Cour d'appel de Liège 9 novembre 2007
INSOLVABILITÉ
Concordat - Déclaration d'intention (augmentation de capital) - Engagement par volonté unilatérale sous condition suspensive de l'approbation du plan de redressement (non)
La lettre par laquelle un actionnaire d'une société confirme son intention d'augmenter le capital de la société en concordat après l'approbation du plan de redressement ne peut être considérée comme un engagement par volonté unilatérale sous condition suspensive, fondant une action du curateur de faillite en augmentation de capital. Il ne s'agit que d'une simple déclaration d'intention exprimée dans un contexte économique bien précis, qui est celui du redressement de l'entreprise.
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INSOLVENTIE
Gerechtelijk akkoord - Intentieverklaring (kapitaalverhoging) - Eenzijdige wilsverklaring onder opschortende voorwaarde van de goedkeuring van het herstelplan (neen)
De brief waarmee een aandeelhouder van een vennootschap zijn intentie bevestigt om het kapitaal van de vennootschap onder gerechtelijk akkoord te verhogen kan niet beschouwd worden als een eenzijdige wilsuiting onder opschortende voorwaarde die tot een vordering tot kapitaalverhoging van de curator zou kunnen leiden na het faillissement. Het gaat om een loutere intentieverklaring die werd gegeven in een welbepaalde economische context, te weten de redding van de onderneming.
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Me A. Grondal q.q. SA Socotra / Cl.C.
Siég.: M. Ligot (président), A. Jacquemin et M.-C. Ernotte (conseillers) |
Pl.: Mes G. Saive et J. Willems |
(…)
Après en avoir délibéré:
Le 31 mars 2006, Me Albert Grondal agissant en sa qualité de curateur à la faillite de la SA Socotra interjette appel du jugement rendu le 14 février 2006 par le tribunal de commerce de Verviers qui rejette l'action qu'il avait introduite contre Claude Crasson par citation du 11 octobre 2004 en vue d'obtenir l'exécution “par équivalent” (sic) de l'engagement pris par celui-ci le 29 décembre 2003 d'augmenter le capital de la société faillie de 250.000 EUR.
Le curateur fonde ses prétentions sur une lettre adressée le 29 décembre 2003 par Claude Crasson à Georges Langhor, commissaire au sursis de la SA Socotra, dont le contenu est le suivant :
“Monsieur,
Suite à nos divers entretiens, je vous confirme mon intention d'augmenter le capital de la société Socotra SA en concordat d'un montant de 250.000 EUR. Cette augmentation aurait lieu après l'approbation du plan de redressement.”
Le curateur soutient que :
- le plan de redressement ayant été approuvé par l'assemblée générale des créanciers le 25 mars 2004 et le sursis définitif prononcé par le tribunal de commerce de Verviers le 1er avril 2004, la condition prévue par Claude Crasson s'est réalisée et son engagement est dès lors devenu effectif;
- la révocation ultérieure du concordat et la faillite de la société prononcée le 1er juillet 2004 sont sans incidence sur l'engagement pris par Claude Crasson.
Il convient de préciser d'emblée que Claude Crasson n'est ni un fondateur, ni un actionnaire historique de Socotra. Avec une société luxembourgeoise Planète, il a acquis, le 16 septembre 2003, 66% des parts de la société, le prix étant constitué par “le paiement du personnel dans le cadre de la reprise du travail après concordat judiciaire déclaré le 11 juillet 2003 suite au dépôt de la requête du 4 juillet” (art. 2 de la convention de cession de parts).
Ainsi durant la phase du sursis provisoire, Claude Crasson a injecté 53.000 EUR dans la société Socotra qui était financièrement exsangue au jour où elle a déposé sa requête en concordat.
Le contexte économique dans lequel se situe l'intervention de Claude Crasson est décrit comme suit par le commissaire au sursis dans une lettre du 15 octobre 2005:
“Indépendamment de ce qui précède, je vous livre ma compréhension et le contexte de cette intention manifestée (le 29 décembre 2003).
Il est évident que la seule augmentation de capital ne suffisait pas au sauvetage de l'entreprise. En effet, encore fallait-il que, entre autres, nous puissions réaliser les actifs circulant figurant au bilan, essentiellement l'encaissement des créances clients, des travaux en cours et des factures à établir.
Or, après votre courrier, nous avons dû constater la surévaluation importante de ces actifs, voire leur inexistence.
Nous avons d'ailleurs introduit des actions judiciaires à l'encontre des (anciens) administrateurs de la société à cet égard.
Ces actions n'ont pu produire leurs effets dans des délais nous permettant d'honorer le plan de redressement déposé et accepté.
Celui-ci a donc dû être dénoncé et la société a déposé son bilan.
Ma mission s'arrêtait là.
Quant au bien fondé de nos actions judiciaires, elles me paraissent confirmées par le fait que le curateur les a poursuivies.
Pour en conclure, à mon sens qui n'engage que moi, vu les circonstances évoquées ci-dessus, j'ai toujours considéré qu'il était sage et normal que vous ne concrétisiez pas votre intention d'augmenter le capital.
Si j'en avais jugé autrement, j'aurais insisté pour que vous vous exécutiez sans pouvoir vous y obliger puisque, au risque de redite, il s'agissait d'une intention et qu'il n'aurait pas été intelligent d'investir cet argent, en sus de celui que vous aviez avancé durant le sursis provisoire, sans espoir que cette opération permettra à elle seule de sauver Socotra.”
La validité de la source autonome d'obligations que constitue l'engagement par volonté unilatérale a été consacrée par deux arrêts rendus par la Cour de cassation le 9 mai 1980 (Stijns, Van Gerven et Wéry, “Les obligations. Les sources”, J.T. 1993, n° 7, p. 692).
Le juge du fond apprécie souverainement l'existence et la portée d'une manifestation de volonté à condition qu'il ne méconnaisse pas la foi due aux actes dont cette manifestation est déduite (Cass. 27 mai 2002, Pas. 2002, 1216).
En l'espèce, il ne saurait être question de donner à la lettre de C. Crasson du 29 décembre 2003 une portée qu'elle n'a pas. Il ne s'agit nullement d'un engagement sous condition suspensive mais ni plus ni moins qu'une simple déclaration d'intention exprimée dans un contexte économique bien précis, ce que confirment non seulement les termes utilisés mais encore l'emploi du conditionnel.
L'argument du fait que cet “engagement” n'aurait pas été accepté par la société, la procédure d'augmentation de capital n'ayant pas été enclenchée, ne doit dès lors pas même être rencontré.
Aucune faute ne peut être reprochée à Claude Crasson, le curateur reconnaissant lui-même dans la mise en demeure qu'il lui a adressée le 17 août 2004 qu'“au moment de l'acquisition des parts, les bilans qui vous avaient été présentés étaient trompeurs”.
La circonstance mise actuellement en exergue par le curateur que, dans la convention d'acquisition des parts, Claude Crasson ait déclaré avoir pris connaissance de tous les documents comptables de la société lui ayant permis de considérer le prix d'achat “comme juste” et ait “renoncé à toute contestation concernant le prix convenu librement et en toute connaissance de cause” n'énerve en rien les motifs qui précèdent.
Décision |
La cour, statuant contradictoirement,
Reçoit l'appel.
(…)