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L'affaire Tecteo/Brutélé – Câble wallon ou le contrôle belge des concentrations au rythme des questions préjudicielles, R.D.C.-T.B.H., 2008/5, p. 402-407

L'affaire Tecteo/Brutélé - Câble wallon ou le contrôle belge des concentrations au rythme des questions préjudicielles

Marc Pittie [1]

TABLE DES MATIERES

I. Les principales étapes de cette affaire 1. Notification d'une opération de concentration par les intercommunales Tecteo/Brutele-Câble wallon au Conseil de la concurrence le 28 septembre 2007

2. Décision du Conseil de la concurrence de poser une série de questions préjudicielles à la Cour de cassation le 21 novembre 2007

3. Arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 27 décembre 2007 annulant la décision du Conseil de la concurrence du 21 novembre 2007 suspendant les délais de la procédure de notification initiée le 28 septembre 2007

4. Lettre du président du Conseil de la concurrence du 7 janvier 2008 mettant en doute la capacité de l'arrêt de la cour d'appel à constater l'écoulement du délai de première phase et l'approbation tacite de l'opération

5. Arrêts de la cour d'appel de Bruxelles des 25 janvier 2008 et 1er février 2008, d'une part, suspendant les effets de la décision du Conseil de la concurrence de poursuivre l'examen de l'opération et, d'autre part, posant une série de questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle

6. Autres développements toujours en cours

II. Breves reflexions sur les conséquences possibles de ce precedent sur la politique de contrôle des concentrations en Belgique

RESUME
L'arrêt de la Cour de Cassation du 22 janvier 2008, publié dans la précédente livraison de la R.D.C., n'a pas encore fini de faire parler de lui et surtout, de l'affaire dans laquelle il s'inscrit. Si d'aucuns ont pu regretter qu'au coeur même de l'Union européenne, le droit de la concurrence local ne se développe pas au rythme imposé par la Commission européenne, nul ne contestera que l'affaire Tecteo/Brutelé - Câble wallon participe à l'essor des nouvelles dispositions législatives en la matière: tous les organes judiciaires qui ont vocation à intervenir dans une procédure diligentée devant le Conseil de la concurrence sur la base de la loi sur la protection de la concurrence économique ont été amenés à intervenir dans une seule et même affaire, sur une période de quelques semaines seulement (du 21 novembre 2007 au 1er février 2008) et rien ne permet de considérer que l'affaire est terminée … Certains plus prosaïques se risqueront sans doute aussi à relever qu'une affaire de cette nature ne peut s'imaginer qu'au pays de Magritte! En tout état de cause, l'arrêt de la Cour de cassation met une nouvelle fois en exergue, toutes pratiques du droit confondues, l'importance que peut revêtir le contentieux dans la stratégie juridique que peuvent développer des concurrents actifs sur un marché donné.
Après un rapide exposé des principales étapes de cette affaire, nous proposerons quelques brèves réflexions sur les questions que soulèvent cette affaire, et notamment le rôle joué par les différents acteurs d'une procédure de contrôle des concentrations.
SAMENVATTING
Over het arrest van het Hof van Cassatie van 22 januari 2008 dat gepubliceerd werd in het vorige nummer van T.B.H., en vooral over de zaak waarop het betrekking heeft, is nog het laatste woord niet gezegd. Diegenen die betreuren dat het plaatselijke mededingingsrecht zich binnen de Europese Unie niet volgens het door de Europese Commissie opgelegde ritme ontwikkelt, zullen niet ontkennen dat de zaak Tecteo/Brutelé - Câble wallon bijdraagt tot de ontwikkeling van nieuwe wetsbepalingen terzake: alle gerechtelijke instanties die tot taak hebben tussen te komen in een voor de Raad voor de Mededinging gevoerde procedure op basis van de wet tot bescherming van de economische mededinging, zijn in een periode van nauwelijks enkele weken (tussen 21 november 2007 en 1 februari 2008) tussengekomen in één en dezelfde zaak. En niets wat erop wijst dat hiermee een einde aan de zaak is gekomen … Bepaalde meer prozaïsche geesten zullen zonder twijfel beweren dat een dergelijke zaak enkel in het land van Magritte denkbaar is! In elk geval stelt het arrest van het Hof van Cassatie, en dit voor alle rechtstakken, opnieuw het belang van het geschil in de juridische strategie die door concurrenten op een gegeven markt kan worden ontwikkeld, in het licht.
Na een korte uiteenzetting van de verschillende fases in deze zaak, zullen wij enkele bedenkingen formuleren bij de vragen die door deze zaak worden opgeworpen, en in het bijzonder bij de rol die de verschillende spilfiguren van een concentratiecontroleprocedure spelen.
I. Les principales étapes de cette affaire

Le 22 janvier 2008, la Cour de cassation a rendu un arrêt dans lequel elle statue à titre préjudiciel sur une demande du Conseil de la concurrence relative à une question de procédure soulevée dans une affaire de concentration [2].

Cet arrêt préjudiciel tend à préciser les conditions dans lesquelles les tiers à une opération de concentration peuvent avoir accès au dossier au cours de la première phase de l'examen de l'opération notifiée. Cet arrêt s'inscrit dans le cadre d'une véritable saga administrative et judiciaire, qui a encore connu de nouveaux développements après le prononcé de l'arrêt et en connaît toujours à l'heure de mettre sous presse.

1. Notification d'une opération de concentration par les intercommunales Tecteo/Brutele-Câble wallon au Conseil de la concurrence le 28 septembre 2007

Le 28 septembre 2007, les intercommunales Tecteo et Brutele ont notifié au greffe du Conseil de la concurrence l'opération de concentration Tecteo/Brutele-Câble wallon [3], par laquelle Tecteo entendait, dans un premier temps, racheter l'ensemble des branches d'activités câble des 8 intercommunales wallonnes et, dans un deuxième temps, acquérir l'intégralité du patrimoine de Brutele.

La procédure d'examen de l'admissibilité d'une opération de concentration notifiée au Conseil de la concurrence prévoit que l'auditorat mène une enquête avec l'aide des services, afin de déposer un rapport, au plus tard 30 jours ouvrables après la notification au greffe (25 + 5), auprès du Conseil de la concurrence. Ce dernier dispose ensuite d'une période maximale de 25 jours ouvrables (10 + 15) pour prendre position: admettre avec ou sans conditions l'opération ou bien ouvrir la seconde phase approfondie d'examen de l'opération notifiée.

En l'occurrence, dans le cadre de l'enquête préalable au dépôt du rapport de l'auditeur auprès du Conseil, la société Belgacom a été invitée, en sa qualité de concurrente des parties à l'opération notifiée, à formuler ses observations sur l'opération notifiée et ensuite sur les engagements proposés par les parties à l'auditeur.

Le 31 octobre 2007, Belgacom a fait part d'une série d'objections quant à l'admissibilité de l'opération notifiée et a demandé à être entendue par le Conseil de la concurrence, en ce compris en disposant d'un accès au dossier et notamment au rapport motivé de l'auditeur, sur la base de l'article 57 § 2, alinéa 2 de la loi sur la protection de la concurrence économique, coordonnée le 15 septembre 2006 [4] (ci-après la “LPCE”).

L'article 57 § 2, alinéa 2 de LPCE ne prévoit cependant pas spécifiquement l'éventuel accès au dossier d'instruction ou au rapport motivé au profit d'un tiers, tel que Belgacom, pendant la première phase d'examen des projets de concentration.

2. Décision du Conseil de la concurrence de poser une série de questions préjudicielles à la Cour de cassation le 21 novembre 2007

Le 21 novembre 2007, soit 34 jours ouvrables après la notification de l'opération et 21 jours ouvrables avant l'échéance du délai pour l'adoption de la décision de fin de première phase, le Conseil de la concurrence s'est fondé sur les dispositions des articles 72 et 73 de la LPCE pour interroger la Cour de cassation à titre préjudiciel sur la portée du droit des tiers d'être entendus dans une procédure de ce type. Le Conseil de la concurrence a constaté que, par l'effet de la loi, la mise en oeuvre de la procédure préjudicielle prévue par les articles 72 et 73 de la LPCE entraînait la suspension de la procédure de notification entamée le 28 septembre 2007.

Cette décision du Conseil de la concurrence a donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation, qui sera prononcé le 22 janvier 2008.

3. Arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 27 décembre 2007 annulant la décision du Conseil de la concurrence du 21 novembre 2007 suspendant les délais de la procédure de notification initiée le 28 septembre 2007

Le 6 décembre 2007, Tecteo et Brutele ont introduit devant la cour d'appel de Bruxelles un recours en suspension et un recours en annulation de la décision de renvoi prise par le Conseil de la concurrence. L'arrêt du 27 décembre 2007 de la cour d'appel [5] déclare le recours en annulation fondé en ce que la décision du Conseil constate la suspension du délai d'examen de la concentration jusqu'à la réception de l'arrêt de la Cour de cassation par le Conseil. La cour d'appel constate ensuite qu'en vertu de l'article 58 § 2, alinéa 3 [6] de la LPCE, la concentration Tecteo/Brutele-Câble wallon est réputée admissible.

Sur la base de cet arrêt de la cour d'appel de Bruxelles, le 28 décembre 2007, les parties à la concentration ont procédé au “closing” de l'opération et ont donc réalisé cette dernière.

4. Lettre du président du Conseil de la concurrence du 7 janvier 2008 mettant en doute la capacité de l'arrêt de la cour d'appel à constater l'écoulement du délai de première phase et l'approbation tacite de l'opération

Le 7 janvier 2008, le président du Conseil de la concurrence a adressé une lettre à la Cour de cassation, par laquelle il a indiqué que le Conseil entendait poursuivre la procédure et prendre une décision relative à l'admissibilité de cette concentration le 31 janvier 2008 au plus tard. Les parties à la concentration ont ensuite été convoquées par le greffe du Conseil de la concurrence à une audience au Conseil de la concurrence le 25 janvier 2008 pour être entendues sur leur opération.

5. Arrêts de la cour d'appel de Bruxelles des 25 janvier 2008 et 1er février 2008, d'une part, suspendant les effets de la décision du Conseil de la concurrence de poursuivre l'examen de l'opération et, d'autre part, posant une série de questions préjudicielles à la Cour constitutionnelle

Le 15 janvier 2008, les parties à la concentration ont attaqué, devant la cour d'appel de Bruxelles, la lettre du président du Conseil de la concurrence en considérant qu'elle comporte une décision leur faisant grief. Elles forment ainsi un recours en suspension et un recours en annulation de l'exécution de la décision du Conseil de poursuivre la procédure d'examen de l'opération de concentration, dont l'existence résulterait du contenu de la lettre précitée.

Dans un arrêt du 25 janvier 2008 [7], la cour d'appel de Bruxelles a tout d'abord prononcé la suspension des effets de cette décision jusqu'à l'adoption de l'arrêt définitif sur le fond du recours en annulation. Dans un arrêt rendu le 1er février 2008 [8], la Cour a ensuite décidé de saisir la Cour constitutionnelle d'une série de questions préjudicielles concernant la conformité des articles 72 et 73 de la LPCE avec les articles 10 et 11 de la Constitution (principe de non-discrimination) et la conformité des articles 58 et 75 de la LPCE avec les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, pris isolément et combinés avec l'article 6.1. de la CEDH et avec le principe général de sécurité juridique [9].

6. Autres développements toujours en cours

Le 21 janvier 2008, Belgacom a introduit un recours auprès de la cour d'appel de Bruxelles contre la décision d'admissibilité tacite de l'opération de concentration. L'affaire devait être introduite à l'audience du 19 février 2008.

De son côté, le 31 janvier 2008, le Conseil de la concurrence a décidé d'engager une procédure d'examen en deuxième phase [10].

II. Breves reflexions sur les conséquences possibles de ce precedent sur la politique de contrôle des concentrations en Belgique

La question qui a déclenché cette avalanche invraisemblable de procédures et de renvois préjudiciels est relativement simple: quelle est en définitive la portée du droit des tiers à être entendus dans le cadre de la première phase d'examen d'une procédure de contrôle des concentrations soumise aux dispositions de la LPCE.

C'est une question manifestement importante, compte tenu de la nature particulière de la procédure en cause, comme l'ont rappelé tant la Cour de cassation que la cour d'appel de Bruxelles et le Conseil de la concurrence: le système de contrôle des concentrations repose sur des objectifs de célérité et de sécurité juridique, tout en garantissant son efficacité. En cela, le système belge est assimilable au système existant dans l'Union européenne et dans de nombreux autres pays.

Certes, le texte de la LPCE ne prévoit pas explicitement que ce droit d'être entendu, tel qu'il est visé à l'article 57 de la LPCE, comporte notamment le droit d'avoir accès au rapport que l'auditeur remet au Conseil de la concurrence afin que ce dernier puisse adopter une décision au terme de la première phase d'examen de l'opération notifiée. Le Conseil de la concurrence constate cependant à juste titre selon nous dans sa décision du 21 novembre 2007 que l'article 59 § 3 de la LPCE permet de considérer que les tiers peuvent bénéficier d'un tel accès, sous certaines conditions, dans le cadre de la seconde phase d'examen approfondi d'une opération notifiée [11].

Ce distinguo s'avère en fait comparable à celui qui existe en droit communautaire. Et en droit communautaire, il est communément admis que le droit d'être entendu en première phase ne comporte pas pour le tiers le droit d'avoir accès aux éventuels documents du dossier administratif de la Commission européenne, alors qu'un tel droit leur est reconnu, sous certaines conditions, dans le cadre de la seconde phase de cet examen (voy. notamment le règlement CE 802/2004 et les Best Practices on the conduct of EC merger control proceedings mises en ligne par la Commission européenne sur son site internet [12]).

Il est plus que louable que le Conseil de la concurrence se soit posé la question de la portée exacte des droits de la défense dont bénéficie Belgacom, tiers à l'opération de concentration, dans le cadre de la présente affaire, à ce stade de la procédure. Il est néanmoins permis de se demander si, dans le cadre juridique prédécrit, la voie de la question préjudicielle n'était pas la moins appropriée compte tenu des objectifs mêmes du système de contrôle des concentrations tel qu'il est institué par la LPCE.

Tout d'abord, en considérant que la procédure de renvoi préjudiciel à la Cour de cassation trouvait à s'appliquer en l'espèce, le Conseil de la concurrence a fait preuve d'une certaine audace. En effet, il était loin d'être évident de considérer qu'une demande formulée par un tiers dans le cadre de la première phase d'une procédure de contrôle d'une concentration puisse être considérée comme un “litige” au sens de l'article 72 de la LPCE.

Certes, la Cour de cassation lui a donné gain de cause sur ce point. Il reste néanmoins que cette position nous paraît quelque peu faire abstraction de la nature même d'une procédure administrative telle qu'une procédure de contrôle des concentrations. Cette procédure, initiée par les parties à une opération de concentration constitue un projet industriel, économique ou financier et n'emporte en tant que telle aucun litige entre parties (il s'agit en outre d'une procédure préalable à la mise en oeuvre dudit projet) ni aucun litige sur l'application d'une norme particulière. L'article 72 de la LPCE a en outre une portée beaucoup plus large que la seule procédure de contrôle d'une opération de concentration par le Conseil de la concurrence. Il couvre nombre d'autres procédures administratives (devant le Conseil de la concurrence) et judiciaires (devant les cours et tribunaux).

Notre propos n'est pas de contester la qualification de “litige” retenue par la Cour de cassation, mais d'insister sur le doute qui pouvait préalablement exister sur la portée exacte de ce terme dans la LPCE. Il était en effet permis - et l'est toujours à notre avis - de se demander si la mise en place d'un renvoi préjudiciel en droit belge du contrôle des concentrations résulte effectivement d'une intention délibérée du législateur. Ainsi, le Conseil de la concurrence lui-même, dans son avis relatif à un avant-projet de loi sur la protection économique de la concurrence économique [13], ne se prononce sur la question préjudicielle que dans le contexte des pratiques restrictives de concurrence. Ensuite, il s'y est également lui-même interrogé sur l'opportunité d'attribuer ce contentieux préjudiciel en droit de la concurrence à la Cour de cassation, voire sur l'opportunité de maintenir un tel contentieux particulier.

Si la pertinence de l'interrogation et l'audace du Conseil peuvent sans doute s'expliquer, il reste que le choix d'utiliser cette procédure de renvoi préjudiciel et ses conséquences sur les délais de la procédure, à l'initiative du principal concurrent des parties à l'opération ne manque pas de surprendre. En effet, le Conseil de la concurrence a décidé de poser une série de questions à la Cour de cassation en sachant que cette initiative affecterait nécessairement et immédiatement les intérêts des parties à la concentration et servirait par ricochet nécessairement et immédiatement les intérêts du tiers qui les soulevait, en l'occurrence Belgacom.

Dès lors que la législation belge qui s'inspire largement des dispositions communautaires règle apparemment de façon identique les droits d'accès des tiers au dossier de l'autorité administrative en première phase et en seconde phase d'examen de la procédure, n'était-il pas plus approprié de prendre position conformément à la pratique communautaire et de refuser à Belgacom l'accès demandé, quitte à ce que la décision du Conseil de la concurrence soit ensuite mise en cause par Belgacom dans le cadre d'un recours devant la cour d'appel de Bruxelles, dirigé contre cette décision ou la décision finale traitant de l'admissibilité ou non de l'opération notifiée?

Une telle option aurait présenté l'avantage de ne pas suspendre l'écoulement des délais de la procédure de notification, écoulement qui participe à la réalisation des objectifs de célérité et de sécurité juridique du système de contrôle des concentrations institué par la LPCE. En acceptant d'utiliser le renvoi préjudiciel pour répondre à une demande d'un tiers à la procédure, le Conseil de la concurrence n'a-t-il pas ouvert une dangereuse boîte de Pandore?

Dans son arrêt du 22 janvier 2008, la Cour de cassation ne s'étend pas sur l'opportunité de poser les questions préjudicielles que lui adresse le Conseil de la concurrence. Elle relève d'ailleurs à cet égard qu' “il n'appartient pas, en règle, à la Cour de cassation statuant sur une question préjudicielle de se prononcer sur l'utilité des questions posées” (dernier al. du seizième attendu). La Cour de cassation se prononce sur le droit du Conseil de la concurrence de la saisir de telles questions dans le cadre d'une procédure de contrôle des concentrations et ne trouve pas dans les textes applicables de raisons d'exclure ce droit, même dans les circonstances particulières de l'espèce. La motivation de l'arrêt sur ce point (en particulier les onzième et douzième attendus) ne nous semble toutefois pas parfaitement convaincante: l'effet suspensif du renvoi préjudiciel sur les délais de procédure dans la mesure où “les délais sont en fait essentiellement applicables en matière de concentration” et le fait que la procédure de concentration “peut être comprise comme un litige au sens où l'entend l'article 73 § 1er de la LPCE”.

Tout cela paraît effectivement un peu court. Certes, les délais sont particulièrement importants en matière de contrôle des concentrations. Mais ce n'est pas la seule matière couverte par la LPCE qui comporte des délais. Et le Conseil de la concurrence n'est pas le seul non plus à connaître de l'application de la LPCE. Les procédures devant les tribunaux sont aussi rythmées par des délais spécifiques. Par ailleurs, il est permis de regretter que la question de la définition du “litige” au sens de la LPCE soit traitée de façon aussi laconique.

À titre anecdotique, nous noterons pour conclure sur ce point que, à notre connaissance, aucun des documents qui ont été publiés par le Conseil de la concurrence pour expliquer le fonctionnement de la LPCE à la suite de son aménagement en septembre 2006, ne fait état d'une éventuelle suspension de la procédure d'examen d'une concentration en raison d'un renvoi préjudiciel à la Cour de cassation. Pas même ceux qui figurent aujourd'hui encore sur le site internet du Conseil de la concurrence pour détailler les différentes étapes d'une procédure de concentration.

Enfin, au-delà de l'opportunité de consacrer le droit du Conseil de la concurrence d'interroger la Cour de cassation à titre préjudiciel dans le cadre de la première phase d'examen d'une concentration, les réponses apportées par la Cour de cassation aux questions qui lui ont été posées font immanquablement penser à une histoire de Normands… En effet, après avoir constaté en réponse à la première question qu'il n'existe pas de droit absolu des tiers à avoir un tel accès au rapport motivé et à certaines pièces du dossier d'instruction, la Cour de cassation considère néanmoins en réponse à la deuxième question qu'un tel accès peut être accordé à la demande d'un tiers “à condition que ces documents soient strictement nécessaires pour permettre à ce tiers de faire utilement connaître son point de vue sur l'opération de concentration notifiée et sur son impact sur la concurrence”. La Cour de cassation laisse cependant au Conseil le soin de déterminer ce qu'il faut entendre par “documents strictement nécessaires” à une telle fin et les moyens de l'apprécier.

Nul doute que le Conseil, fort de son droit d'interroger la Cour de cassation dans la matière du contrôle des concentrations, reviendra encore soumettre aux membres de la Cour de cassation les turpitudes dans lesquelles ne manqueront pas de le plonger les conseils avisés de concurrents des parties notifiantes… une boîte de Pandore disions-nous!

En tout état de cause, cette affaire n'ayant toujours pas livré son dernier épisode, il conviendra de rester attentifs aux prononcés qui s'annoncent du côté de la Cour constitutionnelle, de la cour d'appel de Bruxelles et sans doute également du Conseil de la concurrence puisque ce dernier a décidé de poursuivre l'examen de la concentration en cause, alors même que la cour d'appel - juridiction de recours - a constaté que l'opération avait été autorisée tacitement…

Noot van de redactie

De raad voor de mededinging heeft de concentratie goedgekeurd bij beslissing van 25 april 2008, evenwel met voorwaarden. Hiermede komt voorlopig een einde aan de problemen gerezen door deze concentratie. Tegen de arresten gewezen door het hof van beroep te Brussel vermeld in de bijdrage die hiervoor is opgenomen is er nog geen cassatieberoep ingesteld en zou, volgens de redactie vernomen heeft, gelet op de evolutie in dit dossier, geen cassatieberoep worden ingesteld.Over de prejudiciële procedure voor het Hof van Cassatie, zie A. Bossuyt, “De in de gecoördineerde wet van 15 september 2006 tot bescherming van de economische mededinging voorziene prejudiciële vraag aan het Hof van Cassatie”, in Jaarverslag van het Hof van Cassatie 2007, p. 213 tot 228.

Note de la rédaction

Le conseil de la concurrence a approuvé la concentration par décision du 25 avril 2008, moyennant cependant le respect d'un certain nombre de conditions. Ceci met provisoirement fin aux problèmes suscités par cette concentration. Les arrêts de la cour d'appel de Bruxelles mentionnés dans l'article ci-dessus n'ont pas encore fait l'objet d'un pourvoi en cassation et, d'après ce qu'a appris la rédaction, vu l'évolution du dossier, ne devraient pas faire l'objet d'un tel pourvoi.Sur les questions préjudicielles devant la Cour de cassation, voy. A. Bossuyt, “La question préjudicielle posée à la Cour de cassation prévue par la loi coordonnée du 15 septembre 2006 sur la protection ce la concurrence économique”, in Rapport annuel de la Cour de cassation 2007, p. 203 à 218.

[1] Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Paris, Associé au cabinet Bredin Prat.
[2] Voir RDC 2008, p. 350-255 et conclusions A.G. P. de Koster, p. 356-365.
[3] Aff. CONC-C/C-07/0028.
[4] Mon. b. 29 septembre 2006.
[5] Bruxelles 27 décembre 2007, Tecteo et Brutele, R.G. n° 2007/MR/6, www.juridat.be .
[6] La concentration est réputée admissible lorsque le Conseil n'a pas rendu sa décision dans les délais de rigueur prévus dans la LPCE. Au jour où la cour d'appel de Bruxelles a rendu son arrêt, le délai dans lequel une décision du Conseil devait intervenir, soit le 20 décembre 2007, était expiré.
[7] Bruxelles 25 janvier 2008, Tecteo et Brutele, R.G. n° 2008/MR/1, www.juridat.be .
[8] Bruxelles 1er février 2008, Tecteo et Brutele, R.G. n° 2008/MR/1, www.juridat.be .
[9] Voici l'énoncé des questions préjudicielles transmises à la Cour constitutionnelle: “1) Les articles 72 et 73 de la LPCE violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces articles prévoient un traitement identique pour les parties qui notifient une concentration au Conseil de la concurrence aux fins d'obtenir l'autorisation de procéder à la réalisation de l'opération et pour les parties à un ' litige' dont le sort ne saurait dépendre du silence, à l'expiration d'un délai, de la juridiction qui en est saisie?

2) Les articles 72 et 73 de la LPCE violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que ces articles s'appliquent tant au cours de la procédure en première phase qu'au cours de la procédure en seconde phase alors que seules les mesures adoptées à l'issue de la seconde phase d'examen sont susceptibles de porter grief aux parties notifiantes?

3) Les articles 58 et 75 de la LPCE, interprétés dans le sens où le Conseil de la concurrence pourrait décider de reprendre l'examen d'une procédure de concentration après que la cour d'appel de Bruxelles ait annulé une précédente décision du Conseil de la concurrence dans la même affaire en ce que cette décision constatait que le délai imparti au Conseil de la concurrence pour se prononcer était suspendu dès aujourd'hui jusqu'à la réception des réponses de la Cour de cassation aux questions préjudicielles qui lui étaient posées et ait constaté que la concentration faisant l'objet de l'affaire doit être réputée avoir été déclarée admissible par le Conseil de la concurrence, violent-ils les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, pris isolément et combinés avec l'article 6.1. de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et avec le principe général de sécurité juridique en ce que sans justification objective et raisonnable seraient traités de manière différente tous les justiciables, bénéficiaires d'un arrêt d'annulation d'une décision administrative bénéficiant de la protection due au respect qui s'attache à l'autorité absolue de chose jugée d'un arrêt d'annulation et les justiciables bénéficiaires d'un arrêt d'annulation de la cour d'appel de Bruxelles, statuant en annulation d'une décision du Conseil de la concurrence en matière de concentration qui seraient privés de l'autorité de chose jugée s'attachant à l'arrêt d'annulation prononcé par la cour d'appel de Bruxelles?”
[10] Décision n° 2008-C/C-05, aff. CONC-C/C-07/2008.
[11] Dans sa décision du 21 novembre 2007, le Conseil confirme que l'on peut déduire de l'art. 59 § 3 de la LPCE un droit d'accès des tiers au “rapport complémentaire de l'auditeur” dans le cadre de la deuxième phase de la procédure.
[12] http://ec.europa.eu/comm/competition/mergers/legislation/proceedings.pdf .
[13] http://mineco.fgov.be/organization_market/competition/competition_council/advices/Advice_art77_fr.pdf .