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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 17/04/2008, R.D.C.-T.B.H., 2008/6, p. 569-571

Cour de justice des Communautés européennes 17 avril 2008

Vente et garantie des biens de consommation - Défaut du bien vendu - Réparation ou remplacement - Indemnité due au vendeur pour prendre en compte l'usage du bien non conforme jusqu'à son remplacement - Incompatible avec la directive 1999/44
Aff. C-404/06, Quelle

L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes (“C.J.C.E.”) dans l'affaire Quelle [1] concerne l'interprÉtation de la directive 1999/44 sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation [2], et plus particulièrement son article 3 paragraphe 3. Celui-ci prévoit en substance qu'en cas de défaut du bien de consommation délivré par le vendeur, le consommateur a le droit d'en exiger la réparation ou le remplacement, dans les deux cas “sans frais”, sauf si cela s'avère impossible ou disproportionné.

Cette directive a été transposée en Allemagne à travers la modification de plusieurs articles du Code civil allemand, le Bürgerliches Gesetzbuch (“BGB”). Toutefois, les dispositions combinées des articles 100, 346 et 439 du BGB permettent au vendeur, qui accepte de remplacer un bien défectueux, d'obtenir du consommateur le paiement d'une indemnité qui vise à compenser les avantages que celui-ci a tiré du bien défectueux entre le moment de sa livraison et celui de son remplacement.

C'est dans ce contexte juridique qu'une juridiction allemande a décidé de poser une question préjudicielle à la C.J.C.E., sur base de l'article 234 du Traité CE, afin que celle-ci fournisse une interprÉtation de la directive 1999/44. Celle-ci était en effet saisie du litige entre une association de consommateur (le Bundesverband) et un vendeur (la société Quelle) au sujet du remboursement d'une indemnité, telle que décrite ci-dessus, de € 69,97, versée par un consommateur suite au remplacement par Quelle d'un ensemble de cuisson défectueux. Après diverses péripéties judiciaires sur lesquelles il n'est pas nécessaire de s'étendre [3], la Cour fédérale de Justice finalement saisie de l'affaire a donc décidé de demander à la C.J.C.E. si l'article 3 de la directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet au vendeur, dans l'hypothèse où il a vendu un bien de consommation affecté d'un défaut de conformité, d'exiger du consommateur une indemnité pour l'usage du bien non conforme jusqu'à son remplacement par un nouveau bien.

Dans le cadre de la procédure devant la C.J.C.E., la société Quelle soulève tout d'abord une exception d'irrecevabilité de la question préjudicielle. Celle-ci prétend en effet que la réponse de la Cour de justice n'est d'aucune utilité dans le cadre du litige puisque, d'une part, la loi allemande de transposition ne laisse aucun doute sur le fait que l'indemnité peut en effet être exigée et que, d'autre part, la Constitution allemande interdit aux juridictions nationales de statuer contra legem. La Cour va soigneusement éviter de contrecarrer frontalement cette argumentation [4], mais va plutôt insister sur la répartition des tâches existant entre le juge national et le juge européen dans le cadre de la procédure prévue à l'article 234 du Traité CE. En effet, dans le cadre d'une procédure en question préjudicielle, il n'appartient pas à la C.J.C.E. de trancher le fond du litige mais simplement d'apporter une interprÉtation du droit communautaire, utile au juge national, qui devra ensuite “assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir” [5]. Dès lors, la Cour est tenue, sauf très rares exceptions [6], de fournir une réponse au juge national, quand bien même il existe une incertitude quant à la possibilité pour celui-ci de l'utiliser.

Au fond ensuite, trois lignes d'argumentation sont soulevées par le gouvernement allemand pour justifier les règles du BGB précitées.

Tout d'abord, celui-ci tire argument (i) du fait que, dans les diverses propositions de directive [7] précédant le texte définitif, n'étaient visés que la réparation du bien sans frais ou le remplacement dudit bien sans se prononcer dans ce second cas sur la question des frais, et (ii) de certaines déclarations du Conseil concernant l'interprÉtation restrictive à donner à la notion de “frais” contenue dans l'article 3 de la directive. La Cour va rejeter cette argumentation en se fondant sur une jurisprudence bien établie [8]. Elle rappelle ainsi que, d'une part, “c'est bien l'expression 'dans les deux cas sans frais', apparue dans la position commune (CE) n° 51/98, arrêtée par le Conseil le 24 septembre 1998, en vue de l'adoption de la directive (J.O. C. 333, p. 46), qui a été retenue dans le texte définitif” et que, d'autre part, la “déclaration inscrite à un procès-verbal du Conseil [qui] ne trouve aucune expression dans le texte d'une disposition de droit dérivé (…) ne saurait être retenue pour l'interprÉtation de ladite disposition” [9]. Cette interprÉtation est d'ailleurs, selon la Cour, corroborée par la volonté du législateur communautaire et par la finalité générale de la directive qui visent toutes deux à garantir un haut niveau de protection au consommateur [10].

Ensuite, le gouvernement allemand prend également argument du quinzième considérant de la directive. Ce considérant énonce en effet que “les États membres peuvent prévoir que tout remboursement au consommateur peut être réduit pour tenir compte de l'usage que le consommateur a eu du bien depuis que celui-ci lui a été livré; que les modalités de résolution du contrat peuvent être fixées par le droit national”. La Cour va le repousser. À la lecture de ce considérant, il ressort en effet qu'il ne vise que l'hypothèse de la résolution du contrat et non pas de la demande de remplacement du bien. Dès lors, il ne concerne que “l'hypothèse visée par le quinzième considérant [et] se limite au cas de la résolution du contrat, prévu à l'article 3 paragraphe 5 de la directive” [11] et non pas au cas prévu en son article 3 paragraphe 3.

Enfin, l'Allemagne soulève un argument tenant à l'enrichissement sans cause qui découlerait pour le consommateur d'une possibilité de remplacement du bien sans la moindre indemnité pour le vendeur pour l'usage fait dudit bien. Il ne manque pas de pertinence puisque la C.J.C.E., dans le cadre du contentieux du remboursement de taxes nationales jugées contraires au droit communautaire, s'est montrée très réceptive à cette argumentation [12]. La Cour va toutefois le rejeter en soulignant que, dans l'hypothèse en cause, le consommateur, qui a pour sa part correctement exécuté ses obligations contractuelles, “ne fait que recevoir, avec retard, un bien conforme aux stipulations du contrat, tel qu'il aurait dû le recevoir dès l'origine” et qu'il n'y a dès lors aucun enrichissement de sa part [13]. La Cour souligne également, pour le surplus, que les intérêts financiers du vendeur sont protégés “d'une part, par le délai de prescription de deux ans prévu à l'article 5 paragraphe 1 de la directive et, d'autre part, par la possibilité qui lui est ouverte à l'article 3 paragraphe 3, deuxième alinéa de la directive de refuser le remplacement du bien dans le cas où ce mode de dédommagement s'avère disproportionné en tant qu'il lui impose des coûts déraisonnables” [14].

La Cour conclut donc en toute logique que “l'article 3 de la directive doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui permet au vendeur, dans l'hypothèse où il a vendu un bien de consommation affecté d'un défaut de conformité, d'exiger du consommateur une indemnité pour l'usage du bien non conforme jusqu'à son remplacement par un nouveau bien” [15].

[1] C.J.C.E. 17 avril 2008, C-404/06, Quelle/Bundesverband, non encore publié au Recueil. Disponible sur le site de la Cour de justice http://curia.europa.eu .
[2] Directive 1999/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999, sur certains aspects de la vente et des garanties des biens de consommation, J.O. L. 171 du 7 juillet 1999, p. 12. Cette directive a été (tardivement) transposée en droit belge par la loi du 1er septembre 2004 relative à la protection des consommateurs en cas de vente de biens de consommation, Mon. b. 21 septembre 2004, p. 68.384.
[3] Le lecteur curieux se reportera aux conclusions de l'avocat général Verica sous l'affaire Quelle précitée, aux points 19 à 24, qui résument par le menu l'ensemble de la procédure nationale.
[4] En effet, en toute hypothèse, le principe de primauté du droit communautaire impose d'abroger une règle nationale contraire au droit communautaire, même de nature constitutionnelle, et, dans l'intervalle, impose au juge national de la laisser inappliquée. C.J.C.E. 24 mars 1988, n° 104/86, Commission/Italie, Rec., p. 1799.
[5] Arrêt Quelle, précité, point 19.
[6] Utilement rappelées par la Cour au point 20 de son arrêt Quelle, précité.
[7] Proposition de directive 96/C 307/09 du Parlement européen et du Conseil sur la vente et les garanties des biens de consommation, J.O. 1996, C. 307, p. 8 et proposition modifiée de directive 98/C 148/11 du Parlement européen et du Conseil, J.O. 1998, C. 148, p. 12.
[8] C.J.C.E. 26 février 1991, C-292/89, Antonissen, Rec., p. I-745, point 18 et C.J.C.E. 10 janvier 2006, C-402/03, Skov et Bilka, Rec., p. I-199, point 42.
[9] Arrêt Quelle, précité, point 32.
[10] Arrêt Quelle, précité, points 35 et 36.
[11] Arrêt Quelle, précité, point 39.
[12] Voy. notamment, C.J.C.E. 14 janvier 1997, aff. jointes C-192/95 à C-218/95, Société Comateb et al., Rec., p. I-165 et C.J.C.E. 2 octobre 2003, C-147/01, Weber's Wine World, Rec., I, p. I-11365. Pour un commentaire critique, F. Berrod et N. Notaro, “L'arrêt Comateb: chronique d'un appauvrissement sans cause”, Rev. trim. dr. europ. 1998, pp. 143 et s.
[13] Arrêt Quelle, précité, point 41.
[14] Arrêt Quelle, précité, point 42.
[15] Arrêt Quelle, précité, point 44.
[16] (www.ieje.net )