Article

Enrichissement sans cause, gestion d'affaires et “culpa in contrahendo”, R.D.C.-T.B.H., 2008/6, p. 535-548

Enrichissement sans cause, gestion d'affaires et “culpa in contrahendo

Caroline Tubeuf  [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Structure

III. Application résiduelle du Code de droit international privé

IV. Évolution de la rédaction du chapitre III dans les travaux préparatoires

V. L'opération de qualification A. Rappel de quelques principes de qualification

B. Entreprises de codification en droit privé européen comme source d'inspiration de la qualification des notions utilisées dans le règlement

C. Qualification des quasi-contrats visés par le règlement

D. Qualification de la culpa in contrahendo

VI. Détermination du champ d'application matériel du règlement A. Problématique des obligations rattachées à une relation préexistante

B. Solution proposée à partir de la jurisprudence de la Cour de justice 1. Application aux quasi-contrats

2. Application à la culpa in contrahendo

VII. Examen de la règle de conflit prévue par les articles 10 à 12 du règlement A. Énoncé de la règle de conflits

B. Rattachement en cascade axé autour du principe de proximité

C. Compétence de la loi de la relation existante (ou supposée) entre les parties 1. Le rattachement accessoire comme solution à l'articulation entre le règlement et la Convention de Rome a) Les conséquences de la nullité du contrat

b) “Unité législative” entre obligations précontractuelles et contractuelles

2. La notion de relation existante appliquée aux quasi-contrats a) Rattachement “logique” à la loi applicable au rapport de base

b) Problématique des relations triangulaires

D. Compétence d'une autre loi 1. Les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays

2. Les parties n'ont pas leur résidence habituelle dans le même pays a) Quasi-contrats: lieu du fait générateur de l'obligation

b) Culpa in contrahendo: retour à la règle adoptée pour la responsabilité délictuelle en général

3. La clause d'exception

4. Intervention d'une “disposition impérative dérogatoire”

E. Applicabilité de l'article 8 du règlement

VIII. Domaine de la loi applicable

IX. Conclusion

RESUME
Le chapitre III du règlement (CE) n° 964/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles réunit les règles de conflits de lois applicables à l'enrichissement sans cause à, la gestion d'affaires et à la culpa in contrahendo. La présente contribution a pour objet d'aborder différentes questions liées à l'application du règlement que peuvent soulever ces matières. Seront ainsi abordés, la place laissée aux règles du Code de droit international privé une fois le règlement en vigueur, les problèmes de qualification que ces institutions juridiques peuvent poser, la détermination du champ d'application du règlement, le fonctionnement des règles de conflits de lois prévues par le règlement ainsi que le domaine de la loi applicable. Malgré le caractère quelque peu hétéroclite du regroupement de matières telles que les quasi-contrats et la culpa in contrahendo, on s'aperçoit en réalité qu'un traitement similaire se justifie dans la mesure où il existe une relation préexistante dont découlera le quasi contrat ou l'obligation précontractuelle.
SAMENVATTING
Hoofdstuk III van de verordening (EG) nr. 964/2007 betreffende het recht dat van toepassing is op niet-contractuele verbintenissen verenigt de toepasselijke collisieregels met de ongerechtvaardigde verrijking, de zaakwaarneming en de precontractuele aansprakelijkheid. Deze bijdrage heeft tot doel om thema's aan te snijden die verband houden met de toepassing van de verordening die door deze materies kunnen worden opgeworpen. Zullen behandeld worden, de regels van het Wetboek van Internationaal Privaatrecht na de inwerkingtreding van de verordening, de kwalificatieproblemen die door deze juridische instanties kunnen gesteld worden, de bepaling van het toepassingsgebied van de verordening, de werking van de collisieregels voorzien door de verordening alsook de werkingssfeer van het toepasselijk recht. Ondanks het ietwat heterocliete karakter van het verenigen van materies zoals de quasi-contracten en de precontractuele aansprakelijkheid, merkt men in werkelijkheid dat een gelijke behandeling terecht is voor zover er een reeds bestaande relatie voorhanden is waaruit het quasi-contract of de precontractuele plicht resulteert.
I. Introduction [2]

1.On peut s'étonner du regroupement quelque peu hétéroclite de matières telles que la culpa in contrahendo, l'enrichissement sans cause et la gestion d'affaires au sein du chapitre III du règlement (CE) n° 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (ci-après, le “règlement”).

En réalité, le règlement a relégué les “autres” obligations non contractuelles, celles résultant d'“un fait autre qu'un fait dommageable, tel qu'un enrichissement sans cause, une gestion d'affaires ou une 'culpa in contrahendo'” [3] dans le chapitre III, les règles applicables à l'ensemble des obligations non contractuelles résultant de la responsabilité civile étant quant à elles regroupées sous le chapitre II.

Ces trois institutions font par ailleurs l'objet d'un traitement similaire: un rattachement à la loi de la relation préexistante est prévue à titre principal. À défaut de relation préexistante, des rattachements territoriaux subsidiaires ont été désignés. Enfin, il est possible dans les trois cas également de faire, le cas échéant, jouer une clause d'exception.

2.Ces raisons justifient de traiter dans cette partie de l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires et la culpa in contrahendo ensemble, sauf lorsque nos propos justifieront un examen particulier pour l'une ou l'autre de ces matières.

II. Structure

3.Avant d'entamer l'examen du règlement en tant que tel, nous dirons quelques mots sur le rôle résiduel que l'article 104 du Code de droit international privé sera appelé à jouer dès l'entrée en vigueur du règlement (III).

4.Les travaux préparatoires au règlement seront ensuite évoqués (IV). En effet, même si, de manière générale, ces travaux sont relativement peu étayés, ils n'en restent pas moins une source précieuse d'informations sur l'origine du texte final et sur l'interprÉtation qui peut, le cas échéant, lui être donnée.

5.La question de la qualification des notions de culpa in contrahendo, d'enrichissement sans cause et de gestion d'affaires sera ensuite abordée (V). Nous rappellerons à cet égard, les principes d'interprÉtation à appliquer à ces concepts “autonomes”. Dans ce cadre, le rôle que peuvent jouer les récentes entreprises de codification du droit privé au niveau européen sur ces concepts sera examiné. On tentera sur ces bases, de rechercher les premières indications que le texte peut nous donner pour en définir le contour.

6.Le chapitre suivant sera consacré à la délimitation du champ d'application matériel du règlement, qui peut présenter certaines difficultés dans la mesure où la faute précontractuelle, et les quasi-contrats dans une moindre mesure, se rattachent à une matière exclue (VI).

7.Nous passerons alors en revue le fonctionnement des règles de conflits prévues par les articles 10 à 12 (VII) en nous concentrant sur la règle de rattachement accessoire. Comme on le verra, cette dernière permet de régler de manière pragmatique de nombreuses questions de qualifications. Elle apparaît également comme la règle de conflit “logique” lorsqu'il existe un rapport juridique sous-jacent. Enfin, le domaine de la loi applicable (VIII) sera rapidement évoqué.

8.Du point de vue de la terminologie, nous reprendrons par facilité, l'enrichissement sans cause et la gestion d'affaires sous le vocable commun de “quasi-contrats”, en gardant à l'esprit que cette terminologie recouvre une réalité limitée à notre droit interne et à ceux de quelques autres États membres. Le règlement ne reprend pas cette dénomination, à juste titre puisqu'elle n'est pas utilisée dans l'ensemble de l'Union européenne.

III. Application résiduelle du Code de droit international privé

9.Pour rappel, l'article 104 du Code de droit international privé prévoit des règles de conflit assez classiques en matière de quasi-contrats tout en mettant en avant le principe des liens les plus étroits. En effet, le paragraphe 1er dispose que la loi applicable au quasi-contrat sera celle qui entretient avec lui les liens les plus étroits, en présumant que cette loi est celle du lieu où se situe le fait générateur. Toutefois, lorsque l'obligation résulte du paiement d'une dette d'autrui, la loi applicable sera celle de la dette en question. Quant à une relation sous-jacente dont découlerait le quasi-contrat, elle ne constitue qu'un élément à prendre en considération pour déterminer quelle sera la loi qui entretient les liens les plus étroits avec l'obligation quasi-délictuelle. Le paragraphe 2 prévoit que les parties peuvent s'accorder sur la loi applicable après la naissance du différend [4].

Aucune disposition particulière n'est prévue pour la responsabilité précontractuelle, ce qui s'explique aisément par le fait qu'en droit belge, le type d'obligations qui en découle est rattaché à la responsabilité quasi-délictuelle [5].

10.À partir de l'entrée en vigueur du règlement, l'article 104 du Code de droit international privé (qui n'a, à notre connaissance, pas encore fait l'objet d'applications jurisprudentielles) risque bien de devenir obsolète. En effet, de par son caractère universel, le règlement devra être appliqué à toute obligation quasi-contractuelle présentant un élément d'extranéité même si la loi désignée est celle d'un État tiers à l'Union européenne. En réalité, le maintien de l'article 104 ne présente d'intérêt que dans l'hypothèse où une obligation quasi-contractuelle appartiendrait à une matière exclue du champ d'application matériel du règlement [6].

IV. Évolution de la rédaction du chapitre III dans les travaux préparatoires

11.Dans la proposition initiale du règlement présentée par la Commission, il n'y avait qu'un article unique sur la détermination du droit applicable aux “obligations non contractuelles dérivant d'un fait autre qu'un délit” [7], rédigé en des termes très larges. En plus d'une règle de conflit pour l'enrichissement sans cause et une autre pour la gestion d'affaires, cet article prévoyait une règle de conflit générale potentiellement applicable à toute obligation non contractuelle.

12.Néanmoins, dès le stade de la première lecture en juillet 2005 [8], le Parlement européen a proposé de limiter la portée de cette disposition aux règles de conflit applicables aux seules institutions expressément visées: la gestion d'affaires et l'enrichissement sans cause [9]. Cette modification n'a pas été remise en cause dans la suite des discussions précédant l'adoption du règlement. Ce faisant, les obligations non contractuelles ne dérivant pas d'un fait dommageable et qui ne relèvent ni des quasi-contrats ni d'une culpa in contrahendo sortent du champ d'application matériel du règlement.

C'est également à l'initiative du Parlement que l'article unique a été scindé en deux dispositions spécifiques qui deviendront par la suite les articles 10 et 11 du règlement, l'un relatif à l'enrichissement sans cause, l'autre à la gestion d'affaires [10]. Les règles de conflits étant toutefois identiques, l'utilité d'avoir deux dispositions au lieu d'une n'est a priori pas évidente [11]. Peut-être a-t-on voulu souligner le fait que ces deux institutions ne font pas nécessairement partie de la même “famille” d'obligations dans tous les États membres. Certains, comme le Royaume-Uni, ne connaissent d'ailleurs pas l'institution de la gestion d'affaires.

Les règles de conflits elles-mêmes ont également fait l'objet de quelques aménagements par le Parlement. En effet, ce dernier avait proposé de substituer au critère subsidiaire du “lieu de l'enrichissement ou de la gestion”, celui du “fait générateur de l'enrichissement ou de la gestion”. Ces modifications ne seront en définitive pas retenues, le Conseil, dans sa position commune du 25 septembre 2006 [12], ayant préféré revenir à la formulation initiale.

13.C'est par ailleurs, lors de l'élaboration de sa position commune, que le Conseil a saisi l'occasion, pour la première fois depuis le début des travaux préparatoires, de proposer l'ajout d'une disposition propre à la culpa in contrahendo. La Commission a expliqué à cet égard dans sa communication au Parlement, que bien que la responsabilité précontractuelle ayant toujours été considérée comme soumise au champ d'application du Réglement sous le couvert de l'article 5, 3°, le Conseil a préféré une disposition plus détaillée en la matière [13].

V. L'opération de qualification
A. Rappel de quelques principes de qualification

14.Se faisant l'écho d'une jurisprudence bien établie en la matière [14], le considérant 11 dispose que “le concept d'obligation non contractuelle varie d'un État membre l'autre. Celui-ci devrait donc être entendu, aux fins du présent règlement comme un concept autonome” [15]. En conséquence, l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires ainsi que la culpa in contrahendo devront être interprétés, non pas par simple renvoi au droit interne de l'un ou de l'autre des États concernés, mais en se référant, d'une part, aux objectifs et au système du règlement et, d'autre part, aux principes généraux qui se dégagent de l'ensemble des systèmes de droits nationaux.

15.Il convient néanmoins de garder à l'esprit que ce faisant, le règlement n'uniformise que l'opération de qualification au niveau communautaire et la détermination de la loi qui lui est applicable. Ce dernier ne va pas au-delà. Il n'a pas vocation à imposer des règles de droit substantiel dans l'ordre juridique interne des États membres. Ainsi, l'ordre juridique une fois désigné en vertu de ces règles reste libre d'appliquer à la situation juridique en question une qualification interne différente et des règles matérielles qui ne correspondent pas nécessairement à la qualification du droit communautaire.

En pratique dès lors, une obligation qualifiée de délictuelle en vertu du règlement pourra se voir appliquer, en vertu du droit interne désigné, des règles ressortissant du droit des contrats. Pour prendre un autre exemple lié à la matière que nous traitons, une obligation considérée comme relevant de l'enrichissement sans cause sur la base du règlement, pourrait très bien être qualifiée en droit interne de délictuelle avec pour conséquence qu'on lui appliquera des règles matérielles de la responsabilité civile [16].

B. Entreprises de codification en droit privé européen comme source d'inspiration de la qualification des notions utilisées dans le règlement

16.On assiste ces dernières années à l'émergence de codifications d'origine privée encouragées par la Commission européenne et dans une certaine mesure par le Parlement européen. Ainsi, une série de “Principles of European Contract Law” (PECL) ont été adoptés dans diverses matières du droit des contrats et des obligations par la “Commission on the European Contract Law” et à sa suite le “Study Group on a European Civil Code” [17]. Tout récemment, deux groupes d'experts nationaux (dont le “Study Group on a European Civil Code”) ont publié ensemble un “Draft Common Frame of Reference” (DCFR) [18], qui reprend, en les améliorant, certains des “Principle of European Contract Law”.

17.Chacune de ces deux contributions donnent une définition et des règles applicables à l'enrichissement sans cause, à la gestion d'affaires et à la culpa in contrahendo. Pourquoi alors ne pas adopter ces définitions pour les besoins du règlement dans la mesure où elles sont le résultat d'études comparatives des différents systèmes nationaux?

Le fait est que ces instruments ne présentent aucune légitimité démocratique [19] et ne peuvent dès lors à ce stade que constituer une simple source d'inspiration à la disposition du législateur européen. Ils constituent en quelques sortes des “boîtes à outils” [20] dans lesquelles le législateur européen peut piocher à sa guise, sans pouvoir en aucune façon être considéré comme des instruments de référence contraignant ni même du “soft law”.

On constatera par exemple que le législateur européen a donné de la culpa in contrahendo des contours assez proches de ceux des articles 2:301 et 2:302 des “Principles of European Contract Law” [21], [22]. Par contre, l'enrichissement sans cause au sens du règlement pourra être invoqué à la suite de l'annulation d'un contrat, alors que cette possibilité est expressément exclue par l'article 2:101 des “Principles of European Unjustified Enrichment” [23].

La Cour de justice agira sans doute de la même manière que le législateur européen: elle se réservera le choix de s'inspirer ou non de ces codifications [24].

18.Ceci étant dit, il est déjà possible, rien que sur la base du texte et des travaux préparatoires, de dégager quelques éléments des définitions communautaires relatifs à l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires et la culpa in contrahendo.

C. Qualification des quasi-contrats visés par le règlement

19.Le statut particulier des quasi-contrats avait déjà été évoqué dans l'arrêt Kalfelis rendu par la Cour de justice en 1988, qui semble exclure l'enrichissement sans cause tant de la matière contractuelle que de la matière délictuelle [25]. On comprend dès lors la place que ce type d'obligation occupe dans le règlement: tout en étant d'une nature non contractuelle, il ne découle pas non plus d'un fait dommageable.

20.On peut par ailleurs supposer que ces catégories d'obligations non contractuelles revêtiront des contours assez larges afin d'englober les concepts nationaux fort différents. L'Exposé des Motifs précédant la proposition initiale du règlement pose clairement le problème de l'hétérogénéité des droits substantiels nationaux en cette matière de sorte qu'il “convient d'éviter un vocabulaire technique… La plupart des États membres connaissent ensuite les sous-catégories que sont la répétition de l'indu ou l'enrichissement sans cause d'une part, et la gestion d'affaires (negotiorum gestio), de l'autre. Tant le droit matériel que les règles de conflits en cette matière se trouvent en pleine évolution dans la plupart des États membres laissant place à une grande insécurité juridique” [26].

21.Il découle par ailleurs de la formulation de l'article 10,1° du règlement que le paiement indu est considéré comme une variante de la notion communautaire de l'enrichissement sans cause, non comme une catégorie à part d'obligation non contractuelle. En effet, on peut lire qu'“une obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause, y compris un paiement indu…” [27].

22.On apprendra encore des travaux préparatoires que des réclamations dues à la suite de l'annulation d'un contrat pourront être qualifiées d'enrichissement sans cause au sens du règlement. En effet, selon la Commission, “l'expression 'relation préexistante' vise notamment les rapports précontractuels et les contrats nuls” [28].

23.On peut enfin s'interroger sur le caractère subsidiaire que pourrait éventuellement revêtir ce type d'obligations non contractuelles. Dans le cadre de la Convention de Bruxelles, la Cour de justice a eu plusieurs fois l'occasion de se prononcer sur le caractère résiduel de l'obligation non contractuelle par rapport à l'obligation contractuelle [29]. Mais faut-il également considérer qu'il existe un lien hiérarchique supplémentaire entre les obligations non contractuelles dérivant d'un fait dommageable et celles qui ne dériveraient pas d'un fait dommageable?

Aucune indication sur la base du texte ou de la structure du règlement ou encore des travaux préparatoires ne permet à notre avis de poser une telle affirmation [30]. Il ne serait pas non plus possible de déduire cette subsidiarité à partir d'un principe général commun à l'ensemble des systèmes de droits nationaux. Le caractère subsidiaire de l'enrichissement sans cause est une caractéristique qui n'est propre qu'à quelques systèmes juridiques. L'Allemagne et le Royaume-Uni [31] par exemple ne partagent pas cette conception de l'enrichissement sans cause. Quant au droit belge, seul l'enrichissement sans cause et, dans une certaine mesure, la gestion d'affaires s'appliquent de manière subsidiaire, ce qui n'est pas le cas du paiement indu.

D. Qualification de la culpa in contrahendo

24.La culpa in contrahendo, tout comme les quasi-contrats, occupe, on l'aura remarqué, une place particulière au sein du règlement: une obligation non contractuelle, sans cependant résulter de la responsabilité délictuelle au sens du chapitre II. Dans l'affaire Tacconi [32] pourtant, la Cour de justice avait jugé qu'une action précontractuelle relevait de la matière délictuelle au sens l'article 5, 3° de la Convention de Bruxelles. On aurait donc pu s'attendre à voir la culpa in contrahendo cataloguée comme faisant naître en principe une “obligation non contractuelle dérivant d'un fait dommageable” [33], [34]. En reléguant la culpa in contrahendo au chapitre III du règlement, le législateur européen a sans doute tenu compte du fait que dans certains pays, comme l'Allemagne et l'Autriche, la culpa in contrahendo n'est ni de nature contractuelle, ni de nature délictuelle [35].

25.Pour le reste, en ce qui concerne les situations qui pourraient être considérées comme étant constitutives d'une culpa in contrahendo, très peu d'indications sont à notre disposition. Étant donné l'insertion tardive de la culpa in contrahendo dans le texte du règlement, il n'y est quasiment pas fait de référence dans les travaux préparatoires.

Toutefois, le considérant 30 précise que ce concept “devrait inclure la violation du devoir d'informer et la rupture de négociations contractuelles. L'article 12 ne s'applique qu'aux obligations non contractuelles présentant un lien direct avec les tractations menées avant la conclusion du contrat. Par conséquent, si une personne subit des dommages corporels au cours de la négociation d'un contrat, l'article 4 ou d'autres dispositions pertinentes du présent contrat devraient s'appliquer” [36]. La culpa in contrahendo au sens du règlement devra donc être comprise dans un sens plutôt restrictif.

Il semble par ailleurs, comme nous l'avons déjà mentionné, que le règlement se soit inspiré des “Principles of European Contract Law” pour définir la notion de culpa in contrahendo précontractuelle.

26.Par contre, tout ce qui se rapporte à une offre de contracter et à son acceptation doit être considéré, pour les besoins du règlement, comme relevant du domaine contractuel et ne peut constituer une culpa in contrahendo [37]. En pratique cependant, la règle de conflit applicable nous ramène dans les 2 cas à la loi.

VI. Détermination du champ d'application matériel du règlement
A. Problématique des obligations rattachées à une relation préexistante

27.L'article 1er du règlement exclut de son champ d'application matériel une série de matières. Ainsi, il est expressément stipulé que le règlement ne s'applique pas aux matières fiscales, douanières et administratives ni à la responsabilité de l'État dans l'exercice de sa puissance publique. Sont également exclues, les obligations non contractuelles découlant de relations de famille, des régimes matrimoniaux, de lettres de change, de billets à ordre et de chèques, du droit des sociétés, de trusts, de dommages nucléaires ou encore d'atteintes à la vie privée.

Sur la base de cette disposition, que faut-il décider d'une culpa in contrahendo commise lors de négociations précédant la conclusion d'une convention modalisant le régime matrimonial des parties ou encore d'une demande en remboursement de sommes versées indûment par un ex-époux pour l'éducation et l'entretien d'un enfant, dont il a contesté la paternité avec succès [38]? Le fait que la relation préexistante ou supposée se rattache à une matière exclue du règlement a-t-il pour effet d'exclure l'obligation non contractuelle en question du règlement?

La réponse à cette question implique des répercussions pratiques non négligeables. En effet, si l'on décide de sortir du champ d'application du règlement, c'est le droit international privé national des États membres qui retrouve sa compétence. L'opération pourra alors être qualifiée différemment et se voir appliquer une loi autre que celle qui aurait été désignée par les règles de conflit du règlement. On rappellera à cet égard, qu'en matière de quasi-contrats, c'est l'article 104 du Code de droit international privé, qui trouverait application dans une telle hypothèse, qui prévoit des règles différentes des articles 10 à 12 du règlement. Quant à la culpa in contrahendo, elle pourrait être rattachée à la responsabilité quasi-délictuelle et se voir dès lors désigner une loi différente de celle à laquelle on aurait abouti en faisant application de l'article 12 du règlement.

B. Solution proposée à partir de la jurisprudence de la Cour de justice

28.Une solution nuancée peut, nous semble-t-il, être dégagée à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice.

Ainsi dans son arrêt Baten [39], la Cour a accepté que la Convention de Bruxelles s'applique à une action récursoire intentée en récupération d'allocations de sécurité sociale. En effet, selon la Cour, la sécurité sociale, exclue de la convention “n'englobe pas l'action récursoire par laquelle un organisme public poursuit, selon les règles de droit commun, auprès d'une personne de droit privé le recouvrement de sommes versées à titre d'aide sociale au conjoint divorcé et à l'enfant de cette personne” [40].

Cette interprÉtation de la Cour de justice revient à détacher le mécanisme de la subrogation de la relation sous-jacente exclue du champ d'application de la Convention de Bruxelles, si ce mécanisme répond à des règles qui lui sont propres de sorte qu'il présente une certaine autonomie vis-à-vis du rapport juridique dont il découle.

Ainsi, si une obligation non contractuelle naît dans le cadre d'une matière exclue du règlement, mais que cette obligation suit non pas des règles spécifiques à ladite matière exclue, mais le régime de droit commun qui lui est propre, elle devrait être considérée comme entrant dans le champ d'application du règlement.

29.Cette approche de la délimitation du champ d'application du règlement a d'ailleurs été proposée par le Groupe européen de droit international privé (GEDIP) dans ses travaux relatifs à la proposition de convention européenne sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, selon lequel “Les termes de l'exclusion des relations de famille s'inspirent de ceux utilisés par la Convention de Rome. Ils concernent uniquement un fait couvert par des règles spéciales relevant du droit de la famille. Ils n'affectent donc pas un délit ou un quasi-délit commis, par exemple entre époux, indépendamment de l'existence de leurs relations personnelles.” [41]. Pour rappel, la Commission européenne s'est fortement inspirée des travaux du GEDIP dans l'élaboration du règlement [42].

1. Application aux quasi-contrats

30.Appliqué aux quasi-contrats, ces principes impliqueraient que dans l'exemple donné précédemment, l'action en remboursement des frais d'éducation et d'entretien reste en principe soumise aux règles de conflit du paiement indu prévues par le règlement, à moins que ce type de demande soit couvert par des règles spéciales du droit de la famille applicable en l'espèce. Dans ce dernier cas, on sortirait du champ d'application du règlement.

31.On observera qu'en réalité de nombreux cas d'enrichissement sans cause sont “absorbés” par une législation particulière, notamment en droit de la sécurité sociale [43], [44] et en droit fiscal [45]. Les demandes fondées sur l'enrichissement sans cause en ces matières échapperont en conséquence au champ matériel du règlement.

2. Application à la culpa in contrahendo

32.Le raisonnement élaboré sur la base de l'arrêt Baten peut selon nous être également appliqué lorsqu'une culpa in contrahendo est commise dans le cadre de pourparlers portant sur des questions exclues du règlement. Le fait qu'une faute précontractuelle soit commise dans une matière exclue ne lui enlève en rien sa qualification de culpa in contrahendo à moins bien sûr que cette dernière ne soit traitée spécifiquement par la réglementation particulière régissant la matière exclue en question. Sous cette réserve donc, une faute précontractuelle commise préalablement à la conclusion d'une donation entre époux ou d'une convention portant sur une pension alimentaire pourrait, selon nous, très bien se voir appliquer les règles de conflit de l'article 12 du règlement.

VII. Examen de la règle de conflit prévue par les articles 10 à 12 du règlement
A. Énoncé de la règle de conflits

33.Les articles 10, 1° et 11, 1° du règlement prévoient que lorsqu'une obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause ou d'une gestion d'affaires se rattache à une relation existante entre parties (telle qu'une obligation découlant d'un contrat ou d'un fait dommageable) qui présente un lien étroit avec cet enrichissement sans cause ou avec cette gestion d'affaires, la loi applicable est celle qui régit cette relation.

L'article 12, 1° à propos de la culpa in contrahendo prévoit la même règle mais de manière plus spécifique dès lors que par hypothèse, la relation de base est de nature contractuelle (que le contrat soit en définitive effectivement conclu ou non).

À défaut de pouvoir déterminer la loi applicable par référence à une relation existante, il est prévu dans les trois cas que l'on tiendra compte de la loi du lieu de la résidence habituelle des “parties” si elles se trouvent dans le même pays, “au moment où le fait donnant lieu à l'enrichissement sans cause” [46] ou “au moment où le fait donnant lieu générateur du dommage se produit” [47].

Lorsque les “parties” n'ont pas leur résidence dans le même pays, ce sera alors la loi du pays dans lequel l'enrichissement sans cause ou la gestion d'affaires “se sont produits” qui s'appliquera [48]. Quant à la culpa in contrahendo, il conviendra de se référer à la loi du pays “dans lequel le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans le(s)quel(s) des conséquences indirectes de ce fait surviennent” [49].

Enfin, il sera toujours possible de désigner une loi différente de celle déterminée en application des rattachements objectifs édictés par les articles 10, 11 et 12 du règlement, si cette autre loi entretient des liens manifestement plus étroits avec l'enrichissement sans cause ou la gestion d'affaires en question [50].

B. Rattachement en cascade axé autour du principe de proximité

34.La règle de conflit proposée met en place un mécanisme de rattachement en cascade, fort utilisé dans le cadre du règlement et qui nous est par ailleurs familier depuis l'entrée en vigueur du Code de droit international privé. L'objectif recherché, est de s'assurer que la loi choisie soit celle qui entretient avec une situation donnée les liens les plus étroits.

Pour ce faire, les articles 10, 11 et 12 du règlement prévoient une série de rattachements prédéterminés, considérés comme garantissant a priori un lien étroit avec l'enrichissement sans cause, la gestion d'affaires ou la culpa in contrahendo. Il est toutefois possible de déroger à la rigidité des rattachements objectifs par une clause d'exception s'il s'avère qu'une loi différente entretenait en réalité et de manière manifeste des liens plus étroits avec la situation examinée. Ainsi, ce système offre, nous semble-t-il, une souplesse modérée mais suffisante [51] pour composer avec la diversité des systèmes nationaux tant au niveau de leurs règles de conflits que de leurs droits matériels.

C. Compétence de la loi de la relation existante (ou supposée) entre les parties
1. Le rattachement accessoire comme solution à l'articulation entre le règlement et la Convention de Rome

35.Le rattachement des obligations quasi-contractuelles et précontractuelles à la loi de la relation préexistante offre une “unité législative” qui a l'avantage d'éviter en pratique d'ennuyeux problèmes de qualification entre les matières contractuelle et délictuelle.

a) Les conséquences de la nullité du contrat

36.Ainsi que nous l'avons déjà mentionné, il résulte clairement de l'intention du législateur communautaire que les demandes formulées par une partie à un contrat nul puissent se fonder sur l'enrichissement sans cause [52]. On pourrait également imaginer qu'une culpa in contrahendo puisse être invoquée à la suite d'un contrat nul. Les articles 10 et 11 empiètent donc de fait sur le domaine de la lex contractus dès lors que l'article 10, 1°, e) de la Convention de Rome prévoit que “la loi applicable au contrat en vertu des articles 3 à 6 et de l'article 12 de la présente convention régit notamment: (…) les conséquences de la nullité d'un contrat”.

Or, en vertu de son article 28, 2°, le règlement prévaut sur la Convention de Rome, selon lequel “le règlement prévaut entre les États membres sur les conventions conclues exclusivement entre deux ou plusieurs d'entre eux dans la mesure où elles concernent des matières réglées par le présent règlement” [53].

Pour critiquable qu'elle soit, cette situation ne pose en réalité pas de problème étant donné que le rattachement accessoire prévu par les articles 10 et 12 revient à soumettre l'enrichissement sans cause à la loi du contrat. Qu'on applique donc l'article 10, 1° ou 12, 1° du règlement ou l'article 10, 1°, e) de la convention, le résultat auquel on parvient est le même [54], [55]. L'interprÉtation cohérente et harmonieuse des champs d'application respectifs de la Convention de Rome et du règlement est ainsi préservée, conformément au considérant 7 du règlement [56].

b) “Unité législative” entre obligations précontractuelles et contractuelles

37.L'arrêt Tacconi, dont il a déjà été question précédemment, a laissé quelques zones d'ombres relatives à la qualification d'une action précontractuelle. En effet, la Cour avait précisé à cet égard que “l'article 5, 1° de la Convention de Bruxelles n'exige pas la conclusion d'un contrat” [57] et que “la matière contractuelle au sens de l'article 5, 1° ne saurait être comprise comme visant une situation dans laquelle il n'existe aucun engagement librement assumé d'une partie envers une autre” [58]. Ces considérants avaient conduit la doctrine à considérer qu'il ne fallait pas exclure “qu'une action en dommages-intérêts pour rupture d'une négociation précontractuelle n'est jamais de nature contractuelle et relève toujours de l'article 5, 3° de la Convention de Bruxelles” [59].

En outre, en attribuant aux obligations incombant aux parties préalablement à la négociation d'un contrat un rattachement propre, on risquait de devoir faire face à des situations très complexes voire incohérentes. L'ensemble des éléments touchant au consentement et à la validité du contrat serait soumis à la lex contractus qui pourrait considérer le contrat comme nul, tandis que l'obligation de bonne foi et d'information pendant les pourparlers préliminaires serait soumise à une loi autre qui elle ne prévoirait que des dommages et intérêts [60].

L'article 12, 1° a apporté à ces questionnements des solutions pratiques. Tout d'abord, la culpa in contrahendo doit être, de manière définitive, qualifiée de non contractuelle. Elle échappe donc techniquement parlant à la Convention de Rome. Cependant, le rattachement accessoire proposé par cette disposition permet de rétablir une unité législative: l'ensemble des questions précédant la conclusion d'un contrat ou relatives à sa formation seront soumises à la lex contractus.

2. La notion de relation existante appliquée aux quasi-contrats
a) Rattachement “logique” à la loi applicable au rapport de base

38.Le principe du rattachement accessoire, appliqué aux quasi-contrats, est relativement nouveau et reflète l'État de la doctrine et de la (rare) jurisprudence contemporaines [61] ainsi que de certaines législations nationales récentes en la matière [62]. Il a été préféré au critère plus ancien du lieu de la réalisation de l'enrichissement sans cause, qui n'a toutefois pas été complètement abandonné, puisqu'il est utilisé dans les règles subsidiaires des articles 10 et 11 du règlement [63].

Au demeurant, lorsque l'obligation quasi-contractuelle résulte d'un rapport juridique préexistant, il semble relativement cohérent de la rattacher à ce rapport. On vient de le voir, cela se justifie entièrement lorsque la relation de base est de nature contractuelle. G. Légier considère à cet égard que “Cette unité législative est en parfaite harmonie avec le rôle correctif, ordinairement assigné aux quasi-contrats, qui pour des motifs d'équité, servent à amender les règles ordinaires. Il est évidemment logique de faire dépendre le correctif de la loi qui régit ce qui est corrigé” [64].

Les articles 10, 2° et 11, 2° du règlement indiquent aussi que le quasi-contrat pourrait également découler d'un fait dommageable, auquel cas la loi applicable serait désignée par une des règles de conflit du Chapitre II. On pourrait encore imaginer une relation juridique qui trouverait sa source dans la loi.

b) Problématique des relations triangulaires

39.Cette règle de conflit apparaît comme étant relativement simple à appliquer: il suffira de trouver la loi applicable à la relation de base, qui exercera alors un pouvoir d'attraction sur le quasi-contrat.

Des difficultés peuvent cependant survenir dans l'hypothèse d'une relation triangulaire où une des personnes liées par le quasi-contrat n'est pas concernée par le rapport sous-jacent. On peut prendre l'exemple d'un solvens A, qui paie par erreur à un accipiens B le montant d'une facture pour une livraison effectuée par un créancier C. Il existe un lien juridique entre A et C, mais pas entre A et B, qui sont quant à eux néanmoins dans les liens d'un quasi-contrat. Faut-il dans ce cas prendre en considération la relation existante pour déterminer la loi applicable à l'obligation quasi-contractuelle, alors que cette relation est totalement étrangère à l'accipiens [65]?

Un certain nombre de considérations nous permettent de répondre à cette question par la négative.

40.Tout d'abord le texte et les travaux préparatoires du règlement ont une approche restrictive de la notion de “relation existante”. En effet, l'article 10, 1° dispose que “lorsqu'une obligation non contractuelle découlant d'un enrichissement sans cause (…) se rattache à une relation existante entre les parties, telle qu'une obligation découlant d'un contrat ou d'un fait dommageable présentant un lien étroit avec l'enrichissement sans cause, la loi applicable est celle qui régit cette relation” [66].

Le sens du terme “parties” dans ces dispositions, même s'il est impropre, vise indéniablement les personnes impliquées dans la relation quasi-contractuelle. En effet, il ne pourrait pas s'agir de “parties” par référence à un contrat sous-jacent dès lors que la relation préexistante visée par disposition peut très bien résulter d'un fait dommageable. Cette interprÉtation est confirmée par les articles 10, 2° et 10, 3°, qui utilisent également le mot “parties” dans un cas de figure où il n'y a pas de relation préexistante. Dès lors, il est permis d'en déduire que l'article 10, 1° ne propose un rattachement accessoire à la “relation préexistante entre les parties”, que s'il y a une identité entre les parties à la relation sous-jacente et au quasi-contrat [67].

L'article 11 relatif à la gestion d'affaires est formulé en des termes identiques.

41.De manière plus générale, l'idée qui sous-tend les articles 10 et 11 est que le rattachement à un rapport sous-jacent est justifié par l'étroitesse du lien qui devrait en principe exister avec le quasi-contrat [68]. Or, dans le cas que nous avons exposé précédemment d'un paiement international effectué par erreur, il n'y a en réalité qu'un lien très ténu entre l'obligation de rembourser la somme indûment payée et l'obligation contractuelle initiale. En effet, si A, résident belge, a transféré des fonds à une personne établie en France, alors qu'il croyait avoir honoré son fournisseur hollandais, il y a très peu d'éléments qui lie le quasi-contrat à la relation contractuelle de base si ce n'est le simple fait de s'être trompé de créancier.

Il nous apparaît que dans ces circonstances, la loi applicable ne peut être déterminée sur la base de l'article 10, 1° ou 11, 1° et qu'il faut faire application des autres rattachements subsidiaires proposés par ces dispositions.

D. Compétence d'une autre loi
1. Les parties ont leur résidence habituelle dans le même pays

42.Cette règle de conflit subsidiaire, identique aux trois institutions juridiques, est justifiée par la prise en compte des attentes légitimes des parties de voir s'appliquer la loi du pays dans lequel elles ont toutes les deux leur résidence habituelle [69]. Cette règle participe donc à la fois d'un souci de prévisibilité et de l'objectif général consistant à trouver la loi qui soit la plus proche de la situation juridique donnée.

43.Le moment à prendre en compte, selon les cas, est le “moment où le fait donnant lieu à l'enrichissement sans cause survient” ou le “moment donnant lieu au dommage” ou encore le “moment où le fait générateur du dommage se produit” [70]. Malgré la terminologie approximative, ce qui est visé dans les différentes dispositions du chapitre III est le moment où les éléments constitutifs, ou encore les “faits générateurs” [71] surviennent.

Il nous semble toutefois que par souci de cohérence, on aurait pu aligner cette règle sur celle de l'article 4, 2° du règlement qui tient compte du moment de la survenance du dommage pour apprécier le lieu de résidence des personnes intéressées, non celui du fait générateur. Le rattachement à la survenance du dommage aurait du reste été plus conforme à la volonté du législateur européen de privilégier la lex loci damni, considérée comme créant “un juste équilibre entre les intérêts de la personne dont la responsabilité est invoquée et ceux de la personne lésée” [72]. On remarquera à cet égard qu'aucune des règles de conflit prévues aux articles 10 et 11 du règlement, ne tient compte du lieu du dommage, alors que ce facteur de rattachement est privilégié dans l'ensemble du règlement [73].

2. Les parties n'ont pas leur résidence habituelle dans le même pays

44.Dans l'hypothèse où les parties n'ont pas leur résidence habituelle dans le même pays, le facteur de rattachement choisi diffère selon qu'il s'agit d'une obligation résultant d'un quasi-contrat ou d'une faute précontractuelle.

a) Quasi-contrats: lieu du fait générateur de l'obligation

45.À défaut d'avoir pu déterminer la loi applicable par référence à un rapport préexistant ou à la résidence habituelle des parties, l'article 10, 3° propose un facteur de rattachement subsidiaire, à savoir “le lieu où l'enrichissement sans cause s'est produit”. La proposition faite par le Parlement de se référer de manière plus précise “au lieu où se sont substantiellement produits les faits générateurs” a été écartée par le Conseil au profit d'un rattachement plus général, jugé plus approprié [74].

En tout État de cause, c'est donc un facteur de rattachement classique et encore largement répandu dans les divers systèmes nationaux de l'Union européenne en matière de quasi-contrats qui réapparaît au niveau de la règle de rattachement subsidiaire [75].

46.Ce facteur de rattachement n'est pas sans poser certaines difficultés. Au-delà du caractère fortuit qu'il peut présenter, il soulève également des problèmes déjà souvent évoqués en matière de responsabilité civile lorsqu'il y a une pluralité de faits générateurs et une pluralité de dommages, disséminés sur le territoire de pays différents. Le problème est en outre accru dans le cas des quasi-contrats “dans la mesure où la résultante patrimoniale du fait générateur est constituée par la co-existence des deux éléments corrélatifs: un appauvrissement et un enrichissement, susceptibles d'être localisés en deux endroits différents” [76].

Il n'est malheureusement donné aucune réponse précise dans l'hypothèse d'une dispersion de faits générateurs et de dommages résultant de quasi-contrats dans le règlement. On en est dès lors réduit aux solutions classiques, qui sont loin d'être idéales.

47.La première pourrait consister en un cumul de l'ensemble des lois désignées, mais elle est à éviter car elle reviendrait à appliquer la loi la plus sévère, pas nécessairement la plus étroitement liée à la situation juridique donnée.

Une autre solution pourrait être d'appliquer les différentes lois en présence de manière distributive. Cette faculté avait en tout cas été admise en matière de conflit de juridictions par la Cour de justice à l'égard d'actions en responsabilité civile. En effet, cette dernière a jugé que l'article 5, 3° ouvrait au demandeur un choix entre le for du lieu où le dommage est survenu et celui de l'événement causal [77]. Une application distributive des lois est toutefois également à éviter car la mise en oeuvre d'un tel système serait très complexe et aboutirait certainement à des incohérences au niveau des conditions d'application du quasi-contrat ou de ses effets. Ainsi, un paiement effectué indûment, à partir d'un pays A se verrait appliquer les règles du paiement indu de ce pays, qui pourraient être plus strictes ou simplement différentes de celles du pays B où ce paiement est reçu.

48.Il nous semblerait raisonnable, quant à nous, de retenir la loi du lieu qui concentre le plus d'éléments (faits générateurs et dommages confondus) liés au quasi-contrat, ce qui rejoint partiellement la proposition qui avait été formulée par le Parlement, qui prônait toutefois le lieu où seuls les faits générateurs étaient substantiellement localisés. Même si cette solution respecte l'objectif général de rattachement à la situation qui entretient les liens les plus étroits avec la loi applicable, il est vrai que rien sur la base du texte du règlement ne permet de soutenir cette solution plutôt qu'une autre.

b) Culpa in contrahendo: retour à la règle adoptée pour la responsabilité délictuelle en général

49.Lorsque la loi applicable à la culpa in contrahendo ne peut être déterminée par référence à une relation contractuelle de base ou en fonction de la résidence habituelle des parties, l'article 12, 2°, a) prévoit un retour à la règle générale de conflit qui est la loi du lieu où le dommage survient. Nous renvoyons à cet égard à la partie consacrée à l'examen de la règle de conflit générale.

3. La clause d'exception

50.La clause d'exception peut trouver à s'appliquer aussi bien dans le cadre d'une gestion d'affaires, d'un enrichissement sans cause ou encore d'une culpa in contrahendo. En ce qui concerne les obligations précontractuelles néanmoins, il n'est pas possible, par le mécanisme de la clause d'exception, de déroger à la règle de conflit principale de l'article 12, 1° du règlement (rattachement accessoire à la loi du contrat). En effet, l'article 12, 2°, c) relatif à la clause d'exception appliqué aux obligations précontractuelles ne prévoit de dérogation qu'aux rattachements subsidiaires de l'article 12, 2°, a) et b).

4. Intervention d'une “disposition impérative dérogatoire”

51.En vertu de l'article 16 du règlement, “les dispositions du présent règlement ne portent pas atteinte à l'application des dispositions de la loi du for qui régissent impérativement la situation, quelle que soit la loi applicable à l'obligation non contractuelle”. En d'autres termes, ce que l'on dénommait les “lois de police” dans la Convention de Rome, pourront toujours court-circuiter le processus normal de désignation de la loi applicable. Néanmoins, il n'est désormais fait référence qu'aux dispositions impératives dérogatoires du for et plus à celles d'un autre pays.

On rappellera à cet égard qu'en droit belge, la loi du 19 décembre 2005 relative à l'information précontractuelle dans le cadre d'accords de partenariat commercial [78] doit être considérée comme d'application immédiate (ou en tout cas en partie) [79]. En effet, l'article 9 de cette loi précise que “La phase précontractuelle de l'accord de partenariat commercial relève de la loi belge et de la compétence des tribunaux belges, lorsque la personne qui reçoit le droit exerce l'activité à laquelle se rapporte l'accord principalement en Belgique.” Ainsi, dans la détermination de la loi applicable à la culpa in contrahendo, le juge belge devra garder à l'esprit que l'information précontractuelle donnée dans le cadre d'un contrat de partenariat sera soumise à la loi belge à la condition que la “partie faible” soit principalement établie en Belgique, nonobstant l'existence d'une autre loi désignée par les règles normales de conflit.

E. Applicabilité de l'article 8 du règlement

52.Par exception, une obligation non contractuelle découlant d'un quasi-contrat ou d'une culpa in contrahendo sera soumise à la loi désignée en vertu des règles de conflits de lois prévues à l'article 8, lorsque cette dernière naît à l'occasion d'une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

VIII. Domaine de la loi applicable

53.L'article 15 qui délimite le domaine de la loi applicable à “une obligation non contractuelle en vertu du présent règlement” est repris sous le chapitre V, relatif aux règles communes. Il porte dès lors aussi bien sur les obligations dérivant d'un fait dommageable que des autres obligations non contractuelles regroupées sous le chapitre III. Cette disposition est avant tout axée sur la délimitation de la loi applicable à la responsabilité civile et n'utilise donc pas toujours une terminologie adaptée aux questions qui se posent dans le cadre d'un quasi-contrat [80].

Il est néanmoins possible de raisonner “mutatis mutandis”. Ainsi, là où l'article 15, a) vise les conditions et l'étendue de la responsabilité, il y a évidemment lieu de considérer que les conditions qui doivent être réunies pour obtenir réparation sur la base d'une obligation quasi-contractuelle ainsi que l'étendue de celles-ci seront régies par la loi du quasi-contrat. Par exemple, ce sera dans cette loi qu'il faudra rechercher si l'enrichissement sans cause a un caractère subsidiaire, s'il peut être étendu à des actes accomplis en vue de protéger l'intégrité physique et la vie humaine, si la gestion doit consister en un acte juridique ou matériel, quels sont les actes interdits ou autorisés par la gestion d'affaires, etc.

IX. Conclusion

54.La règle du rattachement accessoire prévue au chapitre III du règlement présente l'énorme avantage pour des matières qui se trouvent à la frontière de la matière contractuelle, de résoudre de manière pratique bon nombre de questions de qualification. Elle assure également la cohérence des solutions en termes de conflits de lois.

Quant aux règles de conflits subsidiaires prévues par le règlement, elles ne sont pas exemptes de toute critique, mais devraient néanmoins permettre, dans la majorité des cas, de trouver des solutions raisonnablement satisfaisantes.

En réalité, avec l'adoption du règlement, les instruments communautaires, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, offrent des règles de droit international privé qui couvrent presque l'ensemble de la matière contractuelle et non contractuelle, tant au niveau des conflits de juridictions que des conflits de lois. Il ne reste en réalité qu'une zone d'ombre: quelle loi appliquer aux obligations non contractuelles ne dérivant pas d'un fait dommageable et qui ne sont ni des quasi-contrats ni une culpa in contrahendo? On pense par exemple à l'action paulienne ou à l'action oblique ou encore à des obligations qui trouveraient leur fondement dans l'apparence. Toutefois, ces institutions juridiques prennent à notre avis des formes trop spécifiques à chaque ordre juridique que pour rendre possible - en tous cas à ce stade - une uniformisation communautaire. Il a donc été sage de les laisser (pour l'instant?) en dehors du règlement.

[1] Avocate, Simont Braun. Collaboratrice Scientifique de l'unité de droit international privé à la faculté de droit de l'Université Libre de Bruxelles.
[2] Le présent texte est arrêté au 28 mars 2008. Nous souhaiterions néanmoins indiquer la publication de l'article de G. Légier, “Enrichissement sans cause, gestion d'affaire et culpa in contrahendo”, S. Corneloup et N. Joubert (eds.) in Le règlement communautaire "Rome II" sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, Paris, Litec, 2008, p. 145 et s.
[3] Considérant 29 du règlement.
[4] Voy. pour un bref commentaire sur l'art. 104 du Code de droit international privé, C. Clijmans, “Recht toepasselijk op quasi-contractuele verbintenissen”, in J. Erauw, M. Fallon, E. Guldix, J. Meeusen, M. Pertegás, H. Van Houtte, N. Watté et P. Wautelet (éds.), Le Code de droit international privé commenté, Bruxelles, Intersentia-Bruylant, 2006, pp. 538-543; voy. égal. B. Docquir, V. de Francquen, M. Grégoire, R. Jafferali, M. Lamensch, V. Marquette et M.-D. Weinberger, “Le droit international privé économique. Exposé général du nouveau droit positif belge”, R.G.D.C. 2005, pp. 573 et s., nos 91 et s., pp. 590 et s.
[5] L'art. 100 du Code de droit international privé prévoit néanmoins le rattachement accessoire d'une obligation dérivant d'un fait dommageable à un rapport juridique préexistant avec lequel cette obligation entretiendrait un lien étroit.
[6] Voy. infra, n° 27.
[7] Voy. la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, p. 37.
[8] Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), final A6-0211/2005, pp. 27-28.
[9] Le Parlement a en effet supprimé l'intitulé de la section jusqu'alors libellée “Règles applicables aux obligations non contractuelles dérivant d'un fait autre qu'un délit” et remplacé l'article unique de cette section par deux articles, l'un consacré à l'enrichissement sans cause, l'autre à la gestion d'affaires.
[10] Rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), final A6-0211/2005, pp. 27-28.
[11] Dans son commentaire relatif à la proposition de règlement présentée par la Commission, le Hamburg Group for Private International Law, affilié au Max Planck Institute for Foreign Private and Private International Law, avait proposé de différencier plus clairement le traitement de la gestion d'affaires de celui de l'enrichissement sans cause, ce qui justifiait dans ce cas de les loger dans deux articles différents (voy. Hambourg Group for Private International Law, “Comments on the European Commission's draft proposal for a council regulation on the law applicable to non-contractual obligations”, disponible sur le site http://www.mpipriv.de/de/data/pdf/commentshamburggroup.pdf , pp. 30 et s.
[12] Position commune adoptée par le Conseil le 25 septembre 2006 en vue de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, 9751/7/06 REV 7 (ADD 1 vise l'Exposé des Motifs), p. 4.
[13] Communication de la Commission au Parlement européen concernant la position commune du Conseil en vue de l'adoption du Règlement Rome II, 2003/0168 (Com (2006) 566 final), p. 6.
[14] Arrêt du 14 octobre 1976, nr. 29/76, LTU, Rec., p. 1541, considérant 3; arrêt du 22 février 1979, nr. 133/78, Gourdain, Rec., p. 733, considérant 3; arrêt du 16 décembre 1980, nr. 814/79, Rüffer, Rec., p. 3807, considérant 7; arrêt du 21 avril 1993, C-172/91, Sonntag, Rec., p. I-1963, considérant 18.
[15] Voy. de manière spécifique à l'égard de la culpa in contrahendo le considérant 30 selon lequel “le concept de culpa in contrahendo est autonome aux fins du présent règlement, et il ne devrait pas nécessairement être interprété au sens du droit national”.
[16] Voy. dans le même sens, M. Pertegás, “The notion of contractuel obligation in Brussels I and Rome I”, in J. Meeusen, M. Pertegás et G. Straetmans (éds.), Enforcement of International Contracts in the European Union, Intersentia, 2004, p. 184, nos 5-25.
[17] Voy. leur site: http://www.sgecc.net/pages/en/introduction/index.introduction.htm .
[18] Study Group on a European Civil Code et le Research Group on EC Private Law (Acquis Group), Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law. Draft Common Frame of Reference (DCFR). Interim Outline Edition, Munich, Sellier European Law Publishers, 2008.
[19] Ces textes sont essentiellement le fruit de contributions scientifiques élaborées en marge des institutions européennes. Cet État de fait a été souligné dans le Draft Common Frame or Reference (p. 5, n° 4).
[20] Cette expression est reprise de la présentation du Cadre Commun de Référence sur le site de la Commission européenne selon laquelle cet instrument se veut “un projet à long terme qui vise à fournir aux législateurs européens (la Commission, le Conseil et le Parlement européen) une 'boîte à outils' ou un manuel qu'ils pourraient utiliser lors de la révision de la législation existante et de l'élaboration de nouveaux instruments dans le domaine du droit des contrats”, (http://ec.europa.eu/consumers/cons_int/safe_shop/fair_bus_pract/cont_law/index_fr.htm ).
[21] Voy. le site http://frontpage.cbs.dk/law/commission_on_european_contract_law/ .
[22] Voy. en ce sens S. Leible et M. Lehmann, “Die neue EG-Verordnung über das auf ausservertraglische Schuldverhältnisse anzuwende Recht ('Rom II')”, Recht der Internationalen Wirtschaft 2007, p. 733.
[23] Ou d'ailleurs des récents travaux d'uniformisation du droit européen des obligations repris sous le nom de “Cadre Commun de Référence”, Principles, Definitions and Model Rules of European Private Law. Draft Common Frame of Reference (DCFR), Interim Outline Edition, p. 319, Book VII, VII.-2:101 (2).
[24] On remarquera que l'avocat général Geelhoed, dans ses conclusions précédant l'arrêt du 17 septembre 2002 (C-334/00, Tacconi, Rec., p. I-7357) s'est expressément référé pour définir la faute précontractuelle aux principes UNIDROIT. Rien ne l'empêcherait donc de s'inspirer de notions tirées d'une analyse comparée des droits nationaux de l'Union européenne.
[25] Arrêt du 27 septembre 1988, nr. 189/87, Rec., p. 5565; voy. également sur la question H. Gaudemet-Tallon, Compétence et exécution des jugements en Europe, Paris, L.G.D.J., 2002, 3ème ed., p. 139, n° 183.
[26] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, pp. 22-23.
[27] Voy. égal. en ce sens, G. Légier, “Le règlement 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations non contractuelles”, JCP-La Semaine Juridique 2007, I-207, p. 27, n° 80.
[28] Com (2003) 427 final, p. 23.
[29] Arrêt du 27 septembre 1988, nr. 189/87, Kalfelis, Rec., p. 5565, considérant 18; arrêt du 26 mars 1992, C-261/90, Reichert et Kockler, Rec., p. I-2149, considérant 16; arrêt du 27 octobre 1998, C-51/97, Réunion européenne e.a., Rec., p. I-6511, considérant 22.
[30] Dans la proposition initiale du règlement, il existait une section intitulée “obligations non contractuelles dérivant d'un fait autre qu'un fait dommageable”, qui était destinée à regrouper toutes les obligations qui n'auraient pas pu être qualifiées de “délictuelles”. Une règle de conflit générale était d'ailleurs prévue à cette sorte d'obligations. Cette catégorie d'obligations non contractuelles résiduelles n'était toutefois pas en elle-même de nature à indiquer un lien de subordination par rapport aux obligations découlant d'un délit.
[31] Voy. notamment le Memorandum by Graham Virgo, Reader in English Law at the University of Cambridge, relatif au projet de règlement et disponible sur le site: http://www.publications.parliament.uk/pa/ld200304/ldselect/ldeucom/66/66we19.htm .
[32] Arrêt du 17 septembre 2002, C-334/00, Tacconi, Rec., p. I-7357.
[33] Pour rappel, la Commission estimait que la règle générale de l'art. 5, 3° couvrait l'hypothèse de la culpa in contrahendo.
[34] Voy. par ailleurs pour une analyse critique du parallélisme d'interprÉtation des notions utilisées dans le cadre des règles de conflits de juridictions prévues par la Convention/Règlement de Bruxelles et dans celui des règles de conflits de lois prévues par Rome I et II: M. Pertegás, “The notion of contractuel obligation in Brussels I and Rome I”, in J. Meeusen, M. Pertegás et G. Straetmans (éds.), Enforcement of International Contracts in the European Union, Intersentia, 2004, pp. 176 à 184, nos 5-4 à 5-26; Max Planck Institute for Comparative and International Private Law, “Comments on the European Commission's Proposal for a Regulation of the European Parliament and the Council on the law applicable to contractual obligations ('Rome I')”, disponible sur le site http://www.mpipriv.de/shared/data/pdf/comments_romei_proposal.pdf, pp . 10-11.
[35] Voy. à cet égard, P. Mankowski, “Die Qualifikation der culpa in contrahendo - Nagelprobe für den Vertragsbegriff des europäischen IZPR und IPR”, IPRax 2003, p. 132.
[36] Cette dernière précision vise expressément à restreindre la notion de faute précontractuelle telle qu'elle est entendue selon le droit allemand (voy. S. Leible et M. Lehmann, “Die neue EG-Verordnung über das auf ausservertraglische Schuldverhältnisse anzuwende Recht ('Rom II')”, Recht der Internationalen Wirtschaft 2007, p. 733).
[37] Même si l'offre de contracter n'est pas explicitement prévue à l'art. 10 de la Convention de Rome, elle fait, selon nous, partie du domaine de la lex contractus. Tout d'abord, la liste de l'art. 10 n'est pas exhaustive. Ensuite, le consentement à un contrat est soumis, en vertu de l'art. 8 de la convention à la loi applicable au contrat. Enfin, le rapport Giuliano Lagarde précise que l'art. 9 de la convention relative à la forme du contrat s'applique également à des actes juridiques unilatéraux relatifs à un contrat conclu ou à conclure. Ces éléments nous permettent dès lors de considérer que l'ensemble des actes juridiques qui concourent à la formation du contrat appartiennent au domaine de la lex contractus. L'Exposé des Motifs accompagnant la proposition de loi portant le Code de droit international privé va également en ce sens: “L'article (105) couvre, de manière résiduelle, le cas d'une demande fondée sur l'existence d'un engagement unilatéral de volonté, lorsqu'il ne s'agit pas d'un acte juridique unilatéral relatif à un contrat au sens de la Convention de Rome du 19 juin 1980 (…)” (Doc. parl. Sénat 2003, n° 3-27/1, p. 128).
[38] Cet exemple est repris d'une affaire en droit interne, citée par H. Chanteloup, où la Cour de Paris a accueilli l'action en répétition de l'indu à l'occasion d'une contestation de paternité d'un premier mari suivi de la légitimation par le remariage de la mère avec un second mari (Les quasi-contrats en droit international privé, o.c., p. 225, n° 261 et note infrapaginale 33.
[39] Arrêt du 14 novembre 2002, C-271/00, Baten, Rec., I, p. 10489; voy. également l'arrêt du 5 février 2004, C-265/02, Frahuil, Rec., I, p. 1543.
[40] Dispositif de l'arrêt.
[41] GEDIP, proposition pour une convention européenne sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, texte adopté lors de la réunion de Luxembourg des 25-27 septembre 1998, commentaire de l'art. 1er.
[42] Voy. proposition de la Commission (Com (2003) 427 final p. 4, n° 4).
[43] Voy. p. ex. les art. 15, 17, 21 et 22 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer la “charte” de l'assuré social, Mon. b. 6 septembre 1995 et les art. 169 à 174 de l'arrêté royal du 25 novembre 1991 portant réglementation du chômage, Mon. b. 31 décembre 1991.
[44] Il est intéressant à cet égard de relever que la sécurité sociale n'est pas une matière expressément exclue du règlement contrairement au Règlement de Bruxelles. Cette “omission” peut sans doute s'expliquer par le fait qu'on s'est inspiré pour la détermination du champ d'application du règlement, de l'art. 1er de la Convention de Rome, qui ne prévoit pas cette exclusion, les conventions en matière de sécurité sociale étant plutôt rares. L'absence de la sécurité sociale parmi les matières exclues est cependant sans grande incidence sur le plan pratique. Il est en effet fort probable que l'organisme de sécurité sociale soit considéré comme agissant en tant que puissance publique dans ses rapports avec ses affiliés (voy. à cet égard, l'arrêt du 15 février 2007, Lechouritou, disponible sur le site http://curia.europa.eu/fr/index.htm et surtout les conclusions générales de l'avocat général Colomer). En conséquence, on appliquera à cette relation juridique la loi de l'État dont l'institution de sécurité sociale relève et qui organisera le plus souvent les modalités de la répétition des sommes indûment perçues par les affiliés (voy. à cet égard également H. Chanteloup, Les quasi-contrats en droit international privé, Paris, L.G.D.J., 1998, p. 225, n° 261).
[45] Voy. p. ex. les art. 134 et s. du Code des droits de succession de la Région wallonne.
[46] Art. 10, 2° du règlement.
[47] Art. 11, 2° et 12, 1°, a) du règlement.
[48] Art. 10, 3° et 11, 3° du règlement.
[49] Art. 12, 2°, b) du règlement.
[50] Art. 10, 4°, 11, 4° et 12, 2°, c) du règlement.
[51] Voy. à cet égard le souci de la Commission de “ne pas édicter des règles trop précises qui ne pourraient être appliquées dans un État membre dont le droit matériel ne distingue pas entre les différentes hypothèses visées, sans pour autant édicter une règle trop générale dont l'utilité même devient contestable” (proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, p. 23).
[52] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, p. 23: “Comme dans le cadre de la clause d'exception générale de l'article 3, paragraphe 3, l'expression 'relation préexistante' vise notamment les rapports précontractuels et les contrats nuls”.
[53] Le problème aurait pu devenir encore plus délicat lors de l'adoption du Règlement Rome I dès lors qu'il n'aurait plus été possible de faire prévaloir un instrument sur l'autre et que l'on aurait alors eu une contradiction entre deux instruments de valeur égale.
[54] La proposition de règlement relative à la loi applicable aux obligations contractuelles a été adoptée en première lecture par le Parlement européen le 27 novembre 2007. À ce stade des travaux préparatoires, la disposition relative au domaine de la loi contractuelle (art. 12) n'a pas été modifiée par rapport à celle qui est actuellement prévue par la Convention de Rome (art. 10) et il y a peu de chances qu'elle le soit d'ailleurs ultérieurement.
[55] Voy. sur les problèmes de qualification des demandes résultant d'un contrat nul, H. Chanteloup, o.c., pp. 48 et s., nos 65 et s.
[56] Le considérant 7 prévoit en effet que “Le champ d'application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I) et les instruments relatifs à la loi applicable aux obligations contractuelles.”
[57] Arrêt du 17 septembre 2002, C-334/00, Tacconi, Rec., p. I-7357, considérant 22.
[58] Considérant 23.
[59] A. Huet, note sous l'arrêt du 17 septembre 2002, C-334/00, Tacconi, J.D.I. 2003, p. 670; M. Pertegás, o.c., p. 186, nos 5-31; voy. égal., P. Mankowski, o.c., 2003, pp. 133-135.
[60] Voy. à cet égard, Max Planck Institute for Comparative and International Private Law, Comments on the European Commission's Proposal for a Regulation of the European Parliament and the Council on the law applicable to contractual obligations (“Rome I”), disponible sur le site http://www.mpipriv.de/shared/data/pdf/comments_romei_proposal.pdf , 11-12.
[61] Voy. notamment la décision rendue par la Tribunal fédéral suisse du 1er novembre 1952, R.C.D.I.P. 1953, pp. 401 et s.
[62] Voy. les art. 38 et 39 du EGBGB allemand et l'art. 128 de la loi fédérale suisse sur le droit international privé du 18 décembre 1987 mais également la loi autrichienne du 15 juin 1978, § 46, la loi turque du 20 mai 1982, art. 26 et la loi russe du 26 novembre 2001 (Code civil - art. 1223-2) citées par G. Légier, “Le règlement 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations non contractuelles”, JCP-La Semaine Juridique 2007, I-207, note infrapaginale 135.
[63] Voy. pour un exposé des thèses anciennes et nouvelles notamment, H. Chanteloup, Les quasi-contrats en droit international privé, o.c., pp. 91 à 207; G. Légier, “Sources extra-contractuelles des obligations”, Jurisclasseur-Droit international, Fasc. 553-4, 1994, nos 7 à 53; G. Légier, “Quasi-contrat”, Dalloz-Répertoire de droit international, T. III, 1998, nos 7 à 39.
[64] G. Légier, “Le règlement 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations non contractuelles”, JCP-La Semaine Juridique 2007, I-207, p. 28, n° 81.
[65] Sur cette controverse, voy. H. Chanteloup, Les quasi-contrats en droit international privé, Paris, L.G.D.J., 1998, pp. 228 et s., nos 265 et s. Cette dernière prenait à l'époque position pour une conception extensive de la notion de relation préexistante.
[66] C'est nous qui soulignons.
[67] Voy. égal. en ce sens, G. Légier, “Le règlement 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations non contractuelles”, JCP-La Semaine Juridique 2007, I-207, p. 28, n° 84.
[68] Voy. à cet égard les considérations de la Commission selon lesquelles “la méthode du rattachement accessoire, confirmée par le paragraphe 1, revêt une importance particulière en la matière, par exemple en cas de dépassement d'un mandat ou de paiement de l'obligation d'autrui. C'est pourquoi elle est érigée en règle rigide. L'obligation présente en effet un lien si était avec cette relation préexistante entre les parties qu'il est préférable que l'intégralité de la situation juridique soit régie par la même loi” (proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, p. 23). On remarquera que la Commission considère qu'un rattachement accessoire serait possible dans le cas d'un paiement de l'obligation d'autrui, qui constitue une situation triangulaire. Nous n'estimons cependant pas que cette considération remette en cause l'interprÉtation que nous proposons de la relation préexistante au sens des art. 10, 1° et 11, 1° du règlement. En effet, le texte de ces dispositions nous semble clairement prévoir un rattachement accessoire là où il y a une identité de parties. Par ailleurs, même s'il fallait considérer qu'un rattachement accessoire était envisageable dans des relations triangulaires, il conviendrait néanmoins de l'écarter dans la mesure où il n'y aurait pas de lien étroit entre la relation de base et le quasi-contrat.
[69] Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final, p. 23.
[70] Pour rappel, le dommage doit être entendu, pour les besoins du règlement, comme visant toute atteinte résultant d'un fait dommageable, d'un enrichissement sans cause, d'une gestion d'affaires ou d'une culpa in contrahendo (art. 2, 1°).
[71] La formulation proposée par le Parlement européen faisait en effet clairement référence, de manière plus explicite “au moment où survient le fait générateur de l'enrichissement sans cause”, Parlement européen, rapport sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 27 septembre 2005, final A6-0211/2005, p. 27.
[72] Considérant 16 du règlement.
[73] Proposition de la Commission (Com (2003) 427 final p. 12) et considérants 16 à 18 du règlement.
[74] Voy. le rapport du Parlement européen sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (“Rome II”), 27 septembre 2005, final A6-0211/2005, p. 27 ainsi que la position commune adoptée par le Conseil le 25 septembre 2006 en vue de l'adoption du règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, REV 7 ADD 1, p. 8.
[75] Certaines règles de conflits se réfèrent au lieu de l'enrichissement (voy. l'art. 7.3. de la proposition de convention du GEDIP), d'autres se réfèrent au lieu du fait générateur (voy. l'art. 104 du Code de droit international privé). Voy. égal. la proposition de règlement, Com (2003) 427 final p. 23.
[76] H. Chanteloup, Les quasi-contrats en droit international privé, o.c., p. 102, n° 123.
[77] Arrêt du 30 novembre 1976, n° 21/76, Bier, Rec., p. 1736 et spécial. l'attendu 24.
[78] Mon. b. 18 janvier 2006.
[79] Voy. pour un commentaire des dispositions de droit international privé que comporte cette loi: J. Toro, “L'information précontractuelle dans le cadre d'accord de partenariat commercial en droit international privé”, R.D.C. 2006, pp. 923 -933.
[80] Le groupe de Hambourg avait proposé un article propre au domaine de la loi applicable à l'enrichissement sans cause et à la gestion d'affaires. Cette proposition n'a pas été suivie par les institutions communautaires.