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La réticence dolosive et le devoir de loyauté dans le cadre des cessions d'actions, R.D.C.-T.B.H., 2008/2, p. 164-177

OBLIGATIONS CONTRACTUELLES
Validité du contrat - Dol - Cession d'actions - Obligation d'information - Réticence dolosive - Dol incident
La réticence d'une partie peut être constitutive de dol lorsqu'elle porte sur un fait qui, s'il avait été connu de l'autre partie, l'aurait amenée à contracter à des conditions moins onéreuses ou plus avantageuses.
Dans le chef d'une partie, la simple conscience de devoir dire à l'autre partie ce qu'elle omet sciemment de lui révéler suffit à caractériser la réticence constitutive de dol.
Le cessionnaire des titres d'une société est tenu d'informer le cédant des négociations qu'il conduit avec un tiers en vue de lui céder ou de lui apporter ultérieurement les titres faisant l'objet de la cession. Est coupable de dol le cessionnaire qui, afin d'inciter le cédant à céder ses actions à des conditions moins avantageuses, l'induit en erreur sur leur valeur réelle en omettant volontairement de lui révéler que cette cession est liée à une opération de transfert de l'ensemble des titres, à laquelle tous les actionnaires pourraient concourir.
L'auteur du dol ne peut invoquer la négligence, voire même l'erreur inexcusable, de la victime pour contester la nullité d'une convention ou s'exonérer de toute responsabilité.
Le dol incident ne donne lieu qu'à l'octroi de dommages-intérêts.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
Geldigheidsvereisten overeenkomsten - Bedrog - Aandelenoverdracht - Informatieplicht - Bedrieglijke verzwijging - Incidenteel bedrog
De verzwijging door een partij kan als bedrog worden beschouwd indien deze verzwijging betrekking heeft op een feit waardoor de andere partij, indien deze van dit feit op de hoogte was geweest, de verbintenis tegen minder dure of tegen voordeligere voorwaarden zou zijn aangegaan.
In hoofde van een partij volstaat het loutere besef van de plicht om te moeten zeggen aan de andere partij wat zij bewust nalaat bekend te maken om deze verzwijging als bedrog te bestempelen.
De verwerver van de effecten van een vennootschap is gehouden de cedent op de hoogte te brengen van de onderhandelingen die hij voert met een derde met het doel om de effecten die het voorwerp van de afstand uitmaken, later aan deze derde te verschaffen. De verwerver die de cedent aanzet om zijn aandelen tegen minder voordelige voorwaarden af te staan, maakt zich schuldig aan bedrog in geval hij de cedent verkeerd inlicht omtrent de werkelijke waarde en ingeval hij opzettelijk verzwijgt dat deze afstand gelieerd is aan een overdracht van de hele effectenportefeuille, die voor alle aandeelhouders in aanmerking komt.
De bedrieger kan zich niet op nalatigheid of op een onverschoonbare dwaling in hoofde van het slachtoffer beroepen om de nietigheid van een overeenkomst te betwisten of om zich van alle aansprakelijkheid vrij te stellen.
Bij incidenteel bedrog kan enkel een schadeloosstelling toegekend worden.
La réticence dolosive et le devoir de loyauté dans le cadre des cessions d'actions
Yves De Cordt [1], [2]
I. Les faits

1.Aux termes d'une convention conclue le 15 juillet 1996, Monsieur F., administrateur délégué de la société Carobel, cède l'intégralité des actions représentatives du capital de cette société, à savoir 1.100 actions au porteur, à la société Carobel Holding, représentée par V., étant entendu que F. se porte fort de l'obtention de l'accord unanime et inconditionnel des actionnaires de la société qu'il représente dans le cadre de la transaction. Le prix stipulé est de 115.000.000 FB et les actions doivent être délivrées au plus tard le 1er septembre 1996. Monsieur F. cède également la gestion journalière de Carobel à Carobel Holding.

Les 179 actions au porteur que Monsieur D. possédait dans la société Carobel sont cédées à F. et ensuite transférées à la société Carobel Holding. Estimant avoir été dépouillé par des manoeuvres de F., Monsieur D. dépose plainte contre lui et agit en nullité de la vente. Il soutient, à titre principal, ne jamais avoir consenti à céder ses actions tandis que Mesdames F., ayants droit de Monsieur F. entre-temps décédé, prétendent qu'il les a bien vendues, pour 2.200.000 FB, à F., qui les a ensuite revendues à Carobel Holding avec l'ensemble des actions qu'il avait rassemblées.

Par un jugement du 25 février 2005, le tribunal de commerce de Liège déboute Monsieur D. de sa demande, considérant qu'il a bien accepté de vendre ses actions, contre remise de la somme litigieuse, afin de finaliser la cession de la totalité du capital de Carobel. Selon le tribunal, Monsieur D. savait, bien avant d'adresser des reproches à F., que le contrôle de Carobel allait être cédé à Carobel Holding. Dans ses conclusions d'instance comme d'appel, Monsieur D. reconnaît avoir, le 1er avril 1997, déposé la somme reçue en décembre 1996 sur son compte “avec en communication acompte en liquide de revente parts Carobel”. Aux yeux des premiers juges, la qualification d'acompte donnée, dans ces circonstances, au montant reçu impliquait nécessairement que Monsieur D. consentait à céder ses actions.

En degré d'appel, Monsieur D. fait valoir, à titre subsidiaire, que la vente est nulle pour cause de dol, au sens de l'article 1116 du Code civil, parce que Monsieur F. lui a volontairement caché le prix de la cession du contrôle de Carobel, la connaissance de l'existence de la cession n'emportant pas nécessairement celle de ses conditions précises.

Mesdames F. tentent de démontrer que Monsieur D. avait connaissance de cette cession et de ses conditions. Elles lui reprochent de ne s'être préoccupé du sort de ses actions que trois ans après la vente et invoquent le fait qu'il avait accès aux comptes de Carobel en tant qu'actionnaire. En outre, elles tentent d'écarter le dol en soutenant qu'il n'y a aucune raison de lier le prix de la cession entre Monsieur D. et Monsieur F. et le prix de la cession entre Monsieur F. et Carobel Holding.

II. L'arrêt: la réticence constitutive d'un dol incident

2.Selon la cour, le premier juge a eu raison de considérer que D. avait bel et bien accepté de vendre ses actions afin que F. puisse céder la totalité des parts représentatives du capital de Carobel à Carobel Holding.

En revanche, la cour considère que Monsieur D. n'a eu connaissance du prix de la cession, par F., de la totalité des actions que par les recherches entreprises suite à la découverte fortuite, en 1998, d'éléments ayant nourri ses soupçons. La cour puise, notamment, sa conviction dans le dossier pénal, d'où il ressort que F. avait fait promettre à V. de ne jamais révéler le montant de la transaction et avait déclaré aux enquêteurs qu'à partir du moment où D. avait accepté sa proposition de prix, quelle qu'en soit la justification, l'opération était terminée. Cette déclaration démontre en outre, aux yeux de la cour, que Monsieur F. “avait conscience qu'il devait dire à l'appelant ce qu'il ne lui avait pas dit, circonstance qui caractérise la réticence constitutive de dol”. La cour rappelle par ailleurs que l'auteur du dol ne peut invoquer la négligence, voire même l'erreur inexcusable, de la victime pour repousser son action. Enfin, se fondant sur la stipulation de porte-fort et sur le fait que F. était, en définitive, le cédant de la totalité des actions, la cour déclare que l'achat des 179 actions “Carobel” de Monsieur D. par F. n'est pas détachable de la revente de la totalité des actions “Carobel” à Carobel Holding.

Estimant que, par son silence délibéré, F. cherchait à induire D. en erreur sur la valeur réelle de ses actions afin de l'amener à les céder à des conditions moins avantageuses et convaincue que D. n'aurait pas cédé ses actions aux mêmes conditions si F. lui avait indiqué que l'ensemble des actionnaires devaient concourir à la bonne fin de l'opération de cession de contrôle qu'il négociait, la cour arrête que le consentement de D. a été vicié par le dol de F.

Le dol n'ayant été qu'incident, la cour ne prononce pas la nullité de la vente mais octroie à Monsieur D. des dommages et intérêts équivalant à la différence entre les 2.200.000 FB reçus par lui et la valorisation de sa participation selon la convention du 15 juillet 1996, modifiée par la transaction du 26 septembre 1998, soit € 387.175,88.

En définitive, la cour se focalise sur la réticence coupable, constitutive d'un dol incident, sans s'interroger explicitement sur le fondement d'une éventuelle obligation d'information à charge de Monsieur F. Or, le fait que ce dernier ait été l'administrateur-délégué de la société Carobel est, selon nous, l'élément déterminant. En effet, la cour aurait été mieux inspirée en fondant l'octroi de dommages et intérêts sur le fait que Monsieur F. a violé son obligation de loyauté à l'égard de son actionnaire, Monsieur D.

Un examen des règles et des principes du droit commun et du droit des sociétés ainsi qu'une analyse de droit comparé nous permettront de justifier notre opinion.

III. La réticence dolosive et l'obligation de loyauté: état de la question

3.Nous distinguerons les règles du droit commun, que la cour a exclusivement prises en considération, et le droit des sociétés, auquel elle aurait dû étendre sa réflexion pour fonder son arrêt sur une base plus solide.

A. Le droit commun

4.Un rappel des règles de droit civil relatives à la validité des conventions nous paraît s'imposer [3]. Ces règles doivent être nuancées eu égard à l'essence du droit commercial.

L'article 1108 du Code civil retient quatre conditions essentielles pour qu'une convention soit valable: la validité du consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité de contracter, un objet certain et une cause licite.

L'article 1109 du Code civil énonce trois vices de consentement: l'erreur, la violence et le dol. La convention contractée par erreur, violence [4] ou dol donne lieu à une action en nullité ou en rescision (art. 1117 C. civ).

Selon l'article 1110 du Code civil, l'erreur n'est une cause de nullité que lorsqu'elle porte sur la “substance même de la chose”. Sous réserve des contrats intuitu personae, l'erreur n'entraîne pas la nullité de la convention l'erreur sur la personne du cocontractant. Il faut que l'erreur soit à ce point importante que les consentements ne se sont pas réellement rencontrés: il y a méprise sur la nature du contrat, sur sa cause [5] ou sur l'identité de son objet, voire son aptitude à réaliser la fin poursuivie. L'erreur “substantielle” porte sur un élément qui a déterminé la volonté de contracter. L'erreur sur les “motifs essentiels” peut entraîner la nullité du contrat si ces motifs sont entrés dans le champ contractuel, ce qui est le cas lorsque le caractère déterminant du mobile et sa portée juridique sont connus - ou ne peuvent être ignorés - par l'autre partie et ont été acceptés, fût-ce tacitement, comme élément du contrat [6]. En revanche, l'erreur sur la valeur ou le prix n'a, en principe, pas de portée juridique [7]. L'erreur provoquée par le dol est néanmoins plus large que l'erreur simple dans la mesure où elle peut concerner la valeur de l'objet du contrat ou les motifs ayant inspiré sa conclusion.

L'article 1118 confirme que l'erreur sur la valeur n'est pas prise en considération puisqu'il précise que la lésion “ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l'égard de certaines personnes”. La lésion ne peut entraîner la nullité d'une convention qu'en matière de vente d'immeuble, de partage et de société [8]. La lésion “qualifiée”, dont les contours ont été esquissés par la jurisprudence et la doctrine, est le préjudice suscité par un déséquilibre manifeste entre les prestations réciproques des parties, qui trouve son origine dans l'exploitation par l'une des parties de l'infériorité (crédulité, naïveté, faiblesse, légèreté, développement intellectuel, degré d'instruction, manque de compétence et d'expérience, situation économique, circonstances de fait, …) de l'autre [9]. L'objectif est de protéger les parties économiquement faibles. La doctrine et la jurisprudence n'ont pas encore eu à répondre explicitement à la question de savoir si l'asymétrie d'informations est susceptible de placer une partie en situation d'infériorité au sens du droit commun.

5.L'article 1116 stipule que le dol est une cause de nullité lorsque qu'il est évident que, sans les manoeuvres pratiquées par l'une des parties, l'autre partie n'aurait pas contracté. Le dol ne se présume pas et doit être prouvé, le cas échéant en se fondant sur des présomptions résultant de faits antérieurs ou même postérieurs à la convention. Il s'agit d'une tromperie, d'une forme de déloyauté, qui peut entraîner la responsabilité aquilienne de son auteur ou la nullité du contrat pour vice de consentement. Le dol peut être défini comme “l'emploi de moyens répréhensibles par une personne, avec pour but et pour effet d'en tromper une autre et de la décider à accomplir un acte juridique, sous l'influence de l'erreur ainsi créée dans son esprit” [10]. Les moyens dolosifs mis en oeuvre par une partie [11], avec l'intention d'induire en erreur, doivent avoir, in concreto, suscité, déterminé, le consentement de l'autre partie. La partie qui commet le dol influence son cocontractant en créant une apparence trompeuse ou en s'abstenant de donner une information qu'il lui incombe de communiquer.

L'annulation d'un contrat pour dol n'implique pas le constat de l'absence de faute dans le chef de la victime [12], ce qui n'exclut pas que le juge en tienne compte dans la détermination des éventuels dommages et intérêts. L'auteur du dol ne peut en éluder les conséquences en invoquant l'imprudence ou la négligence grave et inexcusable de la victime.

Si les manoeuvres n'ont pas subjectivement déterminé l'expression du consentement de la partie concernée, eu égard à ses caractéristiques personnelles, le dol sera “incident” et ne pourra, en principe, donner lieu qu'à l'octroi de dommages et intérêts [13]. C'est le cas lorsque le dol a eu une influence, non sur l'existence du contrat, mais sur les conditions auxquelles il a été conclu: la victime du dol a conclu le contrat à des conditions plus onéreuses ou moins avantageuses.

6.La réticence d'une partie peut être constitutive de dol [14] lorsqu'elle porte sur un fait qui, s'il avait été connu de l'autre partie, l'aurait amené à contracter à des conditions moins onéreuses [15]. Avec une partie importante de la doctrine et de la jurisprudence [16], nous pensons cependant que l'on ne peut reprocher une “réticence dolosive” à une partie que si elle avait l'obligation de s'exprimer en raison de la loi, des usages, de sa profession, de sa fonction ou des circonstances. Il serait, selon nous, excessif de reconnaître a priori, sans nuance, l'existence, en droit civil, d'une obligation générale de renseignement [17], fût-elle fondée sur un principe de négociation et de conclusion de bonne foi, inspiré - en amont - de l'obligation d'exécution de bonne foi (art. 1134).

La jurisprudence a parfois tendance à considérer trop rapidement que la réticence est constitutive de dol “lorsque la partie ignorante du fait omis n'aurait pas conclu le contrat si elle avait eu connaissance de ce fait” [18]. Il s'impose, selon nous, d'avoir égard aux circonstances de l'espèce ainsi qu'aux caractéristiques des personnes en présence [19]. La réticence consiste en un silence circonstancié, “qualifié par les circonstances”, qui entraîne une dissimulation volontaire insidieuse. Ainsi, selon le tribunal de première instance de Bruxelles, “le fait d'amener la victime à transiger sur toutes les conséquences actuelles et futures de l'accident alors que l'assureur débiteur d'indemnisation sait pertinemment que ces conséquences sont encore inconnues de la victime et de ses médecins, est constitutif de dol” [20]. La cour d'appel de Liège a considéré qu'“afin de déterminer s'il y a ou non obligation de parler dans le chef des vendeurs, le juge doit avoir égard à la personne de l'acheteur et du vendeur: dès lors que l'acheteur se présente comme professionnel en immobilier, les vendeurs ne sont tenus qu'à une obligation limitée d'information” [21]. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation française rappelle que “l'acquéreur, même professionnel, n'est pas tenu d'une obligation d'information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis” [22].

Il est vrai que, dans le droit contemporain des contrats, la période qui précède la formation du contrat a pris une importance considérable alors que le Code civil l'ignore presque complètement. Les solutions jurisprudentielles font peser sur l'offrant, et, d'une certaine manière, sur l'acceptant certains devoirs qui sont destinés à garantir l'efficacité du processus de conclusion du contrat. Ils peuvent être rapprochés de l'exigence de transparence du marché. En démontrant que le fondement de la force obligatoire du contrat réside dans la recherche, par le droit objectif, de l'utile et du juste comme équilibre des intérêts, certains auteurs ont prôné une justice contractuelle teintée de “solidarisme” [23]. L'équilibre contractuel est mis en oeuvre par les règles relatives à la lésion qualifiée, à l'imprévision, aux clauses abusives et par les principes de bonne foi, de loyauté et de proportionnalité [24]. Le principe de fraternité contractuelle requiert que chacun des contractants soit tenu de prendre en compte, par delà son propre intérêt, l'intérêt du contrat et celui de l'autre partie. Il tend à favoriser la conclusion, l'exécution et la pérennité du contrat compris comme la base d'une collaboration et le creuset d'une union des intérêts (devoirs réciproques et proportionnels de conseil, de loyauté, de coopération, de renégociation…) [25]. Cette collaboration est sans doute plus forte dans les contrats de longue durée, où la communauté d'intérêts entre parties est plus grande [26]. On retrouvera cette notion de communauté d'intérêts en droit des sociétés (voy. infra).

7.Ces règles et ces principes sont a priori transposables aux contrats commerciaux. Quelle est la portée de l'obligation générale d'information, notamment quant au prix, dans le champ de la commercialité?

Le terme “commerce” désigne, dans le langage courant, l'opération consistant, pour un agent économique, soit à v­endre une marchandise ou une valeur qu'il a lui-même produite, soit à l'acheter pour la revendre, après l'avoir trans­formée ou non. Les activités organisées qui animent la vie économique moderne constituent la matière du droit commercial [27]. Comme on le sait, trois conceptions de la commercialité se sont manifestées au fil du temps.

La conception “professionnelle” ou “personnelle”, selon laquelle le droit commercial est le droit de ceux qui ont la qualité de commerçant, se heurte à un double écueil: le c­ommerçant pose, dans le cadre de sa vie privée, des actes étrangers à l'exercice de son commerce ou de son industrie; inversement, certains particuliers qui n'ont pas la qualité de commerçant utilisent des procédés de droit commercial. La conception “objective” ou “réelle” est la seule conciliable avec l'égalité consacrée par la Révolution Française: le droit commercial s'applique à tous les actes de commerce, quel qu'en soit l'auteur. Or, pour qualifier certains actes, il s'impose d'analyser l'activité économique des contractants: le droit commercial s'applique à une catégorie d'actes, qui confèrent à leur auteur, lorsqu'ils sont accomplis d'une manière habituelle et à titre de profession, la qualité de commerçant, laquelle, à son tour, engendre diverses conséquences, notamment l'attribution “réflexive” du caractère commercial à des actes qui, par leur nature propre, seraient des actes civils.

La conception subjective a été dégagée par les juristes qui ont tenté de retrouver, sous chaque acte commercial isolé, une notion qui en serait la caractéristique essentielle et la finalité profonde. Le critère subjectif de la “spéculation”, dénué de tout sens péjoratif, a alors émergé. Spéculer, c'est acheter, en faisant le pari que le prix d'un bien ou d'un service augmentera, ou vendre, en pressentant que le prix de ce bien ou de ce service va diminuer. Il s'agit donc d'accomplir un acte ou d'exercer une activité dans le dessein d'en tirer un profit. À propos de l'achat pour revente, la jurisprudence a très vite posé deux conditions non exprimées par le code: il faut qu'il y ait intention de revendre dès l'acte d'achat et avec bénéfice. On connaît la controverse… La Cour de cassation belge a opté, en son temps, pour la conception subjective, définissant l'acte de commerce par le but de lucre ou la spéculation, ce qui implique que des actes de commerce entrant dans la définition légale échapperont à cette qualification si l'absence de tout but lucratif est établie. “Les actes énumérés par l'article 2 du Code de commerce sont réputés 'commerciaux' parce que le législateur présume qu'ils sont accomplis dans un but de lucre” [28]. Selon Van Ryn et Heenen, cette notion d'esprit de lucre - “inutile et inconsistante” - “risque d'obscurcir la distinction nécessaire entre l'entreprise économique et son propriétaire” [29]. Pour ces auteurs, l'intention de réaliser un bénéfice doit être remplacée par une notion plus objective: “la nécessité, pour toute entreprise économique, d'être organisée de manière à s'assurer un rendement favorable, ce qui postule un excédent de recettes sur les dépenses. C'est, en d'autres termes, l'emploi de méthodes commerciales qui doit être l'élément déterminant”. Le but de lucre, la spéculation, la marge bénéficiaire sont des signes particuliers de la commercialité.

Il serait donc injustifié de mettre à charge du commerçant qui acquiert un bien en vue de le revendre l'obligation d'informer le vendeur initial du prix de revente que ce commerçant sait pouvoir obtenir d'un cessionnaire définitif, d'un client. Sous réserve des règles protectrices des consommateurs, l'éventuelle obligation d'information ne porte pas sur la valeur du bien ou du droit qu'il s'agit de négocier. La valeur est accessible à tous et se trouve déterminée précisément par la transaction particulière. Si je sais que X est prêt à payer 1.000 un bien que Y est prêt à me vendre à 700, je ne peux être obligé de révéler à Y les intentions de X, ce qui impliquerait de m'effacer au profit de X et de servir d'intermédiaire entre X et Y.

La liberté du commerce et d'industrie n'exclut cependant pas l'existence de règles générales destinées à encadrer l'activité commerciale. La théorie de la concurrence déloyale permet la sanction des comportements sortant de l'exercice normal de la liberté contractuelle. Tout acte déloyal engage la responsabilité de son auteur au profit de ceux qui en ont été les victimes sur base de règles précises qui viennent limiter les moyens utilisables. La loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur a un double objectif. Le plus ancien est le maintien d'une concurrence loyale dans les transactions commerciales: il s'agit de préserver les commerçants établis contre des formes de concurrence trop vives. Le second objectif de la loi, qui est la protection du consommateur, est devenu à ce point essentiel que la loi a été considérée comme consacrant le triomphe du consumérisme [30]. Cette protection du consommateur requiert que des obligations spécifiques d'information soient imposées aux vendeurs. En dehors de ces hypothèses légales, une obligation générale de renseignement ne saurait exister.

B. Le droit des sociétés

8.Qu'en est-il de l'obligation d'information entre parties dans le cadre du droit des sociétés?

Le contrat de société est un “contrat-statut” [31] conclu dans l'intérêt commun des associés (art. 19 du Code des sociétés), qui collaborent sur pied d'égalité en vue de se partager les bénéfices générés par les activités exercées grâce aux apports mis en commun (art. 1 du Code des sociétés). Il s'agit d'une sorte de contrat relationnel (“relational contract”), qui se distingue d'un contrat transactionnel (“discrete contract”) en ce que le droit applicable prend en compte les éléments relationnels de l'échange [32].

L'antagonisme entre les parties y est, en principe, moindre que dans les autres contrats. L'existence de cette communauté d'intérêts, qui incite à la coopération entre parties, n'interdit pas que chaque associé se préoccupe de son intérêt personnel mais cette motivation égoïste doit s'exprimer dans la réalisation de l'objectif commun et non dans l'opposition qui règne d'ordinaire dans tout contrat commutatif. Le contrat de société est, dans cette perspective, traversé par la notion romantique d'“affectio societatis” et la notion solidaire de “ius fraternitatis”, qui attestent de ce qu'à l'origine, la société a été appréhendée comme le prolongement de la famille [33] dans le champ économique. Ces notions fonctionnelles permettent de donner une plus grande force au principe d'exécution de bonne foi des conventions [34], qui tend à devenir, dans les sociétés de capitaux, une norme de comportement des actionnaires correctrice du principe majoritaire, comme la bonne foi est une norme de comportement correctrice de la liberté contractuelle des parties.

L'une des raisons d'être du droit des sociétés est de régler des conflits d'intérêts entre les différents protagonistes. À cette fin, il encourage la loyauté des dirigeants à l'égard de la société et des actionnaires et, dans certaines circonstances, la bonne foi des actionnaires dominants à l'égard des actionnaires minoritaires [35]. Il y va d'une sorte de moralisation des sociétés anonymes [36] fondée sur la nécessité pragmatique de préserver la confiance.

a. L'obligation de loyauté des dirigeants

9.Si l'esprit de la “corporate governance” est que la “démocratie” capitaliste se fonde sur un équilibre de pouvoirs et de contre-pouvoirs où l'ensemble des stakeholders ont leur place, son idéologie dominante demeure celle de la primauté de l'intérêt de l'actionnaire que sont censés garantir la transparence de la gestion ainsi que la loyauté, l'intégrité et la responsabilité de tous les dirigeants et l'indépendance de certains d'entre eux.

Quant au conseil d'administration, la conception patrimoniale - étroite - de l'intérêt social a récemment trouvé une expression renouvelée, dans la théorie anglo-saxonne dite des “devoirs fiduciaires”. Selon cette théorie, le conseil d'administration de la société anonyme n'est pas seulement en charge de l'intérêt de la société en tant que personne morale indépendante et il ne doit pas seulement veiller, dans le respect des standards de prudence, de vigilance et de compétence moyenne qui s'imposent à tout mandataire, à l'exécution de son mandat envers celle-ci. Le fonctionnement de la société n'étant, au premier chef, rendu possible que par les apports des associés, éventuellement complétés par du financement externe, un devoir de loyauté s'impose, en dépit du voile de la personnalité morale, envers la généralité des actionnaires [37]. L'obligation d'agir de bonne foi dans l'intérêt de la société est définie comme une obligation d'agir dans l'intérêt des actionnaires en général (“shareholders as a whole”[38].

La Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) a préconisé l'importation de cette théorie dans notre droit, notamment pour justifier ses prises de position en matière de cession privée de participations de contrôle avant l'adoption de l'arrêté royal du 8 novembre 1989, ou encore pour préciser les mobiles qui doivent à ses yeux inspirer le conseil d'administration lorsqu'il exerce des pouvoirs découlant d'une clause statutaire d'agrément [39].

Au cours de ces dernières années, le droit belge a donc réservé une attention accrue aux “fiduciary duties of corporate directors” à l'égard de leurs actionnaires et, plus précisément, à leurs “duties of care” (devoir de diligence et de bonne gestion par rapport aux standards de science et d'expérience du gestionnaire normalement prudent et diligent), “duty of loyalty” (devoir d'honnêteté, de bonne foi, de loyauté et de fidélité) [40] et “duty of candor” (devoir d'information et de transparence). Le devoir de loyauté, qui s'exerce dans l'intérêt de la société et dans l'intérêt commun des associés, implique que les dirigeants ne peuvent s'avantager au détriment de la société et des associés, concurrencer la société, abuser des biens sociaux, favoriser certains actionnaires, exploiter une information privilégiée, … Ce devoir leur impose de gérer la société dans l'intérêt social, de justifier à l'égard des actionnaires l'intérêt que revêt telle ou telle opération et de fournir aux actionnaires une information complète sur la situation financière et patrimoniale de la société.

Ce devoir de loyauté doit conduire le dirigeant à éviter les conflits d'intérêts susceptibles de tromper la confiance légitime des actionnaires [41]. De manière générale, les problèmes de “self-dealing” survenant dans le chef d'un actionnaire majoritaire ou d'un administrateur peuvent être résolus, quel que soit l'organe compétent, soit par une prohibition absolue de réaliser l'opération, soit par une interdiction de participer à la délibération en état de conflit d'intérêts, qui implique le consentement de la minorité pour réaliser l'opération litigieuse, ou encore par le respect d'une obligation de loyauté et d'équité, selon laquelle la minorité s'étant vu imposer une telle opération doit recevoir une compensation adéquate [42]. Les dispositions relatives aux conflits d'intérêts dans le chef d'un administrateur contenues aux articles 523, 524ter et 529 du C. soc. en sont une illustration [43]. Le législateur a été attentif aux conflits d'intérêts qui surviennent lorsqu'à l'occasion d'une décision à prendre par le conseil d'administration, un administrateur a un intérêt opposé, de nature patrimoniale, à celui de la société. L'intéressé doit révéler spontanément tout conflit d'intérêts avec la société et, dans les sociétés publiques, s'abstenir de prendre part à la délibération et à la décision relatives à l'opération concernée.

10.La jurisprudence française relative à l'obligation d'information du cessionnaire et au devoir de loyauté du dirigeant [44] dans le cadre des cessions d'actions est particulièrement riche d'enseignements à propos du défaut de renseignement sur la valeur du bien cédé ou sur certains éléments susceptibles de l'influencer. Les faits des arrêts analysés ci-dessous présentent des points communs avec ceux de l'arrêt de la cour d'appel de Liège soumis à notre examen.

11.Le premier arrêt significatif a été rendu, le 27 février 1996, par la chambre commerciale de la Cour de cassation française dans une affaire Vilgrain [45]. Madame Alary avait vendu à Bernard Vilgrain, président de la société Compagnie française commerciale et financière, et, par l'intermédiaire de celui-ci, à MM. Francis Vilgrain, Pierre Vilgrain et Guy Vieillevigne, pour qui il s'était porté fort, 3.321 actions de ladite société pour le prix de 3.000 FF par action, étant stipulé que, dans l'hypothèse où les consorts Vilgrain céderaient l'ensemble des actions de la société CFCF dont ils étaient propriétaires avant le 31 décembre 1991, 50% du montant excédant le prix unitaire de 3.500 FF serait reversé à Madame Alary. Quatre jours plus tard les consorts Vilgrain ont cédé leur participation à la société Bouygues pour le prix de 8.800 FF par action. Prétendant son consentement vicié par un dol, Madame Alary a assigné les consorts Vilgrain en réparation de son préjudice. À l'appui du pourvoi intenté pour contester l'existence dans son chef d'une réticence dolosive, qu'avait reconnue la cour d'appel de Paris, Bernard Vilgrain invoque plusieurs arguments, dont voici les trois principaux:

    • l'obligation d'informer pesant sur le cessionnaire concerne les éléments susceptibles d'avoir une incidence sur la valeur des parts mais ne peut porter sur les dispositions qu'il a prises pour céder à un tiers les actions dont il est par ailleurs titulaire;
    • le fait pour le cessionnaire de s'abstenir d'offrir au cédant de s'associer à lui, dans la négociation qu'il a parallèlement entreprise, pour céder à un tiers ses propres titres, est étranger à l'obligation d'informer et, partant, à la réticence dolosive;
    • le cessionnaire est libre d'offrir ou non au cédant de s'associer à une négociation qu'il a entreprise pour la cession à un tiers des titres qu'il détient d'ores et déjà dans le capital de la société en cause.

    La Cour de cassation rejette le pourvoi en ces termes: “Attendu (…) qu'au cours des entretiens que Mme Alary a eus avec M. Bernard Vilgrain, celui-ci lui a caché avoir confié, le 19 septembre 1989, à la société Lazard, mission d'assister les membres de sa famille détenteurs du contrôle de la société CFCF dans la recherche d'un acquéreur de leurs titres et ne lui a pas soumis le mandat de vente, au prix minimum de 7.000 FF l'action, qu'en vue de cette cession il avait établi à l'intention de certains actionnaires minoritaires de la société; d'où il résulte qu'en intervenant dans la cession par Mme Alary de ses actions de la société CFCF au prix, fixé après révision, de 5.650 FF et en les acquérant lui-même à ce prix, tout en s'abstenant d'informer le cédant des négociations qu'il avait engagées pour la vente des mêmes actions au prix minimum de 7.000 FF, M. Bernard Vilgrain a manqué au devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société à l'égard de tout associé, en particulier lorsqu'il en est intermédiaire pour le reclassement de sa participation; que par ces seuls motifs (…), la cour d'appel a pu retenir l'existence d'une réticence dolosive à l'encontre de M. Bernard Vilgrain.”

    L'arrêt valide donc l'existence d'une réticence dolosive dans le chef d'un dirigeant de société à l'égard d'un associé, lorsque ce dirigeant, intermédiaire pour le reclassement de la participation de l'associé, s'est abstenu, en intervenant dans la cession et en acquérant lui-même les actions, d'informer le cédant des négociations qu'il avait engagées pour la vente des mêmes actions à un prix supérieur.

    La Cour reproche au cessionnaire d'avoir intentionnellement dissimulé des informations précises susceptibles de modifier l'appréciation, par le cédant, de la valeur des actions faisant l'objet de la transaction, à savoir l'existence de négociations en cours portant sur des actions identiques. La connaissance de ces négociations et de leur contenu aurait à l'évidence incité le cédant à ne pas vendre ses titres au prix qui lui était proposé et l'aurait encouragé à tenter de conclure la vente à des conditions plus avantageuses.

    Le fondement de l'obligation d'informer est bien le devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant à l'égard de tout associé [46]. La Cour ne se fonde pas sur le droit commun du contrat de vente mais sur les règles afférentes aux relations entre associés et dirigeants. Les dirigeants doivent agir loyalement dans l'intérêt social et respecter l'égalité de traitement entre associés.

    12.Cet arrêt a suscité les commentaires de la meilleurs doctrine [47].

    13.Selon J. Ghestin [48], même si le cessionnaire n'avait pas servi d'intermédiaire, le devoir de loyauté du dirigeant lui interdit de s'enrichir au détriment d'un associé minoritaire grâce aux informations privilégiées dont il dispose en raison de ses fonctions. Il ne peut acheter les actions des associés à un prix inférieur à celui qu'il sait pouvoir en obtenir à très court terme. Il suffit que le dirigeant soit le bénéficiaire de l'opération dans une situation d'asymétrie d'informations. Il convient de relever que cet auteur considère que, si la cession a lieu au profit d'un tiers, le dirigeant n'a pas l'obligation d'informer les associés cédants de l'imminence d'un changement de contrôle.

    Ghestin établit un rapport entre cette problématique et la répression du délit d'initié dans le cadre des sociétés cotées. Afin de préserver l'égalité de traitement entre actionnaires et la confiance des investisseurs, le législateur interdit à une personne disposant, dans le cadre de sa fonction ou de sa profession, d'une information privilégiée (c'est-à-dire précise, non connue par le public et susceptible d'influencer la valeur d'un instrument financier), soit d'acheter, soit de vendre, soit de recommander l'achat ou la vente de cet instrument en vue de réaliser un profit ou d'éviter une perte. Quant à l'usage d'informations privilégiées par un dirigeant, on peut donc distinguer trois ordres de sanctions: d'une part, les sanctions pénales réprimant les délits d'initié et les sanctions administratives frappant les abus d'informations privilégiées, qui concernent les sociétés cotées, et, d'autre part, les sanctions civiles, sous le couvert de la sanction du dol par annulation ou par octroi de dommages et intérêts, qui s'appliquent à l'usage d'informations privilégiées dans le cadre des cessions d'actions non cotées.

    Cela étant dit, la sanction du délit d'initié impose au dirigeant un devoir d'abstention alors que le devoir de loyauté ne lui interdit pas de conclure la convention de cession mais le contraint à partager l'information privilégiée avec l'autre partie.

    14.Pour D. Schmidt et N. Dion [49], la Cour aurait pu se contenter de constater que le manquement par le cessionnaire à son obligation d'information envers le cédant était constitutif d'une réticence dolosive. Pour ces auteurs, les éléments constitutifs de la réticence dolosive étaient réunis: silence caractérisé d'une partie sur une information déterminante intéressant directement l'autre partie afin de l'induire en erreur (mission confiée à un tiers de trouver un acquéreur, mandat de vente à un prix minimum supérieur). Si la cédante avait été informée des négociations en cours, elle n'aurait pas cédé ses actions à un prix inférieur.

    Nous ne sommes pas favorables à un tel renforcement de l'obligation d'information à charge de n'importe quel type de cessionnaire.

    15.À l'opposé de Schmidt et Dion, Ph. Malaurie [50] estime que l'arrêt est trop catégorique dans sa sévérité. Il faut établir un équilibre entre des principes antagonistes: d'une part, l'obligation d'information, la transparence, la protection des actionnaires minoritaires et la loyauté contractuelle; d'autre part, le respect de la parole donnée, la stabilité contractuelle, la sécurité juridique, le marché et ses lois économiques.

    Aux yeux de Malaurie, la réticence n'est fautive que si le cessionnaire est seul à connaître les informations qu'il dissimule et qui auraient permis au cédant d'apprécier la valeur de la chose vendue ou si le cessionnaire a l'obligation de divulguer ces informations. Malaurie rappelle que le droit français est opposé à la reconnaissance, à charge de l'acheteur, d'un devoir général d'informer le vendeur sur la valeur de la chose vendue ou même sur les négociations qu'il mène parallèlement. Selon lui, il n'y a pas d'obligation générale d'information lorsqu'un associé cède ses titres. “Un associé est quand même a priori bien placé pour savoir ce qu'il vend ou, à tout le moins, dispose de moyens internes de s'informer, et donc de résister à tout entreprise de tromperie et de séduction” [51]. Au demeurant, cet auteur soutient que le ius fraternitatis et les devoirs qu'il implique n'existent que durant la vie sociale et ne joue plus au moment où un actionnaire quitte la société puisque, par hypothèse, le cédant n'est plus animé d'affectio societatis. Les intérêts du cédant et du cessionnaire, tous deux associés, deviennent antagonistes dans le cadre de la vente des actions.

    16.Un autre arrêt important est l'arrêt dit “Baldus”, rendu par la chambre civile de la Cour de cassation française le 3 mai 2000 [52]. Il s'agissait, en l'espèce, d'une personne ayant vendu aux enchères 50 photographies de Baldus au prix de 1.000 FF chacune. Trois ans plus tard, elle vend au même acquéreur plusieurs autres photographies du même photographe au même prix. Elle apprend ensuite que ces photographies étaient d'une valeur nettement supérieure, eu égard à la notoriété de Baldus, et elle assigne son acquéreur, qui connaissait la valeur véritable des photographies, en nullité des ventes. La cour d'appel fait droit à sa demande et condamne l'acquéreur pour violation de l'obligation de contracter de bonne foi. Dans l'arrêt rendu sur pourvoi, la première chambre civile énonce qu'aucune obligation d'information ne pèse sur l'acheteur et qu'en conséquence, le dol n'est pas constitué lorsque l'acheteur ne révèle pas au vendeur que la chose a une valeur supérieure au prix de vente proposé. La Cour élude le lien entre le vice de consentement et l'obligation de contracter de bonne foi et elle assimile l'erreur suscitée par le dol à l'erreur sur la valeur.

    17.La réticence dolosive et le devoir de loyauté se trouvent à nouveau conjugués dans un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 juillet 2003 [53].

    Le fondateur d'un groupe de sociétés, dirigeant de la société mère, en conflit avec un coassocié, est progressivement mis à l'écart des décisions importantes et démissionne de ses fonctions. Lors de son départ, il conclut avec le président de la société une promesse de vente de sa participation au sein de la société mère pour un prix de 11 millions FF, déterminé sur la base d'une valeur du groupe de 60 millions FF. Il apprend ensuite qu'à l'occasion de son introduction en bourse, la principale filiale du groupe et, par voie de conséquence, la société mère ont été valorisées à 250 millions FF. Il découvre en outre que, lors de la signature de la convention, la décision d'introduire la filiale en bourse était déjà prise par le comité de direction. Selon la cour d'appel de Paris, le dirigeant cessionnaire a manqué à son devoir de loyauté en n'informant pas le cédant de cette décision. La cour estime qu'il a dissimulé une “information privilégiée”, ce qui constitue une réticence dolosive justifiant l'indemnisation de la perte d'une chance de négocier différemment la cession de ses parts.

    Dans sa note, A. Constantin rappelle que l'existence d'une obligation précontractuelle d'information peut être déduite de la nature des relations entre les parties (confiance légitime, intuitu personae, qualités respectives des parties, asymétrie informationnelle, …). En l'occurrence, le devoir de loyauté ne constitue pas une obligation de comportement de portée générale mais bien une exigence fondée sur la qualité, la fonction et le pouvoir du dirigeant auquel incombent des obligations fiduciaires à la mesure de la confiance qu'il inspire aux associés. L'information dissimulée ne porte pas directement sur la valeur des actions mais sur une circonstance essentielle que le dirigeant est le seul des deux cocontractants à connaître grâce à ses fonctions: l'introduction en bourse de la filiale. Il ne s'agit donc pas d'une erreur sur la valeur, qui constitue une appréciation économique erronée sur la base de données exactes [54].

    Lorsque le cédant demande la nullité de la convention de cession pour dol, il doit prouver la violation de l'obligation d'information (élément matériel), l'erreur provoquée (élément psychologique) et la volonté de tromper pour inciter l'autre à s'engager (élément intentionnel), ce qui est le plus ardu à démontrer. Lorsque le cédant victime d'une rétention d'information poursuit l'octroi de dommages et intérêts à charge du dirigeant qui n'a pas respecté son devoir de loyauté, le caractère intentionnel de cette rétention est indifférent (voy. infra). “Les conditions propres du dol s'effacent devant celles - moins rigoureuses - de la violation du devoir d'informer qui fonde en soi la réparation pécuniaire” [55]. Les juges peuvent alors s'épargner le détour par la réticence dolosive et s'en référer directement au devoir de loyauté du dirigeant.

    18.L'arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 12 mai 2004, dans l'affaire Beley mérite aussi de retenir notre attention [56].

    Un dirigeant et associé des sociétés Beley et Financière Beley propose aux actionnaires de la première de céder à la seconde leurs actions au prix de 1.800 FF chacune. Deux actionnaires acceptent. Quelque temps après, la société Former acquiert une partie des actions de la société Beley ainsi que la quasi-totalité des actions de la Financière Beley, pour un prix de 4.022 FF par action. Il est ensuite procédé à la fusion des sociétés Former et Financière Beley. Considérant que les négociations entamées avec la société Former constituaient une information déterminante de leur consentement qui leur avait été cachée, les deux actionnaires ayant cédé leurs actions “Beley” avant l'intervention de la société Former assigne Monsieur Beley et la société Former en dommages et intérêts sur la base de l'article 1382 du C. civ. en invoquant la déloyauté du dirigeant et la réticence dolosive de la société Former, ayant cause de la société Financière Beley. La cour d'appel de Paris les déboute mais la Cour de cassation casse partiellement l'arrêt en reprochant à la cour de ne pas avoir recherché si Monsieur Beley “n'avait pas caché l'existence des négociations conduites avec un tiers en vue du rachat ou de l'apport de ces mêmes actions, et ainsi manqué à l'obligation de loyauté qui s'impose au dirigeant de société à l'égard de tout associé en dissimulant aux cédants une information de nature à influer sur leur consentement”. La Cour de cassation confirme par ailleurs le rejet de la demande à l'encontre de la société Former.

    Dans cet arrêt, la Cour de cassation tente de concilier les enseignements des arrêts Vilgrain et Baldus. D'une part, elle considère qu'un cessionnaire ordinaire des titres d'une société n'est tenu d'informer le cédant, ni des négociations relative l'acquisition par un tiers d'autres titres de la même société, ni de celles qu'il mène lui-même avec ce tiers en vue de lui céder ou de lui apporter ultérieurement les titres faisant l'objet de la cession. D'autre part, elle arrête que manque à l'obligation de loyauté qui s'impose au dirigeant de société à l'égard de tout associé, le président du conseil d'administration qui, ayant pris l'initiative d'inciter un actionnaire à céder ses actions, lui dissimule l'existence de négociations conduites avec un tiers en vue du rachat ou de l'apport ultérieur de ces mêmes actions. En d'autres termes, le cessionnaire ordinaire n'est pas tenu d'une obligation d'information mais le dirigeant de la société dont les actions sont cédées se rend coupable de déloyauté fautive lorsqu'il n'informe pas l'actionnaire de pourparlers susceptibles d'augmenter la valeur des actions. Nous partageons l'essentiel de ce point de vue.

    A. Constantin [57] critique le volet “Former” de l'arrêt. Il estime, notamment, qu'eu égard au renforcement du principe de bonne foi qu'implique le contrat d'intérêt commun, les associés sont tenus d'une obligation de loyauté entre eux, non seulement dans le cadre du fonctionnement interne de la société et de l'exercice de leur pouvoir mais aussi à l'occasion d'une cession de participation. Selon lui, l'affectio societatis et le ius fraternitatis impliquent que, dans le cadre des cessions envisagées entre eux, les associés s'informent réciproquement des négociations qu'ils mènent avec un tiers en vue de lui céder ou de lui apporter les titres faisant l'objet de la cession. Il plaide pour une obligation précontractuelle d'information en cas de conflits d'intérêts entre associés [58], a fortiori s'agissant de l'actionnaire de contrôle. Nous pensons que cette affirmation manque de nuances (voy. infra b.)

    19.Selon un dernier arrêt significatif de la chambre commerciale de la Cour de cassation française du 28 novembre 2006, “les avantages consentis à un président de conseil d'administration lors de la cession de ses actions à un tiers, convenus dans le cadre de conventions portées à la connaissance et soumises à l'avis des actionnaires, ne peuvent constituer la preuve de la déloyauté de ce dirigeant” [59].

    Un président de conseil d'administration avait cédé ses actions à un tiers et obtenu divers avantages dont avaient été privés certains actionnaires ayant cédé ultérieurement leurs actions au même tiers… Ces derniers reprochent au dirigeant d'avoir manqué à son devoir de loyauté, en abusant de ses fonctions pour obtenir un meilleur prix, et de ne pas leur avoir révélé les avantages obtenus, dont la connaissance les aurait incités à ne pas consentir sans bénéficier des mêmes avantages. Or, le dirigeant avait, en l'espèce, fait preuve de transparence en respectant les procédures légales relatives aux conventions réglementées.

    A. Leygonie estime que l'obligation d'information est, dans le chef du dirigeant, une exigence liée au devoir fonctionnel de loyauté et non à une convention spécifique de cession de droits sociaux. Dès lors, qu'il soit ou non associé, partie à la cession d'actions litigieuse ou lié à tel ou tel associé par une relation contractuelle spécifique, le dirigeant doit, selon cet auteur, communiquer aux actionnaires sur le point de céder leurs actions les informations de nature à influencer leur consentement [60]. La loyauté consubstantielle à toute fonction de direction constitue une source autonome de responsabilité - dérivée de la fonction du dirigeant - sans qu'il faille recourir aux fondements du droit commun des contrats.

    L'auteur formule également des considérations à propos de la preuve du manquement au devoir de loyauté du dirigeant social, qui lui semble être un devoir de “résultat allégé”. Le dirigeant peut apporter la preuve qu'il a adopté un comportement normalement prudent et diligent, dans le cadre des cessions d'actions, en exécutant son obligation d'information à propos de tout élément susceptible d'influer sur le consentement des associés. La corporate governance foisonne de recommandations dont le respect permet aux dirigeants de démontrer qu'ils ont tout mis en oeuvre pour informer les associés. Sous réserve de la sanction des délits d'initié, la “transparence organisée” est un mode de preuve de la loyauté, en ce compris la révélation d'une information par un dirigeant qui n'est pas partie à une cession d'actions. Dans le cadre de telles cessions, la corrélation entre l'avantage personnel obtenu par un dirigeant et sa déloyauté n'est pas toujours aussi évidente que l'on pourrait le penser. “La vie des affaires montre qu'il est des circonstances où le détenteur - fût-il dirigeant - d'une fraction importante du capital social est en droit de négocier le rachat de ses actions à un prix avantageux parce qu'elle confère au cessionnaire le pouvoir dans la société. (…) La prime de contrôle n'est en rien la traduction d'un manque de loyauté. Elle est au contraire justifiée économiquement et sa légitimité a même été reconnue par le Conseil constitutionnel.” [61].

    b. L'obligation de bonne foi des actionnaires

    20.Si, en droit belge, l'actionnaire individuel ne doit pas s'abstenir de voter lorsqu'il est en situation de conflit d'intérêts avec la société [62], les actionnaires majoritaires ne peuvent cependant abuser de leur droit de vote et faire prévaloir leur intérêt égoïste au détriment de l'intérêt social ou de l'intérêt des minoritaires [63].

    Le principe d'exécution de bonne foi des conventions peut apparaître comme le fondement le plus solide de la sanction des abus de majorité [64] ou des détournements de pouvoirs [65]. La bonne foi sert à compléter le contrat de société, elle introduit une part de flexibilité dans les mécanismes sociétaires et elle tempère les excès éventuels de la liberté contractuelle commis par les actionnaires qui seraient enclins d'abuser, à leur profit, de la structure sociétaire créée dans l'intérêt commun des parties [66]. La bonne foi implique, dans le cadre des sociétés, une obligation de loyauté [67], de pondération et de collaboration dans l'exécution du contrat de société [68]. Elle impose aux actionnaires “de bannir les tendances qui les pousseraient à exploiter leurs prérogatives d'associés pour s'arroger des avantages personnels au détriment des intérêts de leurs coassociés ou de ceux propres de la société” [69].

    La jurisprudence récente de la Cour de cassation en matière d'abus de droit confirme le rôle conducteur du critère de bonne foi dans le contrôle de la validité des décisions sociales. Tout usage abusif d'un droit dérivé du contrat de société constitue par lui-même une violation du principe de bonne foi et une faute, au sens de l'article 1382 du Code civil, eu égard au critère de l'actionnaire normalement prudent et diligent [70]. Cependant, ce critère de l'(in)exécution de bonne foi du contrat rend mieux compte du mauvais usage du droit de vote des actionnaires [71] que de l'exercice inadéquat de ses pouvoirs par l'assemblée générale elle-même. Le contrôle basé sur la bonne foi et sur la notion d'abus de droit est plus large que celui fondé sur l'intérêt social selon la conception que l'on défend de ce critère. En effet, un acte conforme à une certaine conception de l'intérêt social peut constituer un abus de droit en ce sens qu'il impose aux minoritaires une charge disproportionnée par rapport à l'intérêt de la société [72].

    Cette obligation de bonne foi s'estompe cependant lorsque les intérêts respectifs des associés deviennent antagonistes, comme cela peut être le cas dans le cadre de la vente de leurs actions.

    21.La réticence dolosive doit se mesurer par rapport au contenu de l'obligation de renseignement incombant au vendeur. Elle ne peut résulter du seul fait qu'une partie aurait négligé de fournir une information susceptible de dissuader l'autre de contracter. En effet, le devoir de conseil s'apprécie en fonction de l'expertise du cessionnaire [73].

    Une obligation d'information dont le respect serait constitutif de la réticence dolosive pèse-t-elle sur tout actionnaire? Un devoir de loyauté s'impose-t-il aux actionnaires avec la même intensité qu'aux dirigeants? Sous réserve de l'existence d'une clause de sortie commune et des hypothèses légales de cession de contrôle, nous croyons pouvoir répondre par la négative.

    La clause de sortie commune ou droit de suite oblige un actionnaire désirant céder ses titres à permettre au bénéficiaire de la clause de céder également ses titres aux mêmes conditions et au même prix que lui (“tag along”[74]. En pratique, la mise en oeuvre d'une telle clause s'opère par différents moyens [75]. Généralement, le promettant/cédant se porte fort d'obtenir que le cessionnaire acquiert les titres du bénéficiaire aux mêmes conditions que celles auxquelles il cède ses propres titres, sous peine de devoir lui payer une indemnité ou de devoir se porter lui-même acquéreur des titres aux mêmes conditions. Parfois, la sanction consiste en une interdiction pour le promettant de céder ses titres s'il n'obtient pas la cession de ceux du bénéficiaire [76].

    La Commission bancaire, financière et des assurances (CBFA) a développé, de longue date, une jurisprudence prétorienne recommandant qu'à l'occasion de cessions de participation de contrôle relatives à des sociétés “publiques” avec paiement d'un surprix, tous les actionnaires soient placés, dans le cadre d'une OPA obligatoire, sur un pied d'égalité tant pour la possibilité de céder leurs titres que quant au prix éventuellement payé [77]. Elle a considéré que l'actionnaire de contrôle ne pouvait pas tirer de profit personnel de la cession de sa participation et qu'il devait veiller à l'extension de l'offre à tous les actionnaires, à l'égard desquels il était tenu d'un devoir de loyauté.

    Le législateur belge a consacré, dès 1989, la jurisprudence prétorienne de la CBFA. À l'époque, l'acquisition - autrement que par une OPA ou une augmentation de capital - de titres conférant le contrôle, moyennant une prime par rapport au prix du marché, entraînait l'obligation d'offrir, dans le cadre d'une OPA ou d'un maintien de cours, à l'ensemble des actionnaires la possibilité de céder leurs titres contre attribution de la même contrepartie. Désormais, en vertu de la législation belge transposant la directive du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition (loi du 1er avril 2007 et arrêtés royaux du 27 avril 2007) [78], le déclenchement d'une offre publique obligatoire dépend uniquement du franchissement, par l'offrant et les personnes agissant de concert avec lui, d'un seuil de participation (pourcentage de droits de vote) fixé par la réglementation de l'État membre dans lequel la société a son siège social (30% en droit belge). La protection des actionnaires minoritaires est assurée en imposant à celui qui franchit un cap (CAP) d'offrir à tous les détenteurs de titres un prix équitable pour l'acquisition de leurs titres. L'objectif principal consiste à empêcher qu'un actionnaire obtienne un avantage sous forme d'une prime de contrôle.

    Quelle que soit la pertinence des préoccupations du législateur, l'exigence d'une égalité “externe” [79] est fabriquée, voire artificielle, puisque, dans le cours normal de la vie des affaires, des tiers peuvent offrir à certains actionnaires un prix avantageux pour leurs actions sans en faire bénéficier les autres. En outre, parmi les détenteurs de titres, il y a des actionnaires et des investisseurs qui n'ont jamais été dans la même situation [80]. Aussi généreuse soit elle, la solution légale imposant un traitement égal de tous les actionnaires discrimine les détenteurs du contrôle, qui sont les seuls à ne pouvoir vendre librement leurs titres en valorisant leur avantage spécifique [81].

    Aussi légitime soit-elle, la “moralisation” [82] des cessions de contrôle est essentiellement fonctionnelle et stratégique. Le législateur impose le respect d'une forme d'égalité horizontale [83] à un agent qui, détenant le pouvoir ou s'apprêtant à le conquérir, doit étendre son offre d'achat et les avantages qu'elle comporte à tous les actionnaires. Derrière le traitement équitable, se profile un souci d'attractivité des marchés financiers à l'égard des investisseurs institutionnels, pourvoyeurs de fonds propres. L'égalité “fonctionnelle” permet de susciter la confiance des épargnants. Une trop faible protection des intérêts des actionnaires minoritaires dans tel ou tel État provoque inévitablement la désaffection des investisseurs institutionnels à l'égard des actions des sociétés implantées dans cet État.

    L'égalité de prix légalement consacrée est ambiguë et paradoxale car il y va de l'“égalité de sortie de ceux qui votent avec leurs pieds” et non de l'égalité qualitative qui est censée inspirer, dans l'esprit du ius fraternitatis, les rapports des actionnaires qui exercent leurs droits tout en contribuant au fonctionnement régulier de la société. L'égalité de sortie permet l'enrichissement exclusif de celui qui quitte la société.

    Tout cela étant rappelé, les cessions d'actions réalisées sur un marché financier réglementé se distinguent des contrats ordinaires et, partant, relèvent davantage de la régulation des marchés. En effet, dans ce cadre, l'exercice de la liberté contractuelle doit respecter certaines exigences du contexte dans lequel les contrats se forment et s'exécutent, telles que la transparence du marché et l'égalité des actionnaires ou des investisseurs. Dans le cadre des cessions d'actions ordinaires, les actionnaires de contrôle ne sont pas, selon nous, astreints aux mêmes devoirs.

    IV. Conclusion

    22.Pour apprécier l'existence d'une obligation d'information dans le cadre des cessions d'actions, il convient, selon nous, de distinguer, d'une part, la situation d'un cessionnaire ordinaire et, d'autre part, celle du dirigeant de la société dont les actions sont cédées.

    Qu'il soit ou non déjà actionnaire de la société dont les actions font l'objet de la cession, le cessionnaire ordinaire n'est, en principe, pas tenu, selon nous, d'informer le cédant des opportunités de cession ou des négociations parallèles tendant à l'acquisition par un tiers des titres de la même société. Même sans être un commerçant, il doit pouvoir négocier librement l'achat de ces titres et les revendre en réalisant une plus-value. S'agissant d'une cession d'actions, qui implique une part d'antagonisme, un actionnaire n'assume une obligation de loyauté à l'égard des autres actionnaires que dans le cadre de l'exécution d'une clause de sortie commune et dans les hypothèses légales de cessions de contrôle des sociétés cotées.

    Le dirigeant assume, à l'égard de la société et des actionnaires, une obligation de loyauté fonctionnelle. Le dirigeant cessionnaire méconnaît cette obligation s'il dissimule des informations précises susceptibles de modifier l'appréciation, par un actionnaire cédant, de la valeur des actions faisant l'objet de la transaction, notamment l'existence de négociations en cours portant sur des actions identiques. En somme, le dirigeant ne peut s'enrichir au détriment d'un actionnaire. Les juges peuvent alors fonder leurs décisions sur le devoir de loyauté du dirigeant. C'est sur cette base qu'à notre estime, la cour d'appel de Liège aurait dû rendre l'arrêt annoté.

    Il faut se montrer plus nuancé, selon nous, quant à l'existence, à charge du dirigeant qui n'est pas partie à la transaction, d'une obligation pure et simple de communiquer aux actionnaires sur le point de céder leurs actions les informations de nature à influencer leur consentement, notamment quant au prix. La prise en considération des circonstances et une prudence renforcée quant à l'existence éventuelle d'un délit d'initié ou d'un abus d'informations privilégiées seront indispensables.

    [1] Professeur à l'Université catholique de Louvain, Président du Centre Jean Renauld.
    [2] Remerciements chaleureux à P. Colard, H. Culot et P. Wéry pour les réflexions, les suggestions et les commentaires qu'ils ont exprimés au cours d'agréables discussions fécondes. L'auteur assume évidemment seul l'entière responsabilité des opinions exprimées dans la présente note et des imperfections qui y subsisteraient.
    [3] Pour une analyse plus approfondie, voy. Cl. Parmentier, “La volonté des parties”, in Les obligations contractuelles, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1984, pp. 55 et s.; C. Goux, “L'erreur, le dol et la lésion qualifiée: analyse et comparaisons”, in P. Wéry (coord.), La théorie générale des obligations, Liège, Édition Formation Permanente, CUP, 1998, pp. 7 et s.; B. Tilleman, “Dwaling bij de aan- en verkoop van kunst en antiek”, in Liber Amicorum Jacques Herbots, Deurne, Kluwer, 2002, pp. 443 et s.; J. Smits et S. Stijns, Totstandkoming van de overeenkomst naar Belgisch en Nederlands recht, Antwerpen-Groningen, Intersentia-Metro, 2002.
    [4] Aux termes de l'art. 1112, la violence prise en considération est celle qui est de nature “à faire impression sur une personne raisonnable” et qui peut lui “inspirer la crainte d'exposer sa personne ou sa fortune à un mal considérable et présent” (voy. les art. 1111 à 1115 C. civ).
    [5] R. Kruithof, H. Bocken, F. De Ly et B. De Temmerman, “Overzicht van rechtspraak. Verbintenissen (1981-1992)”, T.P.R. 1994, p. 325; P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974-1984)”, R.C.J.B. 1986, p. 56.
    [6] P. Van Ommeslaghe, “Observations sur la théorie de la cause dans la jurisprudence et dans la doctrine moderne” (note sous Cass. 13 novembre 1969), R.C.J.B. 1970, pp. 355 à 357, n° 18.
    [7] À propos des apports en société, voy. Comm. Bruxelles 5 juin 1900, Rev. prat. soc. 1900, p. 220; à propos des cessions d'actions, voy. Liège 21 décembre 1999, Rev. prat. soc. 2000, 164.
    [8] R. Kruithof, H. Bocken, F. De Ly et B. De Temmerman, o.c., p. 394.
    [9] A. de Bersaques, “La lésion qualifiée et sa sanction”, R.C.J.B. 1977, p. 12, n° 3; Cass. 9 juillet 1936, Pas. 1936, I, 345; Cass. 21 septembre 1961, Pas. 1962, I, 91; Cass. 29 avril 1993, J.T. 1994, p. 294. Pour un relevé de la doctrine et de la jurisprudence en la matière, voy. C. Goux, “L'erreur, le dol et la lésion qualifiée: analyse et comparaisons”, o.c., p. 18.
    [10] C. Goux, “L'erreur, le dol et la lésion qualifiée: analyse et comparaisons”, o.c., p. 16.
    [11] Sont également pris en considération le dol commis par le représentant du contractant ou un tiers complice.
    [12] Cass. 23 septembre 1977, J.T. 1978, p. 362, R.C.J.B. 1980, p. 38, note Matthys; Cass. 6 octobre 1977, Pas. 1977, I, 157; Cass. 29 mai 1980, Pas. 1980, I, pp. 1190 et s. Voy., en droit français, J. Ghestin, “Une réticence dolosive rend toujours excusable l'erreur provoquée” (obs. sous Cass. (civ.) 21 février 2001), Chronique de droit des obligations, J.C.P., Ed. G., 20 juin 2001, I, 330.
    [13] P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974-1984)”, o.c., n° 17.
    [14] Cass. 28 avril 1961, Pas. 1961, I, p. 925, note.
    [15] Cass. 8 juin 1978, Pas. 1978, I, p. 1156, R.C.J.B. 1979, p. 525 (pour l'hypothèse où, en pleine connaissance de cause, le cocontractant aurait contracté à des conditions moins onéreuses).
    [16] Voy. R. Kruithof, H. Bocken, F. De Ly et B. De Temmerman, o.c., p. 345, n° 121 et C. Goux, “L'erreur, le dol et la lésion qualifiée: analyse et comparaisons”, o.c., p. 33.
    [17] En faveur d'une telle obligation, voy. J.-P. Masson, “Les fourberies silencieuses” (note sous Cass. 8 juin 1978), R.C.J.B. 1979, pp. 538 à 541, nos 14 et 15.
    [18] Cass. (1re ch.) 30 juin 2005, Pas. 2005, I, 1488.
    [19] Voy., pour des exemples puisés dans la jurisprudence récente, Mons 17 février 2005, R.G.D.C. 2007, p. 60 (réticence des vendeurs d'un immeuble afin de cacher à l'acheteur un litige important avec les voisins); Civ. Bruxelles 8 mai 2006, R.G.D.C. 2006, p. 438 (obligation de l'agent immobilier de se comporter comme tout professionnel normalement prudent et diligent et, à ce titre, d'informer le candidat acquéreur sur les caractéristiques du bien à vendre qui pourraient déterminer son consentement); Civ. Bruxelles 10 juin 1997, Res Jur. Imm. 1997, p. 119 (nullité de la vente d'un appartement dont le vendeur n'a pas signalé l'existence de deux procédures judiciaires en rapport avec des fissures). Pour des exemples plus anciens, en matière de vente d'immeubles et de cession de fonds de commerce et à propos d'un agent de change et d'un inspecteur d'assurances, voy., Cl. Parmentier, “La volonté des parties”, o.c., p. 73.
    [20] Civ. Bruxelles 16 juin 1994, J.L.M.B. 1995, p. 717.
    [21] Liège 21 décembre 1999, Rev. prat. soc. 2000, p. 164.
    [22] Cass. (civ.) 17 janvier 2007, D. 2007, 1051, note D. Mazeaud.
    [23] J. Ghestin et M. Fontaine (dir.), La protection de la partie faible dans les rapports contractuels: comparaison franco-belge, Paris, L.G.D.J., 1996; O. Litty, Inégalités des parties et durée du contrat: étude de quatre contrats d'adhésion usuels, Paris, L.G.D.J., 1999.
    [24] L. Fin-Langer, L'équilibre contractuel, Paris, L.G.D.J., 2002.
    [25] Voy. J Mestre, “L'évolution du contrat en droit privé français”, in L'évolution contemporaine du droit des contrats. Journées Savatier, Paris, 1985, p. 45; C. Thibierge-Guelfucci, “Libre propos sur la transformation du droit des contrats”, Rev. trim. dr. civ. 1997, p. 385, pp. 357 et s.
    [26] C. Delforge, La spécificité des contrats à long terme entre firmes, Louvain-la-Neuve, UCL, 2006.
    [27] Cl. Champaud, “Contribution à la définition du droit économique”, D. 1967, Chron., p. 215; N. Thirion, “Du droit commercial au droit de l'entreprise: nouveau plaidoyer pour les faiseurs de systèmes”, Rev. dr. ULg 2006, pp. 313 et s.
    [28] Cass. 19 janvier 1973, Pas. 1973, I, 492, note W.G., R.C.J.B. 1974, p. 321, obs. Van Ryn et Heenen. Voy. également Cass. 30 décembre 1946, R.C.J.B. 1948, p. 24, note Demeur; Cass. 9 novembre 1948, Pas. 1948, I, p. 623; Cass. 7 janvier 1960, Pas. 1960, I, p. 506; Cass. 19 septembre 1963, Pas. 1964, I, p. 64; Mons (1ère ch.) 28 mars 1995, J.T. 1995, p. 626, J.L.M.B. 1995, p. 1386.
    [29] J. Van Ryn et J. Heenen, “Esprit de lucre et droit commercial”, R.C.J.B. 1974, pp. 333-334.
    [30] J.-L. Fagnart, “Boutiquier et consommateur: même combat”, in Les pratiques du commerce. L'information et la protection du consommateur, Colloque ULB, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 23. À propos de l'influence de cette loi sur le droit des contrats, voy. V. Simonart, “La loi du 14 juillet 1991 et le droit des obligations”, in Les pratiques du commerce. L'information et la protection du consommateur, Colloque ULB, Bruxelles, Bruylant, 1994, p. 59.
    [31] Selon M. Weber, les “contrats-statuts” sont des contrats de “fraternisation” ayant un rapport avec la famille tandis que les “contrats-fonctions n'ont pour but ou résultat que la fourniture de prestations concrètes le plus souvent économiques et n'affectent donc pas le 'statut' des parties” (M. Weber, Sociologie du droit, Paris, P.U.F., coll. “Recherches politiques”, 1986, p. 50).
    [32] Voy., notamment, C.J. Goetz et R.E. Scott, “Principles of relational contracts”, Virginia Law Review 1981, p. 1089; G. Gotlieb, “Relationism: legal theory for a relational society”, University of Chicago Law Review 1983, p. 567; I.R. Macneil, “Law, private governance and continuing relationships: relational contract: what we do and do not know”, Wisconsin Law Review 1985, p. 483; P. Gergen, “The use of open terms in contract”, Columbia Law Review 1992, p. 997; J.-G. Belley, “Le contrat comme vecteur du pluralisme juridique”, in Ph. Gérard, F. Ost et M. van de Kerchove (dir.), Droit négocié, droit imposé?, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires Saint-Louis, 1996, p. 391.
    [33] J. Savatier, “Du domaine patriarcal à l'entreprise socialisée”, in Mélanges offerts à R. Savatier, Paris, Dalloz, 1965, p. 866.
    [34] G. Keutgen et Y. De Cordt, “La loyauté et la bonne foi dans le droit des sociétés”, in Mélanges offerts à Etienne Cerexhe, Bruxelles, Bruylant, 1997, pp. 191 et s. Voy., dans le même sens, A. Viandier, La notion d'associé, Paris, L.G.D.J., 1978, p. 76. C'est en vertu de ce principe que l'on pourra, dans certaines formes de sociétés, imposer une obligation de non-concurrence aux associés.
    [35] Nous ne traitons ici ni des conflits d'intérêts entre les différents stakeholders de la société (actionnaires, dirigeants, travailleurs, fournisseurs, créanciers, clients, …), ni de la responsabilité sociale des entreprises.
    [36] J.-F. Barbiéri, “Morale et droit des sociétés”, in La morale et le droit des affaires, Paris, Montchrestien, 1996, p. 103, n° 7.
    [37] Dans le même sens, Mons (1ère ch.) 12 mars 1996, Rev. prat soc. 1996, p. 300, note Ph. Lambrecht.
    [38] T. Tilquin, “Le rôle du conseil d'administration dans le cadre d'une offre publique d'acquisition - Enseignements du droit anglo-saxon”, Rev. prat. soc. 1988, pp. 21-22 et références citées.
    [39] Rapport annuel 1970-71, p. 142.
    [40] H. De Wulf, Taak en loyauteitsplicht van het bestuur in de naamloze vennootschap, Série Instituut Financieel Recht, Anvers, Intersentia, 2002.
    [41] X. Dieux,  Le respect dû aux anticipations légitimes d'autrui. Essai sur la genèse d'un principe général de droit, Bruxelles, Bruylant, 1995.
    [42] Voy. Z. Goshen, “The Efficiency of Controlling Corporate Self-Dealing: Theory Meets Reality”, California Law Review 2003, p. 393.
    [43] G. Keutgen et A.-P. André-Dumont, “La société et son fonctionnement”, in Droit des sociétés: les lois des 7 et 13 avril 1995, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 247 et s.; Ph. Ernst, Belangenconflicten in naamloze vennootschappen, Anvers, Kluwer, 1997; L. Simont, “Conflit d'intérêts: les implications des nouveaux articles 60 et 60bis”, Rev. prat. soc. 1996, p. 369; E. Wymeersch, “L'article 60 et le droit belge des groupes de sociétés”, in Hommage à Jacques Heenen, Bruxelles, Bruylant, 1994, pp. 638 à 655.
    [44] J.-J. Daigre, “Le petit air anglais du devoir de loyauté des dirigeants”, in Mélanges P. Bézard, Paris, LPA/Montchrestien, 2002, p. 79; M. Lathelize-Bonnemaizon, “Bilan et perspective du devoir de loyauté en droit des sociétés”, Petites affiches 23 juin 2000, p. 1; H. Le Nabasque, “Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés”, R.T.D.C.. 1999, p. 278; J.-J. Caussain, “Le devoir de loyauté des dirigeants sociaux en droit français”, Gaz. Pal., n° 338, 2000, pp. 66-68; J. Mestre et I. Grossi, “L'éthique du dirigeant d'entreprise”, in Éthique en entreprise, Librairie de l'Université d'Aix-en-Provence, 2001 p. 241; B. Daille-Duclos, “Le devoir de loyauté du dirigeant”, J.C.P., Ed. E., 1998, n° 39, p. 1486.
    [45] Bulletin 1996, IV, n° 65, p. 50, D. 1996, p. 518, Rev. trim. dr. civ. 1997, p. 114, note J. Mestre, Rép. Defrénois 1996, n° 20, p. 1205, note Y. Dagorne-Labbe, J.C.P., Éd. notariale et immobilière, 1996, n° 28, p. 1050, note J. Ghestin, J.C.P., Éd. E., 1996, n° 27, p. 168, note D. Schmidt et N. Dion, Petites affiches 1997, n° 21, p. 7, note D.-R. Martin, J.C.P., Éd. E., 1998, n° 39, p. 1486, note B. Daille-Duclos, Bull. Joly 1996, p. 485, note A. Couret.
    [46] Le fait que le cédant n'ait plus, par hypothèse, l'intention de conserver cette qualité et quittera, à court terme, la société ne met pas fin à l'obligation de loyauté du dirigeant à son égard aussi longtemps que la cession n'est pas conclue.
    [47] Outre les trois auteurs dont les notes sont évoquées ci-après, voy. Y. Dagorne-Labbe, note sous Cass. (comm.) 27 février 2006, Rép. Defrénois, 1996, p. 1205, à propos de la question du tiers auteur du dol. L'action fondée sur le dol est admise lorsque les manoeuvres émanent d'un tiers lié contractuellement à l'un des cocontractants (mandataire ou préposé, qui agissent au nom et pour le compte du cocontractant), d'un tiers qui est le représentant légal de l'un des cocontractants (dirigeant), ou d'un tiers qui n'est qu'un intermédiaire non mandaté par l'une des parties. Le porte-fort est davantage qu'un simple intermédiaire car il s'est engagé personnellement à l'égard de l'un des cocontractants à susciter l'adhésion d'un tiers au contrat. Cette évolution doit se limiter aux hypothèses où le cocontractant auquel profitent les manoeuvres du tiers en a eu - ou aurait dû en avoir - connaissance.
    [48] J. Ghestin, note sous Cass. (comm.) 27 février 1996, J.C.P., Éd. G., 1996, II, 22665, pp. 283 et s.
    [49] D. Schmidt et N. Dion, note sous Cass. (comm.) 27 février 1996, J.C.P., Éd. E., 1996, II, 838, n° 27, p. 170.
    [50] Ph. Malaurie, note sous Cass. (comm.) 27 février 1996, D. 1996, pp. 518 et s.
    [51] J. Mestre, “Obs”, Rev. trim. dr. civ. 1994, p. 852.
    [52] Bull. civ. 2000, I, n° 131.
    [53] J.C.P., Éd. G., 2004, I, 123, n° 13, p. 560, note A. Constantin, Bull. Joly 2003, p. 1156, § 240, obs. J.-J. Daigre.
    [54] J. Ghestin, La notion d'erreur dans le droit positif actuel, Paris, L.G.D.J., 1971, n° 74.
    [55] M. Fabre-Magnan, L'obligation d'information dans les contrats, Paris, L.G.D.J., 1992, n° 377.
    [56] Cass. (comm.) 12 mai 2004, Bull. civ. 2004, IV, n° 93, J.C.P., Éd. G., 2004, I 173, nos 44-45, p. 1956, note A. Constantin, J.C.P., Éd. G., 2004, II, 10153, obs. G. Damy, D. 2004, jurispr. p. 1599, obs. A. Lienhard, J.C.P., Éd. E., p. 1495, Lamy sociétés commerciales juillet 2004, p. 7.
    [57] A. Constantin, note sous Cass. (comm.) 12 mai 2004, in J. Ghestin (dir.), “Contrats et obligations”, J.C.P., Éd. G., 2004, I 173, nos 44-45, pp. 1956-1957.
    [58] Voy. également Cass. (comm.) 14 juin 2005, Bull., n° 130. Les faits de l'espèce étaient constitués par une cession d'actions à une société dirigée par la même personne que la société dont les actions étaient cédées, ce dirigeant ayant personnellement participé à la négociation de l'opération. Quelques années plus tard, le cédant apprend que ces actions avaient été à nouveau cédées avec une importante plus-value et poursuit la cessionnaire en nullité pour dol. La demande est accueillie par la cour d'appel et la Cour de cassation rejette ensuite le pourvoi introduit. Les faits ressemblent à ceux ayant conduit à l'arrêt du 12 mai 2004, à ceci près que, dans l'affaire précédente, le cédant avait agi à la fois contre le dirigeant de la société dont les actions étaient cédées et contre la société cessionnaire, tandis qu'en l'occurrence, seule la société cessionnaire avait été mise en cause. En application de sa précédente jurisprudence, la chambre commerciale aurait pu casser l'arrêt qui lui était soumis et qui avait retenu l'existence d'un dol. Cependant, différents éléments, relevés par l'arrêt d'appel, avaient mis en évidence que (i) si le cessionnaire était bien la société, laquelle n'avait pas d'obligation d'information à l'égard du cédant sur le prix des actions, des manoeuvres dolosives avaient été mises en oeuvre par son représentant, qui était en même temps dirigeant de la société dont les actions étaient cédées, et (ii) que ces manoeuvres avaient eu pour objectif de conduire le cédant à vendre ses actions à un prix inférieur à leur valeur.
    [59] Rev. soc. 2007, p. 519, note A. Leygonie.
    [60] Dans le même sens, H. Le Nabasque, “Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés”, o.c., p. 282.
    [61] A. Leygonie, “Devoir de loyauté du dirigeant social envers les associés: et maintenant la question de la preuve de la déloyauté…”, Rev. soc. 2007, p. 528. Voy. la décision du Conseil constitutionnel français qui a considéré, dans le cadre de la privatisation de TF1, que le principe constitutionnel d'égalité exige précisément que des actions de contrôle soient payées plus cher que ne le seraient des actions appartenant aux actionnaires minoritaires (Cons. const. 25-26 juin 1986 et 18 septembre 1986, Rev. soc. 1986, p. 606, note Y. Guyon).
    [62] Pour une analyse en droit comparé de cette situation de conflit d'intérêts dans le chef d'un actionnaire, voy. V. Simonart, “Les conflits d'intérêts au sein de l'assemblée générale de la société anonyme en droit comparé”, in Les conflits d'intérêts, Bruxelles, Bruylant, 1997, p. 201.
    [63] Comm. Verviers 28 avril 1986, R.D.C. 1987, p. 540; Liège 22 octobre 1992, R.D.C. 1994, p. 12.
    [64] X. Fossoul, “La bonne foi et le droit des sociétés”, in La bonne foi, Éd. du Jeune Barreau de Liège, 1990, pp. 261 et s.
    [65] Cette notion est cependant plus objective en ce qu'elle vise l'abus d'un organe et non d'un actionnaire.
    [66] Sur le principe d'exécution de bonne foi en général et ses fonctions interprétative (qui permet de rechercher l'esprit du contrat), complétive (qui tend à mettre à charge des parties des obligations complémentaires) et restrictive (qui a pour effet de rendre l'exercice d'un droit équitable et raisonnable), voy. J.-F. Romain, Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé, Bruxelles, Bruylant, 2000; P. Van Ommeslaghe, “L'exécution de bonne foi, principe général de droit”, R.G.D.C. 1987, pp. 101 et s.; J.-L. Fagnart, “L'exécution de bonne foi des conventions: un principe en expansion” (note sous Cass. 19 septembre 1983), R.C.J.B. 1986, pp. 285 et s.; H. Bocken, “De goede trouw bij de uitvoering van verbintenissen”, R.W. 1989-90, col. 1041 et s.
    [67] À propos du devoir général de loyauté dans les relations entre actionnaires en droit allemand (“Treupflicht”), voy. Ch. Brüls, Die Schranken von Mehrheitsmacht und Minderheitsrechten im Kapitalgesellschaftsrecht, Louvain-la-Neuve, Académia/Bruylant, 1999; C. Brüls, “La protection des actionnaires minoritaires et l'intérêt social en cas d'assainissement des entreprises: à la recherche d'un difficile équilibre - Commentaire de l'arrêt de la Cour fédérale (IIème chambre) du 20 mars 1995 et de l'arrêt de la cour d'appel de Düsseldorf du 14 juin 1996 (“Girmes AG”)”, Rev. prat. soc. 2000, pp. 305 et s.
    [68] R. Ergec, “De quelques interactions entre le droit public et le droit des sociétés”, in Mélanges offerts à P. Van Ommeslaghe, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 867.
    [69] G. Keutgen et Y. De Cordt, o.c., p. 208.
    [70] Les décisions faisant application du principe de l'exécution de bonne foi des conventions pour sanctionner les comportements déviants de certains majoritaires sont nombreuses. Voy. notamment Cass. 19 septembre 1983, Pas. 1984, I, 55; Cass. 16 janvier 1986, Pas. 1986, I, 602; Cass. 18 février 1988, Pas. 1988, I, 728; Liège (7e ch.) 22 octobre 1992, R.D.C. 1994, p. 1017, note F.D.B.; Bruxelles 20 décembre 1995, T.R.V. 1996, p. 54; Comm. Bruxelles 21 décembre 1934, J.C.B. 1935, p. 117. Voy., pour de plus longs développements, G. Keutgen et Y. De Cordt, o.c., pp. 191 et s.
    [71] La bonne foi doit être considérée de manière objective, les intentions des auteurs de la décision n'étant que d'importance secondaire (B. Tilleman, De geldigheid van besluiten van de algemene vergadering. Het nieuwe artikel 190bis Venn.W., Kalmthout, Biblo, 1994, p. 65).
    [72] G. Keutgen et Y. De Cordt, o.c., p. 207; J.-M. Nelissen-Grade, “De la validité et de l'exécution de la convention de vote dans les sociétés commerciales” (note sous Cass. 13 avril 1989), R.C.J.B. 1991, p. 245; J. Lievens, “De bescherming van de minderheidsaandeelhouder in de vennootschap naar geldend en komend recht”, R.W. 1983-84, col. 2415. Voy., à propos d'une décision de fusion/scission prise en méconnaissance de l'obligation de bonne foi qui s'impose dans les relations entre associés, la jurisprudence “CERA” (Comm. Bruxelles 9 décembre 1999, Rev. Banq. 2000, p. 49 note, Journ. proc. 1999, liv. 383, 27, note, T.R.V. 1999, 589).
    [73] Liège (7e ch.) 21 décembre 1999, R.P.S. 2000, p. 164. À propos d'une expertise et de l'obligation, pour le cessionnaire, de produire des pièces ou de donner des explications quant à la présence d'indices sérieux de malversations, voy. Bruxelles (9e ch.) 17 mai 2001, Rev. prat. soc. 2002, p. 73, R.D.C. 2003, p. 859, note A. Coibion.
    [74] La clause peut être inversée pour permettre au cédant de forcer les autres actionnaires à céder leurs titres en même temps que lui afin de satisfaire un cessionnaire qui veut acquérir toutes les actions (“drag along”).
    [75] S. Prat, Les pactes d'actionnaires relatifs au transfert des valeurs mobilières, Paris, Litec, 1992, pp. 120-125.
    [76] B. Feron, “Les conventions d'actionnaires après la loi du 13 avril 1995”, R.D.C. 1996, p. 679. Cette sanction constitue une clause d'inaliénabilité et doit donc être limitée dans le temps et justifiée à tout moment par l'intérêt social (art. 510, al. 2 C. soc.).
    [77] Voy., C. Lempereur, “La Commission bancaire et les cessions privées de participation de contrôle”, Rev. prat. soc. 1975, pp. 119 et s.; P. Delahaut, “La doctrine de la Commission bancaire et financière en matière de changement de contrôle des entreprises après l'affaire 'Société générale de Belgique', DAOR 1999, pp. 1 et s.; L. Cornelis et C. Grenson, “Private overdracht van controleparticipaties”, in K. Byttebier et R. Feltkamp (éds.), De regulering van het Beursapparaat. Financiewezen nu en morgen, Bruges, die Keure, 1997, pp. 29 et s.; P. Lambrecht, “La protection des actionnaires minoritaires par le droit financier et les relations entre les actionnaires minoritaires et la Commission bancaire et financière”, Rev. Banq. 1993, pp. 149 et s.
    [78] Y. De Cordt, Ph. Lambrecht et Ph. Hamer (coord.), La réforme de la réglementation sur les offres publiques d'acquisition, Waterloo, Kluwer, 2007.
    [79] Pour de plus longs développements, voy. Y. De Cordt, L'égalité entre actionnaires, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 816 et s.
    [80] Pour des considérations critiques, voy. B. Husson, La prise de contrôle d'entreprises, Paris, P.U.F., 1987, pp. 184 et s. et L. Dabin, “Les acquisitions d'entreprise, Rapport de synthèse”, R.D.A.I. 1989, p. 724.
    [81] Voy. la décision du Conseil constitutionnel français précitée de 1986 et un arrêt - certes déjà ancien - du Hoge Raad néerlandais selon lequel le paiement d'une prime de contrôle lors de l'acquisition d'une participation majoritaire peut être légitime, s'il n'y a pas, par ailleurs, un réel abus de pouvoir. Une différenciation en fonction de l'importance de la participation est justifiée parce qu'elle est basée sur des critères objectifs (HR 24 septembre 1976, NJ 1978, n° 135, 426; W.J. Slagter, Compendium van het ondernemingsrecht, Deventer, Kluwer, 1993, p. 178).
    [82] C. Gavalda, “La réglementation de la cession des blocs de titres donnant le contrôle de sociétés dont les actions sont cotées ou placées hors cote: un essai de moralisation du processus concentrationniste français”, Rev. soc. 1977, pp. 39 et s.
    [83] S. Besson, L'égalité horizontale: l'égalité de traitement entre particuliers, Fribourg, Éditions universitaires, 1999.