Cour de cassation 3 décembre 2007
PREUVE EN MATIÈRE COMMERCIALE
Moyens de preuve - Comptabilité commerciale - Aveu non-judiciaire - Force probante - Appréciation par le juge du fond
Le non-commerçant peut, en règle, se prévaloir du contenu des livres des marchands qui peuvent constituer, de la part de celui qui les tient, un aveu. Mais dès lors qu'il ne s'agit pas d'un aveu judiciaire, le juge du fond apprécie la force probante des éléments de ces livres. L'arrêt qui considère que la comptabilité de la société a un caractère unilatéral, lacunaire et approximatif et qu'il existe des liens familiaux étroits entre la demanderesse et les associés de la société, justifie sa décision que la demanderesse ne démontre pas être titulaire d'une créance certaine, liquide et exigible contre cette société, même si la comptabilité de cette société commerciale montre un solde créditeur d'un compte en faveur de la demanderesse.
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BEWIJS IN HANDELSZAKEN
Bewijsmiddelen - Boekhouding koopman - Buitengerechtelijke bekentenis - Bewijswaarde - Appreciatie door feitenrechter
Een niet-handelaar kan zich in de regel beroepen op de boekhouding van een handelaar die in hoofde van die laatste een bekentenis kan vormen. Maar aangezien het om een buitengerechtelijke bekentenis gaat, mag de feitenrechter de bewijswaarde van elementen uit die boekhouding beoordelen. De feitenrechter die vaststelt dat de boekhouding van een vennootschap (handelaar) eenzijdig en approximatief is en lacunes vertoont en dat er enge familiale banden bestaan tussen de eiseres en de vennoten van de vennootschap, mag aannemen dat de eiseres niet aantoont titularis te zijn van een zekere, vaststaande en opeisbare schuldvordering, zelfs als de boekhouding van die vennootschap een rekening met creditsaldo ten voordele van de eiseres bevat.
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G.A. / H.G., en présence d'Établissements Decamps SA
Siég.: Ch. Storck (président), D. Plas, Ch. Matray, S. Velu et Ph. Gosseries (conseillers) |
M.P.: Th. Werquin (avocat général) |
Pl.: Mes F. T'Kint et J. Oosterbosch |
I. | La procédure devant la Cour |
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 12 septembre 2006 par la cour d'appel de Mons.
Par ordonnance du 25 septembre 2007, le premier président a renvoyé la cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Christine Matray a fait rapport.
L'avocat général Thierry Werquin a conclu.
II. | Le moyen de cassation |
La demanderesse présente un moyen libellé dans les termes suivants:
Dispositions légales violées |
- articles 1315 et 1330 du Code civil;
- article 870 du Code judiciaire.
Décisions et motifs critiqués |
Saisi de l'action du défendeur, [agissant] en sa qualité de curateur [à la faillite de la société privée à responsabilité limitée] Victor Gravy, demandant condamnation de la demanderesse au paiement de diverses factures d'un montant total de 108.253,89 euros en principal, montant réduit en cours d'instance à 57.311,02 euros, et de la contestation de la demanderesse qui, sans dénier l'existence de sa dette à l'égard de la société faillie, soutenait cependant qu'elle n'était plus redevable d'aucune somme à valoir sur les factures litigieuses en raison de la compensation légale entre cette dette et sa propre créance sur la société faillie, “matérialisée dans un compte courant 'avance associés'”, l'arrêt constate, par les motifs du premier juge qu'il s'approprie, que
“La société privée à responsabilité limitée Victor Gravy fut constituée le 15 avril 1991 (...); les parts en étaient détenues par V.G. et O.G., respectivement ex-époux et fils de la (demanderesse);
Le 28 avril 1993, V.G. et la (demanderesse), qui étaient à l'époque mariés sous le régime de la communauté légale, firent procéder, préalablement à un changement de régime matrimonial, à un inventaire établi par le notaire Gillieaux dans lequel figure sous la rubrique 'Déclarations actives et passives' la mention suivante (...): 'Compte avance associés dans la société privée à responsabilité limitée Victor Gravy d'un montant de trois millions huit cent vingt-cinq mille francs';
Le changement de régime matrimonial, consistant en l'adoption par les époux du régime de séparation de biens, fit l'objet d'un acte du notaire Gillieaux dressé le 31 août 1993 et homologué par jugement de la première chambre civile du tribunal de céans prononcé le 16 décembre 1993 (...); dans le cadre de la liquidation-partage de la communauté, il était notamment prévu qu'était attribué à la (demanderesse) le 'compte avance associés' dans la société privée à responsabilité limitée V. Gravy';
Un acte du notaire Lemaire, dressé le 21 février 1994, constate la clôture de la liquidation du régime de communauté ayant existé entre V.G. et la (demanderesse) (...);
Des pièces de la comptabilité de la société privée à responsabilité limitée Victor Gravy font apparaître, à la rubrique d'un compte ouvert au nom de la (demanderesse), un solde créditeur en sa faveur de 3.434.855 francs au 1er janvier 1998, porté à 3.596.466 francs au 31 décembre 1998 et ramené successivement à 1.788.185 francs au 31 janvier 2000 et à 1.434.213 francs au 29 février 2000 (...);
Une séparation semble être officiellement intervenue entre les époux G.-G. le 26 octobre 1999 (...) tandis que le règlement transactionnel préalable au divorce par consentement mutuel desdits époux fut établi par le notaire Lemaire le 27 janvier 2000 (...);
La faillite de la société privée à responsabilité limitée Victor Gravy fut déclarée le 18 juillet 2000.”
L'arrêt fait droit à la demande de condamnation du défendeur qualitate qua et rejette l'exception de compensation opposée par la demanderesse, l'existence de la créance de la demanderesse sur la société faillie n'étant pas prouvée, par les motifs suivants:
“Le jugement entrepris déduit de l'ensemble des éléments produits aux débats qu'il n'existe pas de preuve suffisante d'une obligation de remboursement de la société privée à responsabilité limitée Gravy à l'égard de (la demanderesse);
Devant la cour [d'appel], aucun élément complémentaire suffisamment probant n'est apporté à ce sujet;
Il convient de souligner:
- les liens étroits qui unissent (la demanderesse) aux associés de la société privée à responsabilité limitée: son ex-époux et son fils;
- la comptabilité approximative établie par cette société, le gérant, V.G., ex-époux de (la demanderesse), ayant affirmé qu'en raison d'une agression, il n'était pas en mesure de fournir des explications précises relatives à la situation active et passive de la société;
- le manque de crédibilité des assertions de (la demanderesse) quant aux avances qu'elle aurait effectivement consenties au moyen de fonds propres en faveur de la société faillie.”
Suit alors l'énoncé des “assertions” de la demanderesse, étant l'affectation du produit de la vente d'un immeuble et d'effets mobiliers.
“Il s'ensuit qu'en première instance, la (demanderesse) ne démontre être titulaire à l'égard de la société faillie d'une créance certaine, liquide et exigible, susceptible de justifier la compensation dont elle se prévaut.”
Le jugement dont appel, de son côté, avait relevé, s'agissant de la preuve de sa créance que la demanderesse entendait puiser dans la comptabilité de la société faillie, que
“En troisième lieu, vu, d'une part, le caractère unilatéral et lacunaire de la comptabilité de la société privée à responsabilité limitée Victor Gravy et, d'autre part, les liens familiaux étroits déjà évoqués, aucune valeur probante à l'égard des tiers ne peut être attachée aux pièces comptables produites.”
Griefs |
Aux termes de l'article 1330 du Code civil, “les livres des marchands font preuve contre eux”.
Il s'en déduit que l'inscription, dans la comptabilité d'une société commerciale, d'un compte ouvert au nom d'un tiers et dont le solde est créditeur, fait preuve, contre la société, de la créance de ce tiers à due concurrence.
Il en est ainsi même si “des liens étroits”, et singulièrement des liens de parenté ou d'alliance, unissent le bénéficiaire du solde créditeur de ce compte aux associés de la société, cette circonstance n'étant pas de nature, en tant que telle, à écarter le mode spécial de preuve expressément reconnu par la loi.
Il en est de même lorsque la comptabilité de la société commerciale est “approximative”, le commerçant n'étant pas autorisé, par le seul fait que ses livres seraient irrégulièrement tenus, à se soustraire à ce mode de preuve.
Il s'ensuit que l'arrêt, qui constate l'existence d'un compte ouvert auprès de la société faillie au nom de la demanderesse, et que le solde de ce compte était créditeur en faveur de la demanderesse, n'a pu légalement décider, par ses motifs propres et ceux du premier juge [qui sont] critiqués, que la demanderesse n'apportait pas la preuve de sa créance sur la société faillie à concurrence du solde créditeur de ce compte.
III. | La décision de la Cour |
Aux termes de l'article 1330 du Code civil, les livres des marchands font preuve contre eux.
Le non-commerçant peut, en règle, se prévaloir du contenu des livres des marchands, qui peuvent constituer, de la part de celui qui les tient, un aveu.
Cependant, dès lors qu'il ne s'agit pas d'un aveu judiciaire, le juge du fond apprécie la force probante des éléments de ces livres.
L'arrêt constate que le défendeur, agissant en qualité de curateur à la faillite de la société privée à responsabilité limitée Victor Gravy, a cité la demanderesse en paiement de diverses factures, non contestées par celle-ci, qui a soutenu qu'elle n'était plus tenue au paiement d'aucune somme en raison de la compensation légale entre ces factures et sa créance sur la société.
L'arrêt, par les motifs du jugement entrepris qu'il s'approprie et par ses motifs propres, considère que la comptabilité de la société, laquelle faisait apparaître à la rubrique d'un compte ouvert au nom de la demanderesse un solde créditeur, a un caractère unilatéral, lacunaire et approximatif et qu'il existe des liens familiaux étroits entre la demanderesse et les associés de la société, étant son ex-mari et son fils.
Par ces considérations, l'arrêt justifie légalement sa décision que la demanderesse ne démontre pas être titulaire à l'égard de la société d'une créance certaine, liquide et exigible, susceptible de justifier la compensation dont elle se prévaut.
Le moyen ne peut être accueilli.
Le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d'arrêt commun;
Condamne la demanderesse aux dépens.
(...)