Cour d'appel de Bruxelles 21 mars 2008
INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente exclusive - Qualification - Conditions - Absence de risque économique - Inapplicabilité de la loi du 27 juillet 1961
Il n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi du 27 juillet 1961, lorsque, notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prix de vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risque de mévente.
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TUSSENPERSONEN IN DE HANDEL
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Kwalificatie - Voorwaarden - Afwezigheid van economisch risico - Niet toepasselijkheid van de wet van 27 juli 1961
Er is geen sprake van een verkoopconcessie in de zin van de wet van 27 juli 1961 ingeval de beweerde concessionaris niet over de vrijheid beschikt om de verkoopprijs te bepalen, hij een commissie ontvangt en hij geen enkel risico draagt voor de slechte verkoop van de producten.
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Barilla / Pietercil Delby's NV
Siég.: H. Mackelbert, Y. Demanche et M.-F. Carlier (conseillers) |
Pl.: Mes J. Bigwood, A. De Vriendt et P. Hollander |
I. | Décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 7 septembre 2004 par le tribunal de commerce de Bruxelles.
Les parties ne produisent pas d'acte de signification de ce jugement.
(…)
III. | Faits et antécédents de la procédure |
1. Depuis 1975, la SA Resta - dont les droits et obligations seront repris en 1984 par Pietercil - distribue les produits commercialisés par Barilla sous la marque du même nom, dans le territoire de la Belgique.
Cette distribution sera étendue ultérieurement, dans les années 1990, au Grand-duché du Luxembourg.
Fin de l'année 2000, les produits Wasa, également fabriqués par Barilla, seront ajoutés aux produits distribués par Pietercil, mais uniquement pour la Belgique.
Il est constant que Pietercil est chargée de la vente à la grande distribution. La vente des mêmes produits aux magasins dits “ethniques”, soit les traiteurs spécialisés dans les produits italiens, est effectuée conjointement par Pietercil et un grossiste.
2. Aucun contrat écrit n'a été établi par les parties nonobstant l'entame de négociations à ce sujet dans les années 1989-1990 puis dans les années 1998-2001.
En juillet 2001, les parties discutent de la signature d'une convention transactionnelle mettant fin aux relations contractuelles existantes moyennant le paiement d'une indemnité de 20 millions FB et d'un nouveau contrat de commission d'une durée de minimum quatre ans.
3. Par courrier du 25 septembre 2002, Barilla - souhaitant centraliser la distribution de ses produits entre les mains de sa filiale, la société de droit néerlandais Barilla Wasa Benelux - met unilatéralement un terme à ses relations contractuelles avec Pietercil, moyennant l'octroi, à cette dernière, d'un délai de préavis de six mois, venant à échéance le 31 mars 2003.
Pietercil conteste la durée du préavis octroyé et réclame des indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions exclusives de vente à durée indéterminée.
Barilla refuse de reconnaître à Pietercil la qualité de concessionnaire au sens de cette loi et de l'indemniser en conséquence.
(…)
IV. | Discussion |
5. Pietercil fonde ses diverses demandes sur les articles 2 et 3 de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée.
6. Pour que cette loi soit d'application, il faut que la relation contractuelle nouée entre les parties puisse s'analyser en un contrat de concession de vente, tel que précisé à l'article 1 § 2 de ladite loi.
La concession de vente s'y définit comme “toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre en leur nom et pour leur propre compte des produits qu'il fabrique ou distribue” (art. 1 § 2 de la loi de 1961).
7. Les relations entre les parties n'ont pas fait l'objet d'une convention écrite.
La convention de concession ne doit toutefois pas nécessairement être consignée dans un écrit. Elle peut être verbale.
Dans cette hypothèse, c'est à celui qui se prévaut de la qualité de concessionnaire exclusif qu'il appartient d'en rapporter la preuve par tous moyens de droit, et notamment par la manière dont les parties se sont comportées dans le passé.
8. Barilla ne conteste pas avoir été liée à Pietercil par un contrat de distribution et lui avoir conféré l'exclusivité dans le secteur qu'elle prospectait, à savoir celui de la grande distribution (cf. conclusions d'appel, p. 5).
Le motif pour lequel elle conteste l'application de la loi de 1961 en l'espèce réside dans le fait que Pietercil n'assumait pas tous les risques économiques liés à la distribution des produits Barilla et Wasa en sorte qu'elle ne vendait pas pour son propre compte selon le prescrit légal.
9. “Lorsque l'intermédiaire agit pour son propre compte, sa situation est celle d'un commerçant qui retire directement tous les profits de son activité et en assume tous les risques (risques liés à la propriété des marchandises, à leur distribution, etc.)” (L. Du Jardin, Le droit belge de la distribution commerciale, Larcier, 1992, p. 37, n° 46).
“À la différence du commissionnaire et de l'agent autonome, le concessionnaire achète pour son propre compte les produits qu'il va distribuer en sorte qu'il assume les risques d'une mévente ou d'une baisse des prix” (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, T. IV, p. 53, n° 68).
“Le concessionnaire présente (...) des avantages par rapport au représentant: (...) il achète au producteur pour revendre. Généralement tenu par un quota, il assume donc tous les risques de la distribution et permet au concédant une production régulière” (G. Bricmont et R. Gysels, Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 1962, p. 22).
“C'est la réalité économique et juridique qui doit être examinée pour apprécier si oui ou non le revendeur vend en son nom et pour son propre compte” (J.-P. Fierens et P. Kileste, “La loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée”, J.T. 1987, p. 693).
Il n'y a pas de concession de vente, au sens de la loi, lorsque, notamment, le prétendu concessionnaire n'a pas la liberté de fixer le prix de vente, reçoit une commission et ne supporte aucun risque de mévente (Bruxelles 21 décembre 2000, R.D.C. 2002, 107).
10. En l'espèce, comme l'expose le premier juge, le contexte particulier dans lequel se sont développées les relations commerciales entre les parties a eu une influence sur la détermination des modalités financières de leur collaboration.
D'une part, l'on se trouve dans le secteur de la grande distribution qui se caractérise, notamment, par le fait que l'acheteur occupe une position de force par rapport au fournisseur - contrairement au schéma de distribution classique - fournisseur qui se voit imposer des conditions commerciales particulièrement lourdes, à défaut d'acceptation desquelles le produit qu'il distribue n'est pas vendu par les grandes surfaces.
D'autre part, Barilla vendait ses produits à Pietercil à un prix non négociable, souhaitant conserver une homogénéité de ses prix entre tous ses distributeurs qu'il s'agisse d'entreprises indépendantes - comme Pietercil - ou de filiales et ce, pour limiter les risques d'exportations et d'importations parallèles.
Il est constant que ces contraintes quant à la fixation du prix d'achat en amont et de revente en aval plaçaient Pietercil dans l'impossibilité de dégager un bénéfice. Sa marge brute, telle qu'elle résulte classiquement de la différence entre le prix de vente des produits moins le prix d'achat était négative.
Les parties se sont dès lors accordées pour que la rémunération de Pietercil soit fixée par rapport à un taux de rentabilité à négocier d'année en année.
Depuis 1999, ce taux était fixé à 11,30% du montant brut théorique des ventes (ou Gross Sale Value - GSV). Il est expliqué que le montant obtenu en appliquant ce taux au chiffre d'affaires brut théorique était le DBC (“Direct Brand Contribution”, ou la contribution directe de Barilla dans la rémunération de Pietercil).
Concrètement, Barilla procédait à des versements mensuels correspondant à 23,64% du chiffre d'affaires net théorique; elle faisait des régularisations périodiques et prenait en charge certains frais spécifiques. L'ensemble de ces opérations permettait d'atteindre une rémunération pour Pietercil égale à 11,30% du chiffre d'affaires brut théorique.
11. À tort, le premier juge est parti du postulat émis par Pietercil que le mécanisme comptable et financier mis en place par les parties aboutit à un résultat identique à celui qui aurait été obtenu si Barilla avait fixé son prix de vente à Pietercil à un montant inférieur.
D'une part, il ne résulte d'aucune pièce que Barilla ait jamais eu la volonté de diminuer ses prix; ce faisant, elle aurait créé des distorsions entre ses différents distributeurs ce qu'elle voulait précisément éviter.
D'autre part, ce postulat contesté par Barilla ne repose sur aucune pièce probante.
La situation à examiner n'est pas celle qui eut pu exister dans des conditions économiques différentes mais bien celle qui a effectivement existé entre les parties.
À cet égard, si le DBC ne constitue pas une marge garantie en valeur absolue, il n'en demeure pas moins qu'il visait à octroyer à Pietercil une rémunération sous la forme d'un pourcentage fixe de 11,30% sur chaque vente réalisée à son intermédiaire; ainsi, sur chaque produit vendu, Pietercil était assurée de percevoir 11,30% calculé sur le GSV ou prix officiel du produit, compte non tenu des éventuelles remises ou ristournes octroyées.
Quel que soit le prix facturé à la clientèle, même si les ristournes et promotions accordées par Pietercil aux clients s'inscrivaient dans le cadre d'une enveloppe globale discutée par les parties, Pietercil était certaine de percevoir 11,30% calculé sur le GSV; en d'autres termes, à un prix de vente théorique égal (ou GSV), plus le prix effectivement facturé au client était bas, plus le montant de la compensation à verser par Barilla était important pour que le bénéfice dégagé par Pietercil reste fixe en pourcentage.
Pietercil ne supportait donc pas le risque d'une baisse des prix de revente à sa clientèle.
Par ailleurs, si, comme le relève Pietercil, il lui appartenait de réaliser un certain quota de ventes pour couvrir ses propres frais, cette situation n'est pas l'apanage du concessionnaire; tant l'agent commercial que le commissionnaire doivent également supporter leurs frais propres (cf. G. Bricmont et R. Gysels, Le contrat de concession de vente exclusive, Larcier, 1962, p. 21).
Même si Pietercil achetait pour revendre, finançait l'achat de son stock et supportait le risque d'insolvabilité de ses clients - en principe seulement, car en l'espèce, s'agissant de la grande distribution, ce risque était pratiquement nul - elle avait toutefois la certitude de récupérer auprès de Barilla l'équivalent de sa marge brute sous la forme du DBC.
Il convient enfin de ne pas perdre de vue que de l'aveu même de Pietercil, sans ce mécanisme de soutien de Pietercil par Barilla, la mise en place d'une concession de vente exclusive n'était pas viable d'un point de vue économique.
Il s'en déduit que le “bénéfice” que retirait Pietercil de la revente des produits s'apparentait plus à une commission qu'à un véritable profit obtenu en faisant la différence entre les prix de vente et d'achat.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la relation commerciale atypique nouée par les parties ne répond pas à la notion de concession de vente au sens de la loi du 27 juillet 1961.
Partant, la résiliation de cette relation n'est pas soumise à la loi de 1961 et Pietercil doit être déboutée de sa demande.
12. Quant à l'indemnité de procédure d'appel, chacune des parties revendiquant le montant maximal de 30.000 EUR en raison de la complexité de la cause et celle-ci présentant effectivement un tel caractère, il y a lieu de retenir ce montant.
V. | Dispositif |
Pour ces motifs,
La cour,
Reçoit les appels,
Dit l'appel principal seul fondé,
Réforme le jugement entrepris sauf en tant qu'il a dit l'action principale irrecevable en ce qu'elle est dirigée par la société anonyme Quality Food Products Benelux contre la société Barilla Alimentare SpA et a reçu l'action mue par la SA Pietercil Delby's;
Statuant à nouveau pour le surplus, dit la demande de la SA Pietercil Delby's non fondée et l'en déboute;
Met les dépens des deux instances à charge de la SA Pietercil Delby's, liquidés en totalité à 378,98 + 456,12 + 30.000 EUR pour elle et à 456,12 + 186 + 30.000 EUR pour Barilla;
(…)