Article

Tribunal de commerce Bruxelles, 17/01/2006, R.D.C.-T.B.H., 2008/1, p. 87-93

Tribunal de commerce de Bruxelles 17 janvier 2006

DROIT FINANCIER
Institutions financières et intermédiaires financiers - Gestionnaires de fortune et conseillers en placements - Devoir d'information - Obligations de moyens - Absence de faute
Le conseiller en placements répond d'une obligation de moyens et doit se comporter comme un mandataire normalement prudent et diligent dans l'exercice de sa mission. Cette obligation ne devient de résultat que s'il garantit contractuellement le résultat des recommandations qu'il donne à son client.
L'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 est inapplicable car il suppose l'existence d'une transaction sur instrument financier, ce que la conclusion d'un contrat de conseils en placements n'est pas.
Le fait de ne pas réaliser les actions au moment d'une chute boursière ne constitue pas une faute. Rien ne prouve que l'immobilisme qui eût lieu à l'époque ait constitué un comportement critiquable dans le chef de la banque. La seule existence d'une moins-value est en soi insuffisante pour apporter la preuve d'une faute dans les conseils donnés par la banque.
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Informatieverstrekking - Middelverbintenissen - Geen fout
De beleggingsadviseur is gehouden tot een middelenver­bintenis en moet zich aldus gedragen als een normaal voorzichtige en zorgvuldige lasthebber in het kader van de uitoefening van zijn taak. Deze (middelen)verbintenis wordt slechts een resultaatsverbintenis indien de beleggingsadviseur het resultaat van de aanbevelingen aan zijn cliënt garandeert.
Artikel 36 § 1, 5° van de wet van 6 april 1995 kan niet worden toegepast daar het uitgaat van het bestaan van een transactie in financiële instrumenten, wat het afsluiten van een contract van beleggingsadvies niet is.
Het feit de aandelen niet te realiseren op het ogenblik van een beursdaling maakt geen fout uit. Niets bewijst dat het stilzitten van destijds, een laakbare gedraging heeft uitgemaakt in hoofde van de bank. Het enkele bestaan van een waardeverlies houdt op zich geen bewijs van fout in de adviesverlening van de bank.

SA Chaussures Cecil / SA ING Belgique

Siég.: Henrion (président), Hansez et Van ingelgem (juges consulaires)
Pl.: Mes D. Tchou loco E. Libert et A.-P. André-Dumont loco J.-P. Buyle

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

Vu:

- l'exploit de citation enregistré le 20 juillet 2004,

- les conclusions déposées par chacune des parties.

Entendus les avocats des parties à l'audience publique du 6 décembre 2005.

L'action tend à la condamnation de la défenderesse, dénommée ci-après “la Banque”, à payer à la société Chaussures Cecil les sommes de 399.362 EUR et 35.000 EUR, majorées des intérêts judiciaires.

La Banque conclut au non-fondement de la demande.

I. Le contexte du litige

Les principaux faits de la cause peuvent être résumés comme suit à l'examen des dossiers et des explications des parties:

1. La société Chaussures Cecil se présente comme étant une société familiale, créée dans les années 1920, dont l'activité principale est la vente de chaussures italiennes par l'intermédiaire de fonds de commerce qui lui appartiennent.

Elle est en relation avec la Banque Bruxelles Lambert, devenue ultérieurement ING Banque, depuis une vingtaine d'années.

2. En septembre 1992, la SA Chaussures Cecil, dénommée ci-après “Cecil”, a acheté un immeuble commercial à Anvers et a souscrit pour ce faire un prêt hypothécaire auprès de plusieurs comptoirs d'escompte.

En l'an 2000, elle a vendu cet immeuble avec une importante plus-value.

Suite à cette opération, elle était redevable envers son créancier hypothécaire d'un solde d'emprunt de 57.500.000 d'anciens francs belges.

Cecil possédait également un immeuble situé rue des Tongres à Bruxelles, mis en garantie pour un crédit d'investissement de 12.000.000 d'anciens francs belges octroyé par la Banque ING.

Cecil proposa à la Banque de rembourser le capital restant dû au moyen des fonds générés par la vente de l'immeuble anversois.

3. Au cours des négociations entre les parties litigantes, celles-ci ont été amenées à aborder la question des indemnités de remploi et notamment une indemnité de l'ordre de 40.000 EUR à l'égard du Comptoir d'escompte, que ces remboursements anticipés mettaient à la charge de Cecil, ce que celle-ci déplorait.

Dans ce cadre, la Banque proposa le montage financier suivant:

- une émission de garantie à concurrence de 57.500.000 d'anciens francs belges en faveur du Comptoir d'escompte, avec maintien du contrat de prêt souscrit par Cecil envers ce dernier;

- l'investissement par Cecil d'une somme de l'ordre de 60.000.000 d'anciens francs belges par l'acquisition d'un portefeuille de titres contenant pour 38.000.000 d'anciens francs belges d'actions et 22.000.000 d'anciens francs belges d'obligations et de sommes sur des comptes à terme;

- le nantissement commercial des titres et un gage sur les avoirs déposés sur le compte dépôt;

- l'octroi d'un mandat hypothécaire permettant à la SA Immomanda de constituer, à la requête de la Banque ING, une hypothèque sur l'immeuble situé rue des Tongres à concurrence de 9.000.000 d'anciens francs belges.

Les intérêts produits par le portefeuille titres devaient permettre de rembourser les trimestrialités au profit du Comptoir d'escompte.

Le document de proposition de la Banque indiquait une prévision de rentabilité, par rapport aux actions, de 8% en moyenne par an.

4. La proposition de la Banque fut acceptée par Cecil et mise à exécution en décembre 2000 et janvier 2001. Dans une note interne de Cecil, son administrateur-délégué, selon les dires de Cecil, fit connaître aux actionnaires et administrateurs de la société la proposition de la Banque en indiquant que celle-ci assurerait contractuellement un intérêt supérieur à celui obtenu à l'époque par le Comptoir, ce qui permettrait d'épargner l'indemnité de remploi due à cette dernière en cas de remboursement anticipé.

La Banque conteste s'être engagée à garantir le taux de 8% annuel sur les actions. Nous verrons plus loin que les éléments du dossier ne permettent pas d'affirmer que la Banque se serait engagée à assurer un résultat de 8% de rentabilité sur les actions.

Les parties se rencontrèrent le 19 décembre 2000 à la Banque pour la mise au point de l'opération.

Cecil signa avec la Banque une convention de conseil en placements.

Cette convention prévoit expressément que la Banque n'est tenue qu'à une obligation de moyen et qu'elle ne garantit pas un résultat, qu'elle pouvait émettre ses conseils “au cours d'entretiens avec le client mais aussi par écrit, par téléphone, télégramme”, etc., qu'elle “adressera des relevés périodiques des avoirs au client” et que “l'absence de contestation dans les trois mois de son envoi du relevé relatif à la période prenant fin le 31 décembre, qui fait état de la performance annuelle du portefeuille des avoirs, entraîne la décharge de la Banque quant à l'exécution de ses obligations de conseiller en placements pour toute l'année écoulée” (art. 2 et 3).

Les réclamations ou observations du client relatives aux données figurant sur les avis, extraits de compte et relevés périodiques doivent être notifiées à la Banque par écrit dans un délai de six jours ouvrables après l'expédition de ces documents.

Le règlement général des opérations de la Banque s'applique au contrat.

Dans les annexes de la convention se trouvent deux questionnaires tendant à définir le profil d'investissements du client ainsi que l'objectif des conseils demandés. Les réponses données par Cecil indiquent que celle-ci souhaitait une gestion équilibrée “balanced”, c'est-à-dire cherchant un équilibre entre la stabilité et la croissance du capital, tout en étant prête à prendre un risque mesuré et calculé. Ce profil de risque indique un nombre d'actions maximum de 65%.

L'horizon de placements de Cecil était de trois à cinq ans et son administrateur-délégué déclarait avoir “un peu d'expérience” en matière d'investissements: “je suis l'actualité financière une fois par mois”. Il disait avoir acquis ou avoir une expérience dans les placements d'obligations ou sicav d'obligations, de sicav d'actions et d'actions.

Cecil ne demandait pas de conseils à la Banque relativement à des titres d'organismes de placements collectifs patronnés et/ou gérés par elle ni relativement à une série de produits dérivés.

Le 10 janvier 2001, la Banque a acheté, sur ordre de Cecil, des sicav “ING Patrimonial Agressive”. Cette opération, qui était conforme à la volonté de Cecil, puisque celle-ci avait indiqué dans une annexe à la convention du 19 décembre 2000 qu'elle voulait que les capitaux apportés soient investis dans le mois de cet accord qui venait d'avoir lieu le 18 décembre, a fait l'objet d'un extrait de compte et d'un bordereau qui n'ont jamais été contestés à l'époque ni ultérieurement.

5. Cet achat sera suivi d'une crise boursière d'envergure qui va durer plus de deux ans.

6. Le 10 juillet 2002, l'administrateur-délégué de Cecil se rendit à la Banque afin de connaître l'évolution du dossier titres gagés après la forte baisse des bourses. Un rapport interne a été établi par la Banque qui indique que le remboursement au Comptoir d'escompte n'est assuré par les termes et obligations que début 2004, qu'on peut espérer une remontée des bourses d'ici là et que le jour où la valeur des actions remontera à sa valeur initiale, Cecil verra s'il faut les réaliser totalement ou partiellement (pièce 3.7. de la Banque).

Par ailleurs, à la même époque, Cecil obtint de la Banque deux nouveaux crédits d'investissement, l'un de 100.000 EUR pour financer les travaux de rénovation de son magasin situé à Wijnegem et l'autre de 125.000 EUR pour reconstituer son fonds de roulement.

Cecil expose qu'elle avait décidé de rénover ses magasins et de rajeunir son image de marque ce qui impliquait des investissements importants et ce qui entraîna des difficultés financières auxquelles elle décida de pallier au cours de l'année 2003 au niveau de sa gestion et de ses achats.

Lors de l'octroi des deux nouveaux crédits, Cecil donna mandat à la société Immomanda de constituer, à la requête d'ING, des hypothèques sur l'immeuble de la rue des Tongres (les trois lettres de crédit du 15 juillet 2002, pièces 3.8., 1.5. et 1.6. de la Banque).

7. Le 18 décembre 2002, la Banque informa Cecil de ce qu'elle avait, conformément aux mandats authentiques des 18 décembre 2000 et 29 août 2002, converti les mandats hypothécaires sur l'immeuble de la rue des Tongres.

Cecil reproche à la Banque d'avoir exécuté cette opération sans la prévenir préalablement, ce qui aurait pu éviter des frais vu les garanties supplémentaires moins coûteuses que ses actionnaires auraient pu offrir.

8. Le 27 mars 2003, la Banque écrivit à Cecil qu'elle suspendait l'utilisation de sa ligne de crédit mixte caisse/avances à terme fixe de 372.000 EUR, sur base de l'article 8/g de son Règlement général des crédits auquel Cecil avait adhéré, en raison de la détérioration du chiffre d'affaires de la société, de ses résultats et de ses fonds propres négatifs.

Cecil contesta le bien-fondé de cette décision par courrier du 14 avril 2003 au motif qu'elle était en restructuration et que sa solvabilité n'était pas en cause.

Par ailleurs, elle exposa dans sa lettre qu'elle estimait la responsabilité de la Banque engagée vu que “la rentabilité générée par votre département 'gestion de fortunes' s'est révélée très largement en dessous de toute attente et simulations...” (pièce 3.15. de la Banque).

La Banque confirma et justifia sa décision par courrier du 23 avril 2003.

Elle observa que l'actif net de Cecil, qui s'élevait en décembre 2001 à quelque 383.000 EUR (69.000 EUR après déduction des immobilisations corporelles), ne s'élevait plus en octobre 2002 qu'à -118.000 EUR (-432.000 EUR après déduction des immobilisations incorporelles), se transformant dès lors en passif net (pièce 3.16. de la Banque).

9. Cecil mit en vente son immeuble rue des Tongres sur base d'un compromis de vente signé le 1er décembre 2003.

Par courrier du 6 février 2004, Cecil invita la Banque à utiliser le prix de vente de l'immeuble pour apurer le crédit de caisse, à procéder à la réalisation du portefeuille titres et à l'intégration du gage numéraire personnel de son administrateur-délégué ainsi qu'à la liquidation des sommes dues. Elle invitait également la Banque à lever tous les gages afin que la société soit totalement libérée.

Cecil s'est également réservé dans cette lettre le droit de demander à ING de rendre compte quant à son “exécrable gestion du portefeuille”.

La Banque prit acte des instructions de Cecil par courrier du 11 février 2004 et rappela le geste commercial qu'elle était prête à exécuter en faveur de Cecil pour un montant de 24.761 EUR, sans reconnaissance préjudiciable et pour solde de tous comptes.

Par courrier du 24 février 2004, Cecil contesta qu'elle aurait accepté ce geste commercial pour solde de tous comptes et mit à nouveau en cause le conseil qui lui avait été donné en l'an 2000 d'acquérir le portefeuille titres litigieux, affecté à une garantie émise en faveur du Comptoir d'escompte.

La Banque réfuta les reproches de Cecil par courrier du 26 février 2004 et annonça qu'elle paierait le Comptoir d'escompte conformément aux instructions de Cecil.

10. Il y eut encore quelques courriers entre les parties et le 13 juillet 2004 Cecil lança citation contre la Banque pour obtenir réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi par la faute de celle-ci, lui reprochant une mauvaise gestion de son patrimoine, la suspension abusive de sa ligne de crédit et une violation de ses obligations élémentaires de conseils et d'informations.

II. Discussion
1. Thèses des parties

La demanderesse formule plusieurs griefs à l'égard de la Banque:

- la Banque se serait engagée à procurer à Cecil un rendement moyen de 8% l'an sur l'investissement des actions. Elle aurait une obligation de résultat à cet égard, soit parce qu'elle aurait garanti un rendement de 8%, soit parce qu'elle aurait fait croire que ce rendement serait de cet ordre;

- subsidiairement, au cas où il serait considéré que la Banque n'avait qu'une obligation de moyen, celle-ci n'aurait pas donné une information complète au moment des négociations, notamment sur les risques qui s'attachaient au type de placements recommandés, en manière telle que Cecil n'aurait pas pu prendre une décision en connaissance de cause.

La Banque ne prouverait pas que Cecil aurait, en pleine connaissance de cause, décidé d'investir dans un produit risqué (conclusions de Cecil, p. 12, point 22);

- la Banque aurait manqué à son devoir de conseil lors de la chute boursière intervenue peu de temps après l'achat des actions litigieuses et Cecil n'aurait été clairement informée de la mauvaise situation de son portefeuille qu'en mars 2003 au moment de la suspension de sa ligne de crédit;

- la Banque aurait commis un abus de droit en suspendant intempestivement ses crédits le 27 mars 2003 alors qu'elle avait des garanties très importantes, qu'elle était informée de “l'excellente qualité financière” des actionnaires de Cecil, qu'elle connaissait l'historique de la société et ses prévisions favorables et que les pertes comptables n'étaient que ponctuelles. La Banque a agi sans préavis alors qu'elle aurait dû, avant toute décision, envisager la situation avec Cecil qui aurait pu proposer des garanties supplémentaires;

- la Banque aurait contraint Cecil à vendre les actions litigieuses alors que le marché remontait et allait encore monter. Cecil a été contrainte d'accepter de vendre les actions prématurément par rapport à son plan initial d'investissement dans le temps et de vendre dans la précipitation l'immeuble situé rue des Tongres à Bruxelles dans le souci d'une saine gestion.

Cecil estime avoir subi un dommage, suite à ces différents manquements, qu'elle chiffre, d'une part, à quelque 400.000 EUR - étant la différence entre le montant restant dû au Comptoir d'escompte et la réalisation du portefeuille titres, sicav et trésorerie confiés à la Banque - et, d'autre part, une somme de 35.000 EUR évaluée ex aequo et bono suite à la suspension abusive des crédits et ses suites.

La Banque conteste l'ensemble des griefs qui lui sont reprochés ainsi que les dommages et le lien causal entre les prétendues fautes et les dommages allégués.

2. Quant à la garantie donnée par la Banque d'un rendement de 8%

Le contrat conclu par les parties le 19 décembre 1999 s'analyse comme étant un contrat de conseil en placements, la Banque s'engageant à conseiller sa cliente dans le placement de certains avoirs et non à gérer ces avoirs.

Dans le cadre d'un tel contrat, la Banque ne réalise pas spontanément des opérations. Elle agit sur l'ordre de son client qui décide d'acheter ou non, de vendre ou non, quels que soient les conseils donnés par la Banque.

En règle, le conseiller en placements répond d'une obligation de moyen et doit se comporter comme un mandataire normalement prudent et diligent dans l'exercice de sa mission. Cette obligation ne devient de résultat que s'il garantit contractuellement le résultat des recommandations qu'il donne à son client.

Une obligation de moyen constitue une obligation générale de prudence et de diligence, son débiteur s'engageant à tenter, par une conduite prudente et diligente, de parvenir au résultat en vue duquel les parties ont contracté et non pas à parvenir au résultat précité.

Le contrat qui est rédigé en des termes simples est dépourvu d'ambiguïté quant à son objet. Cecil n'a pu se tromper à la lecture de celui-ci sur les engagements de la Banque.

À aucun moment dans cette convention de conseil en placements, la Banque ne garantit un rendement de 8%. Au contraire, l'article 2 prévoit expressément que “en aucun cas, la Banque n'est en mesure de garantir un résultat”.

Le document du 7 décembre 2000 (pièce 4 de Cecil) est une proposition de la Banque prévoyant un rendement faisable de 8% sur un certain capital d'actions. Il s'agit d'un exercice de faisabilité de montage financier envisagé. Il n'est nullement prouvé par ce document que la Banque se serait engagée à garantir un rendement de 8%. Au contraire, la lettre de crédit du 11 décembre 2000 puis le contrat de conseil en placements du 19 décembre 2000 ne font référence à aucun moment à un rendement garanti de 8%. Comme nous l'avons vu, au contraire, la Banque, dans ce contrat, spécifie qu'elle ne garantit pas de résultat, ce qui dément la thèse de Cecil.

Le document produit en pièce 5 du dossier de Cecil est un document interne à cette société qui, outre qu'il ne contient pas de référence à un taux garanti de 8%, ne prouve pas qu'il y aurait eu un tel engagement pris par la Banque, eu égard, notamment, au contrat signé entre les parties le 19 décembre 2000.

La Banque expose qu'il n'y a jamais eu d'engagement de rentabilité de sa part mais une indication du rendement que l'on pouvait raisonnablement espérer vu que le rendement annuel des sicav “Patrimonial Agressive” de 1996 à 2000 inclus était de 15,69% et de 1995 à 1999 inclus était de 18,04% (pièce 5.1. de son dossier). Cette version est conforme au contrat produit.

Cecil ne prouve pas l'existence d'une obligation de résultat dans le chef de la Banque quant à un rendement de 8% l'an des actions en portefeuille.

Il n'est pas non plus démontré que la Banque aurait fait croire à Cecil que le rendement des actions serait, en toute hypothèse, de 8% l'an.

Les conseils en placements sont, par nature, aléatoires ce qu'aucun client n'ignore et ce d'autant lorsque, comme en l'espèce, ce client a ne fut-ce qu'un peu d'expérience en la matière et a déjà acquis des obligations, des actions et des sicav (voir annexe au contrat de conseil de placements).

Relevons enfin qu'il ne ressort d'aucun élément du dossier que Cecil aurait soulevé cette problématique de rendement garanti de 8% avant la rédaction de son exploit de citation en juillet 2004.

3. Quant à l'information donnée par la Banque en phase de négociations fin 1999

Cecil estime que la Banque aurait commis une culpa in contrahendo pendant les négociations en ne lui communiquant pas les renseignements de nature à l'éclairer suffisamment sur la décision à prendre. La Banque aurait, en outre, enfreint le prescrit de l'article 26, 3° de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, qui reproduit l'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995.

Cecil en déduit que la Banque reste en défaut de prouver que ce serait en pleine connaissance de cause que sa cliente aurait choisi d'investir dans un produit risqué.

L'article 26, 3° de la loi du 2 août 2002 est inapplicable en l'espèce, la convention de conseil en placements ayant été conclue en 1999, avant l'adoption de cette loi.

L'article 36 § 1er, 5° de la loi du 6 avril 1995 est également inapplicable car il suppose l'existence d'une transaction sur instrument financier, ce que la conclusion d'un contrat de conseils en placements n'est pas.

Cecil procède à un renversement de la charge de la preuve qui ne peut être admis dès lors que c'est à elle, en qualité de demanderesse en responsabilité, qu'il appartient de prouver qu'elle n'aurait pas été valablement informée par la Banque, en manière telle qu'elle n'aurait pas investi en pleine connaissance de cause.

Il est difficilement concevable que Cecil, dont les dirigeants ont déjà par le passé acquis des actions et notamment des sicav, ait pris la décision d'acquérir des sicav ING “Patrimonial Agressive” sans savoir dans quel instrument elle investissait.

Elle a, au contraire, reconnu dans le préambule de la convention de conseil en placements, avoir reçu un document standardisé indiquant la nature des instruments financiers et le type de risque y afférent.

Ces sicav avaient été proposées par la Banque avant la conclusion de la convention de conseil en placements au cours des négociations relatives au montage financier qui devait éviter le paiement d'indemnités de remploi importantes. La Banque expose avoir expliqué la nature des instruments financiers qu'elle conseillait ainsi que le type de risque y afférent (voir pièce 4 de Cecil).

À considérer que cela n'ait pas été le cas, ce qui n'est pas prouvé, Cecil a eu la possibilité de s'informer sur la nature de ces titres si elle estimait ne pas être parfaitement éclairée sur ceux-ci et il n'est dit nulle part que la Banque aurait refusé de l'informer.

Si elle n'a pas demandé plus d'explications, c'est qu'elle s'estimait suffisamment renseignée et c'est donc en connaissance de cause qu'elle a choisi d'investir dans un produit qui, rajouté aux liquides à vue et à tenue et aux obligations faisant partie de la même opération, aboutissait à une part obligataire globale de plus de 55%, ce qui était conforme au profil de risque “Balanced” (50% en actions, 50% en obligations et cash et des déviations possibles de 35 à 65% tant pour les actions que pour les obligations) choisi par Cecil (voir pièce 2.1. de la Banque).

Contrairement à ce qu'elle prétend, Cecil n'a pas opté pour une“extrême prudence”.

Elle a opté pour un portefeuille équilibré, appelé “Balanced” dans l'annexe à la convention de conseil en placements où le profil “Balanced” est défini comme étant la recherche d'un équilibre entre la stabilité et la croissance du capital tout en étant prêt à prendre un risque mesuré et calculé et à accepter, contre un rendement supérieur, des variations plus fréquentes du capital.

Si Cecil avait voulu être plus prudente, elle aurait dû choisir le profil“Secure”, ce qu'elle n'a pas fait.

Pour le surplus, Cecil ne prouve pas qu'elle aurait, avant la conclusion de la convention de conseil en placements, exprimé à la Banque son souhait de recevoir des conseils lui permettant d'assurer une gestion “extrêmement prudente” de ses avoirs.

Il n'est pas établi dans ces conditions que la Banque aurait manqué à une obligation d'information.

4. Quant à l'obligation de conseil de la Banque lors de la chute de la Bourse

Cecil reproche à la Banque de ne pas l'avoir contactée lors de l'importante chute boursière qui survint très peu de temps après son investissement dans les actions litigieuses pour voir ce qu'il était envisageable de faire.

Cecil dit n'avoir jamais reçu les relevés périodiques de ses avoirs, prévus contractuellement, et n'avoir appris qu'en mars 2003, au moment de la suspension de ses crédits, la mauvaise situation du portefeuille.

Il est vrai que la Banque n'établit pas avoir envoyé les relevés périodiques en cause. Toutefois, il est constant que les parties se sont rencontrées à tout le moins en juillet 2002 et il ressort de la pièce 3.7. de la Banque que la situation des sicav ING “Patrimonial Agressive” a été examinée et discutée lors d'une réunion tenue à la Banque le 10 juillet 2002. La Banque a conseillé à Cecil de ne pas vendre et d'attendre jusqu'au début 2004, époque à laquelle on pouvait raisonnablement espérer une remontée du cours de bourse. Cecil a suivi ce conseil et il y a effectivement eu une remontée des valeurs.

Rien ne démontre que la Banque a commis une faute lorsqu'elle a donné ce conseil à Cecil et que le fait de ne pas réaliser les actions au moment de la chute boursière en 2001 aurait constitué une faute que n'aurait pas commise un professionnel normalement prudent et diligent replacé dans les mêmes circonstances que celles de l'espèce.

À cet égard, Cecil ne précise pas l'opération qui aurait dû lui être conseillée au moment de la chute boursière.

Rien ne prouve que l'immobilisme qui eut lieu à l'époque ait constitué un comportement critiquable dans le chef de la Banque. Dans le cadre d'un investissement à long terme, comme en l'espèce, le conseil en placements ne va pas pousser à la vente des actions dès qu'elles chutent, puisque ce n'est qu'au moment de la vente que les pertes se réalisent, et va, au contraire, en général conseiller de garder les valeurs jusqu'à ce que les marchés se remettent, sauf situation particulière.

La Banque explique à juste titre que s'agissant de sicav investies dans des valeurs de secteurs économiques et de pays différents, on pouvait raisonnablement considérer que la reprise générale des marchés boursiers entraînerait une remontée automatique de la valeur de ces sicav et il n'était dès lors pas justifié de conseiller à Cecil de les vendre.

Il faut, en outre, se replacer à l'époque des faits pour examiner s'il y a responsabilité ou non du professionnel et se garder de poser un regard influencé par les évolutions et les informations connues ultérieurement.

Par ailleurs, l'examen du dossier montre qu'à aucun moment Cecil ne s'est plainte de ne pas recevoir d'informations de la Banque. La crise boursière, qui eut lieu, a été retentissante et toute personne ayant des actions n'a pu l'ignorer, en manière telle qu'il appartenait à Cecil, si elle en éprouvait le besoin, d'interpeller son banquier pour avoir les informations souhaitées si elle ne les avait pas directement reçues. Elle ne peut venir se plaindre des années plus tard d'un manque d'information, ayant elle-même une responsabilité dans la gestion de ses affaires.

De deux choses l'une: ou Cecil a bien reçu les informations en leur temps, comme le soutient la Banque et il n'y a pas lieu à critiques, ou elle ne les a pas reçues alors qu'une information périodique était prévue à l'article 3 de la convention de conseil en placements et, dans ce cas, il appartenait à Cecil de se manifester durant l'exécution du contrat et sa plainte actuelle est tardive.

Cecil ne démontre pas en toute hypothèse que compte tenu de l'évolution des marchés financiers et de ses objectifs de placement, tels que définis dans la convention, les conseils donnés par la Banque, conseils qui peuvent être de ne rien faire, aient été mauvais, la seule existence d'une moins-value étant en soi insuffisante pour apporter cette preuve.

Le grief de Cecil ne peut partant être retenu.

5. Quant à la suspension de la ligne de crédit de Cecil

La Banque a suspendu la ligne de crédit dont bénéficiait Cecil le 27 mars 2003 sur base de l'article 8/g de son règlement général des crédits qui l'autorise à une telle décision s'il résulte notamment des comptes annuels ou d'une situation comptable que l'actif net du crédité a perdu plus du quart de sa valeur par rapport aux plus récents comptes annuels publiés ou non.

En l'espèce, il est constant que l'actif net de Cecil, qui s'élevait en décembre 2001 à 383.001,02 EUR (69.002,55 EUR après déduction des immobilisations corporelles), ne s'élevait plus en octobre 2002 qu'à -118.486,41 EUR (-432.484,88 EUR après déduction des immobilisations corporelles), se transformant dès lors en passif net.

Les conditions d'application de l'article 8/g du règlement général des crédits étaient dès lors bien réunies et autorisaient la Banque à prendre la décision de suspension critiquée.

La situation de Cecil l'a contrainte à faire application de l'article 633 du Code des sociétés et à prendre des mesures d'assainissement dans les mois qui suivirent, notamment par la vente de son immeuble situé rue des Tongres (voir pièce 3.21. de la Banque, étant une lettre des conseils de Cecil du 9 décembre 2003 expliquant ce point).

Dans un tel contexte et même si la situation s'est améliorée ultérieurement, on ne peut reprocher à la Banque d'avoir pris la mesure de suspension en cause. Des mesures d'assainissement ont été prises par Cecil et des négociations s'ensuivirent pour clôturer dans un premier temps les comptes entre les parties et envisager une nouvelle ouverture de crédit (pièce 3.24. de la Banque, étant une lettre des conseils de Cecil à la Banque du 22 décembre 2003, et pièce 3.25., étant la réponse de la Banque du 6 janvier 2004).

La circonstance que dix mois avant la suspension la Banque ait accordé de nouveaux crédits est irrelevante. La situation a évolué entre-temps et la Banque a réalisé en mars 2003, après examen de la situation arrêtée au mois d'octobre 2002 qui lui avait alors été transmise, que les charges financières de Cecil étaient en forte augmentation, que les produits financiers chutaient, que les frais du personnel augmentaient et enfin qu'une nouvelle activité était lancée par son administrateur-délégué.

Il n'y a pas eu, en l'espèce, d'abus de droit de la part de la Banque. Elle n'a pas exercé son droit d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente. Rien ne prouve que la Banque ait agi dans l'intention de nuire à Cecil, sans intérêt ou motif légitime dans son chef, ou qu'il y ait eu une disproportion entre l'intérêt de la Banque et l'intérêt lésé.

La Banque n'a pas dénoncé la ligne de crédit. Cecil a fait le choix de rembourser anticipativement la Banque. Il n'y a dès lors pas eu de dénonciation abusive, comme l'écrit Cecil dans ses conclusions.

Le grief de Cecil n'est pas fondé.

6. Quant à la vente “forcée” du portefeuille titres de Cecil

Cecil a décidé, par son courrier du 6 février 2004, de faire procéder à la vente de son portefeuille. Elle a donné l'ordre à la Banque de procéder à cette réalisation et cet ordre a été exécuté le 9 février 2004. Cecil pouvait conserver ses actifs plus longtemps et payer ses dettes avec d'autres actifs puisqu'elle fait état de l'excellente qualité financière de ses actionnaires et de la possibilité pour elle de donner des garanties très importantes. Elle n'a pas fait ce choix. La Banque a exécuté son ordre et cela ne peut lui être reproché.

En réalité, le reproche fondamental reste toujours le même, à savoir ce que Cecil appelle “l'exécrable gestion du portefeuille” dont elle estimait que la Banque était en charge, ce qui provient d'une compréhension inexacte de la situation, comme nous l'avons déjà vu plus haut, et ce qui est contraire aux termes mêmes du contrat de conseil en placements que Cecil a signé en 1999 (voir, à cet égard, sa lettre du 6 février 2004 à la Banque, p. 2 - pièce 3.31. de la Banque).

Si le cours de bourse a continué à évoluer favorablement après la vente des titres, le 9 février 2004, cela n'induit aucune faute dans le chef de la Banque.

Cecil dit avoir été contrainte de vendre dans la précipitation l'immeuble de la rue des Tongres, tout en soulignant pourtant qu'elle a agi dans le souci d'une saine gestion. Il ne résulte pas de l'examen du dossier que la responsabilité de la Banque soit engagée à cet égard. La situation financière de Cecil n'était pas bonne, quoi qu'elle en dise, et son banquier n'était pas tenu, au vu de cette situation financière, de maintenir son crédit.

Il résulte de cette analyse que l'action engagée par la SA Chaussures Cecil à l'égard de la Banque ING Belgique est non fondée.

Par ces motifs,

Le tribunal,

Statuant contradictoirement,

(…)

Déclare l'action recevable mais non fondée.

(…)