1.En l'espèce, un gestionnaire de fortune reconnaissait avoir commis une erreur matérielle dans le contrat écrit conclu avec son client, en retenant un type de rendement moins prudent que ne l'avait souhaité son client. Toutefois, dans l'exécution de la convention de gestion de fortune, l'intermédiaire avait géré les avoirs déposés, conformément aux objectifs exprimés originairement par le client. L'erreur matérielle n'affectait pas la substance de la convention. Or, l'on sait que l'erreur n'est admise comme cause d'annulation que si elle porte sur la substance du contrat (art. 1110 du Code civil).
“Il y a erreur sur la substance lorsque l'erreur tombe sur tout élément qui a déterminé principalement la partie à contracter, de telle sorte que sans cet élément, le contrat n'aurait pas été conclu” [1]. L'erreur en l'espèce ne portait que sur une mention du contrat qui n'avait pas été bien cochée. Cette erreur n'affectait pas le contrat, dans la mesure où la convention avait été exécutée conformément à la volonté des parties. Cette erreur était indifférente.
2.Sur le plan de la responsabilité contractuelle du gestionnaire de fortune, le tribunal verviétois rappelle à bon droit les principes applicables.
Les obligations du gestionnaire sont des obligations de moyens [2], lorsque celui-ci apprécie l'opportunité de réaliser un placement pour ses clients, et ce sauf convention contraire expresse. Le simple fait que le portefeuille d'un client ait subi une moins-value même significative n'est pas constitutif de faute [3]. Le fait que les plus-values réalisées sont très inférieures à l'évolution d'un indice boursier n'est pas fautif [4].
Le tribunal rappelle que la responsabilité du gestionnaire doit s'apprécier en fonction d'un résultat global et non opération par opération, ce qui est exact.
Il faut, en effet, distinguer, les griefs relatifs à une ou plusieurs opérations déterminées (par exemple ceux qui seraient contraires aux conditions prévues dans la convention originaire) d'un reproche concernant l'ensemble de la gestion discrétionnaire. Seule une appréciation globale, dans le moyen ou le long terme, doit être effectuée par le tribunal, en tenant compte de l'évolution globale des indices, des performances et des returns des placements, en procédant à des comparaisons appropriées et en tenant compte des crises importantes sur les marchés financiers.
La nature même du contrat de gestion discrétionnaire limite l'appréciation du tribunal à un contrôle marginal. Pour considérer une faute comme établie, il ne suffit donc pas d'identifier une faute commise dans une opération spécifique ou de montrer que la performance globale a été inférieure à celle réalisée pour tel ou tel autre gérant de fortune, mais bien de prouver que le gérant de fortune s'est comporté d'une manière manifestement contraire ou différente par rapport à ce qu'aurait fait tout autre gérant, placé à la même époque dans les mêmes circonstances.
Nous avons déjà relevé que la responsabilité d'un gestionnaire de fortune doit être appréciée avec une extrême circonspection, vu le caractère hautement aléatoire du système financier [5]. Une certaine marge d'erreur doit être concédée aux gestionnaires de fortune, auxquels n'importe quelle mauvaise évaluation des risques ne peut être reprochée. Le risque économique des investissements choisis par le gérant pèse en principe sur le client.
3.En l'espèce commentée, le client reprochait aussi à l'intermédiaire un certain immobilisme.
Souvent les investisseurs reprochent au gestionnaire d'avoir fait preuve d'inertie dans la gestion de leurs avoirs, sans passer aucune opération, alors que les bourses s'effondraient ou en réagissant tardivement lors d'un changement des tendances du marché.
Les tribunaux ont une approche assez pragmatique et réaliste de cette situation.
Ainsi, lorsque les parties ont convenu d'un horizon de placement à long terme, par exemple, en choisissant un portefeuille composé essentiellement d'actions, le tribunal, qui n'a qu'un pouvoir d'appréciation marginale, ne considère pas qu'est fautif le fait de ne pas acter tout de suite les pertes enregistrées par certains titres, en réalisant ceux-ci sans avoir de réelles chances de récupérer ces pertes dans d'autres investissements, vu le contexte négatif général [6].
“Replacé dans un horizon de placement de 10 ans au minimum, la décision de patienter et de ne pas vendre ne peut être considérée comme fautive. En effet, la vente réalise la perte alors que dans une perspective à long terme, les marchés financiers peuvent se redresser et les moins-values peuvent se résorber.” [7].
Si le client devait établir dans le chef du gestionnaire une faute consistant à avoir été trop passif, encore doit-il établir qu'une gestion plus active du portefeuille aurait permis d'éviter certaines pertes plutôt que de les accroître [8] ou offrir nécessairement, aux yeux de tout professionnel, davantage de garanties de meilleurs résultats [9].
En l'espèce, le client accusait la banque d'inertie pour avoir laissé pendant 8 ans sortir les effets des mêmes produits sans remettre en cause leur efficacité. Le tribunal rejette le grief, à défaut pour le client de démontrer la faute commise dans la gestion, dans la mesure où la gestion avait dégagé d'importantes plus-values.
Il n'est pas inutile de relever que dorénavant, la règlementation MiFID impose à la banque de revoir régulièrement sa politique de best exécution [10]. L'intermédiaire doit informer son client des changements éventuels ou de l'absence de changement éventuel avec des explications à l'appui. Le devoir de surveillance est renforcé.
4.En ce qui concerne le devoir d'information du gestionnaire, on sait que celui-ci implique non seulement la communication des extraits de compte et les bordereaux d'exécution concernant les opérations exécutées mais également l'envoi au client d'évaluations détaillées de son portefeuille.
Les qualités et les aptitudes du client (profane ou averti) déterminent parfois la mesure du devoir d'information et le degré de circonspection dont doit faire preuve le banquier [11]. Un tribunal peut par exemple être sensible au fait que les investisseurs sont des intellectuels ayant bénéficié d'un bon degré de scolarité et qui n'étaient pas sans connaître les risques liés aux placements bancaires [12].
En l'espèce, il n'est pas contestable que l'intermédiaire avait rempli ce devoir. Le client “recevait des bilans complets trois fois par an de sorte qu'il était à même d'apprécier la situation et l'évolution de son patrimoine” .
De son côté, le client est lui-même tenu de s'informer sur la portée des obligations qu'il contracte et sur les opérations qu'effectue en nom et pour son compte le gestionnaire de fortune, lorsqu'il lui rend périodiquement des comptes.
Il appartient au client de s'informer, de prendre connaissance des documents mis à sa disposition ou lui envoyés, de vérifier les informations y mentionnées, de contester s'il y a lieu les opérations accomplies ou d'émettre des réserves.
Si, comme l'indique la décision commentée, le client invoque son ignorance dans la gestion financière “il lui appartient alors d'interpeller soit le gestionnaire lui-même ou toute autre personne susceptible de lui donner des renseignements” .
Le client qui ne se déclare pas d'accord avec la façon dont le portefeuille est géré, doit immédiatement en aviser le gestionnaire et, le cas échéant, mettre fin au mandat [13].
[1] | Cass. 27 octobre 1995, Pas., I, p. 950. |
[2] | Cons. not. Comm. Bruxelles 2 février 1995, R.D.C. 1996, p. 1072; Gent 5 mai 2004, NjW 6 avril 2005, p. 413 ; Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, R.D.C. 2006, p. 119; Comm. Bruxelles 30 septembre 2004, Dr. banc. & fin. 2005/1, p. 61. |
[3] | Cons. not. Comm. Bruxelles 2 février 1995, R.D.C. 1996, p. 1072; Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, R.D.C. 2006, p. 119. |
[4] | Paris 24 septembre 2002, Rev. dr. banc. & fin. mai/juin 2003, p. 158. |
[5] | Cf. nos observations R.D.C. 2006, p. 123. |
[6] | Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, R.D.C. 2006, p. 119. |
[7] | Civ. Bruxelles (74e ch.) 3 février 2006, Fosseprez/Fortis Banque, inédit. |
[8] | Comm. Bruxelles (10e ch.) 18 mars 2004, Croë/ING Belgique, inédit. |
[9] | Comm. Bruxelles 2 septembre 2004, R.D.C. 2006, p. 119. |
[10] | Art. 23 de l'arrêté royal du 27 avril 2007 qui assure la transposition en droit belge de la directive MiFID et art. 21 de la directive 2004/39/CE du 21 avril 2004 sur les marchés d'instruments financiers. |
[11] | Cons. en matière de conseil en placements, Comm. Nivelles 26 septembre 1996, R.D.C. 1997, p. 785; Comm. Bruxelles 31 mai 1996, J.L.M.B. 1996, p. 1598. |
[12] | Gent 4 avril 2005, R.G.D.C. 2005, p. 535. |
[13] | Comm. Gand 28 novembre 2000, Dr. banc. & fin. 2001/3, p. 188. |