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Actualité : Cour de justice des Communautés européennes, 16/10/2008, R.D.C.-T.B.H., 2008/10, p. 934-935

Cour de justice des Communautés européennes 16 octobre 2008

FAILLITE
Fermeture d'entreprises - Protection des travailleurs - Récupération des salaires dus - Directive 80/987 - Notion d'“activité sur le territoire de plusieurs États membres”
Insolvabilité - Faillite - Droits des créanciers - Créances de salaire
Aff. Holmqvist, C-310/07

L'arrêt [1] rendu par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) ce 16 octobre 2008 s'inscrit dans la déjà nombreuse jurisprudence de la Cour relative à la directive 80/987 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur [2]. Cette directive organise la protection des travailleurs en cas d'insolvabilité de l'employeur, notamment quant à la récupération des salaires encore dus [3]. De manière plus spécifique, cet arrêt cherche à définir la portée de l'article 8bis de cette directive, article introduit par une directive de 2002 [4].

La question posée dans cet arrêt peut se résumer simplement. M. Holmqvist est un chauffeur routier employé par une société établie en Suède. Son travail de livraison s'effectue principalement en Italie, en passant par l'Allemagne et l'Autriche. Sa société fait faillite et, lorsque M. Holmqvist demande à bénéficier de la garantie suédoise de versement des salaires, elle lui est refusée par les autorités suédoises au motif qu'il ne travaille pas principalement en Suède. En effet, la directive susmentionnée prévoit, en son article 8bis, que si l'activité de l'entreprise s'effectue dans plusieurs États membres, l'état compétent est celui du lieu où le travailleur exerce (ou exerçait) habituellement son travail. Cet article établit donc une règle de conflits de loi, sans toutefois définir ce qu'il faut entendre par “activités” et par “travail habituel”. In casu, les autorités suédoises considèrent donc (i) que cette entreprise a des activités sur plusieurs États membres du simple fait que son travail de livraison s'effectue sur plusieurs états et que (ii) M. Holmqvist n'exerce pas habituellement son travail en Suède.

La Cour suédoise saisie du recours du travailleur interroge donc la CJCE sur la portée de l'article 8bis de la directive précitée. Il convenait plus précisément de définir à partir de quand une entreprise peut être considérée comme ayant une “activité” sur le territoire de plusieurs États membres et, ensuite, si besoin en était, de définir la notion de “travail habituel”.

Sur la question de l'activité sur le territoire de deux (ou plusieurs) États membres, la Cour va adopter une interprétation large de la notion en se fondant sur l'objectif poursuivi par l'article 8bis, introduit en 2002, à savoir “assurer la sécurité juridique des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité des entreprises exerçant leurs activités dans plusieurs États membres et de consolider les droits des travailleurs dans le sens de la jurisprudence de la Cour” [5].

Pour ce, et afin de garantir cette interprétation large, elle va s'écarter de la notion classique “d'établissement”, au sens de l'article 43 du Traité CE, qui exige une présence physique permanente [6]. Elle justifie ce choix, pour le surplus, par le fait que la proposition de la Commission ayant introduit un article 8bis visait au départ explicitement cette notion d'établissement pour finalement être abandonnée au profit de la formule, plus vague, “d'activités sur le territoire de deux États membres”. Ceci prouve la volonté du législateur de distinguer ces deux notions.

Ceci étant posé, la Cour va malgré tout considérer que la situation en cause ne satisfait pas au critère établi par l'article 8bis. En effet, “bien que cet article n'implique pas des conditions strictes de rattachement, mais vise un lien plus faible qu'une présence de l'entreprise par l'intermédiaire d'une succursale ou d'un établissement stable, il n'y a pas lieu pour autant de suivre le raisonnement du gouvernement suédois selon lequel il suffirait qu'un travailleur effectue une forme quelconque de travail dans un autre État membre pour le compte de son employeur, et que ce travail résulte d'un besoin et d'une instruction de celui-ci, pour qu'une entreprise soit considérée comme ayant des activités sur le territoire de cet autre État membre” [7].

Bien que l'arrêt aurait pu s'arrêter là, la Cour va s'atteler à définir plus précisément, d'abord négativement, la notion d'activités. Ainsi, elle écarte la définition proposée par la Commission européenne selon laquelle cette notion requiert malgré tout un minimum d'infrastructures physiques sur le territoire des différents États. La Cour, tenant compte de l'évolution des conditions de travail, considère cette définition inappropriée “compte tenu des changements récents intervenus dans les conditions de travail et des progrès du secteur des télécommunications, il ne saurait être soutenu qu'une entreprise doit nécessairement disposer d'une infrastructure physique pour assurer une présence économique stable dans un État membre autre que celui où elle a établi son siège social” [8].

La Cour fournit alors sa propre définition, insistant sur la présence “économique stable, caractérisée par l'existence de moyens humains permettant [à la société] d'accomplir [sur le territoire de l'État membre] des activités” [9]. On le voit, la notion d'activités tient compte de la modernité: le développement de la société de l'information, du télétravail, permet à une entreprise d'avoir une activité considérable dans un grand nombre d'États membres sans pour autant que cela ne se traduise par des bureaux, des immeubles ou, plus généralement, par une infrastructure physique permanente. À cet égard, la notion “d'activités” apparaît donc être à mi-chemin entre les notions de services et d'établissement au sens du Traité: plus large que la seconde sans pour autant englober la première.

Cette définition appliquée à l'affaire en cause permet d'écarter qu'une compagnie de transport routier ne satisfasse à celle-ci. Selon la Cour, “la simple circonstance qu'un travailleur engagé par cette entreprise dans cet État effectue des livraisons de marchandises entre ledit état et un autre État membre en traversant d'autres États membres ne saurait permettre de conclure au respect du critère [de présence économique stable] et ne suffit donc pas pour que ladite entreprise soit considérée, aux fins de l'article 8bis de la directive 80/987, comme exerçant des activités ailleurs que dans l'État membre dans lequel elle est établie” [10]. Le fait de traverser plusieurs états avec un camion, même de manière fréquente, ne suffit donc pas pour y avoir des “activités”. Il faut également ajouter, à cet égard, que si M. Holmqvist se chargeait de la livraison de produits de la Suède vers l'Italie (et vice versa), il n'en assurait pas le chargement ou le déchargement. Ceux-ci étaient en effet effectués par des travailleurs locaux, employés par les clients de la société suédoise, et équipés de leur propre matériel, sous la simple surveillance de M. Holmqvist. On peut dès lors se demander si la solution de cet arrêt eut été la même si la société suédoise en cause avait engagé des travailleurs en Italie et acheté du matériel pour assurer le déchargement de ses camions? Sans doute que ceci aurait permis de remplir le critère de “présence économique stable”.

En conclusion, le raisonnement du gouvernement suédois exposé au début de cette note tombe à l'eau. L'entreprise en cause n'ayant pas d'activité dans plusieurs États membres, l'article 8bis ne s'applique dès lors pas. En conséquence, cet état ne peut écarter M. Holmqvist du bénéfice de la garantie au motif qu'il ne travaillait pas habituellement en Suède.

[1] CJCE 16 octobre 2008, Holmqvist, C-310/07, non encore publié au Recueil.
[2] Directive 80/987/CEE du Conseil du 20 octobre 1980, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur, J.O. L. 283 du 28 octobre 1980, pp. 23-27. Pour une présentation générale de cette directive et de la jurisprudence afférente, voy. P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, Paris, L.G.D.J., 3ème éd., 2008, § 501-507.
[3] En droit belge, voy. la loi du 26 juin 2002 relative aux fermetures d'entreprises, Mon. b. 9 août 2002, p. 34.537.
[4] Directive 2002/74/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 septembre 2002 modifiant la directive 80/987/CEE du Conseil concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à la protection des travailleurs salariés en cas d'insolvabilité de l'employeur (texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), J.O. L. 270 du 8 octobre 2002, pp. 10-13 transposée en droit belge par une loi du 11 juillet 2006 introduisant notamment un art. 40bis dans la loi relative aux fermetures d'entreprises, précitée. Cet art. 8bis a été introduit dans la directive pour combler ses lacunes en cas de faillite d'entreprises ayant des activités dans plusieurs États membres et ce dans la foulée de l'arrêt Everson de la CJCE (CJCE 16 décembre 1999, C-198/98, Everson, Rec., p. I-08903, obs. Ph. Gosseries, J.T.T. 2000, n° 8, pp. 126-128).
[5] 7ème considérant de la directive 2002/74, précitée.
[6] Sur la définition de cette notion, et la difficile démarcation entre libertés de prestation de services et établissement, voy. J. Molinier et N. De Grove-Valdeyron, Droit du marché intérieur européen, Paris, L.G.D.J., 2ème éd., 2008, pp. 138 et s.
[7] Point 29 de l'arrêt Holmqvist, précité.
[8] Ibid., point 32.
[9] Ibid., point 34, nous soulignons.
[10] Ibid., point 35.