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La relation du règlement Rome II avec d'autres règles de conflit de lois, R.D.C.-T.B.H., 2008/6, p. 549-564

La relation du règlement Rome II avec d'autres règles de conflit de lois

Marc Fallon [1]

TABLE DES MATIERES

I. Règles de rattachement complémentaires A. Règles de rattachement conventionnelles 1. Hiérarchie des normes

2. Comparaison des règles de rattachement

B. Règles de rattachement nationales 1. Obligations à la marge

2. Atteintes à la vie privée

II. Règles de conflit dégoratoires A. Applicabilité du droit matériel national

B. Applicabilité du droit matériel uniforme

C. Primauté de règles communautaires 1. Règles spéciales de rattachement du droit dérivé

2. Règles spéciales d'applicabilité du droit dérivé

3. Règles du droit primaire sur le conflit de lois a) Règles implicites sur la mise en oeuvre de la règle de rattachement

b) Règles implicites sur l'applicabilité du droit dérivé

c) Règles explicites sur l'applicabilité du droit primaire

Conclusion

RESUME
L'étude cherche à identifier les instruments dont le Règlement Rome II n'affecte pas l'application. Ce sont, d'une part, des règles de conflit de lois couvrant une matière exclue par l'article 1er, et, d'autre part, des actes concernant des obligations non contractuelles visées mais auxquels le règlement consent la priorité parce qu'ils portent sur une matière particulière. Outre le cas des lois de police du for, ces instruments sont tantôt des actes communautaires (art. 27), tantôt des conventions internationales (art. 28), voire encore d'autres instruments, visant à assurer la liberté de circulation dans le marché intérieur, dont l'application conjointe avec la loi désignée par le règlement serait problématique (préambule, § 35). Dans l'ensemble, ces instruments contiennent, parfois de véritables règles de rattachement, le plus souvent des règles spéciales d'applicabilité qui identifient directement les situations internationales visées.
SAMENVATTING
De studie tracht de instrumenten die door de Verordening Rome II onverlet worden gelaten, te omschrijven. Het betreft enerzijds de collisieregels die een materie behandelen die door artikel 1 zijn uitgesloten, en anderzijds, besluiten betreffende de beoogde niet-contractuele verbintenissen maar waaraan de verordening voorrang verleent omdat het handelingen zijn die een bijzondere aangelegenheid betreffen. Afgezien van de bepalingen van bijzonder dwingend recht in het land van de rechter, betreft het nu eens communautaire besluiten (art. 27), dan weer internationale overeenkomsten (art. 28) en zelfs nog andere instrumenten, die het vrij verkeer op de interne markt beogen te waarborgen en waarvan de gelijktijdige toepassing met het door de verordening aangewezen recht, problematisch zou zijn (preambule, § 35). Over het geheel genomen bevatten deze instrumenten soms echte verwijzingsregels, meestal speciale voorrangsregels die de bedoelde internationale situaties rechtstreeks omschrijven.

1.Le Règlement “Rome II” tend, comme la Convention de Rome en matière de contrats, à établir un régime général du conflit de lois pour la matière des obligations non contractuelles. Pour les juridictions des États membres à l'exception du Danemark (art. 1er § 4), il devrait ainsi constituer le droit commun des conflits de lois en la matière, prenant la place, en Belgique par exemple, des articles 99 et suivants du Code de droit international privé, du moins pour les matières qu'il couvre. Cette caractéristique est confirmée par la configuration de son domaine d'application matériel, puisque l'article premier, procédant en deux phases, commence par une proposition positive de couverture de l'ensemble de la matière et finit par une liste d'exclusion de délits particuliers. Cette méthode suit celle de la Convention de Rome, comme aussi celle de la Convention de Bruxelles, puis du Règlement Bruxelles I, pour le conflit de juridictions. Elle n'est pourtant pas banale dans le chef d'instruments internationaux. Ceux-ci, au contraire, définissent avec précision la ou les matières visées, au moyen de critères de nature positive. La matière des quasi-délits en fournit des illustrations emblématiques dans les Conventions de La Haye du 4 mai 1971 pour les accidents de la circulation routière et du 2 octobre 1973 pour la responsabilité du fait des produits.

Cette approche globale de la matière des quasi-délits peut donner à croire que le règlement a vocation à couvrir toute demande en la matière, à l'exclusion d'autres instruments portant sur des délits spéciaux. Il en va tout autrement. D'autres sources sont appelées à coexister [2]. Elles contiennent tantôt de véritables règles de rattachement bilatérales, à l'instar du règlement, mais en des matières particulières (I), tantôt des règles spéciales de conflit qui entendent déroger à la désignation du droit applicable par le règlement (II).

I. Règles de rattachement complémentaires

2.Le règlement peut laisser intacts deux types de règles de rattachement, soit en raison d'une priorité laissée à des instruments internationaux en des matières particulières (A), soit en raison de l'exclusion d'une obligation non contractuelle de son domaine matériel (B).

A. Règles de rattachement conventionnelles

3.Pour les pays qui les ont ratifiées, les Conventions de La Haye sur les accidents de la circulation routière et sur la responsabilité du fait des produits constituent normalement le droit commun des conflits de lois pour ces contentieux. En effet, leurs règles de conflit de lois ont une portée universelle, c'est-à-dire que ces conventions sont applicables même si elles désignent le droit d'un etat non contractant: elles servent donc à désigner le droit applicable à tout litige transfrontière en la matière, que la situation soit, selon la terminologie de l'Union européenne, intracommunautaire ou externe. Comme le Règlement Rome II présente le même caractère, celui-ci a vocation à couvrir des litiges couverts par celles-là.

D'autres traités peuvent encore comporter des règles de rattachement. Ils sont cependant rares, alors que la plupart des traités de droit matériel uniforme contiennent des règles spéciales d'applicabilité, qui appellent une analyse spécifique [3]. De telles règles peuvent se trouver dans des traités ayant pour objet d'unifier les règles matérielles, pour compléter celles-ci sur des questions exclues de l'uniformisation. Elles peuvent être explicites. C'est le cas, par exemple [4], du renvoi à la loi du for pour déterminer les causes de suspension et d'interruption des prescriptions pour la responsabilité liée à un abordage, dans la Convention du 23 septembre 1910 pour l'unification de certaines règles en matière d'abordage (art. 7). D'autres renvois au “droit national” du juge saisi sont d'interprÉtation plus délicate, par exemple dans le secteur de l'énergie nucléaire [5]. Plusieurs instruments sur la réparation de dommages causés à des victimes de la criminalité renvoient pratiquement à la loi du pays où l'infraction a été commise [6]. Le cas de règles implicites est plus problématique, car l'identification de telles règles peut être délicate, comme en attestent les traités concernant la protection des droits de propriété intellectuelle. Le risque de confusion existe ici entre une règle de conflit de lois et une disposition matérielle relative à la condition de l'étranger: lorsque l'acte uniforme assure la protection du droit à tout ressortissant d'un État contractant, il pose une règle matérielle identifiant les titulaires de droits subjectifs, non une règle de rattachement [7]. Constituent bien des règles de rattachement, par exemple, les dispositions de l'Acte de Paris du 24 juillet 1971 sur la protection internationale du droit d'auteur qui soumettent “l'étendue de la protection [à] la législation du pays où la protection est réclamée” (art. 5 § 2), qui soumettent la durée maximale de la protection à la loi du pays d'origine à moins que la loi du pays de protection n'en décide autrement (art. 7 § 8) ou qui soumettent la protection de base du droit de suite à la loi nationale de l'auteur, dans les limites admises par la loi de protection (art. 14ter § 2).

La présentation de ces conflits d'instruments appelle une double analyse, d'abord d'ordre institutionnel, quant à la hiérarchie des normes, ensuite d'ordre comparatif, quant aux solutions apportées au conflit de lois.

1. Hiérarchie des normes

4.L'attitude de l'Union européenne à l'égard des deux Conventions de La Haye est contrastée. Même si, en apparence, elle exprime une volonté de couvrir les matières visées par celles-ci, cette volonté est moins affirmée pour l'une que pour l'autre, tandis que, en pratique, les conventions reçoivent la priorité.

Par une disposition générale, le règlement “n'affecte pas l'application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties [et] qui règlent les conflits de lois […]”, à moins que ces conventions ne soient “conclues exclusivement entre deux ou plusieurs d'entre eux” (art. 28). Cette solution revient à reconnaître la priorité des régimes spéciaux existants, tout en préservant, pour les instruments futurs, le principe de droit communautaire institutionnel de la préemption des compétences externes: l'exercice d'une compétence normative sur le plan interne - celui du marché intérieur - peut transformer la compétence partagée pour conclure des traités avec des États tiers, en une compétence exclusive de la Communauté [8].

Cette cession de priorité du droit communautaire au profit du droit conventionnel contraste avec les “clauses de déconnexion” observées en matière de droit international privé, notamment dans la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 sur la responsabilité parentale, ou dans la Convention de Lugano bis du 30 octobre 2007 en matière de compétence judiciaire, même si d'autres instruments internationaux prévoient également une telle cession, telle la Convention de La Haye du 30 juin 2005 sur les accords d'élection de for [9]. Si les deux premiers exemples montrent un conflit entre des instruments dont le domaine a une étendue similaire, le troisième montre une priorité au profit de celui qui a l'apparence d'un acte spécial, confirmant alors l'application du principe selon lequel le spécial déroge au général. Cette apparence est cependant trompeuse, car la priorité donnée à la Convention de 2005 affecte en substance l'article 23 du Règlement “Bruxelles I”, au domaine également similaire. La clause de déconnexion au profit de l'acte communautaire peut se présenter aussi comme une forme de cession en faveur de règles particulières, la spécialité étant alors de nature géographique. Cependant, en termes d'objectifs, elle vise bien à amener les États contractants à accepter une préférence communautaire.

Malgré sa formulation générale, la cession de priorité vise essentiellement deux conventions de La Haye, en matière d'accidents de la circulation routière et de responsabilité du fait des produits. Elle est le fruit d'un arbitrage délicat entre deux processus d'uniformisation du droit international privé, au sein de l'Union européenne et de la Conférence de La Haye. Elle évite notamment aux États contractants de devoir dénoncer les instruments concernés parallèlement à l'entrée en vigueur du règlement car, à défaut de le faire dans le cas où le règlement aurait opté pour une clause de préférence communautaire, une telle clause aurait poussé ces États à une violation de leurs engagements conventionnels. Le prix à payer pour l'Union européenne est une perte en termes d'intégration, puisque aucune des conventions précitées n'a été ratifiée par l'ensemble des États membres [10].

5.Pratiquement, pour les juges des États qui sont liés par les Conventions de La Haye, celles-ci continuent de régir les conflits de lois dans les matières spécifiques qu'elles visent. Pour le juge belge par exemple [11], la Convention de La Haye de 1971 continue de déterminer “la loi applicable à la responsabilité extra-contractuelle découlant d'un accident de la circulation routière” (art. 1er). Pour un juge espagnol [12], il en va de même pour cette matière mais aussi pour déterminer la loi applicable à la “responsabilité des fabricants […] pour les dommages causés par un produit […]” (art. 1er).

La priorité ainsi reconnue ne signifie pas pour autant que le règlement ne puisse, pour les juridictions de ces États, couvrir aucune demande relative à l'une de ces “matières”. En effet, la qualification d'une action au sens des conventions peut être plus étroite que celle que le règlement peut comporter.

L'observation vaut spécialement pour la responsabilité du fait des produits. À la différence des accidents de la circulation routière, le règlement contient une règle propre à cette responsabilité, attestant ainsi d'une volonté politique de se dissocier des solutions de La Haye. Or, l'article 5 du règlement ne définit pas autrement les actions visées que par toute “obligation non contractuelle découlant d'un dommage causé par un produit”. Par comparaison, le Code belge de droit international privé vise la “responsabilité du producteur, de l'importateur ou du fournisseur du fait d'un produit”. L'une et l'autre de ces expressions doit se comprendre à la lumière de la définition précise donnée par la directive 85/374 du 25 juillet 1985, et par sa loi de transposition, en Belgique la loi du 25 février 1991. Or, les domaines d'application des instruments ne coïncident pas nécessairement: la convention reçoit un domaine certes plus large que les textes communautaires - extension aux immeubles, aux produits agricoles, aux dommages immatériels -, sauf pour la définition du dommage: le dommage au produit et la perte économique consécutive pourront relever du texte communautaire alors qu'ils ne sont couverts par la convention que “s'ils s'ajoutent à d'autres dommages”. Pour ces dommages au produit exclus de la convention, le juge d'un État lié par la Convention de La Haye devra donc appliquer l'article 5 du règlement. Une observation analogue peut être faite, en matière d'accidents de la circulation routière, pour les demandes visées par l'article 2 ou n'entrant pas dans la définition de l'article 1er de la Convention de 1971 [13]. Dans ce cas, les dispositions générales du règlement sont d'application, à défaut de règles spéciales.

6.Sous un angle politique, la coexistence des instruments ne sera pas pour autant pacifique. Les États membres qui n'ont pas encore ratifié l'une des deux conventions ne pourront normalement plus le faire, seule l'Union ayant désormais cette compétence, ce qu'elle ne fera probablement pas pour la responsabilité du fait des produits, puisqu'elle a pris l'option de règles propres.

Pour les accidents de la circulation routière, le malaise est certain. Certes, les auteurs du règlement ont exprimé leur volonté de se contenter des règles générales de rattachement, qui conduiront normalement à la loi de la résidence commune des parties, à défaut à celle du lieu de l'accident. Ils ont dû ne pas être insensibles non plus au jeu de diverses directives concernant l'action directe de la victime contre l'assureur, qui tendent à neutraliser le critère du lieu de l'accident [14]. Lors des travaux préparatoires, le Parlement européen avait soulevé la question de l'interaction de la Convention de La Haye, tantôt en suggérant de laisser une option aux États liés par la convention, tantôt en soumettant la détermination du montant de la réparation des dommages corporels à la loi de la résidence de la victime.

Cette position explique la présence curieuse, dans le préambule, d'une disposition selon laquelle le juge “devrait prendre en compte toutes les circonstances de fait pertinentes concernant [la] victime, y compris, notamment, les pertes totales et les coûts du traitement et des soins médicaux […] lors de la quantification des dommages-intérêts accordés au titre de préjudice corporel dans les cas où l'accident survient dans un État autre que celui où la victime a sa résidence habituelle” (§ 33), et ce uniquement en matière d'accidents de la circulation routière. Cette disposition du préambule n'a pas vocation à recevoir une portée juridique obligatoire, dans la mesure où elle ne trouve pas écho dans le corps même de l'acte, lequel inclut plutôt cette question dans le domaine de la loi de la responsabilité (art. 15, point c)). Elle reçoit pourtant une suite politique, puisque mandat est donné à la Commission de faire rapport sur l'impact de la clause de primauté en matière d'accidents de la circulation routière - et non, significativement, de responsabilité du fait des produits -, au plus tard le 20 août 2011 (art. 30).

Plus généralement, la règle de préemption des compétences externes [15] connaît une atténuation sous la forme d'une habilitation conférée aux États membres. Le préambule (§ 37) envisage un acte par lequel le législateur communautaire déterminerait “les procédures et conditions selon lesquelles les États membres seraient autorisés à négocier et à conclure en leur propre nom avec des pays tiers, à titre individuel et dans des cas exceptionnels, des accords portant sur des questions sectorielles”. Cette attitude est analogue à celle observée en matière de transports aériens suite aux arrêts “Accords de ciel ouvert” du 5 novembre 2002 [16].

2. Comparaison des règles de rattachement

7.Sans vouloir effectuer une comparaison minutieuse des règles de rattachement retenues par les divers instruments, il peut être utile d'en tracer les orientations.

En matière d'accidents de la circulation routière, la différence entre le règlement et la convention semble réduite en fait, même si les formulations sont contrastées. En effet, la loi du lieu de l'accident gardera le premier rôle, et celle de la loi de résidence des parties au litige est préservée indirectement, dans la convention par le détour du critère du pays d'immatriculation. Pourtant, le règlement ouvre à des nuances. Le rattachement est identifié au regard des parties en litige, non de la situation vue globalement: si l'accident implique plusieurs véhicules dont certains immatriculés dans l'État de l'accident, la convention conduit à la loi de cet État, alors que le règlement permet d'appliquer la loi de résidence pourvu que les parties en litige résident dans le même État. De plus, le règlement permet aux parties de choisir la loi applicable à la responsabilité (art. 14), ce que la convention, en ne le prévoyant pas, ne permet normalement pas [17]. Enfin, le règlement contient une clause d'exception, permettant la désignation de la loi d'un autre État avec lequel la situation présente “un lien manifestement plus étroit” (art. 4 § 3) [18].

8.Pour la responsabilité du fait des produits, le règlement suit également une voie ouverte par la Convention de La Haye, s'écartant de celle proposée par la Commission et choisie par le législateur belge. Alors que ceux-ci optaient simplement en faveur de la loi de la résidence de la personne lésée, le Conseil a imposé une échelle de rattachements qui, tout en plaçant ce critère sur le premier échelon, conditionne celui-ci par un autre critère, au parfum économique marqué, celui de la localisation de la “commercialisation” du produit (art. 5). En réalité, le critère de commercialisation domine, puisqu'il joue non seulement dans le cas précité, mais encore, à défaut, lorsqu'il coïncide avec le lieu d'acquisition ou, à défaut encore, avec le lieu de survenance du dommage. Le règlement ajoute à cette échelle deux dérogations, l'une en faveur de la loi de la résidence du producteur en cas d'imprévisibilité pour lui du lieu de commercialisation, l'autre par l'utilisation d'une clause d'exception. Hormis celle-ci, la structure du rattachement s'inspire de celle de La Haye, même si la configuration des échelons diffère.

La disposition du règlement soulèvera certaines questions d'interprÉtation, quant à l'identification du lieu d'acquisition, quant à la notion de commercialisation - notamment, en cas de multiplicité de lieux, de vente par Internet, ou encore savoir si la commercialisation doit être le fait de la personne même dont la responsabilité est invoquée. Elle suscitera aussi quelque perplexité, lorsque la personne lésée n'est pas acquéreur du produit, ou encore, pour identifier la règle de rattachement subsidiaire lorsqu'aucun des échelons ne trouve à s'appliquer: dans le cas du tiers lésé, la clause d'exception peut sans doute jouer un rôle; dans le second cas, force est sans doute de revenir aux dispositions générales de l'article 4.

D'un point de vue concret cependant, il n'est pas sûr que, dans la majorité des cas, les uns et les autres de ces textes conduiront à autre chose que la désignation de la loi de la résidence de la personne lésée. Une telle estimation peut être faite au départ d'une application simulée à des échantillons de jurisprudence [19]. Ce résultat serait atteint dans 80% des cas, notamment eu égard à la coexistence, dans le pays de la victime, d'autres critères retenus par les textes, mais cette coexistence ne concernerait pas significativement le lieu d'acquisition. De plus, la désignation de la loi de la résidence du producteur dans la jurisprudence américaine concernerait plutôt le cas du distributeur et celle de la loi du lieu d'acquisition, des produits dont la commercialisation est soumise à un agrément, tels des produits pharmaceutiques.

B. Règles de rattachement nationales

9.L'intervention de règles de rattachement nationales reste possible pour les obligations non contractuelles exclues du domaine d'application du règlement en vertu de l'article 1er. Pour les autres en revanche, le caractère “universel” des règles uniformes signifie que, puisque le règlement est apte à désigner le droit applicable même lorsque celui-ci est le droit d'un État non membre, les règles nationales n'ont plus à régir les situations purement externes, c'est-à-dire celles qui n'ont pas de lien de rattachement significatif avec le territoire des États membres: dès que le juge d'un État membre, autre que le Danemark (art. 1er § 4), est saisi, il lui incombe d'appliquer les dispositions du règlement si l'obligation en litige entre dans le domaine matériel de l'acte.

Sans pouvoir ni devoir détailler ici le contenu des règles nationales qui subsisteront à côté de celles du règlement, il suffit de tenter d'en dresser une typologie, tout en s'attardant sur le cas particulier des atteintes à la vie privée.

Il semble que l'on puisse regrouper les exclusions du domaine du règlement en deux catégories. L'une, la plus large, concerne des obligations qui se situent à la marge de la matière en termes de qualification et qui, pour ce motif, appelaient, dans l'esprit des auteurs du règlement, des solutions spécifiques, éloignées de celles du règlement. L'autre, plus spécifique, porte sur une obligation non contractuelle qui, initialement incluse dans le domaine de l'acte, en a finalement été retirée en raison de la difficulté à atteindre un compromis sur le choix des critères de rattachement.

1. Obligations à la marge

10.Alors que le règlement s'étend à la matière des quasi-contrats (art. 2 § 1er), il exclut une série d'obligations qui, pour la plupart, ne perdent pas moins l'appellation de “non contractuelle”.

Une première exclusion découle de la qualification même d'une “obligation non contractuelle en matière civile ou commerciale”. On peut même penser qu'elle est davantage liée à la notion de “matière civile ou commerciale” qu'à la notion de quasi-délit. Le cas est celui de la responsabilité de l'État “pour les actes et omissions commis dans l'exercice de la puissance publique” (art. 1er § 1er). La disposition fait écho à la solution retenue par la jurisprudence à propos du règlement 44/2001 dit “Bruxelles I”, depuis l'arrêt Eurocontrol [20] selon lequel est exclu un litige entre une personne privée et une autorité publique - en l'occurrence une organisation internationale - qui “a agi dans l'exercice de la puissance publique” [21].

Cette même jurisprudence pourrait aider à préciser la qualification pour les besoins du Règlement Rome II. En effet, outre un principe d'interprÉtation stricte analogue à celui qui inspire l'interprÉtation des dispositions correspondantes du droit primaire [22], on peut en déduire une approche par indices, où prédomine le critère de l'exercice, par l'autorité, de pouvoirs exorbitants par rapport à ceux du droit commun [23]. La difficulté est cependant que la vérification d'un tel critère en l'espèce dépend précisément du contenu du droit qu'il appartient à la règle de rattachement de désigner…

Quoi qu'il en soit, pour les obligations ainsi exclues, qualifiées par le texte de “acta iure imperii”, la règle nationale de rattachement reste valable. Ainsi, une juridiction belge aura à appliquer l'article 99 du Code de droit international privé, dans la mesure où celui-ci n'exclut pas la responsabilité de l'État de son domaine d'application. Même si on peut douter que les “acta iure imperii” relèvent de la matière “civile et commerciale” au sens de l'article 2 du Code, l'inclusion découle explicitement des travaux préparatoires de la loi, les sénateurs ayant accepté l'applicabilité éventuelle d'un droit étranger à la réparation d'un dommage causé à l'étranger du fait, par exemple, d'une intervention des forces armées [24]. Pratiquement, ce droit sera normalement celui du pays où se localisent, à la fois, l'événement causal et la survenance du dommage (art. 99 § 1er, 2°), à moins de liens plus étroits avec un autre pays (3°); ce pourrait être le droit de l'État dont relèvent les forces armées si le dommage est causé par ces forces à l'un de ses membres (1°), par exemple à l'occasion d'opérations d'entraînement.

11.Une seconde catégorie d'exclusions concerne des obligations dont la proximité avec une autre catégorie juridique a pu être jugée suffisante pour suggérer une aspiration vers les solutions qui commandent cette catégorie. Il en est ainsi des obligations “découlant” de relations de famille, de régimes matrimoniaux ou de successions, de titres négociables, de relations de trust, d'un dommage nucléaire. Cette liste s'inspire nettement de celle que contient la Convention de Rome du 19 juin 1980 en matière d'obligations contractuelles.

La plupart de ces hypothèses concernent des quasi-délits, hormis sans doute les relations “entre les constituants, les trustees et les bénéficiaires d'un trust créé volontairement” (§ 2, point e)), qui relèveront aisément des règles de rattachement propres au trust, soit, en Belgique par exemple, de l'article 124 du Code de droit international privé. Les actions en responsabilité non contractuelle visées relèvent alors de règles diverses, en fonction du contenu des règles de rattachement du for. Ainsi, en Belgique, c'est le droit applicable à la personne morale qui détermine “la responsabilité pour violation du droit des sociétés ou des statuts” et “dans quelle mesure la personne morale est tenue à l'égard de tiers des dettes contractées par ses organes” (Codip, art. 111, 9° et 10°). En revanche, si les autres actions en responsabilité, liées à un rapport de famille ou résultant d'un titre négociable, ne font pas l'objet d'une règle de rattachement particulière, elles sont régies par les règles de rattachement nationales en matière d'obligations non contractuelles [25]. Il en va de même de la réparation d'un dommage nucléaire, si le cas n'est pas couvert par un instrument international [26].

À cet égard, un choix politique s'offre au législateur national: soit il décide d'étendre le domaine d'application du règlement aux matières exclues, comme l'a fait par exemple le législateur belge pour les obligations contractuelles (Codip, art. 98), soit il décide de maintenir les règles de rattachement existantes. La seconde option semble la plus cohérente en Belgique, puisque l'adoption de ces règles en 2004 exprimait déjà le choix politique de réponses adaptées à de telles obligations, mais elle a pour défaut de créer un double jeu de règles de rattachement en matière quasi délictuelle.

2. Atteintes à la vie privée

12.L'exclusion des quasi-délits “découlant d'atteintes à la vie privée et aux droits de la personnalité, y compris la diffamation” (art. 1er § 2, point g)) est due, non pas à un choix de qualification, mais à la difficulté politique de s'entendre sur le contenu d'une règle de rattachement en la matière. De fait, l'exclusion n'est apparue dans le texte que lors de la version finale, alors que, dans les versions antérieures, cette catégorie d'obligations faisait l'objet d'une règle spéciale.

Le rapport de la Commission [27] fait État d'importantes divergences en droit comparé, mais il semble, à lire notamment la proposition faite à un moment par la Commission de réduire la règle spéciale à une disposition sur l'ordre public, que les réticences les plus fortes venaient des milieux de la presse sensibles à la constitutionnalité de la liberté d'expression, craignant essentiellement l'effet néfaste de législations étrangères sur la censure.

De son côté, le Parlement européen avait proposé une règle spéciale de rattachement, dissociant vie privée et délit de presse. Alors que celle-là relèverait de la loi de survenance du dommage, celle-ci relèverait de la loi du pays vers lequel la publication ou la diffusion est orientée principalement, rattachement identifié au moyen d'une série d'indices, parmi lesquels le lieu de l'établissement principal de l'éditeur, dans la ligne de l'arrêt Shevill [28] en matière de compétence internationale.

13.Dans l'attente d'une révision du règlement sur ce point, évoquée par l'article 30, les juridictions des États membres auront à appliquer les règles de rattachement nationales, à moins que le législateur national n'ait décidé une extension du domaine du règlement à la matière. En Belgique par exemple, le Code de droit international privé y consacre une règle particulière basée sur la théorie de l'ubiquité, laissant à la personne lésée un choix entre la loi de l'événement causal et la loi de survenance du dommage [29]; mais la personne responsable peut s'opposer à l'application de la loi du dommage en cas d'imprévisibilité (art. 99 § 2, 1°). Les termes de la catégorie visée par cette règle spéciale correspondent exactement à ceux qui définissent les cas d'exclusion dans le règlement (“vie privée”, “droits de la personnalité”, “diffamation”), ce qui écarte le risque de contradictions entre les textes national et communautaire; du moins si le premier est interprété à la lumière du second.

La détermination du droit applicable aux atteintes à la vie privée peut encore subir l'influence d'autres dispositions de conflit de lois, à savoir de règles d'applicabilité incluses dans une loi spéciale - ou dans un acte communautaire - et dérogatoires à la règle de rattachement [30].

II. Règles de conflit dérogatoires

14.La solution du conflit de lois ne se réduit pas aux règles de rattachement. D'autres dispositions, qui suivent une autre méthode, peuvent servir également à identifier les règles matérielles applicables à une situation privée internationale. Leur nature à la fois dérogatoire, spéciale et impérative implique leur primauté sur les règles de rattachement qui régissent la matière en cause. Le phénomène est connu sous l'appellation traditionnelle de “lois d'application immédiate”, ou de “lois d'application nécessaire”, en liaison avec la notion légale de “loi de police” utilisée par l'article 3, alinéa 1er du Code Napoléon [31]. Le terme “règle d'applicabilité” entend prendre le relais, en visant une disposition qui, présente dans une loi particulière, de manière expresse ou parfois implicite, a pour fonction de déterminer le domaine d'application dans l'espace des règles matérielles contenues dans cette loi [32]. Un tel concept a reçu ses illustrations les plus topiques dans la matière des contrats, tel l'article 4 de la loi belge du 27 juillet 1961 sur la résiliation unilatérale d'une concession exclusive de vente à durée indéterminée, qui prévoit l'application d'une règle matérielle d'octroi de dommages compensatoires au concessionnaire exécutant ses prestations sur le territoire belge, ou de l'article 27 de la loi belge du 13 avril 1995 relative au contrat d'agence commerciale, qui retient le critère de la localisation de l'établissement principal de l'agent en Belgique.

En matière de responsabilité civile, outre quelques lois nationales (A), de nombreux instruments internationaux (B) utilisent une règle d'applicabilité. De fait, la plupart des conventions d'uniformisation du droit matériel contiennent une disposition liminaire qui identifie les situations internationales régies, en exigeant un lien de rattachement déterminé avec un ou plusieurs États contractants. L'utilisation de cette technique par le législateur communautaire (C) se pose également aujourd'hui de manière aiguë [33].

A. Applicabilité du droit matériel national

15.Évoquer la question de l'applicabilité du droit matériel national en dérogation des règles de rattachement du règlement n'a de sens que si celui-ci, comme acte communautaire, offre une telle faculté. C'est précisément ce que fait l'article 16, à propos de “dispositions impératives dérogatoires”, appellation nouvelle pour les “lois de police”, terme encore utilisé par la proposition de règlement. Cette disposition s'inspire de l'article 7 de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles [34], plus précisément dans son paragraphe 2. Le texte ne vise que la dérogation apportée par des règles impératives du for, non par des règles impératives d'un État étranger autre que celui dont le droit est désigné par la règle de rattachement. Ces dispositions impératives sont distinguées formellement des “règles de sécurité et de comportement” (art. 17), expression classique visant des dispositions de droit administratif ou pénal imposant une norme de sécurité ou un comportement déterminé, tel le Code de la circulation routière.

Les cas observés de lois de police restent rares en matière de responsabilité civile, outre les normes de transposition d'une directive présentant le caractère d'une telle loi [35].

En droit belge, les lois rencontrées mettent en place des systèmes de compensation. Ainsi, outre le régime d'indemnisation de victimes d'actes de violence [36], qui repose sur un système de compensation, on peut évoquer la loi du 15 mai 2007 relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé [37], qui “a pour but de réparer les dommages subis par les patients et leurs ayants droit, causés en Belgique par un prestataire de soins, dans les conditions et limites prévues par la présente loi [sic]” (art. 3 § 1er). En matière d'accidents de la circulation routière, la loi du 30 mars 1994 [38] prévoit l'indemnisation de victimes de dommages corporels par l'intermédiaire de l'assurance obligatoire, sans toutefois prévoir de critère d'applicabilité explicite: selon la jurisprudence, ce régime spécial entrerait cependant dans le domaine de la Convention de La Haye du 4 mai 1971 [39], alors que la disposition analogue du droit français est qualifiée en France de loi de police [40]. En matière de droit des sociétés, la loi du 1er avril 2007 relative aux offres publiques d'acquisition contient une règle matérielle sur la responsabilité liée à l'émission de prospectus (art. 21) et contient une règle générale d'applicabilité (art. 4) qui prend pour critère la localisation d'une offre volontaire sur le territoire belge ou, pour une offre obligatoire, celle visant une société dont le siège statutaire est en Belgique si les titres sont cotés en Belgique, ou une société étrangère dont le marché principal de cotation est en Belgique. Au sens du Règlement Rome II cependant, ce régime de responsabilité semble de ceux qui sont exclus par l'article 1er [41].

La liberté ainsi laissée au législateur pour définir l'applicabilité dans l'espace de ses lois de police est-elle pour autant absolue? D'une part, un pays qui, comme la France - ou la Belgique avant l'entrée en vigueur du Code de droit international privé -, fonde le rattachement de la responsabilité civile sur le concept de lois de police présent dans l'article 3, alinéa 1er du Code Napoléon, ne pourrait plus retenir cette qualification pour toute règle matérielle relevant de ce domaine, afin de ne pas anéantir l'effet utile du règlement. De plus, la portée utile de certaines règles d'applicabilité particulières accompagnant une loi de police peut être affectée par l'entrée en vigueur du Règlement Rome II, dans la mesure où celui-ci prend désormais en compte, par une règle spéciale de rattachement, l'objectif de politique sociale ou économique poursuivi par ces lois nationales. Cela semble devoir être le cas de dispositions observées en matière de protection de la propriété intellectuelle [42] ou en matière de protection de la concurrence.

B. Applicabilité du droit matériel uniforme

16.Le règlement ne contient aucune disposition spécifique sur la relation avec des traités de droit matériel. Seul l'article 28, déjà évoqué à propos des traités contenant des règles de rattachement, évoque le cas des conventions internationales, visant celles “qui règlent les conflits de lois”. Le domaine de cette disposition dépend de son interprÉtation: couvre-t-elle seulement les instruments contenant des règles de rattachement, c'est-à-dire des règles de conflit de lois dites multilatérales, ou aussi tout instrument se substituant aux règles de rattachement en posant une règle spéciale d'applicabilité qui permet d'identifier les situations transfrontières visées par les règles matérielles uniformes?

L'identité de fonctions des règles d'applicabilité et de rattachement plaide apparemment pour une extension de l'article 28 à ces traités. Mais cela aurait pour effet que l'obligation pour les États membres de communiquer à la Commission la liste des conventions visées à l'article 28, avant le 11 juillet 2008, vaut aussi pour les traités de droit matériel uniforme contenant, comme c'est le plus souvent le cas, une règle spéciale d'applicabilité. De plus, la théorie de la préemption des compétences externes empêcherait à l'avenir tout État membre de ratifier encore une convention de droit matériel uniforme en matière de responsabilité civile du fait de la présence d'une règle spéciale d'applicabilité [43]. Une telle conséquence irait sans doute au-delà, à la fois, de l'intention des auteurs du texte et de la nécessité de préserver l'effet utile des dispositions du règlement. En effet, l'important est que, par un traité ultérieur, les États membres ne puissent pas adopter de règles qui anéantiraient l'effet utile des règles de rattachement posées par l'acte communautaire, ce qui serait le cas d'une convention ayant pour objet de désigner le droit national applicable à l'un des délits spéciaux visés par le règlement, par exemple en matière d'environnement. Seraient donc seuls affectés les traités des États membres qui ont “pour objet” de régler le conflit de lois, expression stricte visant nécessairement des règles de rattachement, non des règles d'applicabilité qui n'en ont que l'effet.

17.L'examen de ces instruments dépasse le cadre de cette présentation. Les matières concernées sont principalement les accidents aériens et maritimes, les accidents nucléaires et les atteintes à l'environnement [44]. À titre d'illustration, la Convention de Londres du 29 novembre 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, telle que remplacée par le protocole du 27 novembre 1992 [45], utilise pour critère d'applicabilité dans l'espace la survenance du dommage sur le territoire d'un État contractant. Pratiquement, cela signifie que les juridictions d'un État lié, comme la Belgique, saisies d'une demande de réparation de dommages dus à une pollution, appliqueront directement les règles uniformes sur la responsabilité civile si cette pollution intervient sur le territoire, notamment les eaux territoriales, d'un État lié, et si, par leur nature, ces dommages entrent dans le domaine matériel de la convention, sans avoir à appliquer l'article 7 du règlement. Certes, celui-ci se réfère aussi au critère du lieu du dommage pour désigner le droit national applicable, mais il le fait dans une règle de type alternatif, consacrant la thèse de l'ubiquité, à savoir que le demandeur peut aussi invoquer la loi du pays dans lequel le fait générateur du dommage s'est produit.

D'autres instruments internationaux définissent leur applicabilité dans l'espace de manière plus stricte que la Convention de Londres. Ainsi, le protocole du 10 décembre 1999 sur la responsabilité, ajouté à la Convention de Bâle du 22 mars 1989 sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et leur utilisation, approuvée par la Communauté européenne [46], limite son domaine d'application aux dommages survenus sur le territoire d'un État contractant, pourvu que le fait générateur de pollution se localise aussi dans un tel État.

Le secteur nucléaire entretient une relation particulière avec le règlement, puisque celui-ci l'exclut de son domaine d'application. C'est sans doute la présence d'instruments internationaux en la matière qui explique, ou avalise, cette exclusion. Outre la Convention de Paris du 29 juillet 1960 avec ses actes modificatifs, on peut citer la Convention de Bruxelles du 17 décembre 1971 en ce qui concerne le transport de matières nucléaires et la Convention de Vienne du 21 mai 1963 préparée par l'Agence internationale de l'énergie atomique. La Convention de Paris, qui lie 13 des États de l'Union européenne, vise une harmonisation des règles matérielles de la responsabilité civile de l'exploitant, accompagnée d'une règle d'applicabilité qui en limite pratiquement le domaine aux dommages survenus dans un État lié et dus à une exploitation localisée dans un tel État [47].

C. Primauté de règles communautaires

18.L'application du règlement peut être affectée par le jeu d'autres dispositions de droit communautaire. Celles-ci sont de nature diverse et, faut-il le dire, parfois encore problématique. Un acte de droit dérivé peut comporter une règle spéciale de rattachement (1.), ou une règle spéciale d'applicabilité (2.). De son côté, le droit primaire a pu être vu comme impliquant une norme sur le conflit de lois (3.).

1. Règles spéciales de rattachement du droit dérivé

19.La primauté de règles particulières contenues dans le droit dérivé est reconnue par le règlement, qui admet ne pas affecter “l'application des dispositions de droit communautaire qui, dans des matières particulières, règlent les conflits de lois en matière d'obligations non contractuelles” (art. 27). Le règlement se présente ainsi comme un acte de nature générale - ou transversale ou horizontale dans la terminologie communautaire -, n'excluant pas pour autant toute possibilité de règles spéciales [48]. Il serait faux de croire que de telles règles sont inexistantes. En effet, on peut relever plusieurs règles de rattachement particulières, apparaissant comme des dispositions accessoires dans un acte posant des règles matérielles, de droit privé ou non, et destinées à compléter ces règles matérielles, le cas échéant pour en assurer la sanction.

Certaines règles concernent la responsabilité de l'État, comme celle soumettant à la loi de l'État membre d'intervention la responsabilité d'un État membre du fait de son agent ayant opéré sur le territoire du premier État dans le cadre d'équipes communes d'enquête [49], ou encore celle désignant le droit de l'État membre faisant un traitement illicite d'empreintes digitales dans le cadre du système “Eurodac” [50]. Cependant, de tels cas de responsabilité de l'État sortent du domaine du Règlement Rome II, et donc de l'article 27 précité, en vertu de l'exclusion de la responsabilité de l'État “pour les actes et omissions commis dans l'exercice de la puissance publique (“acta iure imperii”) (art. 1er § 1er[51].

D'autres règles de rattachement concernent une matière visée par le règlement. Ainsi, en cas d'importation dans ou d'exportation hors de la Communauté de marchandises de contrefaçon [52], la définition de l'atteinte au droit de propriété intellectuelle relève du droit de l'État membre où la demande en intervention est faite (art. 1er § 2, point b)) et l'indemnisation du titulaire, du droit de l'État membre dans lequel la demande est faite (art. 9 § 1er), tandis que la responsabilité de celui-ci pour l'utilisation de données à caractère personnel est régie par le droit de l'État membre dans lequel la marchandise se trouve (art. 9 § 3). De même, pour l'indemnisation des victimes de la criminalité, la directive 2004/80 du 29 avril 2004 [53] prévoit que “Les dispositions relatives à l'accès à l'indemnisation dans les situations transfrontalières établies par la présente directive fonctionnent sur la base des régimes en vigueur dans les États membres pour l'indemnisation des victimes de la criminalité intentionnelle violente commise sur leurs territoires respectifs.” (art. 12 § 1er). L'identification d'une véritable règle de rattachement peut cependant s'avérer délicate, lorsque l'acte communautaire évoque l'adoption par l'État d'un régime de sanctions suffisamment effectives. Ainsi en est-il d'une disposition obligeant l'État à prendre les mesures nécessaires “pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts” [54].

2. Règles spéciales d'applicabilité du droit dérivé

20.Un acte communautaire peut encore comporter une disposition qui définisse les situations internationales qu'il vise. Plus précisément, ce type de disposition sert à identifier les situations qui présentent un intérêt communautaire dans la mesure où celles-ci affectent l'espace communautaire. Concrètement, l'identification consiste à retenir un élément de la situation constituant un lien de rattachement avec le territoire des États membres. Sous l'angle de la méthodologie du droit international privé, ce procédé peut être vu comme une illustration de la technique des règles spéciales d'applicabilité [55].

Si la pratique montre l'utilisation de cette technique par le législateur communautaire, l'explication du phénomène peut prêter à discussion [56]. Pour autant, tout lien avec la notion de loi de police ne doit pas être exclu, ce qui révélerait l'émergence de véritables “lois de police communautaires” [57].

21.La matière des obligations non contractuelles en montre quelques exemples, même si les plus nombreux concernent les obligations contractuelles, comme c'est aussi le cas en droit national.

Ainsi, dans une matière dont la qualification contractuelle ou non contractuelle reste malaisée, le règlement 2027/97 du 9 octobre 1997 sur la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident [58] pose des règles matérielles uniformes - telle l'interdiction d'un plafond de responsabilité -, applicables à tout “transporteur aérien de la Communauté”, ce qui vise un transporteur titulaire d'une licence délivrée par un État membre. Le lieu même de l'accident est donc indifférent, comme aussi le lieu de survenance du dommage.

Plusieurs actes communautaires intéressant la protection de la vie privée contiennent des règles spéciales d'applicabilité, mais cette matière est exclue du domaine matériel du Règlement Rome II [59]. La directive 95/46 du 24 octobre 1995 sur la protection des données à caractère personnel comporte une cascade de critères alternatifs, sous l'intitulé “Droit national applicable” (art. 4), qui permettent d'assurer l'application des règles matérielles de transposition si “le traitement est effectué dans le cadre des activités d'un établissement du responsable du traitement sur le territoire de l'État membre” (§ 1er, point a)) ou encore, à défaut, si “le responsable du traitement n'est pas établi sur le territoire de la Communauté et recourt, à des fins de traitement de données à caractère personnel, à des moyens, automatisés ou non, situés sur le territoire dudit État membre, sauf si ces moyens ne sont utilisés qu'à des fins de transit sur le territoire de la Communauté” (point c)). À propos de traitements effectués par une institution communautaire, le règlement 45/2001 du 18 décembre 2000 [60] renvoie simplement à l'article 288 du Traité CE, ce qui revient à prévoir l'application de ses règles matérielles de responsabilité à tout traitement effectué par une telle institution. La directive 2002/58 du 12 juillet 2002 dite “vie privée et communications électroniques” [61] est applicable “au traitement des données à caractère personnel dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public sur les réseaux publics de communications dans la Communauté” (art. 3 § 1er).

Revêt assurément le caractère d'une loi de police communautaire, au demeurant de nature politique, le règlement 2271/96 du 22 novembre 1996 “portant protection contre les effets de l'application extraterritoriale d'une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant” [62]. Adopté comme contre-mesure en réaction aux mesures américaines d'embargo de la loi Helms-Burton à l'encontre de Cuba, le règlement établit un arsenal de règles de conflit de juridictions - refus de reconnaissance d'un jugement étranger, renvoi aux règles de compétence de la Convention de Bruxelles en y ajoutant un forum arresti (localisation de biens saisissables) -, et contient le principe d'un droit à réparation du dommage causé du fait de l'application de la loi du pays tiers (art. 6), complété par une obligation pour l'État de prévoir un système de “sanctions” efficaces, proportionnées et dissuasives. Le règlement “s'applique à 1) toute personne physique qui réside dans la Communauté et qui est un ressortissant d'un État membre; 2) toute personne morale constituée en société dans la Communauté; 3) toute personne physique ou morale visée à l'article 1er paragraphe 2 du règlement (CEE) n° 4055/86; 4) toute autre personne physique qui réside dans la Communauté, à moins que cette personne ne se trouve dans le pays dont elle est un ressortissant; 5) toute autre personne physique se trouvant dans la Communauté, y compris dans ses eaux territoriales et son espace aérien ou à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction ou du contrôle d'un État membre, et agissant à titre professionnel.” (art. 11).

22.La règle d'applicabilité peut encore appartenir à un acte communautaire en une matière qui fait l'objet d'une règle spéciale de rattachement dans le Règlement Rome II. C'est le cas pour la protection de la propriété intellectuelle.

En cette matière, le règlement désigne le droit de l'État “pour lequel la protection est revendiquée” (art. 8 § 1er) ou, en cas d'atteinte à un droit de propriété communautaire, telle la marque communautaire, le droit de l'État “dans lequel il a été porté atteinte à ces droits” (§ 2), sans possibilité de choix contraire des parties (§ 3).

Cette consécration du principe de territorialité de la protection, confortée par l'éviction du principe d'autonomie, fait écho, à la fois, aux règles traditionnelles d'applicabilité et à la nature impérative de règles matérielles de protection en la matière. L'entrée en vigueur du Règlement Rome II n'emporte cependant pas l'effacement formel de règles spéciales de rattachement [63] ou d'applicabilité que peuvent encore comporter certains actes communautaires de protection de la propriété industrielle et qui, comme règles posées en des matières particulières, reçoivent la priorité. Ainsi en est-il de la directive 98/71 du 13 octobre 1998 sur la protection des dessins ou modèles [64], qui se réfère à la protection assurée par la loi de l'État membre d'enregistrement. De même, la directive 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données [65] pose des règles matérielles relatives à un droit “sui generis” applicables “aux bases de données dont le fabricant ou le titulaire du droit sont ressortissants d'un État membre ou ont leur résidence habituelle sur le territoire de la Communauté” (art. 12).

Prudemment, la récente directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle [66] se contente de poser des mesures qui “s'appliquent […] à toute atteinte […] prévue par la législation nationale de l'État membre concerné” (art. 2): si cette formulation ressemble à une confirmation du principe de territorialité, qui est à la base du rattachement en la matière, elle semble pourtant ne comporter qu'une règle de signalisation renvoyant aux règles nationales - ou, désormais, communautaires - de rattachement puisque le préambule prend soin de préciser que “La présente directive n'a pas pour objet d'établir des règles harmonisées en matière de coopération judiciaire, de compétence judiciaire, de reconnaissance et d'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ni de traiter de la loi applicable. Des instruments communautaires régissent ces matières sur un plan général et sont, en principe, également applicables à la propriété intellectuelle.” (§ 11).

3. Règles du droit primaire sur le conflit de lois

23.Le droit primaire n'est pas sans incidence sur la désignation du droit applicable à la responsabilité civile non contractuelle. Cette incidence peut être triple. D'une part, elle peut affecter la mise en oeuvre de la règle de rattachement du for, que cette règle soit d'ailleurs d'origine communautaire ou nationale, du fait que la désignation de la règle matérielle nationale pourrait entraver la liberté des échanges (1°). D'autre part, elle peut affecter la détermination du domaine d'application dans l'espace de règles matérielles uniformes de droit communautaire, tantôt issues du droit dérivé (2°), tantôt issues du droit primaire même (3°).

a) Règles implicites sur la mise en oeuvre de la règle de rattachement

24.La question, fort débattue de manière générale [67], de la présence de règles de droit primaire sur le conflit de lois avait déjà hanté la préparation de la directive sur le commerce électronique [68] et de la directive générale sur les services [69], et laisse une trace dans le Règlement Rome II. Dès l'origine, certains milieux professionnels s'étaient émus de ce que les projets concernant Rome II risquaient de soumettre l'entreprise d'un État membre au droit de l'État membre de survenance du dommage, soumettant ainsi ses activités à un droit autre que celui de son État d'origine. Ce lien entre régime d'indemnisation et problématique du marché intérieur sera plus explicite dans le premier projet de directive générale sur les services, dit projet Bolkestein [70], qui contenait une référence à la question spécifique du droit applicable à la responsabilité, en permettant de faire échapper à la loi de l'État membre de l'établissement principal d'un prestataire de services, “la responsabilité non contractuelle du prestataire en cas d'accident survenu dans le cadre de son activité à une personne dans l'État membre dans lequel le prestataire se déplace” (art. 17 § 23). Les critiques vives [71] soulevées par cette disposition, sous l'angle de sa formulation, de son contenu et de la relation même entre droit du marché intérieur et droit des conflits de lois en matière civile, ont entraîné une retraite prudente du législateur communautaire, admettant finalement que “la présente directive ne porte pas sur les règles régissant le droit applicable aux obligations contractuelles et non contractuelles […]” (art. 3 § 2) [72]. La même prudence est affichée, au terme d'un compromis politique, par le texte final de la directive sur le commerce électronique, qui “n'établit pas de règles additionnelles de droit international privé et ne traite pas de la compétence des juridictions” (art. 1er § 4).

La formulation de ces textes donne-t-elle à entendre que le droit du marché intérieur n'affecte pas la règle de conflit de lois, en particulier en matière de responsabilité civile? Poser la question, c'est suggérer la persistance d'un doute. De fait, non sans ambiguïté, les textes mêmes qui affichent ne pas vouloir introduire de règle positive de conflit de lois, ne manquent pas de rappeler, comme le fait le préambule de la directive sur le commerce électronique, que “Les dispositions du droit applicable désigné par les règles du droit international privé ne doivent pas restreindre la libre prestation des services de la société de l'information telle que prévue par la présente directive.” (dir. 2000/31 § 23).

25.Le Règlement Rome II reflète bien cette problématique. Dans la proposition initiale, une disposition complexe sur la “relation avec d'autres dispositions du droit communautaire” (art. 23, qui deviendra l'art. 27 [73]) reconnaissait la primauté de deux types de dispositions. Le premier type couvrait trois cas, à savoir les règles spéciales de conflit de lois - seul cas repris par le texte final -, les règles s'appliquant “quelle que soit la loi nationale” applicable - hypothèse de lois de police communautaires, évoquées ci-dessus [74] - et les dispositions qui “s'opposent à l'application d'une disposition ou des dispositions de la loi du for ou de la loi désignée par le présent règlement” - cas emblématique qui renvoie implicitement au droit primaire -. Le second type visait les actes qui, dans une matière particulière, “assujettissent la fourniture de services ou de biens au respect des dispositions nationales applicables sur le territoire de l'État membre où le prestataire est établi” - renvoi explicite à la directive sur le commerce électronique, spécialement à sa “clause marché intérieur”. Le texte final n'a conservé que la primauté des règles spéciales de conflit de lois, mais le préambule conserve en substance (§ 35) l'essentiel de la proposition, dans les termes clairs suivants:

“Le présent règlement ne devrait pas affecter l'application d'autres instruments fixant des dispositions destinées à favoriser le bon fonctionnement du marché intérieur, dans la mesure où ces dispositions ne peuvent s'appliquer conjointement avec la loi désignée par les règles du présent règlement. L'application des dispositions de la loi applicable désignée par les règles du présent règlement ne devrait pas restreindre la libre circulation des biens et des services telle qu'elle est réglementée par les instruments communautaires, par exemple la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ('directive sur le commerce électronique')”.

26.La question de l'incidence du droit primaire sur la mise en oeuvre des règles de conflit de lois est liée nettement à la présence d'une “clause marché intérieur” dans les directives de nouvelle génération, qui résultent de la “nouvelle approche” du législateur communautaire pour le rapprochement des législations nationales en matière de marché intérieur [75]. Sous l'angle du conflit de lois, cette approche comporte deux éléments caractéristiques, de nature complémentaire. Le premier, de nature préalable, est une limitation de l'harmonisation des règles matérielles à ce qui est “essentiel”, à savoir à ce qui est nécessaire pour obtenir une “équivalence” des droits des différents États membres dans la matière couverte par la directive, matière désignée sous l'appellation de “domaine coordonné”. Le second élément est la formulation d'une “clause marché intérieur” type, selon laquelle chaque État membre - identifié comme “État d'origine” - applique les dispositions nationales qu'il adopte conformément à la directive aux prestataires de service établis sur son territoire et aux services qu'ils fournissent, alors que les autres États membres - dits “États d'accueil” - ne peuvent plus restreindre la liberté de prestation de ces services, sauf certaines exceptions, de nature variable selon les actes, le plus souvent limitées à l'hypothèse d'une situation de crise (cas de la clause de sauvegarde).

Ainsi, la directive 1999/93 du 13 décembre 1999 sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques [76], complète les règles matérielles uniformes sur la responsabilité du certificateur par une “clause marché intérieur” selon laquelle “Chaque État membre applique les dispositions nationales qu'il adopte conformément à la présente directive aux prestataires de service de certification établis sur son territoire et aux services qu'ils fournissent” (art. 4 § 1er). C'est dire que le régime de responsabilité est soumis au droit de l'État membre de l'établissement du certificateur, non sans provoquer une hésitation quant au domaine de la loi applicable: celui-ci se limite-t-il aux questions juridiques couvertes par des règles matérielles harmonisées, ou s'étend-t-il à l'ensemble du régime de responsabilité non contractuelle en tant que “domaine coordonné” par la directive?

Par conséquent, il y a lieu d'être attentif à la possibilité d'une règle de rattachement inhérente à la clause marché intérieur que peut comporter une directive communautaire dans une matière particulière. La préservation de l'effet utile de cette règle suppose que le Règlement Rome II ne puisse pas y contrevenir.

27.Plus généralement, cette question se pose aussi en l'absence d'une telle clause, mais en des termes différents. En effet, l'impact “marché intérieur” peut résulter, non seulement d'une clause insérée par le droit dérivé, mais encore de l'application du régime des entraves du droit primaire. Selon ce régime, l'application d'une règle matérielle nationale constitutive d'une entrave à la circulation de marchandises (art. 28 et 29 Traité CE), de services (art. 49 Traité CE) ou de capitaux (art. 56 Traité CE), ou à la liberté d'établissement (art. 43 Traité CE), ne pourrait pas prendre prétexte d'un objectif légitime d'intérêt général - comme la protection de la personne lésée [77] - pour intervenir de manière disproportionnée: une telle disproportion peut être établie lorsque l'application de la loi de l'État membre de commercialisation n'est pas nécessaire en raison de l'équivalence du contenu de la loi de l'État membre d'origine de la marchandise ou du service.

Un tel raisonnement, propre au droit du marché intérieur, a pu s'analyser, en termes de droit international privé, comme une “exception de reconnaissance mutuelle”, à l'effet analogue - mais non identique - à celui de l'exception d'ordre public [78]. C'est précisément ce mécanisme que visait la proposition de Règlement Rome II [79], à travers le troisième cas du premier type de dérogation aux règles de rattachement du règlement.

b) Règles implicites sur l'applicabilité du droit dérivé

28.Les règles matérielles de droit privé contenues dans des directives ou des règlements peuvent certes obéir à des règles spéciales d'applicabilité qui, prévues par l'acte même, fixent explicitement le domaine d'application dans l'espace des règles communes [80]. Autre chose est de se demander si de tels actes peuvent comporter une règle implicite de ce type. L'affirmative est certaine depuis l'arrêt Ingmar de la Cour de justice [81], relatif à la protection contractuelle de l'agent commercial. Or, la question peut affecter tout acte communautaire contenant des règles matérielles sur la responsabilité civile, en particulier la directive 85/374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits.

À première vue, la question du conflit de lois perdrait son objet du fait de l'uniformisation du droit matériel. En réalité, même si le conflit perd en acuité, il subsiste: entre les droits des États membres d'une part, car une directive, dont l'objectif au regard du marché intérieur est de rapprocher seulement, non d'unifier, n'oblige qu'à un résultat, non sans exclure encore des clauses optionnelles qui laissent une marge d'appréciation à l'État; à l'égard de droits d'États tiers d'autre part et surtout, puisque l'acte communautaire, comme acte unilatéral, est non seulement impuissant à réduire des disparités avec de tels droits, mais encore, il peut exacerber le conflit avec ceux-ci lorsqu'il exprime une politique communautaire que les pays tiers ne partagent pas nécessairement.

À défaut de règle spéciale contenue dans l'acte, l'applicabilité de ses règles matérielles dépend normalement de la mise en oeuvre de la règle de conflit de lois du for. Du moins en va-t-il ainsi du droit conventionnel [82]. En droit communautaire, encore faut-il que cette règle de conflit de lois suffise à assurer l'effet utile de l'acte: il en irait autrement si elle désignait le droit d'un pays tiers, contre la volonté du législateur communautaire. Ce raisonnement a été tenu par la Cour de justice dans l'arrêt Ingmar, qui voit dans l'article 43 du Traité CE, relatif à la liberté d'établissement, un critère de localisation commandant l'application nécessaire - selon une méthode analogue à celle des lois de police - de la loi nationale de transposition de la directive en cause à tout contrat impliquant un agent qui exécute ses prestations sur le territoire d'un État membre.

29.La directive sur la responsabilité du fait des produits commanderait-elle un raisonnement analogue? L'entrée en vigueur du Règlement Rome II renouvelle l'interrogation, sans toutefois la supprimer. Auparavant, la question était de taille, car le jeu de la règle nationale de conflit pouvait conduire au droit d'un pays tiers alors que la situation affectait le marché intérieur, et, inversement, cette règle pouvait soumettre au droit d'un État membre une situation externe n'affectant pas le marché intérieur. Désormais, le critère de rattachement retenu en la matière par le règlement coïncidera normalement avec le critère d'applicabilité des règles du marché intérieur sur la circulation des marchandises: le premier se focalise sur le lieu de commercialisation [83] et le second, sur la mise en “libre pratique” sur le territoire d'un État membre (art. 23 Traité CE). Pourtant, chaque fois que la règle de rattachement conduira au droit d'un pays tiers alors que le produit est commercialisé dans la Communauté, il y aura lieu de mesurer l'écart entre le régime de la directive et le droit désigné pour apprécier si le premier doit être préféré, au nom d'une impérativité particulière qui commanderait le recours à une règle d'applicabilité implicite retenant pour critère la commercialisation de la marchandise dans un État membre.

D'autres actes communautaires pourraient soulever une question analogue, en une matière qui n'est pas couverte par une règle spéciale de rattachement du règlement, en raison de la présence d'une “clause marché intérieur” [84]. On songe, dès aujourd'hui par exemple [85], à la règle sur la responsabilité civile des “prestataires intermédiaires” dans la directive sur le commerce électronique [86]. Cet acte, dépourvu de règle d'applicabilité explicite au sens strict du terme, commande-t-il son application à toute demande en réparation d'un dommage causé par un prestataire établi dans la Communauté? L'affirmative est hautement probable. Même si l'acte, on l'a vu [87], nie formellement ajouter des “règles additionnelles de droit international privé” (art. 1er § 4), la portée de la “clause marché intérieur” suffit probablement à assurer ce résultat.

c) Règles explicites sur l'applicabilité du droit primaire

30.Le droit primaire peut générer des règles matérielles de droit privé dont l'impérativité commanderait l'applicabilité immédiate au cas où la règle de rattachement du for ne suffirait pas à en assurer l'effectivité. Le cas est certes encore exceptionnel. Il affecte spécialement le régime des sanctions pour violation des règles communautaires de concurrence (art. 81 et 82 Traité CE) par une entreprise, lorsque ce comportement a causé un dommage à autrui.

Il appartient au droit national de déterminer la réparation du dommage découlant d'un comportement anticoncurrentiel, mais cette application du droit national peut ne pas assurer une réparation réelle ou suffisamment efficace au regard de l'effet dissuasif attendu du droit communautaire. C'est pourquoi la Cour de justice a énoncé certaines règles matérielles minimales intéressant le régime de responsabilité. Sans nier que la détermination de l'étendue de la responsabilité dépende du droit national, ni que celui-ci puisse prévoir des dommages punitifs ou limiter la compensation de l'enrichissement sans cause, ce droit doit assurer la réparation du manque à gagner et l'attribution des intérêts [88]. Cette jurisprudence n'empêche certes pas le juge national de soumettre la désignation du droit national applicable au jeu de ses règles de rattachement - désormais, la règle de l'article 6 du Règlement Rome II -, mais elle semble avoir deux implications au moins: un tel juge ne saurait écarter l'application du droit d'un État membre en vertu de l'exception d'ordre public si ce droit consacre l'octroi de dommages punitifs en cette matière; et, au cas où le droit d'un pays tiers désigné par la règle de rattachement n'assurerait pas le minimum de réparation posé par la Cour de justice, l'application de ce droit doit être écartée, tantôt par le jeu de l'exception d'ordre public, tantôt par le jeu d'une règle spéciale d'applicabilité utilisant le même critère que celui qui commande l'applicabilité aux situations externes des règles du Traité CE sur la concurrence.

31.Un raisonnement analogue paraît devoir être tenu à propos de la responsabilité d'un État membre pour violation du droit communautaire. On sait combien la Cour de justice a développé des principes de droit matériel dont l'État est tenu de tenir compte lors de la configuration des règles matérielles nationales sur la responsabilité du fait des lois [89]. Le principe d'effectivité qui commande le processus d'exécution du droit communautaire exige aussi que l'application de ces règles matérielles soit assurée pour la réparation de tout dommage lié à un manquement au droit communautaire. Il y va ainsi d'une règle d'applicabilité implicite, dont le critère est lié à celui qui commande l'application du droit communautaire même.

Conclusion

32.Le Règlement Rome II entend certes poser des règles de conflit de lois portant sur le vaste domaine des obligations non contractuelles, qu'il entend rassembler ainsi en un texte unique. Cette méthode, inspirée assurément de la Convention de Rome du 19 juin 1980 concernant la matière contractuelle, conduit à en faire un acte cadre, de nature horizontale, qui consent la priorité à d'autres instruments régissant des matières particulières. Or, de tels instruments préexistent au règlement, et sont de nature diverse.

D'une part, il faut avoir égard aux traités internationaux posant des règles de rattachement, en particulier les Conventions de La Haye relatives aux accidents de la circulation routière et à la responsabilité du fait des produits, alors même que celle-ci porte sur une matière qui, dans le règlement, fait l'objet d'une règle de rattachement spéciale. Le maintien de ces deux instruments dans les États membres qui les ont ratifiés prolonge une disparité des règles de rattachement dans l'Union pour les matières concernées, situation qui pourrait évoluer selon les résultats de rapports de révision que la Commission aura à réaliser.

D'autre part, une multitude d'actes particuliers, le plus souvent d'origine communautaire, posent des règles qui, sans être nécessairement des règles de rattachement, visent à résoudre un conflit de lois. Outre les lois de police du for, il peut s'agir d'instruments internationaux d'uniformisation du droit matériel qui, par essence, peuvent servir à surmonter le conflit de lois, ou d'actes communautaires de rapprochement des droits matériels nationaux accompagnés d'une règle spéciale d'applicabilité qui identifie les situations internationales visées.

Certaines de ces règles qui doivent recevoir la préférence peuvent n'être qu'implicites. Elles sont alors tirées d'une interprÉtation à la lumière du droit primaire, qui peut générer une règle spéciale d'applicabilité de règles matérielles communautaires, voire un mécanisme d'éviction de l'application du droit désigné par la règle de rattachement.

Globalement, ces instruments ne conduisent pas nécessairement à des solutions différentes de celles auxquelles aurait conduit l'application du règlement. La raison de leur coexistence procède le plus souvent d'un éclatement du processus législatif international. Si un tel éclatement est normal lorsqu'il découle de l'uniformisation du droit matériel par la voie conventionnelle, il soulève une question de cohérence lorsqu'il est le fait du législateur communautaire ou est lié à une coexistence d'instruments posant des règles uniformes de rattachement.

[1] Professeur ordinaire à l'Université catholique de Louvain.
[2] Pour un commentaire général du règlement, voy.: A. Malatesta (dir.), The unification of choice of law rules on torts and other non-contractual obligations in Europe - The “Rome II” proposal, Padoue, Cedam, 2006, comprenant des exposés propres à certains délits examinés dans la présente étude, à savoir, les accidents de la circulation routière (par A. Malatesta), la responsabilité du fait des produits (par A. Saravalle), les atteintes à la concurrence (par C. Honorati), les atteintes à la vie privée (par K. Siehr), les atteintes à l'environnement (par F. Munari et L. Schiano di Pepe) et les atteintes à la propriété intellectuelle (par M. Pertegás). Pour une analyse de la relation du règlement avec les conventions internationales, voy.: C. Brière, “Réflexions sur les interactions entre la proposition de Règlement 'Rome II' et les conventions internationales”, Clunet 2005, pp. 677-694.
[3] Voy. infra, n° 16.
[4] Voy. encore, entre autres, la Convention conclue entre la Belgique et les Pays-Bas le 14 novembre 1984 sur l'assistance mutuelle dans la lutte contre les catastrophes et les accidents (Mon. b. 29 octobre 1988), soumettant à la loi de l'État requérant la responsabilité d'une équipe de secours envoyée par l'État requis; la Convention de Lugano du 21 juin 2003 sur la responsabilité civile des dommages résultant d'activités dangereuses pour l'environnement (R.G.D.I.P. 1993, p. 1118), soumettant à la loi du for la recevabilité d'une action en cessation; Convention du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale entre États membres de l'Union européenne (J.O. 2000, C. 197), soumettant à la loi du lieu de l'acte la responsabilité de l'agent membre d'une équipe d'enquête; protocole des Nations unies sur la responsabilité civile pour le dommage transfrontière causé aux cours d'eau (www.unece.org/env/civil-liability ), prévoyant l'application alternative de la loi de l'acte ou de celle du dommage; traité entre le Royaume d'Espagne et la République portugaise du 3 octobre 2002 relatif à la coopération transfrontalière entre collectivités et instances territoriales, renvoyant à la loi de l'organe qui a causé le dommage; traité Benelux du 8 juin 2004 en matière de coopération transfrontalière (Mon. b. 15 mars 2005), soumettant la responsabilité de l'État du fait de ses agents à la loi de l'État d'accueil; Protocol on Claims, Legal Proceedings and Indemnification to the Framework Agreement on a Multilateral Nuclear Environmental Programme in the Russian Federation, du 21 mai 2003 (n° 2006/890/Euratom, J.O. 2006, L. 343), soumettant la détermination du dommage à la loi de l'installation nucléaire.
[5] Voy. M. Fallon, B. Fauvarque-Cosson et S. Francq, “Le régime du risque transfrontière de la responsabilité environnementale: en marche vers un droit spécial des conflits de lois?”, in G. Viney et B. Dubuisson (dir.), Les responsabilités environnementales dans l'espace européen, Bruxelles, Bruylant, 2005, pp. 547-652, n° 72. Les critères de compétence retenus sont le lieu de survenance de l'accident et subsidiairement, en cas de localisation dans un État non contractant, le lieu de situation de l'installation. Selon C. Brière, précitée, ces instruments se comprennent comme renvoyant à la loi du for.
[6] Convention de Strasbourg du 24 novembre 1983 relative au dédommagement des victimes d'infractions violentes, dont l'art. 3 contient à la fois une règle de conflit de lois et une règle de condition de l'étranger (bénéfice du traitement aux ressortissants d'États contractants et aux ressortissants de pays membres du Conseil de l'Europe qui résident dans l'État de l'infraction); directive 2004/80 du 29 avril 2004 relative à l'indemnisation des victimes de la criminalité, J.O. 2004, L. 261, art. 2 et 12.
[7] À propos de l'art. 5 de la Convention de Berne sur le droit d'auteur, voy.: C.J.C.E. 30 mai 2005, C-28/04, Tod's: “ainsi qu'il ressort de l'article 5, paragraphe 1, de la Convention de Berne, celle-ci n'a pas pour objet de déterminer la loi applicable en matière de protection des oeuvres littéraires et artistiques, mais elle instaure, en tant que règle générale, un système de traitement national des droits afférents à celles-ci.” (§ 32). Pour une présentation générale de cette distinction, voy. F. Rigaux et M. Fallon, Droit international privé, Bruxelles, Larcier, 2005, nos 13.36 et s.
[8] Pour une application de cette théorie en matière de conflits de juridictions, voy., à propos de la négociation de la nouvelle Convention de Lugano, parallèle au Règlement “Bruxelles I”: C.J.C.E., avis 1/03, 7 février 2006.
[9] Sur la clause de déconnexion en général, vue sous l'angle du droit conventionnel, voy.: C. Economides et A. Kolliopoulos, “La clause de déconnexion en faveur du droit communautaire: une pratique critiquable”, R.G.D.I.P. 2006, pp. 273-302. En relation avec le droit international privé et à l'occasion des travaux de la Conférence de la Haye concernant une convention sur la compétence judiciaire, voy.: A. Schulz, La relation entre le projet sur les jugements et d'autres instruments internationaux, Conférence de La Haye, Commission spéciale d'avril 2004 sur les affaires générales et la politique de la conférence, Doc. prél. n° 19, décembre 2003, montrant la difficulté d'interpréter la clause de spécialité et la nécessité de tenir compte, en droit conventionnel, de la règle d'antériorité.
[10] Pour une critique de la clause de cession, voy. C. Brière, précitée.
[11] De même, pour les juridictions des États membres suivants de l'Union européenne: Autriche, Espagne, France, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie.
[12] De même, pour les juridictions des États membres suivants de l'Union européenne: Finlande, France, Luxembourg, Pays-Bas, Slovénie.
[13] Cette définition a donné lieu à des interprÉtations divergentes à propos de litiges relatifs à la législation sur la protection d'usagers de la route. Comp., pour l'inclusion dans le domaine de la convention, en Belgique: Cass. 19 mars 2004, Rev. gén. ass. resp. 2004, n° 13941, note C. Barbé, Pas. 2004, I, p. 464, concl. av. gén., et contre l'inclusion, en France: Cass. (civ.) 3 juin 2004, R.C.D.I.P. 2004, p. 750, note D. Bureau. Face à un tel problème d'interprÉtation, la Cour de justice devrait pouvoir être saisie d'une question préjudicielle concernant le domaine d'application du Règlement Rome II, dans la mesure où la réponse donnée pour la Convention de La Haye a une incidence sur ce domaine.
[14] Voy. notamment: C.J.C.E. 30 juin 2005, C-537/03, Candolin.
[15] Voy. supra, n° 4.
[16] Règlement 847/2004 du 29 avril 2004 concernant la négociation et la mise en oeuvre d'accords relatifs à des services aériens entre les États membres et les pays tiers, J.O. 2004, L. 157.
[17] Voy. cependant en France, p. ex.: Cass. (civ.) 19 avril 1988, D.S. 1988, S 345, note B. Audit.
[18] Cette clause trouve son correspondant en Belgique dans l'art. 19 du Code de droit international privé.
[19] S. Symeonides, “Torts conflicts and Rome II: A view from across”, Festschrift E. Jayme, Munich, Sellier, 2004, pp. 935-954. Auparavant dans le même sens, à propos de la Convention de La Haye, voy.: M. Fallon, Les accidents de la consommation et le droit, Bruxelles, Bruylant, 1981, nos 221 et s.; “Le droit des rapports internationaux de consommation”, Clunet 1984, pp. 765-847.
[20] C.J.C.E. 14 octobre 1976, 29/76.
[21] Voy. encore récemment, notamment: C.J.C.E. 15 février 2007, C-292/05, Lechouritou, à propos d'exactions commises par l'armée d'occupation en Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale. En revanche, ne relève pas de cette qualification, notamment, le litige entre étudiant et enseignant (21 avril 1993, C-172/91, Volker Sonntag).
[22] La jurisprudence précitée est en harmonie avec l'interprÉtation qui prévaut pour la détermination du domaine d'application des règles du droit primaire sur la liberté de circulation des personnes (art. 39 § 4 Traité CE) et des services (art. 45 Traité CE).
[23] C.J.C.E. 1er octobre 2002, C-167/00, VKI & Henkel.
[24] Rapport fait au nom de la Commission de la Justice par Mme Nyssens et M. Willems, Sénat, session 2003-04, doc. 3-27/7, 20 avril 2004, pp. 185 et s., p. 247.
[25] En Belgique, le Code de droit international privé permet de considérer le cas où l'obligation quasi délictuelle a “un lien étroit avec un rapport juridique préexistant entre parties”, pour soumettre celle-ci au droit qui régit ce rapport (art. 100 concernant le “rattachement accessoire”). Le règlement contient une disposition analogue (art. 4 § 3), sous le couvert d'une clause d'exception.
[26] Voy. infra, n° 16.
[27] Selon l'Exposé des Motifs de la proposition de règlement (doc. Com (2003) 427, 22 juillet 2003): “l'étude des règles de conflit en vigueur dans les États membres révèle non seulement la diversité des solutions retenues, mais également une grande incertitude juridique. À défaut de codification, la jurisprudence portant concrétisation des règles générales fait encore défaut dans plusieurs États membres (en note: Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Irlande (théorie dite 'the proper law of the tort'), Pays-Bas, et Suède). Les facteurs de rattachement pris en considération dans les autres États sont multiples: le siège de l'éditeur, voire le lieu où le produit a été édité ou publié (Allemagne et Italie, dans le cadre de l'option accordée à la victime); le lieu où le produit a été diffusé et porté à la connaissance des tiers (Belgique, France, Luxembourg); le lieu où la victime bénéficie d'une certaine notoriété, présumé comme étant celui de sa résidence habituelle (Autriche). D'autres États membres suivent le principe dit de faveur à la victime en lui accordant une option (Allemagne, Italie) ou en appliquant la loi du lieu de dommage lorsque l'application de la loi du lieu du fait générateur ne permet pas l'indemnisation (Portugal). La solution du Royaume-Uni se démarque fortement de celles des autres États membres en ce qu'elle introduit un traitement différencié selon qu'une publication a été diffusée au Royaume-Uni ou à l'étranger: pour les premières, la seule loi applicable est celle du lieu de diffusion; pour les dernières, le juge procède à l'application cumulative de la loi du lieu de diffusion et de celle du for ('double actionnability rule'). Cette dernière règle vise à protéger la presse nationale qui ne peut être condamnée par les tribunaux anglais lorsqu'une telle condamnation n'est pas prévue par le droit anglais (en note: Une partie de la doctrine anglaise semble cependant contester que les atteintes à la vie privée ('invasion of privacy') soient également couvertes par cette règle.”
[28] C.J.C.E. 7 mars 1995, C-68/93.
[29] Une faculté de choix est également prévue par la loi suisse de droit international privé (art. 139), mais les termes du choix divergent (loi de résidence de l'une des parties ou loi du dommage). Le Code belge laisse encore la place à d'autres règles de rattachement de portée plus générale, soit le rattachement accessoire (art. 100), l'autonomie de la volonté (art. 101) et la clause générale d'exception (art. 19).
[30] Voy. infra, n° 21.
[31] Pour une analyse récente détaillée du phénomène, voy. A. Nuyts, “L'application des lois de police dans l'espace (réflexions au départ du droit belge de la distribution commerciale et du droit communautaire)”, R.C.D.I.P. 1999, pp. 31-75, 245-266.
[32] Pour plus de détails, voy. F. Rigaux et M. Fallon, précités, nos 4.4 et s.
[33] Voy. S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, Bruxelles, Bruylant, 2005.
[34] Cet art. 7 est également repris, mais avec des nuances, par l'art. 9 du futur Règlement “Rome I”, dont la version du 3 décembre 2007 restaure l'appellation “lois de police”.
[35] Voy. infra, nos 20 et s. P. ex., en droit belge, la loi du 31 août 1998 concernant la protection des bases de données (Mon. b. 14 novembre 1998).
[36] Loi du 1er août 1985, Mon. b. 6 août 1985, prenant pour critère la localisation du fait en Belgique, tout en ajoutant pour condition que la victime soit belge ou, à défaut, en séjour régulier.
[37] Mon. b. 6 juillet 2007. La loi prévoit une obligation d'assurance du prestataire et la création d'un Fonds d'indemnisation, et le patient agit contre la compagnie et contre le Fonds, qui disposent d'une action subrogatoire. Le patient ne peut agir en responsabilité contre le prestataire, hormis en cas de faute intentionnelle ou de faute lourde.
[38] Mon. b. 31 mars 1994, art. 29bis de la loi du 21 novembre 1989 relative à l'assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs.
[39] Cass. 19 mars 2004, précité note 13.
[40] Voy. supra, n° 5.
[41] Art. 1er § 2, d). Voy. supra, n° 11. L'applicabilité de la loi est donc préservée par l'art. 20 du Code belge de droit international privé, qui admet la priorité de règles spéciales d'applicabilité, non sans observer que l'art. 114, par une règle de rattachement multilatérale, offre à la personne lésée le choix entre la loi du lieu d'émission et celle qui régit la société.
[42] Voy. en France, pour une qualification comme loi de police de la protection impérative du droit d'auteur: Cass. (civ.) 28 mai 1991, Huston, R.C.D.I.P. 1991, p. 752, note P.-Y. Gautier. En Belgique, de même à propos de la réglementation des pratiques commerciales déloyales: Bruxelles 1er avril 1998, J.L.M.B. 1998, p. 1588 , note E. Wéry; 22 décembre 1999, R.D.C.B. 2001, p. 244, note M. Pertegás Sender.
[43] Comp. ce phénomène suite à la présence dans un traité d'une règle de compétence internationale, problématique couverte par le législateur communautaire, pour le marché intérieur, par le règlement 44/2001 du 22 décembre 2000 dit Bruxelles I (J.O. 2001, L. 12). Cela explique une habilitation du Conseil aux États membres en vue de la signature “dans l'intérêt de la Communauté européenne”, par exemple, de la convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (convention “Hydrocarbures de soute”) (décision 2002/762 du 19 septembre 2002, J.O. 2002, L. 256).
[44] Voy. p. ex. la liste citée par F. Rigaux et M. Fallon, précités, nos 15.27 et 15.48. En matière d'environnement, voy. l'analyse des traités par: M. Fallon, B. Fauvarque-Cosson et S. Francq, précités, note 5.
[45] Instruments ratifiés notamment par la Belgique, lois du 20 juillet 1976, Mon. b. 4 mai 1978, et du 10 août 1998, Mon. b. 16 mars 1999.
[46] Décision 93/98 du 1er février 1993, J.O. 1993, L. 39.
[47] Voy. le site www.nea.fr.
[48] Le préambule (§ 35) fait État du souci d'éviter une “dispersion” des règles de conflit, sans exclure la possibilité d'insérer de telles règles dans des actes particuliers.
[49] Décision-cadre 2002/465/JAI du 13 juin 2002, J.O. 2002, L. 162.
[50] Règlement 2725/2000 du 11 décembre 2000, J.O. 2000, L. 316.
[51] Voy. supra, n° 10.
[52] Règlement 3295/94 du 22 décembre 1994, J.O. 1994, L. 341.
[53] J.O. 2004, L. 261.
[54] Directive 2001/29 du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, J.O. 2001, L. 167, art. 8 § 2.
[55] Voy. supra, n° 14.
[56] Ainsi, S. Francq, précitée note 33, doute que, dans tous les cas rencontrés, le raisonnement repose sur une notion de lois de police, préférant y voir le recours nécessaire à la théorie unilatéraliste.
[57] Sur cette expression, voy. notamment: J.-S. Bergé, “La double internationalité interne et externe du droit communautaire et le droit international privé”, Trav. Com. fr. dr. int. pr. 2004-05. L'arrêt Ingmar de la Cour de justice (C-381/98, 9 novembre 2000, infra, n° 28) se situe dans un tel contexte, non sans critique (D. Bureau et H. Muir Watt, Droit international privé, Paris, PUF, 2007, n° 566).
[58] J.O. 1997, L. 285.
[59] Voy. supra, n° 12.
[60] J.O. 2001, L. 8.
[61] J.O. 2002, L. 201.
[62] J.O. 1996, L. 309.
[63] Voy. supra, nos 3 et 19.
[64] J.O. 1998, L. 289.
[65] J.O. 1996, L. 77. La directive 87/54 du 16 décembre 1986 concernant la protection juridique des topographies de produits semi-conducteurs (J.O. 1987, 24) contient une règle d'applicabilité analogue.
[66] Directive 2004/48 du 29 avril 2004, J.O. 2004, L. 157.
[67] Voy. notamment: M. Fallon et J. Meeusen, “Private international law in the European Union and the exception of mutual recognition”, Yearb. PIL 2002, pp. 37-66; S. Francq et O. De Schutter, “La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur: reconnaissance mutuelle, harmonisation et conflits de lois dans l'Europe élargie”, Cah. dr. eur. 2005, pp. 603-660; H. Muir Watt, “Integration and diversity: The conflict of laws as a regulatory tool”, in F. Cafaggi (dir.), The institutional framework of European private law, Oxford Univ. Press, 2006, pp. 107-148; M. Wilderspin et X. Lewis, “Les relations entre le droit communautaire et les règles de conflits de lois des États membres”, R.C.D.I.P.. 2002, pp. 1-38, 289-314.
[68] Directive 2000/31 du 8 juin 2000, J.O. 2000, L. 178.
[69] Directive 2006/123 du 12 décembre 2006, J.O. 2006, L. 376.
[70] Proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur, 13 janvier 2004, doc. Com (2004) 2 final.
[71] Voy. notamment la position du Gedip, 23 novembre 2004 (doc. 23 & 24), site www.gedip-egpil.eu.
[72] Voy aussi le préambule (§ 90), selon lequel les relations “contractuelles” ne sont pas couvertes par la directive, et que le droit applicable “aux obligations contractuelles ou non contractuelles du prestataire devrait être déterminé par les règles du droit international privé”.
[73] Voy. une présentation supra, n° 19.
[74] Voy. supra, n° 20.
[75] Pour plus de détails, voy. notamment: F. Aubry-Caillaud, La libre circulation des marchandises. Nouvelle approche et normalisation européenne, Paris, Pédone, 1998; M. Fallon, Droit matériel général de l'Union européenne, Bruxelles, Bruylant, 2002, pp. 225 et s.; P. Slot et G. Straetmans, “Harmonisatie van wetgeving in de EG”, T.P.R. 2003, pp. 691-840.
[76] J.O. 2000, L. 13.
[77] Voy. par analogie, évoquant le droit de la personne à la compensation des atteintes à son intégrité physique: C.J.C.E. 2 février 1989, 186/87, Cowan.
[78] M. Fallon et J. Meeusen, précités.
[79] Voy. supra, n° 25.
[80] Voy. supra, n° 20.
[81] C.J.C.E. 9 novembre 2000, C-381/98, à propos de la directive 86/653 du 18 décembre 1986, J.O. 1986, L. 382.
[82] C'est le cas, assez rare, où un traité de droit matériel uniforme omet toute règle spéciale d'applicabilité. Pour plus de détails, voy. F. Rigaux et M. Fallon, précités, nos 4.35 et s.
[83] Voy. supra, n° 8.
[84] Voy. supra, n° 26.
[85] Voy. encore supra, n° 26, le cas de la directive 1999/93 sur la signature électronique.
[86] Directive 2000/31 du 8 juin 2000, J.O. 2000, L. 178, art. 12 et s.
[87] Voy. supra, n° 24.
[88] C.J.C.E. 20 septembre 2001, C-453/99, Courage; 13 juillet 2006, C-295/04, Manfredi. Sur cette question, voy. J. Basedow (dir.), Private enforcement of EC competition law, La Haye, Kluwer, 2007.
[89] Jurisprudence Brasserie du Pêcheur et Factortame (C.J.C.E. 5 mars 1996, C-46/93 et C-48/93).