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Cour d'appel Liège, 14/11/2006, R.D.C.-T.B.H., 2008/2, p. 162-164

Cour d'appel de Liège (7ème ch.) 14 novembre 2006

OBLIGATIONS CONTRACTUELLES
Validité du contrat - Dol - Cession d'actions - Obligation d'information - Réticence dolosive - Dol incident
La réticence d'une partie peut être constitutive de dol lorsqu'elle porte sur un fait qui, s'il avait été connu de l'autre partie, l'aurait amenée à contracter à des conditions moins onéreuses ou plus avantageuses.
Dans le chef d'une partie, la simple conscience de devoir dire à l'autre partie ce qu'elle omet sciemment de lui révéler suffit à caractériser la réticence constitutive de dol.
Le cessionnaire des titres d'une société est tenu d'informer le cédant des négociations qu'il conduit avec un tiers en vue de lui céder ou de lui apporter ultérieurement les titres faisant l'objet de la cession. Est coupable de dol le cessionnaire qui, afin d'inciter le cédant à céder ses actions à des conditions moins avantageuses, l'induit en erreur sur leur valeur réelle en omettant volontairement de lui révéler que cette cession est liée à une opération de transfert de l'ensemble des titres, à laquelle tous les actionnaires pourraient concourir.
L'auteur du dol ne peut invoquer la négligence, voire même l'erreur inexcusable, de la victime pour contester la nullité d'une convention ou s'exonérer de toute responsabilité.
Le dol incident ne donne lieu qu'à l'octroi de dommages-intérêts.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
Geldigheidsvereisten overeenkomsten - Bedrog - Aandelenoverdracht - Informatieplicht - Bedrieglijke verzwijging - Incidenteel bedrog
De verzwijging door een partij kan als bedrog worden beschouwd indien deze verzwijging betrekking heeft op een feit waardoor de andere partij, indien deze van dit feit op de hoogte was geweest, de verbintenis tegen minder dure of tegen voordeligere voorwaarden zou zijn aangegaan.
In hoofde van een partij volstaat het loutere besef van de plicht om te moeten zeggen aan de andere partij wat zij bewust nalaat bekend te maken om deze verzwijging als bedrog te bestempelen.
De verwerver van de effecten van een vennootschap is gehouden de cedent op de hoogte te brengen van de onderhandelingen die hij voert met een derde met het doel om de effecten die het voorwerp van de afstand uitmaken, later aan deze derde te verschaffen. De verwerver die de cedent aanzet om zijn aandelen tegen minder voordelige voorwaarden af te staan, maakt zich schuldig aan bedrog in geval hij de cedent verkeerd inlicht omtrent de werkelijke waarde en ingeval hij opzettelijk verzwijgt dat deze afstand gelieerd is aan een overdracht van de hele effectenportefeuille, die voor alle aandeelhouders in aanmerking komt.
De bedrieger kan zich niet op nalatigheid of op een onverschoonbare dwaling in hoofde van het slachtoffer beroepen om de nietigheid van een overeenkomst te betwisten of om zich van alle aansprakelijkheid vrij te stellen.
Bij incidenteel bedrog kan enkel een schadeloosstelling toegekend worden.

A.-M.D. / Y.F. et L.F.

Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et J.-P. Vlerick (conseillers)
Pl.: Mes P. D'Heur, H. Van Haeperen, A. Combrexelle, L. Geuens et G. Bacquelaine loco J.-P. Douny

Par requête du 22 juillet 2005, Monsieur A.-M.D. a interjeté appel d'un jugement du tribunal de commerce de Liège du 25 février 2005 qui l'a débouté de sa demande tendant à la condamnation in solidum des consorts F. à lui payer € 537.000 correspondant à la valeur des quelques 179 actions qu'il possédait dans une société Carobel et dont il estime avoir été dépouillé par des manoeuvres de l'auteur des intimées et administrateur-délégué de la société, Monsieur F. Le jugement entrepris l'a également débouté d'une demande corollaire de dommages-intérêts.

Les faits de la cause ont été minutieusement relatés dans le jugement entrepris, auquel la cour se réfèrera sur ce point. Il suffit de rappeler que les 179 actions, statutairement au porteur, que l'appelant détenait dans une société Carobel, se sont retrouvées en possession d'une société Carobel Holding en exécution d'une convention signée le 15 juillet 1996 par Monsieur F. et Monsieur V., et aux termes de laquelle le premier cédait “l'intégralité des actions représentatives du capital de (Carobel) à savoir 1.100 actions au porteur” à une société représentée par le second, étant précisé que Monsieur F. se portait fort “de l'obtention de l'agrément unanime et inconditionnel des actionnaires de la société qu'il représente dans le cadre de la transaction détaillée au sein de la présente convention”. Le prix stipulé était de 115.000.000 FB et les actions devaient être délivrées au plus tard le 1er septembre 1996.

Par ordonnance du 27 août 2002, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège a constaté l'extinction de l'action publique à charge de Monsieur F., mis en prévention d'abus de confiance suite à une plainte de l'appelant du 12 juillet 1999.

L'appelant estime que c'est à tort que, pour fonder leur décision, les premiers juges ont considéré qu'il avait “accepté de vendre ses actions afin que Monsieur F. puisse finaliser la cession de la totalité du capital de Carobel et (que l'appelant) a accepté d'être rempli de ses droits par la remise de la somme litigieuse de 2.200.000 FB”. Il soutenait, et continue à soutenir à titre principal, ne jamais avoir consenti à céder ses actions, tandis que les intimées prétendent qu'il les a vendues, pour 2.200.000 FB, à Monsieur F. qui les a ensuite revendues à Carobel Holding, regroupées avec l'ensemble des autres actions que Monsieur F. avait rassemblées.

L'appelant ne conteste pas être resté en relations d'affaire avec Monsieur F., qui avait cédé la gestion journalière de Carobel à Carobel Holding représentée par Monsieur V. en exécution de la convention du 15 juillet 1996. L'appelant, Monsieur F. et Monsieur V. ont notamment siégé en personne ou par interposition de société au conseil d'administration de la SA Espace de la Famenne, dont les deux premiers étaient directement ou indirectement actionnaires. L'appelant reconnaît d'ailleurs avoir continué “à entretenir de bons contacts avec le sieur F., puisqu'il ignorait dans un premier temps qu'il avait été floué de près de 20 millions de francs belges anciens et qu'il espérait, dans un second temps, pouvoir obtenir des explications et son dû”. Même s'il soutient qu'il “n'a appris les circonstances exactes de la cession qu'au cours de l'année 1998 et en a d'ailleurs obtenu confirmation lors de différentes réunions de travail”, il s'en déduit que, bien avant d'élever des reproches à l'encontre de Monsieur F. et de porter plainte contre lui, il savait en tout cas que le contrôle de Carobel était passé entre les mains de Carobel Holding.

Dans ses conclusions d'instance comme d'appel, l'appelant reconnaît avoir, le 1er avril 1997, déposé les 2.200.000 FB qu'il avait reçu de Monsieur F. en décembre 1996 sur son compte “avec en communication acompte en liquide de revente parts Carobel”, ce qui, “démontre que le concluant a de tout temps considéré que la somme reçue fin 1996 ne constituait qu'un montant à valoir sur le prix des parts”. Comme l'ont relevé les premiers juges, la qualification d'acompte donnée dans ces circonstances par l'appelant au montant reçu de Monsieur F. impliquait nécessairement qu'il était d'accord de céder ses actions. Le jugement entrepris a ainsi considéré à bon droit que l'appelant avait accepté de vendre ses actions afin que Monsieur F. puisse finaliser la cession de la totalité des parts représentatives du capital de Carobel.

En degré d'appel, l'appelant fait valoir à titre subsidiaire que la vente serait nulle pour cause de dol au sens de l'article 1116 du Code civil parce que Monsieur F. lui a volontairement celé le prix de la cession du contrôle de Carobel.

La connaissance de l'existence de la cession des parts de Carobel n'emportait pas nécessairement celle des conditions précises, et notamment de prix, du marché et les parties ne déposent aucune pièce établissant que l'appelant ait été informé de ces conditions.

Pour démontrer que l'appelant avait connaissance de cette cession, les intimées se réfèrent en conclusions à ce que “début de l'année 1998, l'appelant va assister à plusieurs réunions relatives aux problèmes survenus entre Messieurs F. et V. à la suite de la cession de la société Carobel. A cette occasion un des documents de travail était la convention de cession des parts sociales de Carobel faisant clairement état du montant de cette cession”. Messieurs F. et V. ont clos ce litige par une transaction du 26 septembre 1998 et l'appelant émettra ses premières revendications le 13 mars 1999, au vu du rapport d'un expert qu'il avait mandaté aux fins d'établir la valeur d'entreprise de Carobel à la suite des soupçons fondés sur ce qu'il avait appris au cours des réunions évoquées par les intimées.

Le reproche qu'adressait, dans sa lettre du 19 mars 1999, Monsieur F. à l'appelant de ne se préoccuper du sort de ses actions que “à peu près trois ans après la vente”, et qui est relayé par les intimées qui concluent que l'appelant avait accès à tout les comptes de Carobel en tant qu'actionnaire (ce qui n'est pas rigoureusement exact eu égard à la nomination d'un commissaire) montre que Monsieur F. n'estimait pas qu'il lui incombait de veiller à ce que tous les autres actionnaires de la société soient informés des conditions dans lesquelles il en avait cédé le capital. Il convient de rappeler ici que l'auteur du dol ne peut invoquer la négligence voire même l'erreur inexcusable de la victime pour repousser son action (P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, Presses universitaires de Bruxelles, 3ème éd., p. 77 et jurisprudence citée).

Il résulte de ce qui précède que, comme le soutient l'appelant, il n'a eu connaissance du prix de la cession de l'entièreté des actions que par les recherches qu'il a entreprises suite à la découverte fortuite, au plus tôt mi 1998, d'éléments ayant nourri ses soupçons et non parce que Monsieur F. le lui aurait dévoilé soit au moment de cette cession, soit lorsqu'il lui a apporté les 2.200.000 FB censés constituer le prix de rachat de la part de l'appelant.

Il est de principe depuis l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juin 1978 (R.C.J.B. 1979, p. 525) que la réticence d'une partie peut être constitutive de dol lorsqu'elle porte sur un fait qui, s'il avait été connu de l'autre partie, l'aurait amené à contracter à des conditions moins onéreuses.

Au cours de l'instruction pénale, Monsieur V. déclara aux enquêteurs que lorsque Monsieur F. lui avait remis l'entièreté des titres de Carobel, il lui avait fait promettre de ne jamais révéler le montant de la transaction. On aperçoit mal les raisons autres que la volonté de celer cet élément aux autres actionnaires qui ont pu pousser Monsieur F. à exiger que son cocontractant prenne un tel engagement. En effet, d'une part, le prix convenu reposait sur des données extraites de la comptabilité régulière et soumise à publicité et, d'autre part, les actions acquises par Carobel Holding étaient nanties auprès de la Générale de Banque pour sûreté du financement de cette acquisition.

Bien que les déclarations de Monsieur F. aux enquêteurs qui l'ont entendu dans le cadre de l'instruction pénale aient varié quant au moment du rachat des actions de l'appelant, avant ou après la cession globale à Carobel Holding selon qu'il était interrogé sur ses relations avec Monsieur V. ou avec l'appelant, il n'a jamais évoqué le fait qu'il aurait à quelque moment communiqué le prix convenu avec Carobel Holding à l'appelant, pas même quand, fin 1996, il est venu lui apporter les 2.200.000 FB, alors qu'à cette époque, le contrat de cession avec Carobel était signé, les titres cédés, le prix fixé et encaissé à concurrence de 105 millions de FB. A la surprise d'un enquêteur constatant que le paquet d'actions achetées 2.200.000 FB à l'appelant était valorisé 18.713.555 FB dans la revente à Carobel Holding, Monsieur F. répondit qu'il avait proposé le prix de 2.200.000 FB à l'appelant, qu'il l'avait accepté et que “à partir (du moment) où il y a une proposition et une acceptation, pour moi l'opération est terminée”. Outre que cette déclaration confirme le silence de Monsieur F., elle constitue une rationalisation qui démontre qu'il avait conscience qu'il devait dire à l'appelant ce qu'il ne lui avait pas dit, circonstance qui caractérise la réticence constitutive de dol (J.-P. Masson, “Les fourberies silencieuses”, R.C.J.B. 1979, p. 527).

Les intimées tentent d'écarter le dol de Monsieur F. en soutenant qu'il n'y a aucune raison de lier le prix de la cession entre l'appelant et Monsieur F. à celui de la cession de celui-ci à Carobel Holding. Cet argument ne peut être suivi. L'achat des 179 actions de l'appelant par Monsieur F. n'est pas détachable de la revente de l'entièreté des actions de Carobel comme le montre la stipulation de porte-fort dans la convention du 15 juillet 1996, encore qu'elle ait été surabondante dès lors qu'il y était par ailleurs stipulé que c'est Monsieur F. qui vendait l'entièreté des actions et non d'autres actionnaires. Les intimées reconnaissent d'ailleurs implicitement ce lien en concluant que “la convention du 15 juillet 1996 ne sera finalisée qu'à la fin du mois de septembre 1996 par la remise de l'entièreté des titres à Monsieur V. et ce, précisément afin de permettre à Monsieur F. de racheter préalablement les titres à sa soeur, son épouse et l'appelant”.

Il résulte des considérations qui précèdent que le silence sciemment observé par Monsieur F. avait pour but d'induire l'appelant en erreur sur la valeur réelle de ses actions et ainsi de l'amener à les céder dans des conditions plus avantageuses pour Monsieur F. et alors qu'il ne les auraient certainement pas cédées aux mêmes conditions si ce dernier l'avait loyalement informé de l'opération qu'il négociait en signalant, l'ensemble des actions étant visé, que tous les actionnaires devaient concourir pour leur part à la bonne fin de la cession. C'est ainsi à bon droit que l'appelant soutient que son consentement a été vicié par le dol de Monsieur F.

Dans les circonstances de la cause ce dol n'a été qu'incident, en sorte qu'il n'y a pas lieu de prononcer la résolution de la vente, mais d'octroyer des dommages-intérêts à l'appelant.

Le dommage qu'il a subi s'identifie à la différence entre les 2.200.000 FB qu'il a reçus et la valorisation de sa participation selon la convention du 15 juillet 1996, telle qu'amendée par la transaction du 26 septembre 1998, soit € 387.175,88.

L'appel est déclaré fondé.