la cour d'appel de Bruxelles va, au terme d'une analyse in concreto de l'économie des relations entre les parties, complètement réformer le premier jugement.

Barilla contestait l'application de la loi de 1961 à ses relations commerciales avec la société Pietercil, au motif que celle-ci n'assumait pas tous les risques économiques liés à la distribution des produits de la marque Barilla. Examinant les modalités de la collaboration financière entre les deux sociétés, la cour constate ainsi que la société Pietercil devait faire face à des contraintes particulièrement lourdes dans la fixation de ses prix d'achat et de revente, qui ne lui laissaient aucune marge de négociation et la plaçaient dans l'impossibilité de dégager un bénéfice. Il avait dès lors été convenu que Barilla rémunérerait la société Pietercil en fonction d'un taux de rentabilité négociable d'année en année. La cour relève à cet égard que le mode de calcul retenu aboutissait à garantir, en toutes hypothèses, à la société Pietercil un pourcentage fixe égal à 11,30% du prix officiel du produit sur chaque vente réalisée par son intermédiaire - soit, au total, 11,30% du chiffre d'affaire brut théorique. Dès lors, “à un prix de vente théorique égal, plus le prix effectivement facturé au client était bas, plus le montant de la compensation à verser par Barilla était important pour que le bénéfice dégagé par Pietercil reste fixe en pourcentage”. La société Pietercil ne supportait donc pas le risque d'une baisse des prix de revente à la clientèle.

La cour souligne par ailleurs que “même si Pietercil achetait pour revendre, finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients - en principe seulement, car en l'espèce, s'agissant de la grande distribution, ce risque était pratiquement nul - elle avait toutefois la certitude de récupérer auprès de Barilla l'équivalent de sa marge brute […]. De l'aveu même de Pietercil, sans ce mécanisme de soutien de Pietercil par Barilla, la mise en place d'une concession de vente exclusive n'était pas viable d'un point de vue économique”.

Et la cour de conclure que “le 'bénéfice' que retirait Pietercil de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat”, de sorte que la relation nouée entre la société Pietercil et Barilla ne répond pas à la notion de concession de vente au sens de la loi du 27 juillet 1961.

5.La cour d'appel demeure ainsi fidèle à sa jurisprudence constante [2], qui semble largement partagée [3]. En pratique toutefois, il n'est pas rare de rencontrer encore des contrats hybrides, qualifiés trop rapidement de “concession de vente” et qui s'exposent au même sort que la convention soumise à la cour d'appel dans l'affaire que nous examinons. L'arrêt commenté nous donne ici l'occasion de rappeler les éléments qui distinguent le contrat de concession de vente de la convention de commission ou de la simple succession d'achat-vente.

La concession de vente implique, en premier lieu, une relation commerciale “permanente et organisée” [4]. Aux termes de l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 8 février 2001, “les opérations d'achat du concessionnaire en vue de revendre les produits fabriqués par le concédant doivent s'inscrire dans le cadre de l'exercice d'un droit contractuel et sont la contrepartie de son obligation de les distribuer” [5].

La concession de vente exige donc l'existence d'un “cadre structuré” [6], d'une convention-cadre - qui ne doit toutefois pas nécessairement faire l'objet d'un écrit - organisant les relations des parties: “la loi ne vise pas une situation de fait non conventionnelle” [7], de sorte que “des fournitures répétées en vue de la revente ne créent pas une concession” [8].

La concession de vente suppose en outre “une forme d'élément intentionnel, en ce sens qu'il faut que le producteur ait la volonté de se lier au distributeur de façon stable” [9]. Cette volonté se traduit principalement par l'imposition au distributeur d'une organisation de vente déterminée et la réservation à son profit d'un droit de vendre sur certains territoires [10]; en l'absence de ces éléments, la convention ne peut être qualifiée de concession.

La seule existence d'un tel contrat-cadre ne suffit toutefois pas à qualifier une relation de distribution de concession de vente. Dans l'espèce, par exemple, il n'est pas douteux qu'une convention-cadre existait entre parties. Toutefois, pour qu'il y ait “concession de vente”, il faut encore qu'au sein de cette relation, le distributeur agisse en son propre nom et pour son propre compte. Ainsi, “lorsque le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prix de vente, reçoit une commission sur les affaires conclues et n'accepte de commande de ses clients qu'après un accord avec le commettant sur le montant de la commission, ne dispose pas d'un stock de produits, ne supporte aucun risque de mévente ou de variation du prix de revient du matériel, qu'il n'y a aucune concertation entre les parties sur des questions telles que les prix, la publicité, la promotion de la marque du commettant ou la manière dont il organisait ses activités” [11], il n'y a pas concession de vente.

Il est donc de l'essence d'un contrat de concession de vente que le concessionnaire qui achète les produits et est propriétaire des stocks, supporte effectivement le risque économique des opérations commerciales; il assume ainsi le risque de mévente ou de baisse des prix. L'arrêt commenté rappelle sans équivoque cette condition essentielle: la société Pietercil “ne supportait pas le risque d'une baisse des prix de revente à sa clientèle” et “avait la certitude de récupérer auprès de Barilla l'équivalent de sa marge […]”, de brute sorte “qu'il s'en déduit que le 'bénéfice' que retirait Pietercil de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat”.

Les conventions du type de celle ayant lié Pietercil à Barilla s'apparentent tantôt au contrat de commission, tantôt à la vente en consignation. Elles demeurent régies par le droit commun des contrats et obligations, notamment en ce qui concerne les modalités de leur terminaison. Il reste à déterminer, au cas par cas, si leur conclusion est soumise aux règles prescrites par la loi du 19 décembre 2005 relative à l'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial.

[1] Avocats Liedekerke Wolters Waelbroeck Kirkpatrick.
[2] Voy. notamment Bruxelles 21 décembre 2000, R.D.C. 2002, pp. 107 et s. et Bruxelles 8 février 2001, R.D.C. 2003, pp. 500 et s.
[3] Voy. entre autres ces trois arrêts successifs de la cour d'appel de Liège (Liège 2 novembre 2006, J.L.M.B. 2007, pp. 1223 et s.; Liège 3 novembre 2006, J.L.M.B. 2007, pp. 1225 et s.; Liège 27 avril 2006, J.L.M.B. 2007, pp. 491 et s. (extrait), ainsi que la jurisprudence, en grande partie inédite, citée par MM. P. Kileste et P. Hollander dans leur examen de jurisprudence (“Examen de jurisprudence. La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée (1997 à 2002)”, R.D.C. 2003, pp. 411 et s., spécialement pp. 412-413, notes 12 à 25. Les tribunaux de première instance paraissent toutefois plus enclins à qualifier une relation de distribution de “concession de vente” - ce, généralement, au bénéfice du prétendu concessionnaire. Les cours d'appel semblent néanmoins partager la même rigueur dans l'analyse de ces conventions à la nature incertaine.
[4] Voy. notamment, Liège 27 avril 2006, o.c., p. 489.
[5] Bruxelles 8 février 2001, o.c., p. 501.
[6] Liège 2 novembre 2006, o.c., p. 1224.
[7] Bruxelles 8 février 2001, o.c., p. 501.
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] Liège 2 novembre 2006, o.c., p. 1224.
[11] Bruxelles 21 décembre 2000, o.c., p. 107.