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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2008/1, p. 85-86

DROIT FINANCIER
Institutions financières et intermédiaires financiers - Gestionnaire de fortune et conseiller en placements - Devoir d'information - Opérations sur instruments financiers dérivés - Couverture - Devoir de réalisation anticipée du portefeuille
Aucune disposition légale ne prévoit explicitement l'obligation, pour l'intermédiaire financier, de requérir de son client une couverture pour les ordres sur instruments financiers qu'il accepte.
L'exigence éventuelle d'une couverture peut toutefois découler du devoir d'information de l'intermédiaire financier à l'investisseur.
Ce devoir d'information cesse là où le créancier d'information n'en a nul besoin, parce qu'il a connaissance de la teneur de l'opération et des risques qu'elle comporte.
Dans ce cas, il y a interruption du lien de causalité par le fait du client.
Lorsque le client ne remplit pas son obligation d'apurer son solde débiteur, si l'intermédiaire financier s'est réservé la faculté contractuelle de procéder à la réalisation anticipée du portefeuille, il n'en a pas l'obligation.
FINANCIEEL RECHT
Financiële instellingen en tussenpersonen - Vermogensbeheer en beleggingsadviseurs - Informatieverstrekking - Verrichtingen op afgeleide financiële instrumenten - Dekking - Verplichting om de portefeuille vroegtijdig te realiseren
Geen wettelijke bepaling voorziet uitdrukkelijk de verplichting, voor de financiële tussenpersoon, om een dekking van zijn cliënt te vereisen voor de opdrachten, m.b.t. financiële instrumenten, die hij aanvaardt.
De eventuele verplichting om een dekking te vereisen kan niettemin uit de informatieplicht van de financiële tussenpersoon t.o.v. zijn cliënt voortvloeien.
Die informatieverplichting houdt op waar de informatieschuldeiser er geen nood aan heeft omdat hij kennis van de aard van de verrichting en van haar risico's heeft.
In dat geval wordt het oorzakelijk verband onderbroken door toedoen van de cliënt.
Als de cliënt zijn verplichting niet naleeft om zijn debetsaldo aan te zuiveren, en zelfs als de financiële tussenpersoon zich het contractueel recht voorbehouden heeft tot de vroegtijdige realisatie van de portefeuille over te gaan, is dat geen verplichting in zijnen hoofde.

1.La cour d'appel de Bruxelles revient sur la question de savoir si l'intermédiaire financier - en l'espèce une société de bourse - a ou non le devoir d'exiger de ses clients qu'ils fournissent une couverture lorsqu'ils effectuent des opérations sur instruments financiers dérivés, en dehors du cadre d'une convention de gestion de fortune et de conseil en placements.

La cour avait en effet déjà eu l'occasion d'examiner cette question de la couverture des opérations sur instruments financiers dans ses arrêts des 21 mars 2002 [1] et 23 janvier 2004 [2].

En l'espèce, la cliente avait effectué, par l'intermédiaire d'une société de bourse, des opérations sur instruments financiers (produits) dérivés comportant un risque à terme (émission d'options put). Ceux-ci ayant évolué négativement, la cliente avait subi de lourdes pertes. Mettant en cause la responsabilité de l'intermédiaire financier, elle lui avait notamment reproché de ne pas avoir requis de sa part, ab initio, de fournir une couverture pour ces opérations.

2.Comme le rappelle la cour, “La couverture est le montant en espèces ou les instruments financiers exigés par [l'intermédiaire financier] à son client (…), en garantie des risques calculés pour les positions ouvertes en instruments financiers qui découlent des transactions conclues en son nom. (B. Féron et B. Taevernier, Principes généraux du droit des intermédiaires financiers, Larcier 1997, p. 324).”

Cette couverture peut remplir plusieurs fonctions.

Elle permet d'abord de garantir le bon fonctionnement des marchés financiers. C'est ainsi que le règlement du marché de la Bourse de Bruxelles prévoyait l'exigence d'une couverture par l'intermédiaire financier.

La couverture constitue aussi la garantie, pour l'intermédiaire financier, d'obtenir le paiement de ses créances envers le client du chef de l'opération financière concernée.

Elle a donc alors une fonction de protection, de l'intermédiaire financier, contre l'insolvabilité de son client.

Enfin, la couverture peut protéger l'investisseur lui-même, en attirant son attention sur l'importance du risque financier auquel il s'expose éventuellement. C'est cette fonction de protection de l'investisseur que l'arrêt de la cour d'appel de Bruxelles examine.

La cour constate que la couverture des opérations des instruments financiers n'est plus requise en tant que telle par la loi, même en vue de la première de ses fonctions, à savoir le bon fonctionnement des marchés financiers.

La cour se demande ensuite si les obligations légales ou contractuelles de l'intermédiaire financier envers son client n'impliquent pas celles d'exiger de ce dernier la couverture de ses opérations sur instruments financiers.

Les obligations d'information de l'intermédiaire financier étaient, à l'époque des faits soumis à la cour, essentiellement décrites dans l'article 36 de la loi du 6 avril 1995.

L'article 36, 5° de cette loi oblige notamment l'intermédiaire financier “à faire des démarches raisonnables pour fournir, dans un délai raisonnable, au client qu'ils conseillent, dans une langue compréhensible, toute information qui lui permet de prendre une décision bien réfléchie et en connaissance de cause. (…)” .

L'article 36, 5° ne précise pas la nature des informations à donner au client, mais il semble évident qu'au premier rang de celles-ci, figure le risque lié à l'instrument financier proposé.

L'exigence d'une couverture peut donc constituer un moyen, pour l'intermédiaire financier, de réaliser partiellement son devoir d'information, dans la mesure où elle permet au client, tenu d'immobiliser des instruments financiers ou des espèces, de mesurer le risque auquel il s'expose.

La cour n'estime cependant nullement qu'il s'agit d'une obligation s'imposant systématiquement aux intermédiaires financiers pour toute opération quelconque sur instrument financier et/ou pour tout client.

Eu égard à sa fonction d'information du client, la couverture ne sera pas requise lorsque le client “n'en a en réalité nul besoin parce qu'il a déjà connaissance de la teneur de l'opération qu'il envisage et des risques qu'elle comporte, parce qu'il est, en d'autres termes un investisseur averti” .

Tel était le cas, en l'espèce, de la cliente, qui avait notamment “participé à des concours et à des clubs d'investisseurs en vue d'acquérir un minimum de savoir que la gestion d'un petit portefeuille requiert pour être réellement profitable” .

La cour juge en conséquence que le dommage subi par le client ne résulte pas d'un défaut d'information, mais de sa propre décision, prise en connaissance de cause.

3.L'arrêt ne se limite toutefois pas à cette constatation. Il se demande ensuite si, dans l'hypothèse où la couverture aurait été requise par l'intermédiaire financier, celle-ci aurait eu un effet dissuasif eu égard à l'impécuniosité alléguée de la cliente. Nous supposons que c'est à titre surabondant que la cour examine cette question, puisqu'elle vient de constater que l'intermédiaire n'était pas tenu de requérir une couverture.

La Cour estime qu'il n'est pas établi que cette couverture aurait eu en l'espèce un effet dissuasif, au motif qu'elle ne dispose pas d'informations suffisantes quant à la couverture à fournir. Nous y revenons ci-dessous (point 5).

4.On note incidemment que la cour estime que, même si l'intermédiaire avait dû requérir une couverture, celle-ci n'aurait porté que sur les espèces et/ou instruments financiers “à pourvoir au moment de l'émission de l'option” et non ceux qui seraient ultérieurement devenus“exigibles en complément lorsque les cours ont chuté”.

Dans la pratique en effet, lorsque les intermédiaires financiers requièrent une couverture en matière de produits financiers dérivés comme en l'espèce, cette couverture ne représente pas le risque potentiel (théorique) maximal, mais plutôt le risque raisonnablement prévisible.

Il pourrait d'ailleurs difficilement en être autrement, dans la mesure où certains produits financiers dérivés comportent un risque potentiel maximal illimité.

Le risque raisonnablement prévisible est souvent calculé sur base de critères propres à chaque intermédiaire financier, souvent extrêmement complexes. La couverture, calculée sur cette base est appelée la “marge minimale initiale”.

Si ce risque raisonnablement prévisible s'alourdit en cours de contrat en raison de l'évolution défavorable (au client) des marchés financiers, l'intermédiaire financier peut demander à son client un complément de couverture, en procédant à un “appel de marge” (“margin call”).

La cour d'appel constate donc incidemment une limite à l'effet informatif (et éventuellement dissuasif) de l'exigence de couverture, à savoir que celle-ci ne représente pas nécessairement le risque potentiel maximal mais seulement le risque raisonnablement prévisible.

5.À supposer que

    • l'intermédiaire financier ait dû requérir ab initio une couverture à titre informatif;
    • et que la cour ait disposé d'informations suffisantes sur l'importance de celle-ci, la cour aurait eu à juger de l'effet dissuasif ou non de cette couverture pour la cliente eu égard à sa situation concrète. Cette appréciation est évidemment extrêmement malaisée à donner, notamment en raison de l'absence de transparence sur le patrimoine global du client, et du caractère hautement personnel de la notion d'effet dissuasif.

    Dans leurs observations sous l'arrêt du 23 janvier 2004, J.-P. Buyle et M. Delierneux préconisaient de constater, dans ces cas, la perte d'une chance, pour le client, d'échapper au risque qui s'est finalement réalisé [3].

    6.Comment situer cette jurisprudence dans le nouveau cadre législatif découlant de la transposition de la directive MiFID, destinée à protéger davantage les investisseurs et entrée en vigueur au 1er novembre 2007?

    Sans entrer ici dans les détails, on retiendra sommairement que cette directive organise plusieurs cadres d'opérations sur instruments financiers, et notamment les opérations en “execution only” (l'intermédiaire financier se limite à exécuter l'ordre du client, sans le conseiller ni lui proposer d'instrument financier), les opérations en “appropriateness” (c.-à-d. sur base de la connaissance et/ou de l'expérience du client) et celles en “suitability” (l'intermédiaire financier propose des instruments financiers adaptés à la situation du client).

    Il semble que l'exigence de couverture à titre informatif du client n'a véritablement sa place que dans le cadre d'une opération sur instrument financier en“appropriateness”. Par contre, la couverture pourra bien évidemment toujours être requise par l'intermédiaire financier dans quelque cadre que ce soit, eu égard à sa fonction première, de garantie de la solvabilité du client.

    7.Enfin, la cliente faisait également grief à l'intermédiaire financier de ne pas avoir “réalisé son portefeuille et dénoué en cours de contrat les opérations sur option immédiatement” après avoir constaté que la cliente demeurait en défaut d'apurer le solde débiteur de son compte.

    La cour a rejeté ce grief aux motifs que la cliente avait elle-même demandé un délai pour fournir les sommes demandées, et que l'intermédiaire financier avait le droit (contractuel) mais non l'obligation (contractuelle ou légale) de procéder à cette réalisation.

    Bertrand Caulier

    Juriste d'entreprise

    [1] Bruxelles 21 mars 2002, R.D.C. 2004, p. 193 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux.
    [2] Bruxelles 23 janvier 2004, R.D.C. 2006/1, p. 112 et obs. J.-P. Buyle et M. Delierneux, citant de nombreuses références.
    [3] O.c., p. 118.