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Cour de cassation, 03/12/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/3, p. 288-289

Cour de cassation 3 décembre 2007

BANQUE ET CRÉDIT
Opérations bancaires - Ouverture de crédit - Résiliation unilatérale - Abus de droit
La résiliation unilatérale d'une convention (une ouverture de crédit) entraînant irrévocablement l'extinction de celle-ci, la partie dont elle émane n'a aucun droit à y renoncer. L'absence de pareille renonciation ne peut, dès lors, constituer un abus de droit dans son chef.
BANK EN KREDIET
Bankverrichtingen - Kredietopening - Eenzijdige verbreking - Rechtsmisbruik
De eenzijdige verbreking van een overeenkomst, in casu een kredietopening, brengt onherroepelijk het tenietgaan daarvan mee, zodat de partij van wie de verbreking uitgaat, er niet kan van afzien. De weigering om terug te komen op de verbreking kan bijgevolg geen rechtsmisbruik uitmaken.

Fortis Banque SA / T.M.

Siég.: Ch. Storck (président), D. Plas, Ch. Matray, S. Velu et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: Th. Werquin (avocat général)
Pl.: Mes P. Van Ommeslaghe et Ph. Gérard
I. La procédure devant la Cour

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 1er février 2005 par la cour d'appel de Liège.

Par ordonnance du 25 septembre 2007, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.

Le conseiller Sylviane Velu a fait rapport.

L'avocat général Thierry Werquin a conclu.

II. Les moyens de cassation

La demanderesse présente trois moyens, dont le deuxième est libellé dans les termes suivants:

Dispositions légales violées

- articles 1382 et 1383 du Code civil;

- article 1134, alinéa 3 du Code civil;

- principe général du droit relatif à l'abus de droit.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt décide que la demanderesse a commis un abus de droit et ordonne la réouverture des débats afin que les parties s'expliquent sur le préjudice résultant de cet abus de droit, notamment par les motifs:

“que [des enquêtes] ne sont toutefois pas nécessaires dans la mesure où, quoi qu'il en soit de la dénonciation, il ressort des faits d'ores et déjà acquis que le maintien de la dénonciation par [la demanderesse] est en tous les cas constitutif d'un abus de droit; [...]

que lorsqu'il est mis fin au contrat, surtout unilatéralement, et qu'une des parties applique une sanction contractuelle, elle est tenue plus spécialement d'un devoir de solidarité et de loyauté; que le créancier victime de la défaillance de son débiteur doit tenir compte des intérêts légitimes de son cocontractant (Stijns, Van Gerven et Wéry, “Chronique de jurisprudence. Les obligations: les sources”, J.T. 1996, p. 703, n° 35 d); qu'en cas d'abus, c'est-à-dire si le créancier choisit entre deux possibilités la voie la plus dommageable à son débiteur sans avantage particulier pour lui-même, le juge peut exercer un pouvoir modérateur ramenant le droit du créancier dans les limites de son usage normal (J.T. 1996, p. 708, n° 46);

que [la demanderesse] se retranche derrière la considération que la dénonciation régulière des crédits avait pour conséquence que sa créance devenait pleinement exigible et qu'à défaut de paiement de celle-ci, elle pouvait, sans commettre d'abus, procéder à son exécution forcée en sorte 'qu'il ne saurait être question d'abus de droit' [... ];

que le moyen est dénué de toute pertinence, l'exercice d'un droit n'excluant pas qu'il puisse en être abusé puisque, au contraire, l'abus de droit ne se rencontre qu'à l'occasion de l'exercice d'un droit;

que, 'même régulièrement mises en oeuvre, des procédures d'exécution deviennent abusives et intolérables lorsque le but poursuivi n'est plus d'obtenir le paiement mais de déstabiliser le débiteur en confondant exécution et vengeance ou en recherchant de manière impitoyable un résultat même minime, quitte à faire subir un lourd préjudice au saisi' (De Leval, Recouvrement et dignité humaine, 15 novembre 2002, S.P.F.J. 3/Form, Échange d'expériences professionnelles entre juges des saisies, p. 7);

qu'en maintenant sa décision de rompre le crédit et en poursuivant la récupération forcée de sa créance par la saisie du bâtiment industriel, [la demanderesse] choisit entre les deux possibilités qui s'ouvrent à elle la voie la plus dommageable à son débiteur sans avantage particulier pour elle-même:

- la vente forcée de l'atelier de carrosserie va très probablement contraindre [le défendeur] à faire aveu de faillite comme il le déplore; il va solliciter le bénéfice de l'excusabilité et [la demanderesse] risque donc de voir limiter ses possibilités de récupération au seul prix de l'immeuble; or, sa créance étant supérieure au montant des avances ayant financé l'achat du terrain et de la construction, il est fort improbable que la vente publique rapporte suffisamment pour la désintéresser entièrement;

- si elle renonce à la dénonciation, comme l'en presse [le défendeur], et donne suite à ses propositions, elle se voit payée immédiatement de l'arriéré et reprend pour le surplus le cours normal du contrat, sans s'exposer à des risques fondamentalement différents de ceux [qu'elle a] pris au moment de l'ouverture de crédit, puisque les ennuis survenus sont à ce point dus à des circonstances fortuites qu'elle n'est pas fondée à craindre leur répétition;

que, si la sanction de l'abus de droit consiste à ramener le droit du créancier dans les limites de son usage normal, soit en l'occurrence [à] exiger [du défendeur] la régularisation de l'arriéré et la reprise régulière des remboursements mensuels, il n'est toutefois pas possible juridiquement de contraindre la banque à faire renaître le lien de droit qu'elle a rompu;

que la 'résiliation est un acte juridique unilatéral réceptice. Elle produit ses effets de plano et irrévocablement, dès l'instant où elle a été adressée à l'autre partie et que celle-ci l'a reçue ou, à tout le moins, a pu en prendre connaissance' (Wéry, Vue d'ensemble sur les causes d'extinction des contrats, C.U.P., décembre 2001, p. 26, n° 18); que 'dès lors, (...), le juge ne pourrait, sous peine d'outrepasser ses pouvoirs, prononcer l'exécution forcée - en nature ou par équivalent - du contrat' (Delforge, L'unilatéralisme et la fin du contrat, o.c., p. 112, n° 77); que 'seul un accord des deux parties pourrait supprimer les conséquences futures de l'acte antérieurement posé' et 'faire renaître le rapport juridique' (Delahaye, Résiliation et résolution unilatérales en droit commercial belge, 1984, pp. 125, 218 et 219; Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations”, R.C.J.B. 1988, n° 147, pp. 37, 39 et 40);

que, comme la résiliation unilatérale entraîne l'extinction immédiate de la convention et exclut le recours à l'exécution forcée de celle-ci, fût-ce par équivalent, elle donne uniquement droit à la réparation du préjudice résultant de son maintien abusif (Cass. 9 mars 1973, Pas. 1973, I, 640).”

Griefs

L'abus de droit suppose, par définition, l'existence d'un droit.

En l'espèce, l'arrêt retient un abus de droit dans le fait pour la [demanderesse] d'avoir maintenu la dénonciation du contrat.

Or, la décision de résilier un contrat produit ses effets de plano et irrévocablement.

Il n'en résulte donc nullement ensuite un droit de maintenir ou de ne pas maintenir la résiliation qui entraînerait corrélativement dans le chef de la partie subissant la résiliation le droit subjectif d'exiger que celle-ci soit privée d'effet de manière à ressusciter un contrat qui a pris fin.

Il ne peut, en conséquence, être question d'un abus de droit qui consisterait dans le fait de “maintenir” la dénonciation ou la résiliation d'un contrat, et de se refuser à maintenir ce contrat en vigueur.

En décidant que la demanderesse aurait commis un tel abus d'un droit, l'arrêt viole les articles 1382 et 1383 du Code civil (si l'on considère que l'arrêt s'est placé dans le champ extracontractuel), 1134, alinéa 3 du Code civil (s'il faut considérer que l'arrêt se fonde sur l'exécution du contrat) et le principe général du droit visé au moyen.

III. La décision de la Cour
Sur le deuxième moyen

La résiliation unilatérale d'une convention entraînant irrévocablement l'extinction de celle-ci, la partie dont elle émane n'a aucun droit à y renoncer. L'absence de pareille renonciation ne peut, dès lors, constituer un abus de droit dans son chef.

L'arrêt, qui, après avoir constaté que la demanderesse avait dénoncé l'ouverture de crédit qu'elle avait consentie au défendeur, considère que, quel que soit le caractère abusif ou non de cette dénonciation, la demanderesse a commis un abus de droit en maintenant sa décision de rompre ledit crédit, ne justifie pas légalement sa décision.

Le moyen est fondé.

Sur les autres griefs

Il n'y a pas lieu d'examiner le premier et le troisième moyens, qui ne sauraient entraîner une cassation plus étendue.

Par ces motifs,

La Cour

Casse l'arrêt attaqué, sauf en tant qu'il reçoit l'appel;

Ordonne que mention du présent arrêt sera faite en marge de l'arrêt partiellement cassé;

Réserve les dépens pour qu'il soit statué sur ceux-ci par le juge du fond;

Renvoie la cause, ainsi limitée, devant la cour d'appel de Mons.