Article

Cour d'appel Liège, 12/03/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/2, p. 178-181

Cour d'appel de Liège 12 mars 2007

VENTE
Vente internationale - Convention de Vienne - Non-conformité - Moment du transfert de risque
L'article 36 de la Convention de Vienne dispose que le vendeur est responsable de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur. S'agissant d'une vente C et F (CFR), le transfert des risques se produit au moment de l'embarquement des marchandises. En cause, il n'est pas possible de déterminer avec certitude quelle a été la cause de la putréfaction des oignons vendus, mais le vendeur a prouvé que les oignons embarqués étaient conformes. Ce risque doit par conséquent être subi par l'acheteur.
KOOP-VERKOOP
Internationale koop - Verdrag van Wenen - Niet-conformiteit - Tijdstip risico-overgang
Volgens artikel 36 van het Verdrag van Wenen is de verkoper aansprakelijk voor elk gebrek aan overeenstemming dat bestaat op het moment van de risico-overgang op de koper. Bij een CFR-verkoop gaat het risico over bij de inscheping van de koopwaar. Nu niet duidelijk is wat de oorzaak van het rotten van de ingescheepte uien is, en nu de verkoper bewezen heeft dat de ingescheepte uien conform waren op het moment van inschepen, is dit risico voor de koper.

J.P. Beemsterboer BV / SPRL BACO

Siég.: M. Ligot (conseiller ff de président), F. Royaux, A. Jacquemin, J. Baudart (conseillers)
Pl.: Mes J. Flamme et O. Lambert loco P. Bourtembourg

Après en avoir délibéré:

Le 13 janvier 2005, la société de droit néerlandais b.v. P. BE interjette appel du jugement rendu le 7 septembre 2004 par le tribunal de commerce de Namur qui la condamne à payer à la S.p.r.l. B. 63.999,93 ı majorés des intérêts moratoires au taux légal depuis le 6 juillet 1998 et les dépens.

Par conclusions du 18 mai 2006, la s.p.r.l. B. interjette à son tour appel du même jugement; elle demande que les intérêts qui lui sont alloués soient calculés au taux conventionnel de 12%.

Le litige est relatif à la vente C & F en avril 1998 par B. à BE de 1.044 tonnes d'oignons frais en provenance d'Argentine au prix de 700 DM la tonne. Il était convenu que les oignons devaient être de catégorie I et répartis suivant différents calibres: 10% en 35/50 70% en 50/70 et 20% en 70/90 ou 90/110.

Le problème vient de ce que les oignons arrivés à Rotterdam étaient endommagés en ce sens qu'une bonne partie de la cargaison souffrait d'un problème de putréfaction. BE prétend également que les oignons ne présentaient pas les qualités, caractéristiques spécifiques et les dimensions fixées par la convention.

Les parties s'opposent concernant l'origine du problème de putréfaction. BE soutient que les oignons souffraient d'un défaut de conformité qui existait avant même la vente et l'embarquement des marchandises à Buenos Aires tandis que pour B, il ne saurait être question de non conformité mais bien d'une perte de qualité suite aux conditions de transport.

L'action introduite par B. tend à obtenir la condamnation de BE au paiement du solde du prix de la vente.

BE demande quant à elle que la résolution de la vente soit prononcée aux torts de B. et la condamnation de celle ci au paiement de dommages et intérêts. Elle postale également qu'il soit fait application de l'article 1154 du Code civil.

Dans son jugement du 9 janvier 2001, le tribunal de commerce de Namur a décidé en substance que la vente litigieuse est soumise aux dispositions de la convention de Vienne du 11.04.1980 relative aux contrats de vente internationale de marchandises ...

S'agissant d'une vente C et F, le transfert des risques et de la propriété se produit au moment de l'embarquement des marchandises: 'le transfert des risques au moment de l'embarquement, c'est-à-dire avant que la délivrance soit complètement exécutée, résulte de la structure même de la vente CIF, puisqu'il s'agit d'une vente à l'embarquement, dans laquelle le vendeur entend ne point supporter les risques du transport maritime; ... ce que le vendeur doit à l'acheteur, c'est une marchandise qui a été embarquée en bon état, mais dont il ne garantit ni l'intégrité, ni même l'existence après l'embarquement; la vente CIF prend ainsi un caractère aléatoire' (Van Ryn et Heenen, Principes de droit commercial, tome 3, 2ème édition, n° 796).

En l'espèce, s'agissant d'une vente C et F, le vendeur n'avait pas l'obligation de conclure une assurance.

Quant à la charge de la preuve, 'il appartient au vendeur, qui assigne en paiement du prix, d'apporter la preuve de la conformité de la livraison tandis qu'il appartient à l'acheteur qui, non content de refuser le paiement du prix, réclame en outre des dommages et intérêts, de prouver la non-conformité, l'importance du dommage et son lien de causalité avec la non-conformité de la livraison' (Les dossiers du Journal des Tribunaux - La vente Chronique de jurisprudence 1988-1995, n° 44).

Il résulte de l'examen du rapport d'expertise de monsieur V.D.H. qu'à l'arrivée à Rotterdam (souligné dans le texte), les oignons n'étaient pas conformes, dès lors qu'ils ne correspondaient pas à la classe 1, spécifiée dans le contrat.

S'agissant d'une vente C et F, il y a lieu d'apprécier la question de la conformité des oignons au moment de leur embarquement en Argentine.

.... Les conditions générales de B. (qui prévoient) que 'lors d'une vente, l'établissement d'un certificat phytosanitaire et ou le certificat de plombage délivré par l'ONDAH sont déterminants pour le jugement de la qualité de la marchandise. L'établissement par le service phytosanitaire du pays d'origine des certificats exigés pour l'exportation ou la vente vaut agréage définitif des marchandises par l'acheteur' ne sont pas opposables à BE puisqu'il n'est pas démontré qu'elles ont été portées à la connaissance de celle ci et ensuite acceptées au moment de la formation du contrat.

L'article 36.1 de la convention de Vienne dispose que le vendeur est responsable de tout défaut de conformité qui existe au moment du transfert des risques à l'acheteur, même si ce défaut n'apparaît qu'ultérieurement.

En l'espèce la question se pose de savoir si la marchandise était conforme à l'embarquement et a perdu sa qualité suite aux conditions de transport ou si la marchandise était affectée d'un défaut avant l'embarquement même s'il n'est apparu qu'ultérieurement”.

Le tribunal autorise ainsi BE à prouver le fait suivant:

“Les oignons en provenance d'Argentine, faisant l'objet des livraisons litigieuses en mai et juin 1998, étaient de mauvaise qualité par cause de pluies violente”.

Ce jugement n'est pas frappé d'appel.

Il est donc ainsi jugé que c'est l'acheteur qui supporte les risques du transport maritime. Le moyen invoqué par BE qui soutient que B. doit supporter les conséquences des fautes éventuelles commises par le transporteur se heurte à cette décision.

Il en va de même pour ce qui concerne la question des assurances que B. aurait dû contracter. Il est jugé que B. ne s'était pas engagée contractuellement à l'égard de BE à assurer la marchandise contre les risques du voyage. Elle ne doit dès lors pas justifier de l'existence d'une autre police d'assurance couvrant sa responsabilité professionnelle.

Les enquêtes directes se tiennent les 1er et 22 juin 2001 et les enquêtes contraires le 31 mai 2002.

(…)

Le fond du litige peut être enfin abordé. Les enquêtes ne sont pas décisives.

Les versions entre les parties sont totalement contradictoires et les enquêtes n'ont pas fourni d'éléments décisifs permettant à la cour de les départager.

Il n'est pas contesté qu'une partie importante de la cargaison d'oignons, estimée de 30 à 50% par le témoin W. intervenu en tant qu'expert pour l'assureur de l'armateur, souffrait de putréfaction lorsqu'elle est arrivée à Rotterdam. Les rapports unilatéraux établis par les bureaux d'expertise V.D.H. et SGS en témoignent.

Par contre, les deux bureaux d'expertise s'opposent au sujet de l'origine de cette pourriture. Pour V.D.H., la pourriture trouve son origine dans les pluies intervenues sur le champ au moment de la récolte tandis que le rapport établi par la b.v. Internationale Contrôle Maatschappij SGS consultée par B. donne à penser que les conditions de transport n'ont pas été optimales. SGS a en effet constaté le 5 juin 1998 que les tuyaux d'écoulement des conteneurs étaient fermés, ce qui explique la présence de flaques d'eau à l'intérieur de ceux-ci.

Il faut encore signaler que le contenu d'un conteneur, le n° CSVU 960 142, 7 a été complètement déclassé, étant devenu impropre à la consommation humaine, la prise d'air de celui-ci n'ayant pas été ouverte contrairement aux instructions précises données par BE qui avait demandé que les oignons soient transportés dans les conditions suivantes: température 8° Celsius, une humidité de l'air aussi basse que possible avec une bonne ventilation, les tuyaux d'écoulement (drainage) et ventilateurs ouverts. Cet incident accrédite la thèse défendue par B.

Il faut enfin ajouter que suivant deux spécialistes consultés par B, les conditions de température imposées par BE étaient inadéquates.

Les parties sont donc contraires en fait sur tous les éléments qui touchent à la question de la putréfaction des marchandises. BE conteste que les tuyaux de drainage aient été fermés et prétend qu'ils ont été obstrués par des déchets d'oignons pourris. Les parties débattent également des conditions météorologiques en Argentine dans le courant des mois d'avril, mai et juin 1998 mais elles ne sont pas d'accord au sujet de la date de la récolte des oignons qui serait intervenue à la mi avril selon BE (requête d'appel, p. 24), en mai selon B. (conclusions, p. 14).

De même, SGS et VDH s'opposent au sujet de constatations effectuées sur une cargaison d'oignons de même provenance achetés par un autre client.

Que faut-il en conclure?

Qu'il n'est pas possible de déterminer avec certitude quelle a été la cause du processus de putréfaction des oignons.

La compétence de MVDH n'est pas en cause mais il doit bien être constaté que c'est simplement par déduction et sur base de son expérience personnelle que celui-ci affirme que le processus trouve son origine dans de la pluie violente, de la tempête ou de la grèle à l'exclusion des conditions de transport.

Il faut encore relever que là où MVDH déclare que le temps nécessaire pour que la pourriture s'installe au coeur de l'oignon est de 5 à 6 semaines en général, le témoin H. entendu dans le cadre de l'enquête directe et dont les compétences ne paraissent pas moindres que celles de MVDH indique qu'”entre le moment où l'eau pénètre par la tige et le moment où la pourriture s'amorce à l'intérieur, il se passe entre 1 à 3 semaines suivant les conditions climatiques” et précise qu'”à l'embarquement, le processus n'est pas visible à l'oeil nu, il faut couper l'oignon”.

Couper l'oignon, c'est justement ce que le contrôleur M. certifie avoir fait sans remarquer quoique ce soit d'anormal.

L'impasse est donc complète et faute d'une expertise approfondie opposable aux deux parties, il est impossible de dire si le défaut constaté à l'arrivée au port à Rotterdam existait déjà en germe lors de l'embarquement à Buenos Aires.

Dès lors que les parties n'ont pas convenu d'une livraison qualitative à Rotterdam, c'est à B. qu'il incombe, ainsi que cela a été jugé le 9 janvier 2001, d'apporter la preuve de la conformité de la livraison au moment du passage des risques c'est-à-dire en l'espèce au moment de l'embarquement.

A défaut de dispositions particulières prévues dans le contrat au sujet du contrôle de la conformité des oignons, il peut être admis que B. justifie de la conformité des marchandises tant sur le plan sanitaire, que sur le plan de la conformité à la réglementation européenne fixant les normes de qualité pour les oignons ainsi que sur le plan de la réglementation de la Productenschap voor groeten en fruit Hollandaise, par la production des certificats phytosanitaires délivrés par les contrôleurs de la Senasa argentine.

Les certificats phytosanitaires font en effet expressément référence aux dispositions phytosanitaires en vigueur dans le pays importateur tandis que lors de son audition, le contrôleur argentin précise que la qualité Seleccionado figurant sur les étiquettes apposées sur les sacs qui correspond à la classe I visée au contrat a été vérifiée.

B. rapporte donc par la production des certificats phytosanitaires la preuve que les oignons pouvaient être embarqués sous classe I et qu'ils étaient exempts de putréfaction au moment de l'embarquement tandis que BE ne démontre pas que la pourriture des oignons a une origine antérieure à l'embarquement.

BE se plaint encore de ce que les dimensions des oignons n'étaient pas conformes. Effectivement, SGS reconnaît que le calibrage des oignons à l'intérieur des sacs contrôlés était “mauvais” (rapport du 10 juin 1998). Toutefois, il reste qu'il s'agit là d'un défaut apparent dont BE s'est rendue compte dès réception de la marchandise qu'elle n'a pas refusée pour ce motif. Il résulte en effet de la correspondance échangée entre parties que le défaut de calibrage n'a pas constitué pour l'appelante un obstacle à l'agréation des marchandises, BE se réservant simplement le droit de porter en compte à l'intimée le coût du travail de triage.

Ce n'est que plus tard dans le cadre du procès diligenté par B. que ce problème, accessoire, de taille des oignons a été mis en exergue par BE dans le but d'établir le défaut de conformité des marchandises.

Le défaut de calibrage ne saurait dès lors justifier la résolution de la vente aux torts de B.

Il reste enfin à faire un sort à la dernière cargaison d'oignons (11 conteneurs) transportée par le Maersk Santos et arrivée à Rotterdam le 20 juin 1998. Pour ce qui concerne la conformité de la marchandise transportée, il est permis de s'en référer aux motifs qui précèdent.

Pour justifier le non-paiement de cette marchandise, BE invoque les articles 58.3 et 71 de la convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises. Elle estime que bénéficiant d'une créance importante de dédommagement à l'égard de l'intimée pour des livraisons non conformes, elle était en droit de refuser tout paiement supplémentaire.

Elle stigmatise enfin le refus de livraison de B. et considère que c'était à celle-ci de prendre soin de cette cargaison à son arrivée.

Ces moyens ne sont pas fondés.

La convention intervenue entre parties prévoyait que le solde de 75% du prix de la vente devait être payé sur présentation de la copie du connaissement. Etant tenue de payer le prix sur présentation de ce document, BE ne peut invoquer l'article 58.3 de la convention de Vienne qui autorise l'acheteur à ne pas payer le prix avant d'avoir eu la possibilité d'examiner les marchandises.

BE a invoqué l'exception d'inexécution à ses risques et périls. Dès lors qu'il apparaît a posteriori que l'exception n'était pas fondée, elle doit en supporter les conséquences.

Enfin, c'est à tort que BE soutient que B. aurait refusé de lui délivrer la cargaison du Maersk Santos. Depuis le 16 juin 1998, BE était en effet en demeure de payer le solde du prix de celle-ci. B. était dès lors en droit de conserver le connaissement maritime jusqu'au complet paiement.

Avec l'accord de BE (voir courrier du 22.06.1998), B. a tenté de trouver un autre amateur pour l'achat de cette cargaison. Elle n'a pu y parvenu et aucune faute n'est démontrée dans son chef à cet égard.

BE qui était en défaut de payer la marchandise qu'elle avait achetée doit supporter les conséquences de la perte de celle-ci.

L'action introduite par B. est donc fondée en son principe. C'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande de résolution de la vente introduite par BE.

Dès lors qu'il est jugé que les conditions générales de vente B. ne sont pas opposables à BE, celle-ci ne saurait être condamnée à payer les intérêts moratoires au taux conventionnel de 1% par mois.

Décision

La Cour statuant contradictoirement

Reçoit les appels,

Confirme le jugement entrepris et condamne la société de droit néerlandais b.v. J.P.BE aux dépens d'appel liquidés par la s.p.r.l. B. à 466,04 ı.