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Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence, R.D.C.-T.B.H., 2008/6, p. 502-514

Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence

Patrick Wautelet [1]

TABLE DES MATIERES

I. La détermination des obligations visées (i) Les actes de concurrence déloyale

(ii) Les actes restreignant la concurrence

II. La détermination du droit applicable

(i) Les actes de concurrence déloyale A. Acte de concurrence déloyale portant atteinte à des intérêts collectifs

B. Acte de concurrence déloyale affectant exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé

(ii) Les actes restreignant la concurrence

En guise de conclusion

RESUME
L'article 6 du Règlement Rome II prévoit une règle spéciale pour les obligations non contractuelles qui découlent d'actes de concurrence déloyale et d'actes restreignant la libre concurrence. Cette règle spéciale entretient des liens étroits avec la loi du marché pertinent, préconisée tant par la doctrine que par les récentes codifications nationales.
Avant d'analyser cette règle, l'auteur examine quelles obligations sont précisément visées par celle-ci. Il examine en particulier si une action civile ou commerciale qui se fonde sur la loi sur les pratiques du commerce ou la loi sur la protection de la concurrence économique est toujours régie par l'article 6. Cet examen révèle également qu'en ce qui concerne les limitations à la libre concurrence, l'application de la règle spéciale de conflit ne concerne que certaines questions particulières. Les questions d'application dans l'espace du droit européen ou national de la concurrence restent soumises aux règles d'applicabilité propres à ces matières.
Dans une seconde partie, l'auteur analyse les facteurs de rattachement spécifiques qui ont été retenus par le législateur européen. À cet égard, il examine la question de savoir si l'adoption au niveau européen d'une règle de conflit particulière qui vise spécifiquement les obligations non contractuelles découlant d'actes de concurrence déloyale laisse encore une place à l'application par un État membre de ses propres lois d'application immédiate. Ensuite, les avantages et les inconvénients du facteur de rattachement retenu sont discutés à la lumière de la pratique des juridictions belges en matière de concurrence déloyale transfrontière.
SAMENVATTING
Artikel 6 van de Rome II-Verordening voorziet in een bijzondere regel voor niet-contractuele verbintenissen die voortvloeien uit daden van oneerlijke concurrentie en uit beperkingen op de vrije mededinging. Deze bijzondere regel sluit nauw aan bij de wet van de betrokken markt, die zowel in de rechtsleer als in de recente nationale codificaties de voorkeur kreeg.
Alvorens de regel nader te bespreken, gaat de auteur na welke verbintenissen precies geviseerd worden. In het bijzonder wordt nagegaan of een burgerlijke of handelsvordering die op de bepalingen van de Wet Handelspraktijken of de Wet Bescherming Economische Mededinging steunt, steeds door artikel 6 wordt beheerst. De bespreking toont eveneens aan dat m.b.t. de beperking van de vrije mededinging de toepassing van de bijzondere verwijzingsregel slechts welbepaalde vragen betreft. Rechtsvragen i.v.m. de toepassing in de ruimte van de Europese of de nationale mededingingsregels blijven aan de voor deze materie relevante afbakeningsregels onderworpen.
In een tweede hoofdstuk bespreekt de auteur de bijzondere aanknopingen die door de Europese wetgever weerhouden werden. In dit verband wordt bij de vraag stilgestaan of de totstandkoming van een bijzondere verwijzingsregel op Europees niveau die specifiek de niet-contractuele verbintenissen uit daden van oneerlijke concurrentie viseert, nog ruimte laat voor de toepassing door een lidstaat van een eigen voorrangsregel. Voorts worden de voor- en nadelen van de gekozen aanknopingen besproken met als achtergrond de praktijk van Belgische rechtscolleges inzake grensoverschrijdende oneerlijke mededinging.

Les juridictions belges sont depuis longtemps familières du contentieux relatif aux pratiques de concurrence déloyale transfrontière. La jurisprudence est abondante sur ces questions. Elle révèle une tendance marquée à appliquer le droit belge, les dispositions de la loi sur les pratiques du commerce étant d'ailleurs considérées comme des lois d'application immédiate. Il est devenu par ailleurs classique de relever que les cours et tribunaux évacuent encore souvent la dimension internationale des litiges qui leur sont soumis [2].

C'est dans ce contexte qu'intervient l'article 6 du Règlement Rome II. Cette disposition prévoit une règle particulière pour les actes de concurrence déloyale et les actes restreignant la concurrence [3]. L'étude de cette disposition impose avant tout d'élucider son champ d'application, qui se révèle étendu. Ce n'est qu'au terme de cet examen que l'on pourra examiner le fonctionnement des règles de rattachement retenues. Lors des deux temps de l'analyse, il faudra tenir compte du caractère complexe de la règle, qui entend regrouper la concurrence déloyale d'une part et les actes restreignant la concurrence d'autre part.

I. La détermination des obligations visées

L'article 6 vise deux hypothèses qui font l'objet de règles distinctes: sont concernés d'une part les actes de concurrence déloyale et d'autre part les actes restreignant la concurrence. Cette distinction ne figurait pas à l'origine dans l'avant-projet: le premier texte soumis à la discussion visait certes la concurrence et les pratiques déloyales, mais ne retenait qu'une seule règle pour l'ensemble de ces pratiques [4]. La distinction qui figure dans le texte définitif suscite une première difficulté qui tient à la nécessité de définir précisément les questions visées. Cette question a également surgi, dans une perspective différente, à propos de la disposition pertinente figurant dans le Code de droit international privé. L'article 99 § 2, 2° du Code vise la “concurrence déloyale et [la] pratique commerciale restrictive”. On a pu se demander si cette expression visait uniquement le droit des pratiques du commerce ou devait s'entendre comme comprenant également le droit de la concurrence sensu stricto [5], [6].

Il ne fait pas de doute que les expressions utilisées à l'article 6 du règlement devront recevoir une interprÉtation autonome. Le considérant n° 11 du préambule contient une indication générale en ce sens. Au demeurant, compte tenu de la diversité des opinions en vigueur dans les États membres, toute autre option s'avérerait catastrophique pour la bonne application du règlement [7].

Il reste qu'un droit européen de la concurrence déloyale reste en grande partie à construire. L'Union européenne est bien intervenue dans certains secteurs spécifiques [8]. Récemment l'adoption de la directive sur les pratiques commerciales déloyales a constitué un grand pas en avant dans la construction de ce droit [9]. Cette directive s'attache cependant uniquement aux relations entre commerçant et consommateurs. Reste dès lors l'autre pan visé par l'article 6, celui des relations entre professionnels - l'on pense par exemple au débauchage d'employés, au refus de vente ou encore au dénigrement.

L'obligation d'adopter une interprÉtation autonome revêt une couleur particulière en droit belge, dans la mesure où contrairement à la pratique en vigueur dans d'autres États membres, le droit de la concurrence déloyale fait l'objet en Belgique depuis fort longtemps d'une importante intervention législative. Il n'est plus besoin de présenter les dispositions de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, maintes fois révisées qui s'attachent manifestement à réprimer la concurrence déloyale. De son côté, la libre concurrence est protégée depuis quelques temps par une autre législation spécifique, la loi sur la protection de la concurrence économique. L'existence de ce cadre légal très typé, inconnu dans d'autres États membres où il n'existe pas de cloisonnement entre les deux volets du droit de la concurrence [10], pourrait inspirer l'interprète, tenté de s'en remettre aux catégories du droit national pour construire les termes de l'article 6. Si une telle démarche peut constituer un utile point de départ au raisonnement, elle doit néanmoins nécessairement être complétée par une approche qui tient compte du contenu spécifique du Règlement Rome II.

Pour une bonne compréhension, il importe de distinguer les deux catégories d'actes visés par l'article 6.

(i) Les actes de concurrence déloyale

Ce sont les exigences de la loyauté commerciale qui sont au centre des actes visés par cette première catégorie [11]. Il existe dans le droit conventionnel international une définition de ces actes, que l'on trouve à l'article 10bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle [12]. En droit belge, ces exigences font, comme déjà rappelé, l'objet de dispositions précises rassemblées au sein de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce.

Doit-on pour autant accepter que dès lors qu'une action engagée devant les juridictions belges est fondée sur une disposition de cette loi, il s'impose d'utiliser l'article 6 § 1 du Règlement Rome II pour déterminer le droit applicable?

Cette méthode soulève une difficulté importante. Si à l'origine, les dispositions de la loi du 14 juillet 1991, ou à tout le moins de la loi du 14 juillet 1971 qui l'a précédée, visaient certainement la concurrence déloyale, ou ce que les juristes allemands appellent le “Lauterkeitsrecht”, par opposition au “Kartellrecht”, cette législation présente aujourd'hui un visage différent.

C'est qu'en réalité, les objectifs poursuivis par la loi de 1991 dépassent de loin la simple répression de la concurrence déloyale. Il suffit pour s'en convaincre de se reporter à l'intitulé de la loi. L'Exposé des Motifs qui a précédé l'adoption de la loi confirme d'ailleurs que celle-ci avait pour but de “garantir une concurrence loyale dans les transactions commerciales [et] d'assurer l'information et la protection du consommateur à l'égard des opérations commerciales les plus courantes” [13]. Le caractère hybride de la loi de 1991, qui vise à la fois les relations entre commerçants et les rapports commerçant-consommateur pourrait dès lors faire hésiter quant à l'application de l'article 6 § 1 à une action fondée sur une disposition de la loi de 1991 dont le but avoué est de protéger les intérêts des consommateurs. N'enseigne-t-on pas que les normes relatives à la loyauté de la concurrence ont pour objectif de protéger les entreprises contre certains moyens déloyaux utilisés par d'autres [14]? L'on peut prendre comme exemple l'obligation d'information au consommateur imposée par l'article 30 de la loi. L'on ne peut nier que cette obligation bénéficie en premier lieu aux consommateurs qui puisent dans cette disposition le droit d'être pleinement informés. Une action fondée sur le non-respect de cette disposition peut-elle dès lors prétendre bénéficier du rattachement mis en place par l'article 6 § 1?

Même si le concept clé de l'article 6 § 1 est celui d'acte de concurrence déloyale [15], cette disposition se prête néanmoins à notre avis sans difficulté à une application aux relations entre consommateurs et commerçants. Pour définir le champ concurrentiel visé, la Commission a en effet mis en relief un triple objectif visé par les règles du droit de la concurrence: protéger les concurrents, mais aussi les consommateurs et donc le public en général [16]. C'est ce que rappelle le préambule du règlement qui souligne que les règles en matière de concurrence déloyale visent à protéger non seulement les concurrents mais aussi les consommateurs [17]. Ceci explique que l'article 6 § 1 lui-même fait référence aux “intérêts collectifs des consommateurs”. La concurrence déloyale doit dès lors s'entendre dans une version large, qui comprend également les normes de bon comportement vis-à-vis des consommateurs [18]. Au demeurant il est généralement accepté aujourd'hui que la lutte contre la déloyauté commerciale possède également une dimension sociale: au-delà de l'intérêt particulier des “boutiquiers”, c'est l'intérêt général qui est servi par les normes visant à assurer l'égalité des conditions de concurrence sur le marché. Si l'on revient à l'obligation d'information imposée par l'article 30 de la loi du 14 juillet 1991, l'on ne peut nier que cette obligation bénéficie en premier lieu aux consommateurs qui puisent dans cette disposition le droit d'être pleinement informé. La méconnaissance de cette disposition par un commerçant peut cependant également être combattue par un concurrent puisqu'elle procure un avantage indu au commerçant qui néglige d'informer pleinement le consommateur. Dans cette mesure la pratique incriminée tombe également dans le § 1 de l'article 6.

Par ailleurs le fait que certaines dispositions de la loi du 14 juillet 1991 qui visent prétendument à garantir la concurrence loyale, s'avèrent en réalité constituer des barrières protégeant le commerce établi contre l'innovation [19], ne disqualifie pas pour autant ces dispositions. La concurrence déloyale visée par l'article 6 § 1 du règlement se distingue précisément des actes restreignant la concurrence qui constituent le second pilier de l'article 6. L'on ne saurait dès lors prétendre qu'une action fondée sur une disposition de la loi du 14 juillet 1991 ne peut être appréciée sur base de l'article 6 § 1 au motif que l'application de la disposition en question se révélerait être anticoncurrentielle.

Au total, la première catégorie retenue par l'article 6 s'avère d'une grande ampleur. Il suffit de consulter la jurisprudence qui a précédé l'adoption du règlement pour constater la diversité des pratiques déloyales visées. Parmi les exemples de comportements pouvant donner lieu à une action fondée sur le caractère déloyal de la concurrence, l'on trouve:

    • la commercialisation d'un type particulier de verre à bière qui constitue la réplique quasi exacte d'un verre à bière protégé par une marque Benelux [20];
    • l'enregistrement d'un nom de domaine dans le but d'attirer la clientèle d'un concurrent sur son propre site [21];
    • l'envoi à des consommateurs de catalogues assortis de jeux promotionnels faisant croire au destinataire qu'il a gagné un montant important alors qu'en réalité le prix vanté n'était pas attribué [22];
    • la publication et la vente d'un magazine culinaire sous un nom identique à celui d'un autre magazine également spécialisé dans cette matière [23].

    Une dernière question mérite d'être soulevée. Une partie peut-elle échapper à l'application de l'article 6 en alléguant que la pratique incriminée dont elle est à l'origine, ne revêt pas un caractère déloyal? Imaginons une entreprise belge assignée devant les juridictions du Royaume par un concurrent néerlandais qui lui reproche un comportement anticoncurrentiel déployé sur le territoire des Pays-Bas. Le choix de la règle de rattachement pertinente ne peut pas dépendre d'un accord entre les parties sur le caractère déloyal de la pratique visée. Si, au terme d'une appréciation générale fondée sur les faits invoqués par les parties, le tribunal aboutit à la conclusion qu'il y a matière à concurrence déloyale, l'application de l'article 6 s'impose. C'est sur base du droit que cette disposition déclare applicable qu'il appartiendra à la juridiction saisie d'apprécier le caractère déloyal de la pratique incriminée. Toute autre solution mettrait en péril l'application de l'article 6.

    (ii) Les actes restreignant la concurrence

    À côté des pratiques déloyales, l'article 6 vise également les actes restreignant la concurrence. Le considérant n° 22 du préambule précise que sont visées par cette seconde catégorie les “infractions au droit de la concurrence tant national que communautaire”. On trouve une description plus précise du champ d'application de cette catégorie au considérant n° 23 du préambule. Il y est fait État de ce que la notion de restriction de la concurrence s'entend de l'ensemble des pratiques visées par les articles 81 et 82 du traité, à savoir les accords entre entreprises et pratiques concertées qui ont pour objet de restreindre le jeu de la concurrence et l'abus de position dominante [24].

    Selon le considérant n° 23 ces pratiques ne sont visées que dès lors qu'elles ont un effet sur le marché intérieur ou dans un État membre. Faut-il en déduire que l'article 6 ne pourrait pas trouver à s'appliquer lorsqu'une entreprise belge est accusée d'avoir participé à une entente ou d'avoir abusé de la position dominante qu'elle possède sur un marché extra-européen [25]? Cette limitation que semble suggérer le préambule tranche singulièrement avec le caractère universel des règles de rattachement clairement affirmé par l'article 3 du règlement. Si elle devait se vérifier, elle rejoindrait la réticence traditionnellement observée face à l'application des dispositions étrangères du droit de la concurrence [26]. Cette réticence nous semble aujourd'hui dépassée dès lors qu'un très grand nombre de pays se sont dotés au cours des dernières décennies d'une législation visant à protéger la concurrence et que l'on constate une grande similarité, du moins dans les principes entre ces législations [27]. Il nous semble dès lors que l'on ne peut refuser de prendre en compte au titre de l'article 6 l'application d'un autre droit de la concurrence que celui applicable au sein de l'Union européenne ou d'un État membre.

    Encore faut-il s'entendre sur le contexte dans lequel interviendra la règle de rattachement européenne. Il n'est pas question d'utiliser l'article 6 pour déterminer l'application dans l'espace des règles de concurrence proprement dites. Il y a là une tâche pour les règles d'applicabilité propres à cette matière [28]. De façon plus modeste, le champ privilégié d'application de l'article 6 tient aux obligations non contractuelles résultant d'un acte restreignant la concurrence dans la mesure où ces obligations relèvent de la matière civile et commerciale, comme le précise l'article 1, 1° du règlement.

    Ce qui est visé en premier lieu, c'est dès lors ce que l'on appelle le “private enforcement” du droit de la concurrence, c'est-à-dire les actions privées fondées sur les normes de ce droit. On pense en particulier à l'action en réparation du préjudice engagée par une partie qui se prétend victime d'une pratique anticoncurrentielle [29]. Ce type d'action suit la constatation par les autorités compétentes d'une atteinte au droit de la concurrence. La puissance et l'attraction très forte qu'exerce l'arsenal administratif chargé de veiller au bon respect des règles de concurrence, explique que ce contentieux proprement délictuel n'ait pas jusqu'à présent connu de développement substantiel. L'on sait que la Commission réfléchit aux raisons de cette faible utilisation de l'action en dommages et intérêts qu'elle souhaite promouvoir [30]. Voilà en tout cas un champ d'action appelé à se développer à l'avenir et qui entre pleinement dans les hypothèses visées par l'article 6 § 3 [31].

    Qu'en est-il des actions qui mettent en jeu les règles du droit de la concurrence mais se développent dans un contexte contractuel? L'on pense par exemple à l'action engagée par une partie qui s'est portée acquéreur d'une entreprise, contre le vendeur auquel elle reproche de ne pas respecter la clause de non-concurrence qui figure dans le contrat de cession. Le vendeur peut tenter d'échapper à l'obligation de non-concurrence en alléguant que celle-ci dépasse les limites imposées par le droit de la concurrence [32]. Ou encore à l'action d'une partie qui entend faire respecter les dispositions d'un accord de distribution sélective et qui se voit répliquer que ces dispositions ont un effet anticoncurrentiel tel qu'elles sont frappées de nullité [33]. Dans les deux cas, c'est la validité du contrat qui est au centre des débats. Tel qu'il est invoqué, le droit de la concurrence ne fait pas naître dans ces hypothèses d'obligation non contractuelle au sens de l'article 6 du règlement. Tout au plus sert-il de moyen de défense contre une action fondée sur un contrat [34]. Dans cette mesure le recours à l'article 6 doit être exclu. Il faut au contraire préférer l'application de la lex contractus, seule à même de déterminer l'impact du droit de la concurrence sur le contrat [35]. Cette même lex contractus devra se prononcer sur les éventuelles restitutions qui pourraient être la conséquence de la nullité du contrat.

    L'appréciation est plus délicate lorsqu'un tiers à un contrat invoque la nullité de celui-ci au motif qu'il serait contraire au droit de la concurrence. L'exemple type est celui de l'action engagée par un producteur qui a mis sur pied un système de distribution sélective, contre un tiers accusé de tierce complicité parce qu'il aurait participé avec un des distributeurs au sabotage du système de distribution. Outre l'action contractuelle qu'il peut engager contre son cocontractant, le producteur peut tenter de mettre en cause la responsabilité du tiers qui s'est porté acquéreur des produits litigieux auprès du cocontractant. Le tiers pourrait essayer d'échapper à la responsabilité qu'on lui impute en se fondant sur le caractère anticoncurrentiel du système de distribution exclusive [36]. En l'absence de relation contractuelle entre le producteur et le tiers, l'action engagée par le premier est clairement de nature délictuelle. Il n'en reste pas moins que le droit de la concurrence n'est pas invoqué dans cette configuration en tant qu'il créerait une obligation non contractuelle résultant d'un acte restreignant la concurrence. Au contraire, l'obligation non contractuelle éventuellement à charge du tiers aurait pour seul fondement le non-respect de l'accord contractuel. Dans cette mesure l'application de l'article 6 nous semble devoir également être exclue.

    Il n'est pas contestable que le droit de la concurrence visé par l'article 6 § 3 s'entend des dispositions visant les ententes et pratiques concertées d'une part et l'abus de position dominante d'autre part. Si les juristes formés au droit belge sont habitués à distinguer ces dispositions, qui font d'ailleurs l'objet d'une législation particulière, des règles relatives à la concurrence déloyale, il n'en reste pas moins que l'ensemble de ces règles entretiennent des rapports étroits [37]. Le refus de vente illustre parfaitement cet État de fait. Cette pratique peut être sanctionnée sur base des dispositions de la loi sur les pratiques du commerce [38]. Elle peut également l'être en s'appuyant sur l'article 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique.

    On peut dès lors s'interroger sur la qualification qui s'impose vis-à-vis d'une telle pratique. La ligne de séparation avec les dispositions protégeant le caractère loyal de la concurrence est à dire vrai délicate à tracer. Quelle est en réalité la différence entre une disposition qui vise à protéger le caractère loyal de la concurrence et une disposition dont l'objectif est de garantir une concurrence libre? Ne dit-on pas d'ailleurs des dispositions de la LPCPC qu'elles visent à protéger la concurrence?

    Sans doute pourrait-on accepter que les dispositions qui font partie de la seconde catégorie, sont celles qui sont plus directement liées à un objectif macro-économique, celui d'assurer le fonctionnement concurrentiel du marché [39]. Par opposition, les règles tombant sous le coup de la première catégorie n'auraient pour objectif que de protéger les entreprises (et les consommateurs) contre l'utilisation de moyens déloyaux. Cette démarche est toutefois difficile à mettre en oeuvre en pratique, à défaut d'une connaissance particulière de l'économie de la concurrence.

    Un autre critère de distinction pourrait également servir: alors que les règles relatives à la liberté de concurrence sont principalement mises en oeuvre par des autorités administratives - l'on pense en Belgique au Conseil de la concurrence [40] - les règles imposant le respect d'une loyauté commerciale sont du ressort des juridictions ordinaires. En réalité, ce critère de distinction n'est pas absolu. Dans l'ordre juridique interne, la ligne de démarcation est bien connue: les autorités administratives chargées de faire respecter la libre concurrence ne sont pas compétentes en matière de concurrence déloyale et d'actes contraires aux usages honnêtes en matière commerciale, comme par exemple les ventes à perte ou la publicité comparative. Dans l'autre sens, rien n'empêche une juridiction ordinaire de connaître d'une demande de dommages et intérêts fondée sur un abus de puissance économique au sens de l'article 3 de la loi sur la protection de la concurrence économique. À l'échelon communautaire, l'on notera d'ailleurs que les juridictions nationales sont encouragées par les autorités communautaires à tirer les conséquences civiles des interdictions posées dans le traité [41].

    En réalité, même à l'aide de ces critères, la ligne de séparation ne semble pas être étanche. Pourrait-on envisager de défendre que si l'action est fondée uniquement sur les dispositions de la loi sur la protection de la concurrence économique, c'est l'article 6 § 3 qui doit s'appliquer, alors que l'article 6 § 1 régirait les actions vantant la violation d'une disposition de la loi sur les pratiques du commerce? Une telle démarche nous semble source de confusion.

    L'on sait en effet que l'action en cessation instaurée par la loi sur les pratiques du commerce peut utilement servir pour faire respecter d'autres normes que celles faisant partie de cette loi. Parmi les normes dont la sanction peut s'appuyer sur l'action en cessation figurent les interdictions imposées par la loi sur la protection de la concurrence économique. Comme l'écrit M. Stuyck, “Puisqu'une violation de la LPCE (et des art. 81 et 82) constitue un acte contraire aux usages honnêtes, toute personne lésée par cette violation (concurrent ou consommateur) peut en demander la cessation en vertu de l'article 93 ou de l'article 94 de la LPCC” [42]. L'action en cessation visant un refus de vente illustre parfaitement cette possibilité.

    Que faut-il penser d'une telle action sous l'angle de l'article 6 du Règlement Rome II? Il nous semble difficilement acceptable de s'en tenir à la seule circonstance que l'action est fondée sur une disposition de la loi sur les pratiques du commerce pour retenir la première règle de rattachement. Au contraire, la distinction qu'opère l'article 6 commande de s'interroger sur la substance de l'action en cause. Dès lors que l'action en cessation prévue par la loi sur les pratiques du commerce n'est utilisée que comme véhicule pour sanctionner un comportement portant atteinte à la concurrence, la dimension concurrence déloyale nous semble devoir passer au second plan [43].

    II. La détermination du droit applicable

    Il ne suffit pas de déterminer quelles sont les actions visées par l'article 6 du règlement. Les règles de rattachement retenues par le législateur européen appellent également des commentaires sous l'angle des facteurs de rattachement retenus.

    Il faut tout d'abord trancher une question préalable. Selon le considérant n° 21 du préambule, la règle spéciale prévue à l'article 6 ne déroge pas à la règle générale énoncée à l'article 4. Elle en constituerait uniquement une précision [44]. Il ne faut sans doute pas prendre cette indication de façon littérale: certes, il existe un rapport étroit entre la règle générale et la règle spéciale prévue à l'article 6. D'ailleurs, l'article 6 § 2 fait référence à la règle générale pour l'hypothèse particulière de la pratique déloyale visant un concurrent déterminé. Il n'en reste pas moins que l'article 6 constitue une règle indépendante qui peut et doit être appliquée en tant que telle. Il n'est à notre estime pas permis de revenir à la règle générale au mépris des indications fournies à l'article 6 [45].

    Une seconde précision préalable s'impose. L'article 6 § 4 du règlement interdit les accords sur le choix de la loi. Cette restriction apportée à l'autonomie de la volonté reconnue par ailleurs à l'article 14 du règlement, se comprend aisément puisque les questions visées par l'article 6 intéressent directement l'intérêt général. En pratique l'exclusion des accords sur la loi applicable n'aura cependant qu'une portée limitée. Dans la majorité des cas, les parties concernées par les obligations non contractuelles visées par l'article 6 n'auront en effet pas de contacts préalables, ce qui rendra impossible la conclusion d'un accord sur le choix de la loi applicable. Certes, l'article 14 autorise les parties à désigner la loi applicable après la naissance du litige. L'on conviendra qu'en pratique la conclusion d'un accord de ce type sera rendue difficile, voire impossible en raison de la dimension conflictuelle des relations entre parties.

    Il faut noter que l'interdiction d'accords sur la loi applicable s'étend à l'ensemble des situations visées par l'article 6. A priori, cette interdiction vaut dès lors également lorsque l'action repose sur un acte de concurrence déloyale qui affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé [46]. Une autre lecture est toutefois possible, qui prend appui sur la référence faite par l'article 6 § 2 aux dispositions de l'article 4 du règlement. Cette référence pourrait en effet se comprendre comme excluant l'application à ce type d'action du régime spécifique prévu à l'article 6. L'on retomberait alors sur le droit commun des délits mis en place par le règlement, droit commun qui comprend incontestablement la possibilité pour les parties de déterminer la loi applicable. Cette interprÉtation, proposée par certains commentateurs [47], nous semble malheureusement exclue par les termes fort généraux de l'article 6 § 4. On peut le regretter, comme on peut regretter que le règlement n'ait pas prévu une règle de rattachement accessoire comme celle qui figure à l'article 100 du Code de droit international privé.

    (i) Les actes de concurrence déloyale

    L'article 6 § 1 du règlement prévoit une première règle particulière pour les obligations non contractuelles nées d'actes de concurrence déloyale. Pour l'élucidation du droit applicable à ces obligations, une distinction doit être faite entre deux hypothèses. La règle applicable diffère en effet selon que l'acte de concurrence déloyale affecte un ensemble indéterminé de concurrents (A) ou n'est au contraire pertinent que pour un concurrent déterminé (B).

    A. Acte de concurrence déloyale portant atteinte à des intérêts collectifs

    L'article 6 § 1 fait confiance à la loi du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés par l'acte de concurrence déloyale. Au-delà de la formule choisie, c'est bien la loi du marché pertinent qui est retenue [48], comme l'avait souhaité une partie importante de la doctrine [49]. Il est inutile de revenir sur la justification de ce rattachement, si ce n'est pour souligner une parenté certaine avec le rattachement au dommage auquel la règle générale du règlement accorde une place prééminente. Comme on a pu le noter, le dommage dont réparation est demandé, se confond en effet souvent avec l'effet anticoncurrentiel qui affecte un marché [50].

    Avant de s'interroger sur l'efficacité du rattachement retenu par le législateur européen, il importe de souligner qu'en optant pour la méthode conflictuelle, le règlement limite sensiblement une pratique bien établie en Belgique. La pratique des juridictions belges était en effet bien établie en ce sens que les dispositions de la loi sur les pratiques du commerce étaient généralement considérées comme s'imposant au titre de loi d'application immédiate [51].

    Une telle qualification, qui a donné lieu à d'importants débats en doctrine [52], nous semble dorénavant plus difficile à retenir. Par essence l'adoption par un ordre juridique d'une loi d'application immédiate écarte en effet le jeu normal de la règle de rattachement. Le législateur européen ayant opté pour une méthode conflictuelle, la Belgique peut plus difficilement revendiquer l'application de ses propres dispositions au titre de loi d'application immédiate en excluant ab initio la prise en compte de dispositions d'autres États membres au titre de l'article 6.

    Certes l'article 16 du règlement prévoit que les États membres conservent la possibilité de donner effet à leurs “dispositions impératives dérogatoires”. Comment ne pas voir cependant que la préférence accordée de façon systématique aux dispositions du for en matière de concurrence déloyale réduirait sensiblement le champ d'action de l'article 6, voire même l'exclurait? L'adoption même par le législateur européen d'une règle de rattachement visant la concurrence déloyale traduit à notre sens l'idée d'une équivalence de principe d'ensemble des législations nationales relatives à cette matière. Cette équivalence n'est pas absolue et n'empêche nullement un État de privilégier, pour une question donnée, les dispositions de sa législation. Il doit cependant pour ce faire renverser le principe d'équivalence, ce qui ne se conçoit qu'à propos de situations bien définies. Concrètement, l'adoption d'une règle européenne de rattachement visant la concurrence déloyale impose d'abandonner toute prétention visant à qualifier globalement les dispositions de la loi sur les pratiques du commerce et à considérer cette loi dans son ensemble comme source de dispositions d'application immédiate. Une telle démarche n'est pas exclue mais ne peut être envisagée qu'à propos de dispositions considérées ut singuli [53].

    Au demeurant, l'adoption par le législateur belge, dans le Code de droit international privé, d'une règle spéciale de rattachement visant la concurrence déloyale et les pratiques commerciales restrictives avait déjà eu un effet similaire [54]. L'on notera en outre que la pratique des juridictions belges était à bien des égards équivoque: sous couvert d'une qualification des dispositions pertinentes comme étant d'application immédiate, les juridictions belges aboutissaient en réalité à considérer ces dispositions comme des lois de police.

    Si l'on examine maintenant le rattachement retenu par l'article 6 § 1, force est de constater qu'il est susceptible d'apporter une nette amélioration par rapport aux pratiques acceptées. L'on sait que la jurisprudence belge avait greffé la détermination de la loi applicable aux pratiques de concurrence déloyale sur la règle classique lex loci delicti. Sur cette base, les tribunaux retenaient l'application de la loi belge dès lors qu'une partie des actes incriminés avaient été commis en Belgique. Par extension, l'application de la loi belge était également retenue lorsque le dommage se localisait en Belgique [55].

    Cette approche se révélait difficile à mettre en oeuvre en pratique. Elle permettait par ailleurs une application extensive de la loi belge à des pratiques ne présentant qu'un lien relativement faible avec le territoire belge [56].

    En privilégiant la loi du marché, l'article 6 § 1 apporte au contraire tout d'abord une plus grande lisibilité et prévisibilité au contentieux. Le moins que l'on puisse dire est en effet que la jurisprudence ne brillait pas par sa cohérence. Le seul repère dont disposait les praticiens était en réalité la certitude que les juridictions n'hésitaient pas à appliquer les dispositions de la loi belge, même en l'absence de liens significatifs avec la Belgique. En outre la formule retenue par le règlement nous semble plus précise que celle proposée par la doctrine et retenue dans certaines codifications nationales. Le concept de “marché” se laisse en effet certes facilement définir, comme le lieu où l'offre et la demande se rencontrent, c'est-à-dire le lieu où les agents économiques entrent en lutte pour convaincre des consommateurs. Il n'en demeure pas moins d'un maniement imprécis, notamment parce qu'un marché ne coïncide pas nécessairement avec les frontières d'un État. La définition plus précise retenue à l'article 6 § 1 doit dès lors être préférée, qui retient l'idée du rattachement au marché tout en adoptant une terminologie plus conforme à la technique de rattachement [57].

    Outre cette plus grande lisibilité, le grand mérite du rattachement à la loi du marché est de mettre fin à certains excès que l'on rencontrait parfois en jurisprudence. On pense notamment à la volonté de certaines juridictions de permettre l'application de la loi belge dès lors que la pratique déloyale incriminée produisait en Belgique des effets, par exemple parce que les concurrents lésés y étaient établis. L'on trouve un exemple frappant de cette conception fort large dans l'affaire des bières trappistes [58], dans laquelle un groupe de brasseurs belges entendait dénoncer la commercialisation aux États-Unis par un autre brasseur belge, de bières sous une dénomination qui n'était pas sans rappeler les bières trappistes bien connues. Le tribunal a dans cette affaire retenu l'application de la loi sur les pratiques du commerce au motif que la défenderesse produisait en Belgique les bouteilles de bière destinées au marché américain et que c'est également en Belgique que les demanderesses subissaient un dommage. Si cette affaire devait être jugée à l'aune de l'article 6 du Règlement Rome II, il faudrait constater que seul le marché américain, où les bouteilles litigieuses étaient commercialisées, est concerné. La loi belge n'aurait dès lors plus de titre à s'appliquer [59].

    À chaque fois que le litige oppose des concurrents à propos de pratiques déployées sur le territoire d'un autre État que le for, l'article 6 § 1 offrira une solution plus respectueuse du principe de proximité que l'approche retenue par certaines juridictions belges. À ce titre le choix du rattachement au marché reçoit une formulation judicieuse.

    Il reste qu'un des champs privilégiés du contentieux de la concurrence déloyale est celui des pratiques qui affectent plusieurs marchés [60]. Il n'est pas certain que sur ce terrain l'article 6 § 1 apporte une solution facile à mettre en oeuvre. Prenons l'exemple de la récente affaire des jeans Seven 7 qui a opposé devant les juridictions belges une entreprise belge et une entreprise américaine. La première se plaignait de la publication par son concurrent de publicités pour des jeans dont elle alléguait qu'elles étaient source de confusion et trompeuses [61]. Les avis publicitaires étaient parus dans des journaux spécialisés, l'un publié en France et l'autre aux Pays-Bas. Le tribunal a refusé de faire droit à la demande d'application des dispositions pertinentes de la loi sur les pratiques du commerce, au motif que les pratiques visées n'avaient pas été commises en Belgique. Aux yeux du tribunal, ce lieu était celui où était établi l'éditeur des publications visées. Par ailleurs, dans cette même décision, le tribunal a refusé de considérer que le dommage prétendument subi devait être localisé en Belgique.

    Dans cette hypothèse, la concurrence n'était pas limitée au seul territoire belge. Au minimum, c'est l'ensemble du territoire Benelux qui formait l'enjeu du conflit entre parties, sans compter la France où une des publicités litigieuses avait fait l'objet d'une publication. Il y a dès lors plus d'un pays sur le territoire duquel les relations de concurrence sont affectées. Il en ira de même dans le prototype classique des affaires de concurrence déloyale transfrontière, à savoir l'exemple des dépliants publicitaires diffusés par un concurrent français sur le territoire belge. Dans une de ces espèces [62], le président du tribunal de commerce de Tournai a estimé que les dispositions pertinentes de la loi sur les pratiques du commerce s'appliquaient “pour toutes les publicités qui sont distribuées en Belgique” et ce “sans aucune distinction quant à l'origine de la publicité”. Toujours selon le président, le fait que les supermarchés français se contentaient de diffuser de la publicité en Belgique sans y procéder à une quelconque vente, ne pouvait suffire à exclure l'application de la loi sur les pratiques du commerce [63].

    La solution retenue avait au moins le mérite de la clarté [64]. Il n'est pas certain que l'article 6 § 1 permette de trancher le litige aussi clairement. Quel est en effet “l'environnement économique” des personnes concernées, dans lequel il importe de garantir l'égalité de traitement des acteurs [65]? À défaut d'indications sur cette question dans le texte [66], l'on est contraint de procéder à une application distributive des lois de chacun des marchés concernés [67]. L'on conviendra que la solution est loin de satisfaire tant elle est susceptible d'alourdir la conduite des procès. Force est toutefois de constater qu'elle se situe dans la logique de l'adoption de la loi du marché concerné [68]. Sans doute l'harmonisation progressive des normes applicables permettra-t-elle d'adoucir les difficultés qu'entraîne la technique distributive.

    B. Acte de concurrence déloyale affectant exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé

    Lorsque l'acte incriminé n'affecte qu'un seul concurrent, l'article 6 § 2 fait confiance au principe général retenu à l'article 4. C'est donc la loi du pays où le dommage survient qui est décisive pour la détermination du droit applicable [69]. Comme pour les autres délits soumis à la règle générale, la loi de la résidence habituelle commune des parties intéressées l'emporte sur la loi du pays du dommage (art. 4 § 2). Enfin, la clause spéciale d'exception prévue à l'article 4 § 3 pourra jouer dans les hypothèses particulières qu'elle vise [70].

    La référence à la règle générale de rattachement pour l'hypothèse particulière de la concurrence déloyale affectant un commerçant déterminé, semble faire droit, dans une certaine mesure, à certains critiques qui se sont interrogés sur la nécessité et l'opportunité d'une règle particulière pour la concurrence déloyale [71]. L'on admettra sans difficulté que la loi du marché peut conduire à des résultats insatisfaisants, notamment sous l'angle de l'impératif de proximité, lorsque seules deux entreprises spécifiques sont concernées [72]. C'est ce qui explique d'ailleurs que d'autres législations aient également prévu une règle particulière pour les cas d'espionnage industriel, de boycottage ou encore de détournement de knowhow [73]. À ce titre, il faut se féliciter que les auteurs du règlement aient eu la modestie de ne pas chercher à imposer dans toutes circonstances le rattachement spécial retenu à l'article 6 § 1.

    L'approche retenue par le législateur européen offre cependant un avantage considérable que n'aurait pas permis d'atteindre un retour général à la règle de principe pour toutes les hypothèses de concurrence déloyale. Cet avantage est celui de la supériorité du rattachement retenu à la règle spéciale prévue à l'article 6 § 1 sur celui qui figure en première place à l'article 4 - du moins lorsque plusieurs entreprises sont concernées. Certes dans bien des cas, il n'y aura pas de différence entre les deux, puisque le marché sera bien souvent le lieu où intervient le dommage. Le concept de dommage est toutefois susceptible d'importantes dérives, que ne peut prévenir la seule exclusion, par l'article 4 § 1 du règlement, de toute prise en compte des conséquences indirectes du fait dommageable. Ces dérives se manifestent notamment lorsque le fait dommageable ne provoque qu'un dommage purement patrimonial, comme une perte de revenus [74]. Il ne s'agit pas dans ce cas d'une conséquence “indirecte”, exclue du rattachement général. Il s'agit au contraire de la seule conséquence directe du fait dommageable. Permettre que le rattachement soit fondé sur cet élément, pourrait donner trop de prise sur la détermination du droit applicable au concurrent qui se prétend lésé.

    Dans cette mesure, la solution retenue par le législateur européen, qui retient un rattachement particulier tout en conservant la règle générale dans l'hypothèse des relations de concurrence individualisées, doit être approuvée. Elle permettra par exemple, lorsqu'une entreprise néerlandaise met au point un logiciel spécialement conçu pour le marché chinois et qu'un concurrent également établi aux Pays-Bas commercialise peu après une copie de ce logiciel, de retenir l'application du droit néerlandais alors même qu'il est incontestable que le marché visé est le marché chinois. Dans la mesure où les deux concurrents sont établis aux Pays-Bas, le droit de ce pays l'emporte en vertu de la règle générale [75].

    Les hypothèses visées par la règle particulière sont bien connues. Il peut s'agir de débauchage d'employés, d'espionnage d'un concurrent donné ou encore de dénigrement d'un concurrent spécifique. Compte tenu du caractère dérogatoire de cette règle, il est sans doute préférable de ne pas l'appliquer lorsqu'existe un doute sur la question de savoir si plus d'un concurrent est concerné par une pratique dénoncée par un justiciable. Imaginons une campagne de publicité déployée par un transporteur aérien qui critique, sur un mode ludique, les conditions de transport pratiquées par un concurrent spécialiste des voyages à bas prix. Sans viser nommément un concurrent précis, la campagne est conçue de manière telle que les consommateurs identifient sans peine le concurrent dont les pratiques sont critiquées. Ce dernier pourrait-il pour autant réclamer le bénéfice de l'article 6 § 2? Encore faudra-t-il démontrer qu'il était le seul visé, à l'exclusion des autres transporteurs pratiquant également une politique tarifaire similaire. Une question identique peut se poser lorsque l'une des entreprises concurrentes impliquées dans le litige, se présente en réalité comme un groupe de sociétés, dont plusieurs sont à la cause. Sans doute faut-il entendre le “concurrent déterminé” visé par l'article 6 § 2 comme faisant référence à l'entreprise au sens de participant au marché. Que cette entreprise exerce ses activités par le biais de plusieurs personnes juridiques indépendantes ne nous semble pas de nature à remettre en question l'application de l'article 6 § 2.

    (ii) Les actes restreignant la concurrence

    L'article 6 § 3 du règlement vise en particulier les actes restreignant la concurrence. La règle se décompose en deux éléments: à côté d'un rattachement de principe à la loi du pays dans lequel le marché est affecté, l'article 6 § 3, b) prévoit une règle particulière lorsque plusieurs marchés nationaux sont affectés.

    La première règle n'appelle que peu de commentaires. Elle ne pourra en réalité fonctionner que si les pratiques concernées se déploient dans un secteur où les frontières nationales sont encore très vivaces. L'on pense à un abus de position dominante sur un marché de consommation, par exemple celui des services bancaires, où les frontières nationales demeurent vivaces. La demande en dommages et intérêts du concurrent dont les activités ont été affectées par l'abus de position dominante devra être appréciée selon les règles du droit local. Avec le développement toujours croissant du marché intérieur européen, il est inutile de souligner que cette règle devra de plus en plus souvent céder la place au mécanisme particulier mis en place pour les situations dans lesquelles plusieurs marchés nationaux sont affectés.

    L'article 6 § 3, b) vise l'hypothèse dans laquelle le marché de plusieurs pays est concerné. La règle proposée est complexe, à l'image des comportements qu'elle entend régir.

    Pour illustrer son fonctionnement, il suffit d'imaginer l'action en dommages et intérêts que pourrait engager les victimes d'un des cartels dénoncés et réprimés par les autorités européennes de la concurrence. L'affaire Provimi soumise aux juridictions anglaises constitue une excellente illustration. Dans cette affaire, plusieurs entreprises qui s'estimaient victimes de ce qu'il est convenu d'appeler le “cartel des vitamines” réclamaient des dommages et intérêts du groupe Hoffman-La Roche qui avait été reconnu coupable d'infraction au droit des ententes commerciales [76]. Les demandeurs étaient établis en Allemagne alors que les sociétés visées l'étaient en Suisse [77].

    Dans ce cas de figure, il est illusoire de prétendre identifier un marché pertinent qui serait décisif pour la détermination du droit applicable. Il faut au contraire constater que le marché concerné s'étend sur le territoire de plusieurs États. À l'application pure et simple de la méthode distributive, l'article 6 § 3, b) préfère une autre solution, plus facile à manier en pratique. Le principe retenu veut que les comportements incriminés soient appréciés sur base de la lex fori, pour autant du moins que le marché de l'État de la juridiction saisie compte parmi ceux qui sont affectés “de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence”.

    Une bonne compréhension de cette règle suppose que l'on tienne compte du choix offert aux justiciables par les règles de compétence [78]. S'agissant de litiges commerciaux, la détermination de la compétence est le privilège du règlement 44/2001. Celui-ci permet à un demandeur qui se prétend lésé par un comportement anticoncurrentiel de saisir les juridictions de l'État où se situe le domicile du concurrent (art. 2) - quitte à attraire devant ce même tribunal d'autres défendeurs qui se rendent coupables des mêmes comportements [79]. La victime peut également saisir les juridictions de l'État où est localisé le comportement anticoncurrentiel, au titre de l'article 5, 3° du règlement 44/2001 - par exemple le lieu où les entreprises concernées se sont concertées pour arrêter une politique commune de prix [80].

    Ce choix ne sera pas sans conséquence sur la loi applicable: si l'action est portée devant le tribunal du domicile du défendeur, la victime bénéficiera de l'application de la loi locale. Par contre l'article 6 § 3, b) reste muet sur la détermination du droit applicable lorsque l'action est portée devant le tribunal du lieu du fait dommageable. Il faut sans doute comprendre que dans ce cas, l'action sera soumise, distributivement, aux lois de chacun des marchés concernés [81]. On notera par ailleurs que l'article 6 § 3, b) n'impose nullement au demandeur l'application de la lex fori puisqu'il évoque un choix possible du demandeur pour cette option. À défaut d'un tel choix, faut-il conclure que la règle générale qui figure à l'article 6 § 3, a) est d'application? Ou faut-il en revenir à l'application distributive de la loi de chaque marché concerné? L'on reste perplexe devant le silence qu'observe le règlement sur cette question.

    Doit-on s'attendre à ce que le choix laissé au demandeur encourage le forum shopping [82]? En réalité, l'article 6 § 3, b) prévoit d'importants garde-fous qui encadrent sensiblement la liberté apparente de choix laissée au demandeur. La disposition privilégie en effet manifestement la compétence des juridictions du domicile du défendeur ou de l'un d'entre eux. Si le demandeur opte au contraire pour les tribunaux du lieu du fait dommageable, il devra subir les inconvénients d'un morcellement du contentieux. Le dommage dont il réclame réparation devra en effet être apprécié selon une loi différente selon le marché qu'il concerne. La très grande complexité que ceci peut entraîner constitue un encouragement important à saisir les juridictions du domicile du défendeur.

    Pour parfaire encore le système retenu, l'article 6 § 3, b) limite le bénéfice du choix accordé au demandeur par l'ajout d'une exigence liée à la qualité du marché dont les juridictions sont saisies. Il ne suffit pas en effet, pour bénéficier de la liberté de choisir la lex fori, et surtout pour éviter l'application “mosaïque” des lois des différents marchés concernés, de sélectionner les juridictions du domicile du défendeur ou de l'un d'entre eux. Encore faut-il que le marché sur lequel le défendeur est établi, “compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence”. L'on peut comparer cette restriction à celle apportée, par la Cour de justice dans l'affaire Shevill, à la compétence des juridictions du lieu du fait dommageable [83]. L'on sait que dans cette affaire, la Cour avait limité la compétence des autres juridictions que celle de l'établissement de l'éditeur de la publication diffamatoire au dommage “local” causé dans l'État de la juridiction saisie. Au contraire, les juridictions du lieu d'établissement de l'éditeur se voyaient reconnaître une compétence générale pour réparer l'intégralité du dommage. Le mécanisme se retrouve, mutatis mutandis, dans la restriction apportée par l'article 6 § 3, b) à l'application de la loi de la juridiction saisie.

    Pour en revenir à l'affaire Provimi, il faudra déterminer si le marché anglais constituait effectivement l'un des marchés touchés directement et substantiellement par le cartel des vitamines. L'on aperçoit immédiatement que l'application du mécanisme mis en place par l'article 6 § 3, b) appellera souvent des débats importants et complexes. À ce propos, l'on notera que le texte reconnaît expressément qu'un même comportement anticoncurrentiel peut avoir des effets substantiels sur plusieurs marchés.

    En guise de conclusion

    Au total, l'article 6 du règlement constitue une combinaison complexe de normes dont il est certain que la présente contribution n'a pas révélé l'ensemble des secrets. Il faut se féliciter que le Règlement Rome II offre aux praticiens une norme particulière qui tient compte de la dimension spécifique du contentieux de la concurrence déloyale et des restrictions de la libre concurrence. L'application pure et simple de la règle générale retenue à l'article 4 du règlement n'aurait pas permis d'évacuer les querelles sur la localisation du dommage. L'on retiendra toutefois que la nouvelle règle conserve d'importantes zones d'ombre qu'il appartient à la pratique d'éclairer.

    [1] Chargé de cours (ULg). Avocat.
    [2] Voy. récemment Prés. Comm. Louvain 19 décembre 2006, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 2006, 664 (après avoir brièvement évoqué la question de sa compétence internationale, le président apprécie la demande sur base des dispositions de la LPCPC, sans expliquer à quel titre cette loi s'applique. À la décharge de la juridiction, il n'est pas exclu que les deux parties aient conclu sur base des dispositions de la LPCPC sans évoquer la dimension conflictuelle de la question).
    [3] On retiendra, pour l'anecdote, que l'un des objectifs du règlement est précisément d'éviter les “distorsions de concurrence” entre les justiciables de la Communauté, qui pourraient résulter de l'application de règles différentes à une même situation de responsabilité délictuelle (en ce sens, considérant n° 13 du préambule).
    [4] Avant-projet de mai 2002, art. 6, publié in J.D.I. 2003, 32. Voy. les commentaires critiques de C. Nourrissat et E. Treppoz, “Quelques observations sur l'avant-projet de proposition de règlement du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles 'Rome II'”, J.D.I. 2003, (7), 29 et s.
    [5] Selon Mme Puttemans, les explications fournies dans les travaux préparatoires indiquent que seul le droit des pratiques du commerce, à l'exclusion du droit des ententes et du régime des concentrations, est visé: A. Puttemans, “Les droits intellectuels et la concurrence déloyale dans le Code de droit international privé”, R.D.C. 2005, (615), 622, n° 22.
    [6] Les difficultés de définition de la matière ont également été évoquées lors des travaux de la Conférence de La Haye relatif à un projet de convention sur la compétence. Dans une des versions du projet, étaient exclues du champ d'application les “entraves à la concurrence (anti-trust)”. Le commentaire qui accompagnait cette exclusion précisait utilement que “La proposition visant à exclure du domaine de la convention certains aspects visés aux États-Unis par l'expression anti-trust', comme les actions contre l'exercice d'un monopole, les fusions et les acquisitions qui réduisent de façon significative la concurrence, les pratiques de prix discriminatoire, d'entente de prix ou de prix imposé, les contrats d'exclusivité, a été reçue avec intérêt. D'autre part, il a été reconnu que les termes tels que concurrence déloyale' (unfair competition) est trop large puisque dans certains systèmes cela pourrait inclure des matières comme le passing off et la violation des droits d'auteur et de brevets. La difficulté consiste à trouver les termes appropriés pour définir le domaine à exclure tout en étant compréhensible au plan international.”
    [7] En outre, l'art. 6 prend bien soin de préciser dans les deux cas que seules sont visées les obligations “non contractuelles”. Ceci laisse entendre que les deux matières visées pourraient également faire naître des obligations contractuelles. L'on se reportera par priorité au futur Règlement Rome I pour déterminer le droit applicable à celles-ci.
    [8] Voy. p. ex. la liste des instruments qui figure en annexe de la directive 98/27 du 19 mai 1998 relative aux actions en cessation en matière de protection des intérêts des consommateurs (J.O.C.E. 11 juin 1998, L. 166/55).
    [9] Directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) n° 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil, J.O. L. 149/22 du 11 juin 2005.
    [10] Voy. p. ex. en France, V. Pironon, “Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence”, in S. Corneloup et N. Joubert éds.), Le Règlement communautaire 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations contractuelles, Litec, 2008, (111), 112, n° 3.
    [11] Dans la seconde version du projet, la disposition ne visait d'ailleurs que ces seules exigences. Voy. l'art. 5 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable aux obligations non contractuelles, 22 juillet 2003 (Com (2003) 427 final) qui visait “l'obligation non contractuelle résultant d'une pratique commerciale déloyale”.
    [12] Cette disposition vise “tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale”. L'on notera que la résolution adoptée par l'Institut de droit international en 1983 sur la question fait expressément référence à cette disposition pour définir son champ d'application.
    [13] Exposé des Motifs, cité par J.-L. Fagnart, “Boutiquiers et consommateurs: même combat?”, in Les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur, Bruylant, 1994, (5), 22, n° 26.
    [14] En ce sens, V. Pironon, o.c., 112-113, n° 3.
    [15] On notera que lors des discussions au Parlement européen, le rapporteur a, à plusieurs reprises, attiré l'attention sur “l'incertitude quant au champ d'application des 'actes de concurrence déloyale'”, appelant de ses voeux une définition de cette expression (voy. le rapport du 27 juin 2005 sur la proposition de règlement, A6-0211/2005, ad justification de l'amendement n° 29).
    [16] Exposé des Motifs, proposition précitée du 22 juillet 2003 (Com (2003) 427 final), p. 17.
    [17] Considérant n° 21 du préambule.
    [18] En ce sens, V. Pironon, o.c., 117, n° 9. Mme Pironon note à juste titre que “les pratiques contractuelles des professionnels envers les consommateurs relèvent bien de l'art. 6 lorsqu'elles sont poursuivies devant les tribunaux par des associations de consommateurs”.
    [19] Comme le souligne avec unanimité la meilleure doctrine. Voy. J.-L. Fagnart, o.c., 24-25.
    [20] Prés. Comm. Gand 2 mars 2006, T.G.R. 2007, 123.
    [21] Prés. Comm. Louvain 19 décembre 2006, précité.
    [22] Bruxelles 8 décembre 2005, R.D.C. 2006, 990 .
    [23] Prés. Comm. Gand 10 juillet 2006, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 2006, 714.
    [24] Le droit des aides d'État ne soulève que rarement des difficultés internationales et peut dès lors être laissé de côté. Voy. sur ce point, L. Idot, “Le droit de la concurrence”, in A. Fuchs e.a., Les conflits de lois et le système juridique communautaire, Dalloz, 2004, (255), 257, n° 4.
    [25] Il serait tout à fait possible d'attraire cette entreprise devant les juridictions belges en vertu de l'art. 2 du règlement 44/2001.
    [26] Voy. nos commentaires in “Quelques observations sur la protection internationale du consommateur en Europe et la détermination de la loi applicable à une pratique anticoncurrentielle”, R.D.C. 2006, (993), 997-998. Voy. en général sur la réticence observée à propos du droit étranger de la concurrence, C. Ryngaert, Jurisdiction over Antitrust Violations in International Law, Intersentia, 2008, chapitre 10.
    [27] Sur cette convergence, voy. les observations de L. Idot, o.c., 263-264, n° 22.
    [28] Pour une élucidation récente et magistrale de ces règles, voy. l'étude de S. Francq, L'applicabilité du droit communautaire dérivé au regard des méthodes du droit international privé, Bruylant-L.G.D.J., 2005, spéc. pp. 69-176. Selon Mme Idot, il faut considérer les règles communautaires de concurrence comme des lois de police (o.c., 278, n° 65).
    [29] Voy. J.-Cl. Fourgoux, “La réparation du préjudice des entreprises victimes de pratiques anticoncurrentielles”, J.C.P., Éd. E., 1999, 2005-2010.
    [30] Voy. successivement le Livre vert du 19 décembre 2005 de la Commission sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (Com (2005) 672 final) et le Livre blanc du 2 avril 2008 sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante (Com (2008) 165). Voy. aussi l'arrêt Courage de la Cour de justice (C.J.C.E. 20 septembre 2001, C-453/99, Courage/Crehan, Rec. 2001, I-6297) et plus récemment l'arrêt Manfredi (C.J.C.E. 13 juillet 2006, C-295-298/04, Rec. 2006, I-6619). L'on peut noter qu'alors que la Commission s'interrogeait dans le Livre vert sur la compétence et le droit applicable aux actions envisagées (§ 2.8.), cette question n'est plus abordée dans le Livre blanc. L'adoption du Règlement Rome II n'est certainement pas étrangère à ce silence.
    [31] Voy. les explications de L. Idot, o.c., 275-276, n° 56.
    [32] Voy. p. ex. Prés. Comm. Hasselt 16 février 2004, RAGB 2004, 685.
    [33] P. ex. Bruxelles 20 décembre 1995, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging 1995, 708.
    [34] Mme Idot souligne à juste titre que ce contentieux contractuel est appelé à se développer puisqu'avec l'adoption du règlement 1/2003 les juges de droit commun peuvent appliquer l'intégralité de l'art. 81 du Traité CE, en ce compris le troisième paragraphe (L. Idot, o.c., 273, n° 51).
    [35] En ce sens, L. Idot, o.c., 278, n° 66. Voy. déjà sur cette question, G. van Hecke et K. Lenaerts, Internationaal privaatrecht, E.Story-Scientia, 1989, 319, n° 680. Mme Idot note qu'en matière de nullité du contrat pour cause de contrariété à une règle de droit communautaire, le domaine de la lex contractus sera fort réduit puisque le droit communautaire précise déjà que la nullité est absolue et qu'elle doit agir rétroactivement. Ne demeure dès lors que la question de l'étendue de la nullité: celle-ci se limite-t-elle à la clause litigieuse ou porte-t-elle sur l'ensemble du contrat?
    [36] Voy. p. ex. Prés. Comm. Bruxelles 25 juin 1993, Jaarboek Handelspraktijken, 1993, 438.
    [37] Même si on a pu écrire que la ligne de séparation entre les deux législations était claire: le professeur De Vroede enseignait par exemple que “Waar het bij de handelspraktijken gaat om een confrontatie tussen twee partijen ten einde de eerlijke handelspraktijken de bovenhand te doen halen, streeft de WEM [Wet economische mededinging] een ander doel na: hier gaat het om een werkelijke mededinging op een bepaalde markt in te stellen of te herstellen”: P. De Vroede, De Wet tot bescherming van de economische mededinging, Mys & Breesch, 1997, 17-18, n° 22.
    [38] Dans les limites strictes imposées par la jurisprudence Multipharma de la Cour de cassation: Cass. 7 janvier 2000, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 2000, 405.
    [39] En ce sens V. Pironon, o.c., 112, n° 2.
    [40] Tel que défini à l'art. 1, 4° de la loi sur la protection de la concurrence économique coordonnée le 15 septembre 2006.
    [41] Voy. le Livre vert précité de la Commission sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante.
    [42] J. Stuyck, “L'effet réflexe du droit de la concurrence sur les normes de loyauté de la loi sur les pratiques du commerce” (note sous Cass. 7 janvier 2000), R.C.J.B. 2001, (256), 257, n° 4.
    [43] Mme Pironon propose une solution similaire pour l'application du règlement à ce qu'elle désigne comme étant le “petit droit de la concurrence” en droit français, à savoir la réglementation des pratiques tarifaires, comme la revente à perte, et l'interdiction de certaines pratiques restrictives, comme les pratiques discriminatoires. Après avoir noté qu'en droit interne, la qualification de ces pratiques est délicate, elle suggère de considérer qu'elles relèvent de l'art. 6 au titre de la concurrence déloyale, dans la mesure où elles sont interdites per se, c.-à-d. indépendamment de tout effet anticoncurrentiel (o.c., 118, n° 13). Ce faisant Mme Pironon privilégie bel et bien une qualification indépendante, fondée sur l'esprit et la portée du règlement.
    [44] L'on notera que déjà dans le Livre vert sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (précité), la Commission se demandait s'il convenait d'adopter une règle spéciale pour la concurrence déloyale ou s'il était préférable de soumettre ces obligations au régime général (par. 2.8., question n° 7).
    [45] Comp. avec C. Brière, “Le règlement (CE) n° 864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ('Rome II')”, J.D.I. 2008, (31), 43, n° 18. En général sur les relations entre l'art. 4 et 6 du Réglement, voy. M. Hellner, “Unfair competition and Art Restricting Free Competition,” Y. Priv. Int. L. 2007, (49), 52-55.
    [46] En ce sens, G. Légier, “Le règlement 'Rome II' sur la loi applicable aux obligations non contractuelles”, J.C.P., Éd. G., I, n° 207, (13), 24-25, n° 60.
    [47] Voy. en particulier, G. Wagner, “Die neue RomII-Verordnung”, IPRax 2008, (1), 8 ainsi que V. Pironon, o.c., 124, n° 33.
    [48] Ou, comme l'expliquent deux commentateurs, “le marché sur lequel les concurrents opèrent pour obtenir le consentement des consommateurs”, (F. Guerchoun et S. Piedelièvre, “Le règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles ('Rome II')”, Gaz. Pal. 28-30 octobre 2007, (9), 11, n° 38).
    [49] Voy. p. ex. l'analyse proposée par H. van Houtte, “De toepassing van de Wet betreffende de handelspraktijken op transnationale gevallen van oneerlijke mededinging”, Liber Amicorum P. De Vroede, II, Bruxelles, Kluwer, 1994, (1407), 1415, n° 12.
    [50] C. Brière, o.c., 43, n° 18. Comp. égal. avec l'art. 99 § 2, 2° du Code de droit international privé qui s'appuyait également sur le concept de dommage en matière de concurrence déloyale.
    [51] Voy. p. ex. Prés. Comm. Bruxelles 3 septembre 1997, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 1997, 113 (affaire des bières “Monk's Brown Ale” et “Monk's Pale Ale” de la brasserie Corsendonck).
    [52] Voy. surtout les observations de M. Pertegás Sender, “L'application de la loi sur les pratiques du commerce à la concurrence déloyale”, R.D.C. 2001, 246-248 et nos commentaires in “Concurrence déloyale internationale: quelques pistes de réflexion sur le champ d'application de la loi sur les pratiques du commerce”, D.C.C.R. 1998, 218-242.
    [53] Comp. avec les observations de Mme Pironon, pour qui l'art. 6 “trouve sa justification... dans la technique des lois de police qu'il cherche précisément à court-circuiter.” (o.c., 119, n° 17). Mme Pironon ajoute fort judicieusement que pour éviter que chaque État membre n'impose l'application de ses propres dispositions au titre de loi d'application immédiate, il était opportun de bilatéraliser le critère de l'effet et de donner compétence à la loi du marché affecté.
    [54] A. Puttemans, o.c., 622-623, n° 23.
    [55] P. ex. Prés. Comm. Termonde 11 mai 2005, R.W. 2005-06, 749 (“De toepassing van de Wet op de Handelspraktijken kan wel worden aanvaard voor oneerlijke handelingen in het buitenland gesteld die schade aanrichten in België.”).
    [56] Voy. les observations à ce sujet de J. Stuyck, Handels- en economisch recht - Handelspraktijken, E.Story-Scientia, 2004, 42-43, n° 41.
    [57] On verra infra que pour les actes restreignant la libre concurrence, le règlement retient expressément le vocable de “marché”. Mme Pironon note que si l'art. 6 § 1 ne retient pas le concept de marché, c'est sans doute parce que l'interdiction des actes de concurrence déloyale “n'appelle pas la preuve de ses effets nuisibles sur le marché” (o.c., 122, n° 26).
    [58] Prés. Comm. Bruxelles 3 septembre 1997, Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 1997, 113.
    [59] Sauf à considérer que la pratique visée ne concernait que des concurrents déterminés, auquel cas l'art. 6 § 2 devrait s'appliquer.
    [60] Le problème est bien connu. Voy. les explications de M. Fallon, “Compte rendu de la sixième réunion du Groupe européen de droit international privé, Venise 20-22 septembre 1996”, R.B.D.I. 1996, (677), 681.
    [61] Prés. Comm. Termonde 11 mai 2005, R.W. 2005-06, 749.
    [62] P. ex. Prés. Comm. Tournai 7 mai 1997, J.T. 1998, 202 , D.C.C.R. 1997, 250 et Jaarboek Handelspraktijken & Mededinging, 1997, 46 (en l'espèce, il était reproché à divers supermarchés français de diffuser des dépliants ne renseignant les prix qu'en francs français).
    [63] Pour une hypothèse similaire, voy. Prés. Comm. Ypres 8 février 1993, R.D.C. 1994, 648.
    [64] Voy. les commentaires de J. Stuyck, Handels- en economisch recht - Handelspraktijken, E.Story-Scientia, 2004, 42-43, n° 41.
    [65] Pour reprendre les explications de l'Exposé des Motifs (proposition de règlement du 22 juillet 2003, Com (2003) 427 final).
    [66] Pour les actes restreignant la concurrence, l'art. 6 § 3 prévoit une disposition particulière visant les pratiques affectant plusieurs marchés. M. Wagner s'étonne à ce propos que le règlement n'ait pas prévu de règle particulière pour l'hypothèse d'un acte de concurrence déloyale affectant plusieurs marchés et propose une application par analogie de la règle particulière prévue à l'art. 6 § 3, b) (o.c., IPRax 2008, (1), 8).
    [67] En ce sens, G. Légier, o.c., 25, n° 62.
    [68] L'application distributive des lois des marchés concernés avait d'ailleurs déjà été retenue par l'Institut de droit international dans la résolution adoptée en 1983 sur la question (voy. l'art. II-2, qui prévoyait que “Lorsqu'un comportement cause un préjudice aux affaires d'un concurrent sur plusieurs marchés situés dans des États différents, la loi applicable devrait être le droit interne de chaque État où est localisé un tel marché”).
    [69] L'on se référera à l'étude d'Arnaud Nuyts dans ce numéro sur cette question. Selon Mme Pironon, il faudrait, pour déterminer le lieu du dommage, faire référence non pas au marché affecté mais bien au domicile de la victime (o.c., 123, n° 28). Cette interprÉtation nous semble difficile à accepter. Certes le domicile de la victime sera dans la très grande majorité des cas le centre de ses intérêts patrimoniaux. Faut-il pour autant accepter qu'un dommage “survient” au sens de l'art. 4 § 1 du règlement, nécessairement à cet endroit? Cette localisation du dommage patrimonial au domicile de la victime, donne une extension trop grande au concept de dommage. Si une entreprise française fait publier dans des journaux français une publicité qui dénigre les services fournis par un concurrent belge, il faut au contraire accepter que c'est en France que le dommage survient puisque c'est là que le concurrent lésé subira les conséquences directes de la publicité, qui se traduira par une diminution de son chiffre d'affaires.
    [70] Et permettre par exemple de rattacher une pratique déloyale liée à l'exécution d'un contrat, à la loi régissant celui-ci (en ce sens, V. Pironon, o.c., 123, n° 29). L'on pense par exemple au débauchage de travailleurs par une entreprise au détriment d'une autre avec laquelle elle était liée par un contrat de collaboration.
    [71] Voy. en particulier C. Nourrissat et E. Treppoz, o.c., J.D.I. 2003, (7), 29-30, n° 33 - ces auteurs évoquaient le “morcellement artificiel de la catégorie délictuelle”.
    [72] Comme avait déjà pu le noter par exemple M. Prioux, “L'application internationale de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur”, in Les pratiques du commerce, l'information et la protection du consommateur. Premier bilan et perspectives d'application de la loi du 14 juillet 1991, notamment au regard du droit européen, Bruxelles, Bruylant, 1994, (331), 349, n° 17.
    [73] Le législateur suisse a par exemple opté dans ce cas de figure pour un rattachement au droit du siège de l'établissement lésé: art. 136, al. 2 Loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987.
    [74] Voy. p. ex. Comm. Charleroi 15 mai 2006, J.L.M.B. 2006, 1092 (litige qui a opposé des clubs et joueurs de football à des fédérations nationales et internationales, les dernières étant notamment mises en cause pour atteinte au droit communautaire. C'est de manière fort peu convaincante que le tribunal a accepté dans cette espèce, au titre de l'art. 99 § 2, 2° du Code de droit international privé, que le préjudice allégué par le club de football, préjudice qui résultait de l'absence de compensation financière pour la mise à disposition d'un joueur qui fut blessé lors d'un match au Maroc, “est subi en Belgique”).
    [75] Exemple inspiré d'un exemple donné par G. Wagner, o.c., 8.
    [76] Provimi Limited/Aventis Animal Nutrition SA & Ors et al, 6 mai 2003, [2003] EWHC 961 (Comm), [2003] All ER (D) (59).
    [77] Pour fonder la compétence des juridictions anglaises, les demandeurs avaient également cité plusieurs filiales anglaises du groupe Hoffmann-La Roche. Les juridictions anglaises ont exercé leur compétence sur pied de l'art. 6 §1 du règlement 44/2001, après avoir écarté la clause d'élection de for figurant dans les contrats de vente.
    [78] Le lien qu'opère l'art. 6 § 3, b) entre les règles de compétence et la détermination du droit applicable contribue à expliquer pourquoi cette disposition limite son application aux seuls États membres. La règle prévue par l'art. 6 § 3, b) ne peut en effet conduire à l'application du droit d'un État non membre, ce qui constitue une dérogation au caractère universel des règles de rattachement européennes (art. 3).
    [79] En vertu de l'art. 6, §1 du règlement. L'exercice par le juge saisi de sa compétence pourra cependant être contesté s'il n'existe pas entre les demandes de lien substantiel, tel que la Cour de justice l'a défini dans l'affaire Roche (C.J.C.E. 13 juillet 2006, C-593/03, Primus/Roche).
    [80] Puisque par hypothèse, plusieurs marchés sont concernés, l'art. 5, 3° donnera le plus souvent compétence à plusieurs États membres. La compétence des juridictions de ces États doit-elle dès lors être limitée au seul dommage “national”, comme la Cour de justice l'a imposé dans le cadre du contentieux de la diffamation? Sur cette question, voy. G. Wagner, o.c., 8.
    [81] En ce sens, G. Légier, o.c., 25, n° 64.
    [82] Comme le craint V. Pironon, o.c., 125, n° 35.
    [83] C.J.C.E. 7 mars 1995, C-68/93, Fiona Shevill et al./Presse Alliance SA, Rec. 1995, I-415.