Article

Cour d'appel Liège, 30/10/2007, R.D.C.-T.B.H., 2008/10, p. 886-888

Cour d'appel de Liège 30 octobre 2007

CRÉDIT HYPOTHÉCAIRE
Tentative de conciliation - Article 1563 C. jud. - Article 59 § 1, alinéa 1er L. Crédit Hyp. - Tentative de conciliation obligatoire devant le juge des saisies - Application en cas d'exécution de l'immeuble non hypothéqué (oui)
Même lorsque les parties à l'acte constitutif d'hypothèque ont dérogé à l'application de l'article 1563 C. jud., le créancier hypothécaire doit veiller à respecter l'exigence de l'article 59 § 1er, alinéa 1er de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire et faire précéder l'exécution de l'immeuble qui n'est pas hypothéqué, d'une tentative de conciliation devant le juge des saisies.
Article 59 § 1er, alinéa 1er L. Crédit Hyp. - Sanction - Nullité relative
La nullité prévue en cas d'absence de tentative de conciliation est une nullité relative soumise aux articles 860 et s. C. jud. en sorte que la nullité ne sera prononcée que si le débiteur parvient à établir qu'il a subi un dommage par suite de l'omission.
HYPOTHECAIR KREDIET
Verzoeningspoging - Artikel 1563 Ger. W. - Artikel 59 § 1, 1ste lid W.Hyp.Krediet - Poging tot minnelijke schikking voor de beslagrechter - Toepassing bij uitvoering op niet-gehypothekeerd onroerend goed (ja)
Zelfs wanneer de partijen bij de hypothecaire akte van de toepassing van artikel 1563 Ger. W. hebben afgeweken, dient de hypothecaire schuldeiser de vereiste van artikel 59 § 1, eerste lid van de wet van 4 augustus 1992 betreffende het hypothecaire krediet na te leven en de uitvoering op het niet-gehypothekeerde onroerend goed te laten voorafgaan door een poging tot minnelijke schikking voor de beslagrechter.
Artikel 59 § 1, 1ste lid W.Hyp.Krediet - Sanctie - Relatieve nietigheid
De nietigheid bij ontstentenis van dergelijke minnelijke schikking is een relatieve nietigheid onderworpen aan de bepalingen van de artikelen 860 e.v. Ger. W., zodat de nietigheid maar kan uitgesproken worden wanneer de schuldenaar aantoont dat hij ingevolge deze ontstentenis schade geleden heeft.

SA Centea / V.E.

Siég.: R. De Francquen (président), X. Ghuysen et M.-C. Ernotte (conseillers)
Pl.: Mes B. Castaigne et Dembourf loco Ch. Boudelet, Ph. George, J.-Ph. Defechereux

(…)

Après en avoir délibéré:

Par requête du 11 mai 2007, la SA Centea interjette appel du jugement du juge des saisies de Dinant du 13 mars 2007 et dans des conclusions déposées le 27 septembre 2007, elle réclame 1 EUR provisionnel du chef de défense téméraire et vexatoire.

Exposé

Par convention du 1er janvier 2003, la SA Centea a confié à la SPRL Philcom, gérée par Philippe D., l'époux de l'intimée, la responsabilité d'une agence bancaire à son enseigne.

L'activité commerciale s'est exercée dans un immeuble sis à Philippeville, rue de France, n° 14, immeuble acquis le 13 mars 2003 par le couple D., grâce à un prêt hypothécaire de 135.000 EUR consenti par l'appelante et devant également permettre des travaux d'aménagement du bien en sorte que l'acte précise que “l'hypothèque porte également sur tout le mobilier et le matériel, présent et à venir, immeuble par destination ainsi que sur toutes les améliorations présentes et futures aux immeubles érigés ou à ériger”.

La SPRL Philcom est déclarée en faillite le 17 octobre 2006. L'appelante en est créancière à ce moment pour 32.299,73 EUR (déclaration de créance, pièce 6 de son dossier). Les engagements de la SPRL Philcom étaient garantis par la caution personnelle du couple D.-V.

Un nouvel agent bancaire occupe l'immeuble au loyer mensuel de 1.000 EUR suivant bail verbal intervenu le 13 septembre 2005. Il est logiquement intéressé par l'immeuble dont la mise en vente forcée a été entamée en début d'année 2006 par la Caisse Wallonne d'Assurances Sociales des Classes Moyennes alors que les propriétaires du bien hypothéqué auraient signé avec lui un compromis portant sur l'immeuble (120.000 EUR), tandis que l'implantation commerciale aurait fait l'objet d'un accord avec la SPRL Philcom pour 40.000 EUR (voir pièce 9 dossier de l'appelante).

Le 19 mai 2006, sur invitation de l'appelante, l'intimée et son mari ont comparu devant le juge des saisies de Dinant “aux fins de se concilier sur l'objet du différend, à savoir, le non-respect des obligations du remboursement hypothécaire”. Aucun accord n'a pu être acté bien que les intéressés devaient disposer de fonds, l'intimée ayant vendu le 18 avril 2006 un immeuble sis au numéro 16 de la même rue de France à Philippeville (pièce 13).

Le 26 septembre 2006, l'appelante fait signifier à l'intimée en se fondant sur la grosse de l'acte de prêt du 13 mars 2003 un commandement de payer 134.850,72 EUR, l'acte annonçant la saisie-exécution, non de l'immeuble hypothéqué mais d'un immeuble propre à l'intimée, sis à Philippeville, rue de France, n° 9 et évalué entre 160 et 200.000 EUR suivant une estimation remontant au 31 mars 2004 (pièce 2 dossier de l'intimée).

Il est signalé que l'immeuble hypothéqué a été adjugé pour 110.000 EUR le 5 septembre 2007 lors d'une seconde séance de vente (pièce 11 dossier de l'appelante) mais on ignore si une surenchère est intervenue.

La procédure

Par exploit du 10 octobre 2006, B.V. forme opposition au commandement et demande qu'il soit déclaré nul, mais alors que son adversaire Centea a affirmé que l'immeuble hypothéqué a été vendu et que le prix n'a pas couvert la créance garantie, ce qui s'avère inexact à cette époque, elle ne comparaît pas devant le juge des saisies qui, par défaut à son encontre, la déboute de son opposition par une décision du 7 novembre 2006.

Un nouvel examen de la contestation portant sur le commandement immobilier s'organise qui est clos par le jugement entrepris du 13 mars 2007. Ce jugement retient que l'immeuble hypothéqué n'a pas été vendu et que sa valeur est supérieure à la créance de l'appelante à l'encontre de l'intimée. Tout en déclarant donc le commandement sans effet, il condamne l'appelante à 500 EUR de dommages et intérêts.

En degré d'appel, pour la première fois, l'appelante souligne que dans l'acte de prêt contenant affectation hypothécaire les emprunteurs ont conventionnellement renoncé “à l'application des stipulations de l'article 1563 du Code judiciaire. En conséquence, Centea pourra entamer la procédure de réalisation des biens immeubles non hypothéqués à son profit avant ou conjointement avec la procédure de réalisation des biens hypothéqués sans devoir établir l'insuffisance de ceux-ci” (art. 8).

Discussion

Il n'est pas contesté que la disposition de l'article 1563 du Code judiciaire n'étant ni d'ordre public, ni impérative, les parties peuvent stipuler dans un acte constitutif d'hypothèque que le créancier pourra commencer les poursuites en procédant à la vente des biens non hypothéqués sans devoir apporter la preuve de l'insuffisance des biens hypothéqués (Cass. 3 mai 1985, Pas. 1985, I, 1084; de Leval, La saisie immobilière, Rép. not., T. XIII, p. 111, n° 121).

Le créancier hypothécaire doit néanmoins veiller à respecter l'exigence de l'article 59 § 1er, alinéa 1er de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire qui dispose que “toute exécution ou saisie à laquelle il est procédé en vertu d'un jugement ou d'un autre acte authentique doit, dans le cadre de la présente loi, être précédé, à peine de nullité, d'une tentative de conciliation devant le juge des saisies, qui doit être actée à la feuille d'audience”.

L'article 1er de ladite loi précise que les dispositions qu'elle contient s'appliquent “au crédit hypothécaire ayant pour objet le financement de l'acquisition ou la conservation de droits réels immobiliers, consenti à une personne physique qui agit principalement dans un but pouvant être considéré comme étranger à ses activités commerciales”, ce qui doit écarter le couple emprunteur des protections de la loi puisque manifestement le crédit devait favoriser l'activité professionnelle de P.D. Même si l'acte stipule que le crédit est soumis “au règlement des crédits annexés, intitulé 'règlement des crédits hypothécaires octroyés par Centea SA et soumis à la loi du 4 août 1992 et du 13 mars 1998”. Il ne peut en être déduit que les parties ont conventionnellement décidé de soumettre ce crédit à la loi du 4 août 1992, comme telle, mais uniquement aux conditions générales du règlement des crédits hypothécaires dans sa version conforme à la loi du 4 août 1992. Puisque la loi du 4 août 1992 n'est pas entrée dans le champ contractuel, l'appelante n'était pas tenue de respecter l'obligation de procéder à une tentative de conciliation.

Surabondamment bien qu'il soit actuellement admis que l'article 59 § 1er de la loi du 4 août 1992 doit aussi être respecté en cas d'exécution d'un immeuble non hypothéqué (Taelman et de Leval, La saisie-exécution immobilière, Chroniques notariales ULG, octobre 2006, vol. 44, p. 19), la nullité prévue en cas d'absence en conciliation est une nullité relative soumise à la théorie des nullités des articles 860-867 du Code judiciaire en sorte que la nullité ne sera prononcée que si le débiteur parvient à établir qu'il a subi un dommage par suite de l'omission (même référence; de Leval, Rép. not., p. 173, n° 228).

En l'espèce, il semble que l'invitation en conciliation ayant précédé la comparution du 19 mai 2006 n'ait visé que l'immeuble hypothéqué mais lors de cette audience à laquelle aucun accord n'est acté, l'intimée aurait pu présenter un plan, ce qu'elle s'est abstenue de faire. En revanche, dès le 26 mai 2006, son conseil intervenait (pièce 9 dossier de l'appelante) pour menacer d'une action en responsabilité du dispensateur de crédit si l'appelante donnait son accord sur un prix de vente négocié avec le nouveau gérant de l'agence à un prix inférieur à l'affectation hypothécaire.

Lors de la séance de conciliation, elle devait s'attendre à d'autres mesures d'exécution puisque quelques jours plus tard son conseil envisageait la question pour s'y opposer clairement. Elle s'est abstenue de toute proposition alors qu'un autre immeuble venait d'être réalisé.

La réalisation du bien hypothéqué s'est donc poursuivie dans le cadre d'une exécution forcée qui, au 5 septembre 2007 et sans qu'une autre information n'ait été apportée lors de l'audience des plaidoiries du 27 septembre 2007, n'a pas permis d'engranger, pour ledit immeuble un résultat couvrant entièrement la créance de celle-ci.

L'intimée dont l'opposition a bloqué la poursuite de la procédure de saisie sur le bien qui lui est propre ne peut justifier du moindre préjudice puisqu'en tout état de cause, son bien personnel devra être réalisé pour désintéresser ses créanciers au rang desquels l'appelante continue de figurer.

L'appelante ne peut se voir reprocher le moindre abus du droit de poursuivre la récupération de sa créance. L'immeuble hypothéqué à son profit était l'objet d'une procédure de saisie à la requête d'un autre créancier qui n'en recueillera aucun fruit mais le prix obtenu étant insuffisant, l'appelante pouvait, déjà avant que cette procédure n'ait abouti, engager les poursuites sur l'immeuble personnel de l'intimée.

L'affirmation anticipée devant le premier juge d'une vente insuffisante du bien hypothéqué, pour erronée qu'elle était, s'avère en fin de compte exacte au moment de la procédure d'appel, ce qui confirme l'absence d'un préjudice.

Il n'était dès lors pas justifié de sanctionner l'appelante par des dommages et intérêts.

Devant le juge des saisies, l'appelante avait réclamé 1.000 EUR de dommages et intérêts pour opposition téméraire et vexatoire de l'intimée (conclusions du 24 octobre 2006) mais dans ses conclusions d'appel, elle ramène cette prétention à 1 EUR provisionnel.

L'on peut comprendre l'inquiétude de l'intimée qui, entraînée dans la tourmente par suite de la faillite de la société constituée par son mari, est confrontée à des réclamations venant de toutes parts en raison également des cautionnements fournis à la société faillie, voit plusieurs immeubles menacés de concert alors que l'importance des dettes qu'elle devra assumer n'est pas claire pour elle qui espère encore une décharge. Dans ces circonstances, même si l'opposition est déclarée non fondée, l'attitude de l'intimée ne doit pas être tenue pour vexatoire.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Réformant le jugement entrepris, dit l'opposition au commandement immobilier du 26 septembre 2006 non fondée.

Autorise l'appelante Centea à poursuivre la procédure d'exécution sur l'immeuble de l'intimée sis à Philippeville, rue de France, n° 9.

Déboute les parties de leurs autres prétentions.

Condamne l'intimée aux dépens des deux instances (…).