Tribunal de commerce de Dinant 3 mars 2006
SA Axa Bank Belgium / SA Immobilière de Fidevoye
Siég.: Derenne (président), Quin et Consee (juges consulaires) |
Plaid.: Mes S. Davidts loco J.-M. Van Durme et M.-P. Hussin loco J.-M. Bouillon |
(…)
II. | Exposé du litige |
A. | Les faits |
1. Le 11 janvier 1994, la banque octroie à l'immobilière une ouverture de crédit sous seing privé de 6.600.000 FB moyennant une inscription hypothécaire pour ce montant et en premier rang sur la propriété de l'immobilière située à Yvoir. L'ouverture de crédit est répartie en un crédit de caisse de 100.000 FB sur un compte courant 751-0014538-28 et en un crédit d'investissement de 6.500.000 FB sur un compte 774-0173953-74, remboursable en quinze ans par mensualités de 62.509 FB.
2. Le 25 février 1994, cette ouverture de crédit et cette constitution d'hypothèque sont confirmées dans un acte authentique reçu par maître H.-M. Mattot, notaire à Dinant.
3. Ce crédit est consenti en vue de l'acquisition de l'immeuble. Celui-ci est donné à bail à une société tierce pour un loyer mensuel de 1.644,92 EUR.
4. La première échéance des mensualités est conventionnellement fixée un mois après la date de prélèvement des fonds, soit un mois après la passation de l'acte authentique, soit encore le 25 mars 1994. Son montant - de 1.358,85 EUR selon les conclusions des parties - est prélevé sur le compte courant qui est lui-même approvisionné par les versements par le locataire du loyer mensuel.
5. Le 27 avril 1999, la banque écrit à l'immobilière en ces termes:
“Après vérification de votre dossier, nous avons constaté qu'à ce jour votre compte présente l'arriéré non autorisé suivant:
Compte | Montant |
751-0014538-28 | 3.686 FB |
774-0173953-74 | 153.832 FB |
en ce non compris les intérêts et commissions échus et à échoir depuis le 10 mai 1999 ainsi que tous frais généralement quelconques pouvant encore être portés en compte.
Pour cette raison votre dossier a été transféré au service Gestion du Risque et votre compte a été bloqué. En conséquence, les domiciliations et les ordres permanents ne sont plus exécutés automatiquement.
Nous insistons sur la régularisation de ce compte avant le 10 mai 1999 au plus tard.
En outre, nous vous prions de bien vouloir nous transmettre le compte d'exploitation détaillé de l'année 1997-1998.
À défaut nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits.”
6. Le 20 mai 1999, la banque écrit à l'immobilière en ces termes:
“Nous nous référons à notre lettre précédente du 27 avril 1999 et à l'entretien téléphonique avec monsieur Schmitz le 4 mai 1999.
Cependant, nous avons reçu votre versement de 100.000 FB d.d. 4 mai 1999.
À ce jour, votre crédit d'investissement présente un arriéré de 54.816 FB (l'échéance du 24 mai 1999 non compris).
Dès lors votre crédit de caisse présente de nouveau un solde débiteur. Nous vous prions donc à provisionner votre compte 751-0014538-28, en vue du paiement ponctuel des échéances contractuelles de votre crédit 774-0173953-74.
Nous insistons sur la régularisation des comptes susmentionnés dans la huitaine.
À défaut de faire le nécessaire, nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits.”
7. Le 10 janvier 2002, la banque écrit à l'immobilière en ces termes:
“Après vérification de votre dossier, nous avons constaté qu'à ce jour votre compte présente l'arriéré non autorisé suivant:
Compte | Montant |
774-0173953-74 | 4.200,39 EUR (169.443 FB) |
en ce non compris les intérêts et commissions échus et à échoir depuis le 23 janvier 2002 ainsi que tous frais généralement quelconques pouvant encore être portés en compte.
Pour cette raison votre dossier a été transféré au service Gestion du Risque et votre compte a été bloqué. En conséquence, les domiciliations et les ordres permanents ne sont plus exécutés automatiquement.
Nous insistons sur la régularisation de ce compte avant le 23 janvier 2002 au plus tard.
À défaut nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits.”
8. Le 5 février 2002, la banque écrit à l'immobilière en ces termes:
“Nous nous référons à l'acte cité sous rubrique par lequel nous vous avons consenti une ouverture de crédit de 163.609,72 EUR (6.600.000 FB).
À regret nous devons constater que votre crédit de caisse présente un dépassement non autorisé de la ligne de crédit et que le remboursement de votre crédit d'investissement présente un arriéré.
Dès lors, nous nous voyons obligés de mettre fin à l'ouverture de crédit prérappelée et d'exiger le remboursement immédiat et intégral de notre créance en capital, intérêts et accessoires, sur base de l'article 5 du cahier des charges des conditions générales d'application.
Sauf erreur et/ou omission, notre créance s'élève à:
Compte | Montant |
774-0173953-74 | 103.653,16 EUR (4.181.358 FB) |
751-0014538-28 |
Ce montant comprend les intérêts et accessoires dus jusqu'au 18 février 2002 ainsi que la pénalité prévue en cas de remboursement tardif, mais non encore les intérêts et accessoires dus à partir du 19 février 2002, ni tous les frais généralement quelconques pouvant être portés en compte.
En plus nous constatons que nous n'avons pas encore reçu l'attestation, émanant de l'institution financière qui vous a signalé auprès de l'Union Professionnelle de Crédit, que vos problèmes envers ces institutions sont résolues.
Par la présente, nous exigeons le remboursement intégral de notre créance endéans la quinzaine, donc avant le 18 février 2002.
À défaut de faire le nécessaire, nous prendrons toutes les mesures juridiques nécessaires afin de recouvrir notre créance.
Ce qui précède ne porte pas préjudice à tous droits tels qu'ils résultent des conditions et modalités prévues dans l'acte d'ouverture de crédit précité.
Nous espérons que vous réserverez une suite nécessaire au contenu de cette lettre que nous vous envoyons sous pli recommandé et sous pli ordinaire.”
9. Le 13 février 2002, le conseil de l'immobilière fait savoir à la banque que la dénonciation est considérée comme injustifiée et abusive et poursuit:
“À la date du 5 février, le crédit de caisse ne présentait plus aucun dépassement non autorisé et le compte présentait un disponible largement suffisant pour régulariser l'essentiel de l'arriéré du crédit d'investissement.
Ma cliente vous avait d'ailleurs téléphoné pour vous aviser de son léger retard de paiement dû à des difficultés passagères de trésorerie.
Vous trouverez en annexe le bilan au 31 décembre 2001 qui sera soumis à l'approbation de l'A.G. de ma cliente ce 4 mars 2002 et qui sera ensuite déposé à la B.N.B.
La situation de ma cliente est parfaitement saine et il n'existe aucun contentieux la concernant.
Ma cliente vous met donc formellement en demeure de revoir votre décision et de lui confirmer sous huitaine que la dénonciation peut être tenue pour non avenue.
(...)”.
10. Le 14 février 2002, la banque répond en ces termes:
“(...)
Le client a été averti plusieurs fois dans le passé d'apurer l'arriéré de son crédit d'investissement et de son crédit de caisse (ces problèmes de paiement datent déjà de 1999).
De plus nous avons constaté que monsieur Delaveux Serge a eu trois faillissements et qu'il a été signalé quatre fois auprès de l'Union Professionnelle de Crédit et que nous n'avons pas reçu l'attestation de régularisation de ces problèmes envers ces institutions.
Dès lors, nous avons dénoncé l'ouverture de crédit prérappelée et nous exigeons le remboursement immédiat et intégral de notre créance en capital, intérêts et accessoires, sur base de l'article 5 du cahier des charges des conditions générales d'application.
(sic)
(...)”.
11. Le 20 février 2002, le conseil de l'immobilière écrit à la banque en ces termes:
“(...)
À la date de dénonciation des crédits, la situation de compte ne permettait pas de considérer que les conditions étaient réunies pour ce faire.
Si ma cliente a connu, par moment, de légères difficultés de trésorerie dues à des paiements parfois irréguliers de son locataire, force est de constater que la situation a toujours été régularisée dans les plus brefs délais.
(...)
Ma cliente n'entend donc pas réserver suite à votre demande de remboursement anticipé, considérant que cette demande est injustifiée et abusive.
Elle poursuivra les remboursements en cours sur base des paiements opérés par son locataire sur le compte habituel.
(…)”
12. Le 8 mars 2002, le conseil de l'immobilière se plaint auprès de la banque de l'absence de communication des extraits de compte qui l'empêche de tenir sa comptabilité et de s'assurer que le locataire lui paye les loyers.
13. Le 11 mars 2002, la banque répond qu'au jour de la dénonciation du crédit, elle a dressé un compte définitif dont le solde est immédiatement exigible, rappelle qu'elle a le droit de porter en ce compte le résultat de toutes les opérations en cours et signale qu'elle a clôturé le compte 751-0014538-28 sur base de l'unicité des comptes.
14. Les parties échangent ensuite une correspondance de laquelle il résulte que le locataire poursuit le paiement de ses loyers au profit de l'immobilière sur le compte 751-0014538-28 pourtant clos, tandis que la banque reverse ensuite ces fonds sur le compte du crédit d'investissement 774-0173953-74.
B. | L'objet des demandes |
1. Au terme de la citation, la banque poursuit la condamnation de l'immobilière à lui payer 80.762,63 EUR augmentés des intérêts au taux annuel de 7,75% à compter du 5 décembre 2002.
Au terme des dernières conclusions qu'elle dépose le 5 octobre 2005, la banque demande la condamnation de l'immobilière à lui payer 55.227,79 EUR augmentés des intérêts au taux annuel de 5,5% à compter du 25 janvier 2005, compte tenu des paiements intervenus en cours de procédure.
2. Au terme des conclusions de synthèse déposées le 14 juin 2005, à titre reconventionnel, l'immobilière demande au tribunal “d'ordonner (à la banque) de réintégrer (l'immobilière) dans ses droits et de maintenir le crédit litigieux” et de condamner la banque à lui payer une indemnité de 3.000 EUR, en ordre principal pour procès téméraire et vexatoire et en ordre subsidiaire, à titre de frais de défense imputable à la banque.
À titre subsidiaire, l'immobilière demande la condamnation de la banque à produire un décompte précis, tant en ce qui concerne le compte courant que le compte du crédit d'investissement, la réduction de l'indemnité contractuelle à 250 EUR et l'octroi de termes et délais à concurrence de versements mensuels de 1.644,98 EUR.
3. Chaque partie conclut au rejet de l'action dirigée contre elle.
4. Le conseil de la défenderesse a demandé à l'audience du 3 février 2006 qu'il soit sursis à statuer sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts dans l'hypothèse où le tribunal retiendrait l'abus de droit de dénonciation du crédit.
III. | Examen par le tribunal |
A. | Remarque préliminaire: résiliation ou résolution? |
Selon une première acception, la résiliation est la dissolution sans effet rétroactif d'un contrat à prestations successives, tandis que la résolution est la dissolution avec effet rétroactif d'un contrat dont l'exécution des obligations est simultanée.
Selon une seconde acception - que le tribunal entend adopter en l'occurrence - la résiliation est la dissolution du contrat dont la cause est postérieure à sa formation et qui demeure étrangère à toute inexécution fautive des obligations, tandis que la résolution est la dissolution du contrat synallagmatique dont la cause est postérieure à sa formation et qui sanctionne l'inexécution fautive par une partie de ses engagements (cf. P. Wéry, “Vue d'ensemble sur les causes d'extinction des contrats”, in La fin du contrat, CUP, décembre 2001, vol. 51, n° 25, p. 34).
B. | À quelle date et en vertu de quoi la dénonciation par la banque du contrat de crédit est-elle intervenue? |
La banque plaide que le contrat de crédit a été résolu le 24 janvier 2002, à l'expiration du délai imparti à l'immobilière, dans la lettre du 10 janvier 2002, pour régulariser le dépassement non autorisé du crédit d'investissement, en application de l'article 5 des conditions générales, vu la défaillance du débiteur.
La disposition invoquée réserve tout d'abord à chaque partie la faculté de mettre fin à l'ouverture de crédit moyennant un préavis de 15 jours par lettre recommandée, hypothèse de résiliation étrangère au cas d'espèce (art. 5.1, 1er al.).
Elle envisage ensuite dix-sept hypothèses dans lesquelles la banque “aura la faculté de suspendre le crédit ouvert, ou d'y mettre fin et d'exiger le remboursement immédiat de toutes sommes dont le crédité se trouverait débiteur envers elle et ce de plein droit, sans préavis ni mise en demeure préalable, sans que le crédité ne puisse invoquer aucune exception et sans préjudice aux dispositions de l'article XI-11-0” qui concerne les majorations forfaitaires sur le retard de paiement en cas de dénonciation du crédit et les intérêts de retard sur le dépassement de la ligne de crédit (souligné par le tribunal).
La première hypothèse envisagée est l'“inexécution d'une des conditions et obligations convenues, si le solde débiteur des comptes dépasse le montant autorisé du crédit et n'est pas réduit à concurrence dudit montant dans le délai imparti par (la banque) (...)”, les seize autres hypothèses étant étrangères au cas d'espèce (souligné par le tribunal).
L'article 5.1, 2e alinéa, littera a) des conditions générales du contrat de crédit conclu entre parties est donc une clause résolutoire expresse, soit une clause par laquelle les parties ont prévu que le contrat pouvait être résolu de plein droit et sans mise en demeure spécifique par l'une des parties - la banque - en cas d'inexécution par l'autre - l'immobilière - de ses obligations (cf. la définition citée par C. Delforge, “L'unilatéralisme et la fin du contrat”, in La fin du contrat, CUP, décembre 2001, vol. 51, n° 188, p. 150).
“Lorsque le contrat stipule que la résolution aura lieu de plein droit et sans sommation, la résolution est acquise dès le jour où le créancier a manifesté au débiteur sa volonté d'exercer le droit de résolution, c'est-à-dire son option pour la résolution (et non pour la poursuite de l'exécution) du contrat” (note de M. le procureur général Raoul Hayoit de Termicourt, citant De Page et Planiol et Ripert, sous Cass. 31 mai 1956, Pas. 1956, I, p. 1052).
Le créancier de l'obligation inexécutée n'est pas tenu de faire appel à la clause résolutoire expresse qui est une sanction de l'inexécution du contrat par le débiteur, parmi d'autres. La clause ne sort ses effets que lorsque le créancier a manifesté son intention de la mettre en oeuvre par une notification à son débiteur. Il s'agit là d'un acte juridique unilatéral réceptice qui sort ses effets lorsque le débiteur en a pris connaissance ou a pu raisonnablement en prendre connaissance (cf. S. Stijns, “La résolution pour inexécution des contrats synallagmatiques, sa mise en oeuvre et ses effets”, in Les obligations contractuelles, Éd. du Jeune Barreau de Bruxelles, 2000, n° 45, pp. 446-447).
Par sa lettre datée du 10 janvier 2002, la banque met en demeure l'immobilière de payer un arriéré non autorisé de 4.200,39 EUR sur le compte 774-0173953-74 du crédit d'investissement avant le 23 janvier 2002, “en ce non compris les intérêts et commissions échus et à échoir depuis le 23 janvier 2002” et sous réserve de tous frais pouvant encore être portés en compte.
Elle avise en outre l'immobilière que le compte est bloqué et qu'à défaut de régularisation, elle devra “prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de (ses) droits”.
Cette lettre n'entraîne pas une résolution du contrat au 10 janvier 2002.
Le blocage du compte - en l'occurrence le compte du crédit d'investissement 774-0173953-74 qui est le seul visé dans la lettre - n'implique pas dénonciation du crédit.
Au reste la banque ne prétend pas le contraire.
Cette lettre n'entraîne pas davantage une résolution de plein droit du contrat le 23 janvier 2002 à défaut de régularisation, faute pour la banque de l'avoir clairement précisé.
La formule “à défaut nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits” ne doit pas se comprendre comme un appel à la clause résolutoire expresse, comme une notification d'une dénonciation du crédit faute de régularisation à l'expiration du délai imparti.
La lettre du 10 janvier 2002 ne fait aucune référence explicite à la dénonciation. Or, en vertu du contrat de crédit conclu entre parties, celle-ci n'est qu'une des sanctions susceptibles de frapper le débiteur qui accuse un retard de paiement et elle présente au terme de son article 5 un caractère facultatif. À supposer que la banque fasse application de l'article 5.1, 2e alinéa, littera a), encore peut-elle simplement suspendre les crédits sans les dénoncer. La dénonciation du crédit à défaut de régularisation à l'expiration du délai imparti n'est donc pas une conséquence que le destinataire de la lettre du 10 janvier 2002 devait nécessairement déduire du contenu de celle-ci.
Cette conclusion s'impose avec davantage de force encore lorsque l'on replace la lettre du 10 janvier 2002 dans son contexte.
La formule “à défaut nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures propres à assurer la sauvegarde de nos droits” a en effet déjà été employée dans la mise en demeure du 27 avril 1999 sans entraîner pour autant une dénonciation du crédit, alors qu'à l'expiration du délai imparti par cette dernière lettre la régularisation complète n'était pas intervenue, ainsi qu'il ressort de la lecture de la lettre du 20 mai 1999.
L'indicatif présent employé dans la lettre du 5 février 2002 - “nous nous voyons obligés de mettre fin à l'ouverture de crédit” - démontre en outre que la banque était bien consciente que la résolution n'était pas acquise le 23 janvier 2002.
La banque affirme à tort qu'en droit le seul écoulement du délai accordé dans la mise en demeure suffit à mettre fin au contrat et tente en vain de trouver appui dans un extrait de l'ouvrage de madame S. Stijns dont elle donne une traduction biaisée. Elle omet en effet de préciser que selon cet auteur, la convention n'est résolue qu'à partir du moment où le créancier a porté à la connaissance du débiteur dans l'avis contenant mise en demeure qu'il fera appel à la clause résolutoire expresse à l'expiration du délai accordé.
Or c'est précisément ce que la banque n'a pas fait en l'occurrence.
Dans ces conditions, la circonstance que le dépassement non autorisé sur le compte du crédit d'investissement n'a pas été régularisé dans le délai fixé par la lettre du 10 janvier 2002 est sans pertinence.
C'est donc exclusivement par la lettre datée du 5 février 2002 que la banque a manifesté sa volonté de dénoncer le contrat de crédit.
Cette résolution n'a pu intervenir que le jour où cette lettre a été reçue par l'immobilière, soit au plus tôt le 6 février 2002.
Dans la lettre de dénonciation, la banque motive la résolution par un dépassement non autorisé de la ligne de crédit et l'application de l'article 5 du cahier des charges du crédit.
Il convient en conséquence d'examiner si le 6 février 2002 la banque était en droit de résoudre unilatéralement le contrat de crédit pour dépassement non autorisé de la ligne de crédit.
C. | La banque avait-elle le droit de dénoncer le crédit comme elle l'a fait? |
Il est avéré que:
- le 10 janvier 2002, le crédit d'investissement présentait un dépassement non autorisé de 4.200,39 EUR, le contenu de la lettre de la banque du 10 janvier 2002 n'ayant jamais été contesté par l'immobilière;
- le 24 janvier 2002, la mensualité de 1.358,85 EUR s'est ajoutée à ce dépassement, ainsi que le prévoit le contrat de crédit et comme l'indique expressément la banque dans ses conclusions de synthèse, page 5;
- le 25 janvier 2002, la somme de 3.216,42 EUR a été versée sur le compte 751-0014538-28;
- le 5 février 2002, la somme de 1.644,92 EUR a été versée sur le compte 751-0014538-28;
- le 6 février 2002, le solde créditeur du compte courant, soit la somme de 2.333,60 EUR, a été versée sur le compte du crédit d'investissement, ces trois derniers mouvements de fonds étant explicitement reconnus par la banque dans ses conclusions de synthèse (pages 3 et 5) et attestés par les pièces déposées.
Il en résulte que le crédit d'investissement ne présentait plus aucun dépassement le 6 février 2002, le montant des trois versements du 25 janvier et des 5 et 6 février 2002 excédant de 1.635,70 EUR la somme des arriérés et de l'échéance du 25 janvier 2002.
Ce calcul est effectué sans tenir compte d'un blocage éventuel du compte courant 751-0014538-28 et en prenant en considération l'imputation sur le crédit d'investissement de son solde créditeur.
En effet, dans sa lettre du 10 janvier 2002, la banque n'a pas invoqué de dépassement non autorisé sur le crédit de caisse et n'a pas non plus avisé l'immobilière que ce compte courant était bloqué. Elle ne mentionne qu'un dépassement sur le crédit d'investissement et qu'un blocage du compte 774-0173953-74 du crédit d'investissement.
Il s'ensuit que le calcul présenté par la banque dans ses conclusions de synthèse (page 5) n'est pas correct en ce qu'il omet de mentionner le solde créditeur du compte courant.
Le nouveau décompte que la banque présente - avec une mauvaise foi évidente - dans les pages 2 et 3 de ses conclusions additionnelles aux conclusions de synthèse est en totale contradiction avec le décompte présenté dans ses conclusions de synthèse et ne peut être retenu.
Il mentionne en effet une opération de débit le 11 janvier 2002 du compte courant 751-0014538-28 vers le compte de crédit d'investissement 774-0173953-74 de 2.448,56 EUR qui ne correspond à aucun document et n'est pas justifiée.
La banque n'avait en effet annoncé à l'immobilière aucune mesure quant au compte courant.
En outre le tribunal n'aperçoit pas comment le solde négatif du crédit d'investissement pourrait être constant (- 4.200,39 EUR) nonobstant un versement de 2.448,56 EUR sur ce compte.
Le litige se circonscrit par conséquent à la question si la banque pouvait - en vertu du contrat et de la loi et au vu du contenu des lettres du 10 janvier 2002 et du 5 février 2002 et des mouvements de fonds - résoudre unilatéralement le contrat de crédit pour un dépassement non autorisé du crédit d'investissement en application de l'article 5 des conditions générales.
Si le dépassement non autorisé était de 4.200,39 EUR le 10 janvier 2002, voire encore le 23 janvier 2002, encore est-il que les trois versements du 25 janvier et des 5 et 6 février 2002 ont apuré et les arriérés et l'échéance du 25 janvier 2002.
Il s'ensuit que le motif invoqué par la banque - le dépassement non autorisé du crédit d'investissement - n'était plus justifié le jour où la dénonciation a été notifiée.
La banque n'a donc pas abusé du droit de dénoncer le crédit. Elle a procédé à la résolution unilatérale de la convention à un moment où elle n'avait plus ce droit. Tous les moyens développés par les parties à propos de l'abus de droit sont donc en l'occurrence sans pertinence.
La banque ne peut par ailleurs pas substituer a posteriori de nouveaux motifs à celui qu'elle a retenu dans la lettre de résolution unilatérale du contrat de crédit du 5 février 2002.
Le principe de l'exécution de bonne foi des conventions impose en effet au créancier de l'obligation inexécutée qui entend mettre en oeuvre la clause résolutoire expresse si le débiteur ne s'exécute pas dans le délai imparti, de préciser dans sa mise en demeure le manquement ou les manquements qu'il lui reproche.
Or la banque n'a fait allusion à la déclaration de faillite de l'un des administrateurs de l'immobilière - Serge Delaveux - que dans une lettre du 14 février 2002, en réplique à la contestation par l'immobilière de la validité de la dénonciation.
Ce motif est de toute façon sans pertinence. La faillite de cette personne était connue de la banque au moment où le crédit a été conclu puisque c'est dans le cadre de la liquidation de cette faillite que l'immobilière a acheté au curateur le bien immobilier pour lequel le crédit d'investissement a été accordé.
Le signalement auprès de l'Union Professionnelle de Crédit n'est évoqué que de manière incidente dans la lettre du 5 février 2002 tandis qu'il résulte des conclusions de synthèse de la banque que ce signalement ne concerne pas l'immobilière mais Serge Delaveux à titre personnel.
Les considérations générales à propos du caractère intuitu personae du contrat de crédit - quoiqu'elles soient parfaitement exactes dans l'absolu - sont sans pertinence en l'occurrence puisque la banque n'a pas invoqué un événement susceptible de ruiner sa confiance, autre que le dépassement non autorisé de la ligne de crédit.
D. | Quelles conséquences tirer de la résolution fautive du contrat de crédit par la banque? |
La résolution qui procède de la mise en oeuvre d'une clause résolutoire expresse s'opère en vertu de la volonté des parties, non en vertu d'une décision judiciaire. Si le tribunal n'a en conséquence aucun pouvoir d'appréciation quant à la gravité du manquement et quant à l'opportunité de la résolution (cf. Liège 24 avril 1989, J.L.M.B. 1990, p. 470), encore peut-il - doit-il même - vérifier la validité de la clause et la réunion de ses conditions d'application (cf. V. Pirson, “Les clauses relatives à la résolution des contrats”, in Les clauses applicables en cas d'inexécution des obligations contractuelles, AJN, FUNDP, la Charte, 2001, nos 39 et 40, pp. 126 à 128).
La clause résolutoire expresse est licite dans un contrat de crédit qui, comme en l'espèce, est étranger au crédit à la consommation, aucune disposition légale impérative n'en interdisant ou n'en limitant l'usage.
Mais s'il met en oeuvre la clause résolutoire expresse en dehors de ses conditions d'application, le créancier “manque d'un pouvoir décisionnel” (S. Stijns, o.c., n° 46, p. 448). Le contrat n'est donc pas valablement rompu et le débiteur peut demander, soit la résolution judiciaire du contrat aux torts du créancier, soit - comme c'est le cas en l'espèce - la reprise de l'exécution du contrat, sans préjudice dans l'un ou l'autre cas de l'octroi éventuel de dommages et intérêts (cf. V. Pirson, o.c., n° 39 in fine, p. 127).
Lorsqu'il constate a posteriori que le créancier a procédé à la résolution unilatérale du contrat alors que les conditions de la clause résolutoire expresse n'étaient pas réunies, le juge peut priver d'effet cette résolution fautive en ordonnant la poursuite de l'exécution du contrat, en tous cas lorsque celle-ci est possible comme c'est le cas en l'occurrence (voy. en ce sens: J.-P. Buyle et M. Delierneux, “Jurisprudence commentée en droit bancaire et boursier”, R.D.C. 2000, p. 723, dans l'hypothèse voisine de la mise en oeuvre par le banquier d'une clause résolutoire expresse du seul fait d'une demande en concordat judiciaire, en violation de l'art. 28 de la loi du 17 août 1997).
Comme il a été rappelé plus haut (cf. par. III.A.), la résolution unilatérale pour inexécution fautive doit être distinguée de la résiliation unilatérale.
La résiliation d'un contrat par la volonté unilatérale d'une partie est un acte juridique unilatéral réceptice qui produit ses effets de plein droit et d'une manière irrévocable dès l'instant où il a été adressé à l'autre partie et que celle-ci l'a reçu ou a pu en prendre connaissance (cf. P. Van Ommeslaghe, “Examen de jurisprudence. Les obligations (1974-1982)”, R.C.J.B. 1988, n° 147, p. 37; P. Wéry, o.c., n° 18, p. 26). Elle n'est possible que dans les cas où la loi ou la convention réservent ce droit à cette partie.
En revanche, la résolution unilatérale pour inexécution fautive - qu'elle procède d'une clause résolutoire expresse ou de l'application de l'article 1184 du Code civil - n'a pas ce caractère irrévocable. Pourvu qu'il n'ait pas renoncé d'une manière certaine à l'option que lui réserve cet article, le créancier de l'obligation inexécutée qui se prévaut de la clause résolutoire expresse peut modifier son choix dans les mêmes conditions qu'il le peut sous l'empire de l'article 1184 du Code civil (cf. P. Van Ommeslaghe, o.c., R.C.J.B. 1986, n° 137, p. 253).
Les moyens opposés par la banque - qui confondent le droit de résiliation unilatérale et le droit de résolution unilatérale pour inexécution fautive - doivent par conséquent être écartés.
La banque invoque en vain sa perte de confiance dans l'immobilière, dès lors que cette situation procède de son propre comportement fautif.
La circonstance que les échéances mensuelles ne sont pas réglées avec une parfaite ponctualité n'est pas un motif suffisamment grave pour justifier une résolution judiciaire de la convention qu'au reste la banque ne demande pas formellement.
Cette conclusion s'impose à la lecture de la lettre officielle que le conseil de la banque a adressée au conseil de l'immobilière le 13 août 2004 en ces termes:
“Je vous confirme que ma cliente a décidé de tenir ce dossier en suspens dès lors que la SA Immobilière Fidevoye est actuellement à jour dans ses paiements.
Il est dès lors, à mon sens, inutile d'activer la procédure en cours.
Il va sans dire que si vous faites procéder à une fixation unilatérale, AXA Banque en tirera toutes les conclusions de fait et de droit.”
Il s'ensuit que l'action principale visant la condamnation de l'immobilière à rembourser immédiatement et intégralement le solde restant dû en principal, intérêts et frais est mal fondée et que l'action reconventionnelle en tant qu'elle vise la condamnation de la banque à poursuivre l'exécution du contrat est fondée.
La demande de révision du taux d'intérêt est justifiée dans son principe. La convention de crédit datée du 11 janvier 1994 prévoit en effet (page 3) que le taux initial de 7,800% “sera soumis à une révision tous les 5 ans et adapté au taux en vigueur à ce moment pour des crédits semblables, pour autant que cette différence soit de 0,500% minimum et pour la première fois 5 ans après l'ouverture du compte”.
Cette demande n'est contestée par la banque que parce que celle-ci estime à tort que le contrat de crédit ne peut plus être exécuté, même si la dénonciation était jugée irrégulière ou abusive.
Le mois à prendre en considération est celui de février 2004, le prélèvement des fonds datant de février 1994, et non celui de janvier 2004.
Il convient de surseoir à statuer sur le bien-fondé de la demande reconventionnelle en tant qu'elle vise la condamnation de la banque à payer à l'immobilière des dommages et intérêts, ainsi que l'a demandé le conseil de l'immobilière à l'audience.
Les demandes reconventionnelles - introduites à titre subsidiaire - visant la production par la banque de nouveaux décomptes, la réduction de la pénalité et l'octroi de termes et délais sont donc sans objet.
Par ces motifs,
Le tribunal,
(…)
Statuant contradictoirement et en premier ressort,
Reçoit les demandes,
Déclare la demande principale non fondée et en déboute la SA AXA Bank Belgium,
Déclare la demande reconventionnelle partiellement fondée,
Dit pour droit que la résolution unilatérale par la SA AXA Bank Belgium de la convention de crédit conclue entre parties les 11 janvier et 25 février 1994 n'est pas valide,
En conséquence, condamne la SA AXA Bank Belgium à poursuivre l'exécution de cette convention,
La condamne en outre à adapter le taux d'intérêt pratiqué, au taux en vigueur pour des crédits semblables en février 2004, à partir de l'échéance de février 2004, conformément à la convention.
(…)