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La continuité des contrats en cas de procédures collectives d'insolvabilité ou de liquidation: régime unique ou multiple? L'arrêt du 10 avril 2008: charge finale, nouvelle escarmouche ou baroud d'honneur?, R.D.C.-T.B.H., 2008/10, p. 861-869

La continuité des contrats en cas de procédures collectives d'insolvabilité ou de liquidation: régime unique ou multiple?
L'arrêt du 10 avril 2008: charge finale, nouvelle escarmouche ou baroud d'honneur?

Amélie Meulder [1]

TABLE DES MATIERES

I. Introduction

II. Principe et exceptions de droit commun

III. Les correctifs: aménagements au droit commun en raison de la nature particulière des procédures d'insolvabilité

IV. L'article 46 de la loi sur les faillites

V. Difficultés d'application de l'article 46 en matière de bail A. La doctrine traditionnelle: “Messieurs les Anglais, tirez les premiers!”

B. L'arrêt de la Cour d'arbitrage du 10 décembre 2003: premières échauffourées

C. L'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004: “Il dit: Grouchy! Ce fut Blücher…”

D. L'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008: une victoire en demi-teinte, ou l'amorce de la retraite?

VI. Conclusion

RESUME
La question de la continuité des contrats dans les procédures collectives d'insolvabilité ou de liquidation a, ces dernières années, été l'objet de controverses, parfois fort vives, au gré d'arrêts retentissants rendus par la Cour de cassation. Celui du 10 avril 2008 en est le dernier en date: il est toutefois, au vu des premiers commentaires qu'il a suscités, loin d'avoir rétabli la paix judiciaire. La présente note se propose de retracer l'histoire de cette épopée doctrinale et jurisprudentielle, jusqu'à cet arrêt du 10 avril 2008, dont il s'agira également de déterminer l'apport.
SAMENVATTING
Het vraagstuk van de continuïteit van overeenkomsten in collectieve insolventie- en vereffeningsprocedures is de laatste jaren in grote mate controversieel gebleken, naar aanleiding van een aantal belangrijke arresten die het Hof van Cassatie in deze materie gewezen heeft. Ook het meest recente arrest, van 10 april 2008, is er niet in geslaagd de controverse te beslechten. Huidige bijdrage strekt er toe de historiek van deze gerechtelijke en doctrinale saga uiteen te zetten tot en met het arrest van 10 april 2008 waarvan de inbreng eveneens besproken wordt.
I. Introduction

La question de la continuité des contrats dans le cadre d'une procédure d'insolvabilité, avec ou sans liquidation constitue, depuis quelques années, l'un des champs de bataille favoris de la doctrine et de la jurisprudence, et les arrêts successifs rendus par nos cours et tribunaux, autant d'affrontements dans une guerre d'opinions qui, à force, s'est enlisée [2]… L'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008 a ranimé les combattants, qui, sans fourbir d'armes nouvelles, astiquent leurs arguments classiques pour en découdre une nouvelle fois [3].

Comme dans toute lutte fratricide, ce ne sont pourtant pas les principes, mais l'interprétation de ceux-ci, qui divise les protagonistes. Il n'est donc pas discuté que la continuité est de principe, quoiqu'elle s'applique avec une force différente selon que la procédure envisagée vise au redressement de l'entreprise - comme le concordat - ou au contraire à la liquidation de celle-ci.

Dans cette dernière hypothèse toutefois, le principe de continuité connaît des atténuations diverses, qui donnent lieu à des interprétations parfois fort divergentes. La procédure de faillite apparaît à cet égard comme le nerf de la guerre: la question d'un régime unique ou différencié de la continuité des contrats s'y pose en effet avec le plus d'acuité, et d'actualité, comme en témoigne l'arrêt du 10 avril 2008 précité. C'est donc essentiellement au prisme du régime de la faillite que nous étudierons cette question, en ayant égard, lorsque cela s'avère instructif, aux autres procédures d'insolvabilité.

II. Principe et exceptions de droit commun

Il est de principe que la faillite, quoiqu'elle provoque, du jour du jugement déclaratif, un dessaisissement du failli de la gestion de son patrimoine, demeure sans effet sur les obligations découlant des contrats en cours: elle n'emporte pas, de plein droit, dissolution de ceux-ci au jour du jugement déclaratif [4]. La continuité est donc de règle, sans que la faillite ne puisse, en principe, affecter le rapport obligataire entre le failli et son cocontractant [5].

Ce principe souffre toutefois deux exceptions. La faillite entraîne en effet la dissolution des contrats conclus intuitu personae [6] - ce caractère étant entendu dans le chef du failli elle implique également la dissolution des contrats qui portent une clause résolutoire expresse en cas de faillite ou d'inexécution par le cocontractant de ses obligations [7]. Les contrats peuvent, en outre, prendre fin par l'effet de dispositions légales étrangères à la faillite [8].

En matière de concordat, tel que nous le connaissons encore actuellement, le principe de continuité des contrats prévaut également [9]. Il se trouve même, compte tenu de la finalité d'assainissement et de continuation de la vie de l'entreprise poursuivie par la procédure concordataire [10], renforcé par la prohibition des conditions résolutoires liées à la seule survenance du concordat [11] ainsi que par le fait que les contrats intuitu personae ne sont, en règle générale, pas affectés par le concordat [12], [13].

Enfin, pour ce qui est de la dissolution des personnes morales, le régime de liquidation étant largement aligné sur celui de la faillite, c'est également l'idée de la continuité des engagements en cours qui y est admise [14], avec les mêmes exceptions [15].

À l'image des Conventions de Genève applicables aux conflits armés, le principe de continuité et ses exceptions de droit commun semblent donc uniment acceptés. Chaque camp y souscrit d'autant meilleure grâce qu'il en fera, dans son application pratique, une interprétation conforme à ses intérêts…

III. Les correctifs: aménagements au droit commun en raison de la nature particulière des procédures d'insolvabilité

Une même unanimité préside à reconnaître au régime de la faillite des spécificités propres, qui exigent la mise en oeuvre d'exceptions particulières.

Si la faillite n'affecte en effet pas, en principe, le jeu normal du droit des obligations entre le failli et son cocontractant, des aménagements à ce droit commun sont toutefois parfois nécessaires pour atteindre les objectifs de cette procédure d'insolvabilité: “bankruptcy law changes nonbankruptcy law only when purposes of bankruptcy require it” [16]. Ainsi, par exemple, de la suspension du cours des intérêts [17], ou de la déchéance du terme [18], ou encore de l'interdiction de la compensation après faillite entre des dettes non connexes [19].

Ces correctifs, qui visent tant à rendre plus efficace le déroulement de la procédure qu'à garantir l'égalité entre les créanciers du failli, doivent cependant s'interpréter de manière restrictive, dans les strictes limites du but poursuivi [20]. Au-delà de ces aménagements nécessaires, le curateur endosse les contrats du failli tels qu'ils ont été conclus entre les parties: il ne pourrait donc faire valoir plus d'exigences ou user de plus de droits à l'égard du cocontractant que n'aurait pu le faire le failli lui-même [21].

Une application rigide du principe de continuité risquerait cependant d'affecter le bon déroulement de la procédure de liquidation inhérente à la faillite. De fait, la poursuite des contrats en cours tels qu'ils ont été conclus peut conduire à une aggravation importante du passif, sans pour autant que la masse n'en retire un quelconque avantage. D'autre part, la création de nouvelles obligations nées des contrats poursuivis par le curateur après la faillite aurait pour effet que les créanciers cocontractants deviendraient créanciers de la masse, aux dépens des créanciers dans la masse, et au mépris de la règle fondamentale de l'égalité entre les créanciers; de plus, admettre que les cocontractants puissent encore exiger du curateur l'exécution en nature des contrats poursuivis reviendrait à leur reconnaître un traitement préférentiel, une fois encore au détriment des créanciers dans la masse - qui n'ont droit qu'à un dividende - et en violation manifeste de la règle d'égalité [22].

La protection de la masse et l'égalité des créanciers constituent pourtant deux principes essentiels du droit de la faillite. De là, le développement de nouveaux amendements aux règles du droit commun des contrats, qui poursuivent une double finalité: l'interdiction de l'exécution en nature, et la reconnaissance d'un droit d'option dans le chef du curateur, de poursuivre ou non l'exécution des contrats en cours.

IV. L'article 46 de la loi sur les faillites

La loi sur les faillites du 8 août 1997, à l'instar de nombreuses législations étrangères [23], a entériné ces aménagements nécessaires dans son article 46. L'interprétation de celui-ci constituera néanmoins la pomme de discorde à l'origine de la saga jurisprudentielle et doctrinale illustrée encore par l'arrêt du 10 avril 2008.

L'article 46 règle, du moins en partie, le sort des contrats auxquels le jugement déclaratif de faillite n'a pas mis fin. Ses dispositions ont une portée générale, destinées à s'appliquer à tous les contrats en cours [24] opposables à la masse, quelle que soit leur nature, en ce compris aux contrats de travail [25]. Une loi du 15 juillet 2005 [26] a toutefois réservé à ces derniers un traitement particulier.

Aux termes de l'article 46:

“(§ 1er.) Dès leur entrée en fonctions, les curateurs décident sans délai s'ils poursuivent l'exécution des contrats conclus avant la date du jugement déclaratif de la faillite et auxquels ce jugement ne met pas fin.

La partie qui a contracté avec le failli peut mettre les curateurs en demeure de prendre cette décision dans les quinze jours. Si aucune prorogation de délai n'est convenue ou si les curateurs ne prennent pas de décision, le contrat est présumé être résilié par les curateurs dès l'expiration de ce délai; la créance de dommages et intérêts éventuellement dus au cocontractant du fait de l'inexécution entre dans la masse.

Lorsque les curateurs décident d'exécuter le contrat, le cocontractant a droit, à charge de la masse, à l'exécution de cet engagement dans la mesure où celui-ci a trait à des prestations effectuées après la faillite.

(§ 2 [loi du 15 juillet 2005].) Si lors de la cessation d'activités, notamment à l'occasion du jugement déclaratif de faillite, les curateurs manifestent expressément ou tacitement leur volonté de résilier les contrats de travail existants, ils ne sont pas tenus de l'accomplissement des formalités et procédures particulières applicables à la résiliation de ces contrats.

Toutefois, si les curateurs, en vue de la poursuite totale ou partielle ou de la reprise des activités, concluent de nouveaux contrats de travail avec des contractants visés à l'alinéa précédent, ces derniers bénéficient des formalités et procédures applicables aux contrats résiliés pendant le temps de la poursuite des activités.

Après la déclaration de faillite et avant la clôture de la liquidation de celle-ci, les curateurs ont la faculté d'octroyer aux travailleurs licenciés, avec l'autorisation du juge-commissaire, une avance équivalente aux rémunérations et indemnités dues, et plafonnée à 80% du montant visé à l'article 19, 3°bis, alinéa 1er de la loi hypothécaire du 16 décembre 1851).”

L'article 46 confirme donc le principe de la continuité des contrats, moyennant les deux exceptions citées précédemment [27]. Dès leur entrée en fonction, les curateurs doivent décider sans délai - de manière expresse ou tacite, mais certaine [28] - s'ils poursuivent ou non l'exécution des contrats conclus avant la faillite et auxquels elle ne met pas fin [29]. Le cocontractant se voit reconnaître le droit de mettre le curateur en demeure de prendre sa décision, dans les 15 jours. Si, à l'expiration de ce délai - éventuellement prorogé de commun accord entre le curateur et le cocontractant - le curateur n'a pas pris sa décision, le contrat est présumé résilié par le curateur [30], et la créance de dommages et intérêts dus, le cas échéant, au cocontractant du fait de l'inexécution, entre dans la masse [31]. En revanche, si les curateurs choisissent d'exécuter le contrat, le cocontractant a droit, à charge de la masse, à l'exécution de cet engagement, dans la mesure où il a trait à des prestations effectuées après la faillite [32].

Le curateur est, à cet égard, seul maître de son choix, dicté par les enjeux économiques de taille auxquels il est confronté dès son entrée en fonction. Les conséquences, quant à la masse, de la décision du curateur ne sont en effet pas négligeables, et constituent, pour les créanciers cocontractants, une préoccupation majeure: c'est en effet la qualification des créances d'indemnités dues le cas échéant au cocontractant en dette “de” ou “dans” la masse qui est en jeu. Or, nous l'avons déjà précisé, la ratio legis de l'article 46 consiste précisément à éviter une aggravation du passif préférentiel au détriment de la masse et partant, à limiter la création de dettes de la masse, en vue de garantir l'égalité entre les créanciers [33]. Cet objectif se traduit d'ailleurs de manière non équivoque dans le texte même de l'article 46, qui prévoit que seules les créances engendrées après la faillite par la poursuite du contrat décidée par le curateur constitueront une dette de la masse. A contrario, lorsque le curateur décide de ne pas exécuter le contrat en cours (art. 46 § 1er, al. 1er) ou omet de prendre position (art. 46 § 1er, al. 2), les créances résultant de l'inexécution des contrats tombent dans la masse. La décision du curateur devra dès lors nécessairement être précédée d'une sérieuse analyse “coût-rentabilité” [34]: il n'optera pour la poursuite du contrat que si celle-ci est avantageuse pour la masse, ou, à tout le moins, nécessaire pour les besoins de la liquidation [35].

L'article 46 institue donc un régime destiné à s'appliquer indifféremment quel que soit le contrat visé. La généralité des termes de cette disposition, dont les implications sont pourtant essentielles, prête malheureusement [36] le flanc à des interprétations diverses. Elle ne tient en effet pas compte des spécificités propres à certains contrats (notamment les contrats instantanés [37], ou certains contrats à prestations successives, comme les contrats d'ouverture de crédit ou de bail) [38]; à défaut d'un régime spécial prévu par une loi particulière - comme par exemple en matière d'assurances [39] -, l'application de l'article 46 confine au pugilat, ce dont la sécurité juridique se passerait volontiers [40]. C'est en matière de contrats de bail qu'ont eu lieu dernièrement les affrontements les plus vifs…

V. Difficultés d'application de l'article 46 en matière de bail
A. La doctrine traditionnelle: “Messieurs les Anglais, tirez les premiers!”

En règle, le principe général de continuité vaut également en matière de bail: le contrat n'est, en principe, pas affecté par la survenance de la faillite du locataire ou du bailleur [41]. L'article 1762bis du Code civil prévoit d'ailleurs expressément que les pactes commissoires exprès repris dans le contrat de bail seront réputés non écrits.

Lorsque le failli est bailleur, la question s'est toutefois rapidement posée de savoir si le curateur pouvait mettre fin, purement et simplement, au contrat de bail en cours, sur pied de l'article 46. Il serait en effet tentant, pour le curateur, d'exercer l'option qui lui est offerte par cet article, pour libérer le bien de sa charge locative, et dégager ainsi une valeur de revente plus importante [42].

En l'absence de dispositions particulières dans la loi sur les faillites relatives aux contrats de bail, il semblait que le principe général de continuité devait trouver à s'appliquer, tempéré évidemment par les exceptions propres aux objectifs poursuivis par la faillite, dont celle de l'article 46. En règle, la survenance de la faillite ne devait donc pas avoir pour effet de placer le curateur dans une situation plus avantageuse que celle du bailleur, et le curateur restait tenu, à l'occasion de l'exercice de son droit d'option, par les dispositions légales et conventionnelles qui s'appliquent, le cas échéant. Ces dispositions ne devraient donc pouvoir être mises hors jeu par le curateur, au profit d'une terminaison “sauvage” du contrat résultant en l'inscription de la créance indemnitaire qui en découle au passif chirographaire [43]. À défaut de puiser un droit de résiliation dans la loi ou dans le contrat, le curateur devait se borner à refuser l'exécution des obligations du failli - conformément à l'interdiction de l'exécution en nature -, l'initiative appartenant alors au preneur de demander la résolution du contrat ou d'invoquer l'exception d'inexécution [44]. En d'autres termes, le curateur pouvait, à l'égard du preneur, faire sienne l'apostrophe du comte d'Anterroche: “Messieurs les Anglais, tirez les premiers!”.

B. L'arrêt de la Cour d'arbitrage du 10 décembre 2003: premières échauffourées

Ces principes, quoiqu'ils semblassent bien établis, allaient connaître l'épreuve du feu à l'occasion d'un recours préjudiciel devant la Cour d'arbitrage - devenue entretemps notre Cour constitutionnelle -. À la question de savoir si l'article 46, interprété comme autorisant un curateur à mettre fin à un contrat de bail commercial sans respecter les conditions fixées par la loi sur les baux commerciaux, violait ou non les articles 10 et 11 de la Constitution, la Cour répondait par la négative [45]. Certains ont cru pouvoir en déduire - à tort, selon nous - que la Cour écartait l'appréciation de la doctrine traditionnelle, pour reconnaître un véritable droit de résiliation sui generis aux curateurs [46], le triomphe de la guerre d'offensive (la meilleure défense, c'est l'attaque) sur la passivité chevaleresque…

C'est oublier, à notre sens, que la Cour constitutionnelle n'a pas à se prononcer sur l'interprétation qui lui est proposée; elle apprécie uniquement si la disposition légale, dans l'interprétation qui lui est soumise, est ou non conforme à la Constitution. Sa réponse découlera donc nécessairement de la formulation de la question qui lui est posée, sans qu'elle puisse elle-même reconnaître, ou dénier, l'existence de quelque droit [47]. Il est donc erroné de prétendre que la Cour a sanctionné la doctrine traditionnelle; tout au plus aurait-on pu constater qu'elle ne s'était pas, comme elle le fait parfois, distanciée de la formulation de la question préjudicielle qu'elle devait examiner.

C. L'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004: “Il dit: Grouchy! Ce fut Blücher…”

L'arrêt de la Cour d'arbitrage n'était toutefois que le coup de semonce qui annonce la charge: un arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 [48] devait sonner définitivement l'hallali dans cette matière, et ouvrait une salve de controverses qui roulent encore aujourd'hui.

Cet arrêt, faut-il le rappeler, fut rendu sur pourvoi d'un arrêt de la cour d'appel de Bruxelles du 26 février 2002. Celle-ci y avait fait droit aux prétentions d'un preneur à bail commercial, qui contestait la résiliation, en dehors des formes et conditions prévues par la loi, de son contrat par le curateur du bailleur failli. La cour considérait que, d'une part, le curateur ne pouvait, sur pied de l'article 46, mettre fin anticipativement au bail régulièrement transcrit - dont, non seulement l'existence, mais également la durée, étaient de ce fait opposables aux tiers, et donc également au curateur -, et, d'autre part, qu'il n'était pas relevant que la poursuite du contrat soit susceptible de causer un préjudice à la masse, comme l'invoquait le curateur. Cette dernière motivation revenait à se tirer une balle dans le pied… Il était constant, en effet, que le curateur devait prendre en compte l'intérêt de la masse lorsqu'il appliquait l'article 46, ce que le pourvoi n'allait pas manquer de rappeler: en écartant l'allégation du curateur selon laquelle la poursuite du contrat était préjudiciable à la masse, la cour d'appel violait l'article 46.

Et la cour de s'en saisir, mais pour y donner une portée pour le moins inattendue [49]! La doctrine classique attendait Grouchy: ce fut Blücher… La Cour de cassation décidait en effet que, s'il n'appartient pas au curateur de mettre fin à une convention opposable à la masse conclue par le failli lorsque la poursuite de la convention n'entrave pas la liquidation normale de la masse, le curateur peut toutefois mettre fin à une convention qui lie le failli, si cela est nécessaire pour l'administration de la masse en bon père de famille, ce sans préjudice aux droits qui en résultent pour le cocontractant du failli du fait de l'inexécution de la convention. Voilà ce qui s'appelle mettre le feu aux poudres!

Si l'on rejoint en effet aisément la Cour sur la nécessité, pour le curateur, d'avoir égard à l'intérêt de la masse et à sa liquidation en bon père de famille lorsqu'il exerce son droit d'option, on sera beaucoup plus perplexe, et réticent, face à la terminologie retenue par la Cour. La Cour de cassation emploie dans cet arrêt l'expression “een einde te stellen aan”, qui peut être traduite par “mettre fin à”. Or, cette expression ne connaît pas de signification technique en droit des obligations [50]. Elle la combine en outre avec le terme “niet-uitvoering”, qui signifie “inexécution”. L'article 46 utilise par ailleurs, quant à lui, les termes “ne pas poursuivre l'exécution du contrat” en son premier alinéa, et “présume résilié” le contrat en son second alinéa. Une partie importante de la doctrine déduisait de la lettre de l'article 46 que cette disposition ne confère au curateur qu'un pouvoir limité à la non-exécution du contrat, sans lui permettre d'y mettre fin [51], à l'instar de ce que le professeur Van Ommeslaghe écrivait déjà - mais son commentaire garde à notre avis toute sa pertinence - sous le régime de la loi du 18 décembre 1851: “Le droit pour le curateur de se refuser à exécuter la convention implique que celui-ci doive prêter la main à cette exécution, auquel cas il peut s'y opposer si l'intérêt de la masse le commande, sous réserve de dommages-intérêts dus au cocontractant du failli. Mais, lorsque les clauses de contrat peuvent sortir leurs effets indépendamment de toute intervention ou de toute prestation du curateur, il nous paraît que ce dernier ne pourrait […] prétendre s'opposer à l'efficacité de la clause pour remplacer celle-ci par une inscription au passif de la masse d'une créance de dommages-intérêts.” [52].

On pourrait objecter cependant à cette position que les contrats synallagmatiques parfaits, à l'instar du contrat de bail, impliquent des prestations réciproques, et donc l'exécution par le bailleur d'obligations essentielles au contrat. La position du locataire qui souhaiterait poursuivre le contrat conclu avec le failli deviendrait dès lors particulièrement précaire, dès lors qu'il ne pourrait contraindre le curateur à exécuter ses propres obligations. La distinction littérale entre non poursuite du contrat et résiliation de celui-ci deviendrait très théorique [53]. Le locataire verrait alors ses droits limités à la seule possibilité d'invoquer l'exception d'inexécution [54]. La Cour de cassation n'était toutefois pas saisie de la question de savoir si les intérêts de la masse sont suffisamment protégés par la possibilité pour le curateur de se borner à simplement ne pas poursuivre l'exécution du bail.

Quoiqu'il en soit, la motivation boiteuse de l'arrêt de la cour d'appel prêtait à la cassation. La raison de celle-ci est incontestable: l'arrêt, en balayant d'un revers les motifs du curateur, avait méconnu le pouvoir de décision de ce dernier. Mais la Cour a-t-elle pour autant reconnu par la même occasion le principe selon lequel le curateur pourrait résilier le contrat en dehors des stipulations légales ou conventionnelles? C'était, à notre sens, viser un pont trop loin que de le soutenir à l'issue de l'arrêt de 2004…

D. L'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008: une victoire en demi-teinte, ou l'amorce de la retraite?

Cet arrêt n'a toutefois été que l'éclaireur, ou plutôt l'avant-garde; en dépit des volées serrées de critiques qu'il avait essuyées et des vagues de controverses qu'il avait suscitées, la Cour a décidé de poursuivre l'offensive: avec l'arrêt du 10 avril 2008, c'est le gros de la troupe qui déferle…

L'arrêt dont pourvoi avait été rendu également par la cour d'appel de Bruxelles [55]. Celle-ci décidait - sans doute échaudée par la cassation de 2004 - que le curateur pouvait décider de ne pas poursuivre - ou plutôt de résilier, contra legem et en dehors de toute stipulation conventionnelle - le contrat de bail pour vendre les parcelles de terrain grevées quittes et libres. Pour justifier cette résiliation, le curateur invoquait que la décision était prise dans l'intérêt de la masse, sans autre développement; et la Cour d'ajouter derechef qu'il ne fait guère de doute que la circonstance que les terrains faisaient l'objet de baux avait un impact négatif sur le prix…

Le moyen unique du pourvoi comporte quatre branches, dont la première et la troisième nous intéressent au premier chef: elles illustrent en effet, presque à la manière d'un cas d'école, les pôles opposés de la controverse.

Aux termes de la première branche, l'arrêt violerait le prescrit de l'article 46 en ce que le curateur serait en droit de ne plus exécuter les obligations du failli, mais non de résilier le contrat en dehors des règles légales ou conventionnelles applicables. La prémisse retenue est ici celle de l'absence d'un droit de résiliation sui generis. C'est l'expression, condensée, de la doctrine classique, à laquelle le Ministère public, une nouvelle fois - à l'instar de la position qu'il avait adoptée dans ses conclusions précédant l'arrêt de 2004 -, se rattache.

La troisième branche part de la prémisse inverse, soit celle de l'existence d'un tel droit de résiliation. L'idée est la suivante: à supposer que l'arrêt de la Cour de cassation du 24 juin 2004 ait reconnu un droit de résiliation sui generis, ce droit ne peut être exercé que si la cessation du contrat est nécessaire pour l'administration de la masse en bon père de famille, ce qu'il appartient au curateur de démontrer in concreto. Et la Cour de se départir ici encore de l'avis du Ministère public, pour se baser sur cette branche pour rendre son arrêt.

Quoiqu'en disent certains commentateurs [56], l'attaque est frontale. En se saisissant de cette branche, la Cour marque sa préférence: le curateur dispose bel et bien d'un pouvoir de résiliation, même lorsque les droits en cause sont opposables à la masse [57]. L'arrêt s'inscrit par ailleurs dans la continuité de la condition qu'établissait la Cour dans son arrêt de 2004, soit l'idée selon laquelle la résiliation devait se justifier par l'administration de la masse en bon père de famille, en en précisant le contenu: il s'agit d'empêcher que la poursuite du contrat fasse obstacle à la liquidation ou l'entrave de manière anormale. Cette condition s'entendra en outre de manière stricte, la Cour prenant soin de stipuler que le seul fait que les biens aient une valeur de réalisation moindre du fait du bail qui les affecte ne suffit pas pour considérer que la liquidation normale de la faillite est empêchée; la charge de la preuve en incombera au curateur. C'est pour n'avoir pas exigé du curateur la preuve in concreto que la résiliation se justifiait par l'intérêt de la masse que l'arrêt de la cour d'appel est dès lors censuré.

La Cour de cassation consacre certes ainsi un droit de résiliation unilatérale en marge de l'article 46, et allant au-delà du prescrit de ce dernier, mais l'assortit de limites à ce point restrictives que, loin de donner un blanc-seing aux curateurs, elle les invite au contraire de n'user qu'avec prudence, et parcimonie, de cette possibilité. Au voeu de la Cour elle-même, ils ne devraient y recourir que “dans des cas extrêmes” [58]. On peut alors légitimement s'interroger: l'arrêt du 10 avril 2008 ne risque-t-il pas de n'avoir pas plus d'effet qu'un pétard mouillé, ou qu'une grenade mal amorcée?

À la lecture de l'arrêt, il est en tous cas certain que la Cour n'a pas voulu épuiser toutes ses cartouches: elle laisse en effet toujours irrésolue la question de la qualification de dette “de” ou “dans” la masse de l'indemnité due au preneur évincé. La Cour de cassation, dans ses arrêts de 2004 et 2008, précise que le droit de résiliation du curateur, justifié par l'intérêt de la masse, sera exercé sans préjudice aux droits qui en résultent pour le cocontractant en raison de la non-exécution de la convention. Le pourvoi ayant donné lieu à l'arrêt du 21 avril 2008 abordait la question de savoir si ces droits devaient être qualifiés “de la masse” ou “dans la masse”. L'arrêt n'a toutefois pas eu à se prononcer sur ce point, la cassation étant justifiée par un motif plus fondamental [59].

Certains auteurs plaident en faveur de la qualification de dette de la masse, estimant que ce serait un moyen d'obliger le curateur à n'exercer ce droit de résiliation qu'avec mesure [60]. Un des premiers commentateurs [61] de l'arrêt approuve, sans autre analyse, le raisonnement qui présidait à la formulation du pourvoi sur cette question: si le curateur ne peut résilier un contrat opposable que lorsque cela est nécessaire à l'administration de la masse, l'indemnité qui en découle doit être considérée comme une dette contractée qualitate qua par le curateur en vue de l'administration de ladite masse; selon une jurisprudence constante de la Cour, celle-ci doit être mise à charge de la masse.

Le risque existe toutefois, dans un tel cas, de voir les curateurs préférer l'inertie, qui, aux termes de l'article 46, conduit nécessairement à ce que la créance pour inexécution tombe dans la masse. En outre, cette proposition paraît peu compatible avec la ratio legis de l'article 46, qui vise précisément à limiter les dettes de la masse. Si l'on pouvait comprendre, à l'issue de l'arrêt de 2004, que certains voient dans la qualification de dette de la masse un appel à la tempérance lancé aux curateurs face aux résiliations débridées auxquelles cet arrêt aurait pu conduire, il nous semble que l'arrêt du 10 avril 2008 offre des garde-fous plus que suffisants pour ne pas vinculer encore le pouvoir des curateurs… À cette enseigne, la Butte du Lion aurait vraiment accouché d'une souris…

La dette d'indemnité qui découlerait, le cas échéant, d'une résiliation [62] par le curateur devrait donc, à notre sens, constituer une dette dans la masse [63]. On se souviendra alors que, dans la doctrine classique mise à mal par l'arrêt de 2008, le curateur ne peut certes pas résilier purement et simplement le contrat, mais peut en revanche refuser de poursuivre l'exécution de celui-ci, en suspendant les prestations qui lui incomberaient. La balle est alors dans le camp du preneur, qui demandera, ou non, la résiliation. Les indemnités éventuelles qui seraient dues tombent, logiquement, dans la masse. Cette solution, qui est largement représentée en droit comparé [64], a toutefois le mérite, à l'inverse de celle actuellement retenue par la Cour de cassation en dépit des toutes les garanties dont elle a voulu assurer les preneurs, de permettre à ceux-ci de prendre le temps “de se retourner”, avant de mettre fin à leur contrat.

Nul doute que cette question de la qualification de la dette d'indemnité découlant de la résiliation se reposera prochainement devant la Cour. L'occasion sera belle de confirmer alors sa jurisprudence la plus récente, ou au contraire, de faire marche arrière, à la faveur du succès ou de la débâcle de la solution consacrée par l'arrêt de 2008. La Cour n'a en tous cas pas souhaité porter l'estocade finale: de là à considérer qu'elle a voulu se ménager un couloir pour opérer, le cas échéant, une retraite honorable…

VI. Conclusion

La question de la continuité des contrats dans les procédures d'insolvabilité n'est, à l'évidence, pas une “morne plaine”: le régime des contrats en cours n'est ni unique, ni indivisible.

Si le principe de continuité a vocation à régir toutes les procédures d'insolvabilité, il ne s'y manifeste pas avec la même intensité. Ainsi, s'agissant du concordat, le principe y apparaît - sous le régime actuel de la loi du 17 juillet 1997 - plus prégnant, à la lumière de l'objectif d'assainissement de l'entreprise. En revanche, les procédures de liquidation, et particulièrement celle de la faillite, connaissent de multiples dérogations et suscitent davantage de controverses, nées, en grande partie, de la difficulté d'appréhender le droit d'option du mandataire de la masse.

Il serait peut-être séduisant d'instaurer un régime unique de continuité des contrats, sinon commun à toutes les procédures d'insolvabilité, du moins au sein de la procédure de faillite. Certains verront sans doute, dans la proposition d'instaurer un droit d'option en faveur du débiteur dans le cadre de la procédure future de réorganisation de l'entreprise - qui remplacera notre actuel concordat -, une tendance à l'harmonisation [65]. Nous rappellerons toutefois que les auteurs de cette proposition ont eux-mêmes veillé à préciser que cette faculté doit se comprendre au regard des objectifs de la procédure de redressement, et dans ce contexte uniquement [66]. Par ailleurs, la proposition de loi entend clairement préserver certains contrats: les contrats de travail, ainsi que le contrat de bail, sont explicitement exclus du nouveau régime [67]. Le motif en est clairement exprimé: dans ces contrats, l'exercice d'un droit de résiliation sui generis “pourrait mal fonctionner” [68].

Dans le domaine de la faillite, les réalités du terrain et les impératifs économiques à la clé, démontrent le caractère tout aussi illusoire d'une approche globale. Les heurts et les malheurs qui entourent la matière des contrats de bail sur cette question en témoignent. Plutôt que de vouloir rattacher tous les contrats à une seule disposition - l'article 46, dont la rédaction est peu heureuse - il serait sans doute préférable de mener une réflexion sur un régime différencié qui respecte les spécificités de chaque contrat (à l'instar de la direction retenue dans la proposition de loi précitée). Le législateur semble l'avoir compris déjà, en adaptant l'article 46 en matière de contrats de travail [69]; il est significatif d'ailleurs de constater qu'un amendement visant à étendre ce droit de résiliation sui generis à tous les contrats a été rejeté [70]. L'arrêt du 10 avril 2008 nous semble inciter également à la différenciation en ce qui concerne cette fois les contrats de bail, en établissant pour ces derniers un régime propre, assorti de conditions strictes [71].

Quoiqu'il en soit, l'arrêt du 10 avril 2008 est loin d'avoir éteint les controverses; il renvoie toutefois à notre sens les adversaires dos à dos. Peut-être serait-il temps de faire taire le fracas des opinions dissonantes pour laisser la place à une réflexion à long terme [72]: comme l'a écrit Victor Hugo, “la guérilla ne conclut pas, ou conclut mal”.

[1] Avocat, assistante à l'ULB.
[2] Voy. essentiellement A. De Wilde, Boedelschulden in het insolventierecht, Anvers, Intersentia, 2005, pp. 168 et s.; E. Dirix, “Faillissement en lopende overeenkomsten”, R.W. 2003-04, pp. 201 et s.; A. Zenner et C. Alter, “Faillite et contrats en cours: la portée de l'option du curateur (art. 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites)”, J.T. 2006, pp. 573 et s.; A. Zenner et C. Alter, “Faillite et contrats en cours: faculté de ne pas poursuivre l'exécution ou droit de résiliation dans le chef du curateur?”, R.D.C. 2005, pp. 245 et s.; Ch. Van Buggenhout et I. de Mierop, “Wat baten kaars en bril, als den uil niet zien wil?”, R.D.C. 2005, pp. 253 et s.; S. Brijs, “Artikel 46 Faillissementswet: is de curator van de failliete verhuurder een tovenaar?”, R.W. 2005-06, pp. 53 et s.; C. Alter, “Questions choisies en droit de la faillite”, in Le créancier face à l'insolvabilité du débiteur, Anthemis, Éd du Jeune Barreau de Mons, 2008, pp. 123 et s.
[3] Voy. les commentaires - largement antagonistes - de Th. Hürner, “La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation”, J.T. 2008, pp. 341 et s. et de C. Alter, “Faillites et contrats en cours: état de la question après l'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008”, J.T. 2008, pp. 470 et s.; voy. également J. Deryckere, “Het recht van de curator om lopende overeenkomsten te beëindigen. Het Hof van Cassatie zet de deur die het zelf wijd had geopend terug op een kier”, DAOR 2008, n° 87, pp. 246 et s.
[4] A. De Wilde, Boedelschulden in het insolventierecht, Anvers, Intersentia, 2005, pp. 168 et s.; E. Dirix, “Faillissement en lopende overeenkomsten”, R.W. 2003-04, pp. 201 et s., spéc. p. 202; A. Zenner et C. Alter, “Faillite et contrats en cours: la portée de l'option du curateur (art. 46 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites)”, J.T. 2006, pp. 573 et s.
[5] La plupart des systèmes juridiques européens connaissent ce principe de continuité, ce quelle que soit d'ailleurs la procédure collective envisagée (pour une analyse en droit comparé, voy. notamment A. De Wilde, o.c., pp. 179 et s. et E. Dirix, o.c., pp. 202-203); il est par ailleurs affirmé à l'art. 6.1. des Principles of European Insolvency Law qui disposent: “The opening of the proceedings does not automatically terminate a contract to which the debtor is a party”, (Principles of European insolvency law, Kluwer Legal Publishers, 2003, p. 46).
[6] Cette règle connaîtrait elle-même une exception importante en matière de contrats de travail: l'art. 26 de la loi du 3 juillet 1978 dispose en effet expressément que la faillite ne met pas fin aux contrats de travail. Cette exception n'en est toutefois, à notre sens, pas vraiment une: l'art. 26 ne fait que confirmer que l'intuitu personae des contrats de travail s'entend dans le chef des travailleurs, et non dans le chef de l'employeur, par hypothèse failli.
[7] A. Zenner et I. Verougstraete, “Poursuite des contrats en cours par les curateurs, indemnités de rupture et dettes de la masse”, R.D.C. 2004, pp. 524 et s. Les parties peuvent toutefois prévoir expressément que leur contrat intuitu personae ne prendra pas fin en cas de faillite; de même, le cocontractant peut évidemment renoncer à se prévaloir de la clause résolutoire et accepter de poursuivre l'exécution avec les curateurs (voy. A. De Wilde, o.c., p. 170 et A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524).
[8] Ibid. On pense notamment à l'art. 2003 du Code civil en matière de mandat, ou encore à l'art. 19, al. 1er de la loi relative à l'agence commerciale du 13 avril 1995 (voy. E. Dirix, o.c., p. 202).
[9] Art. 28, al. 1er de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat. Le principe se comprend d'autant mieux que le débiteur n'est pas dessaisi de son patrimoine.
[10] L'Exposé des Motifs est sans équivoque: “le maintien des contrats en cours contribue à la poursuite de l'objectif du sursis, à savoir le maintien de l'entreprise et du patrimoine du débiteur au bénéfice de ses créanciers” (Doc. parl. Chambre sess. ord. 1993-94, 1406/1, p. 25).
[11] L'art. 28, al. 2 de la loi du 17 juillet 1997 dispose que “Toute clause d'un contrat, et notamment une clause résolutoire, suivant laquelle la résolution du contrat a lieu du seul fait de la demande ou de l'octroi d'un concordat est sans effet.” Cette disposition, dérogeant au droit commun des contrats, doit s'entendre de manière restrictive. Une clause stipulant la résolution de plein droit en cas d'inexécution est donc licite; de même, le créancier dont la créance demeure inexécutée à dater de l'ouverture du concordat peut agir en résolution ou opposer l'exception d'inexécution.
[12] L. Hervé, “Aperçu général du sort des contrats en cours dans le cadre des nouvelles lois sur les faillites et sur le concordat judiciaire”, in La faillite et le concordat en droit positif belge après la réforme de 1997, Liège, Éd. Collection Scientifique de la Faculté de droit de Liège, 1998, p. 483 et spéc. 506. L'auteur y attire toutefois l'attention sur une controverse au sujet des contrats intuitu personae.
[13] Ces principes seront toutefois remis en cause une fois adoptée la proposition de loi relative à la continuité des entreprises (Doc. parl. Chambre sess. extr. 2007, doc. n° 52, 0160/001). Celle-ci réaffirme le principe de continuité, mais fortement atténué, d'une part, par la reconnaissance de la validité des clauses résolutoires liant la terminaison du contrat au dépôt de la requête en réorganisation ou à l'ouverture de la procédure - ce qui rompt avec le régime actuellement en vigueur -, et d'autre part, par la faculté laissée au débiteur de mettre fin aux contrats en cours, à l'exception toutefois des contrats de travail et des baux immobiliers (art. 26). L'idée qui préside à ce droit d'option nouvellement introduit est d'éviter que le débiteur soit astreint à poursuivre l'exécution de contrats ruineux qui compromettraient les espoirs de redressement (Développements, o.c., pp. 22-23). Les travaux préparatoires prennent soin de préciser que cette disposition reste spécifique à la réorganisation judiciaire, et doit être comprise dans ce contexte (ibid., p. 23). Pour un premier commentaire de cette proposition, voy. A. Zenner, “Passé, présent et avenir de la réorganisation judiciaire. Premier commentaire de la proposition de loi relative à la continuité des entreprises”, in Le créancier face à l'insolvabilité du débiteur, Anthemis, Éd. du Jeune Barreau de Mons, 2008, pp. 11 et s.
[14] Cass. 30 mai 1968, Pas. 1968, I, 1126; I. Verougstraete, “Dettes de la masse, privilèges et monnaie de faillite” (note sous Cass. 16 juin 1988), R.C.J.B. 1990, p. 35.
[15] Pour les contrats intuitu personae, voy. J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, T. II, Bruxelles, Bruylant, 1957, p. 102, n° 1047. Pour les clauses résolutoires, voy. Ph. Jehasse, Manuel de la liquidation, 2ème éd., Mechelen, Kluwer, 2007, n° 473.
[16] D. G. Baird, Elements of bankruptcy, cité dans E. Dirix, o.c., p. 203.
[17] Art. 23 de la loi sur les faillites du 8 août 1997.
[18] Art. 22 de la loi sur les faillites du 8 août 1997.
[19] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 539, n° 924.
[20] E. Dirix, o.c., p. 203.
[21] Ibid.
[22] Ibid., p. 204.
[23] Voy. en Allemagne l'Insolvenzordnung de 1996 (§ 103), aux Pays-Bas, la Faillissementswet (art. 37) ou encore, en France, l'art. L 622-13 du Code de commerce.
[24] L'interprétation de l'expression “contrats en cours” a donné lieu à des opinions diverses; nous renvoyons à cet égard à l'ouvrage de Mme Annick De Wilde (o.c., pp. 171-172). Nous retiendrons la définition qu'en donne M. Dirix: il s'agit des contrats antérieurs au jugement déclaratif, qui n'étaient pas, au jour de la faillite totalement exécutés par le débiteur, et auxquels le jugement déclaratif de faillite ne met pas fin (E. Dirix, o.c., p. 202).
[25] A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524. La rédaction de l'art. 46 a d'ailleurs été directement influencée par la problématique de ces contrats de travail (C. Alter, “Questions choisies de droit de la faillite”, o.c., p. 125).
[26] Mon. b. 1er août 2005, p. 33.848.
[27] A. De Wilde, o.c., p. 171.
[28] A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524. La décision des curateurs ne peut toutefois se déduire que de circonstances non équivoques, la simple continuation provisoire du contrat après la faillite n'équivalant pas à une décision de continuité (ibid.; voy. notamment Liège 26 mai 1998, J.L.M.B. 1999, p. 978 ).
[29] Art. 46, al. 1er.
[30] Cette terminologie découle des impératifs particuliers des contrats de travail: l'initiative du congé doit en effet reposer sur l'employeur - ou le curateur - pour que le travailleur puisse prétendre à une indemnité de licenciement (voy. C. Alter, “Questions choisies de droit de la faillite”, o.c., p. 125). Il ne nous semble donc pas qu'il puisse en être tiré argument pour fonder ou justifier la thèse du droit de résiliation du curateur (contra, Th. Hürner, o.c., p. 345).
[31] Art. 46, al. 2.
[32] Art. 46, al. 3.
[33] Ch. Van Buggenhout et I. de Mierop, “Wat baten kaars en bril, als den uil niet zien wil?”, R.D.C. 2005, pp. 253 et s., spéc. p. 255; A. De Wilde, o.c., p. 172.
[34] Le curateur aura égard, notamment, aux frais encore à exposer, aux dettes de la masse, ainsi qu'au revenu net tiré du contrat (A. De Wilde, o.c., p. 173).
[35] A. De Wilde, o.c., pp. 172-174; A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524.
[36] Elle nous semble, à l'instar de Th. Hürner, (“La poursuite des contrats en cours en cas de faillite: essai de rationalisation”, o.c., pp. 341 et s., spéc. p. 344), malvenue, pour ne pas dire regrettable (dans le même sens, A. Zenner et I. Verougstraete, o.c., p. 524).
[37] Par exemple, en cas de vente d'objets mobiliers corporels, lorsque le vendeur tombe en faillite alors que le bien n'a pas été délivré.
[38] L'analyse en droit comparé permet en revanche de constater que les états limitrophes, tout en consacrant le droit d'option du curateur, ont veillé à assortir celui-ci de règles spécifiques pour certains types de contrats; ainsi, en Allemagne l'Insolvenzordnung précitée prévoit-elle des règles particulières pour les contrats instantanés qui ont déjà créé des obligations à charge du débiteur avant la survenance de la procédure de faillite, de même que pour certains contrats à prestations successives, comme les contrats de travail ou de bail. Dans ce dernier cas toutefois, le régime spécial ne vise que l'hypothèse de la faillite du preneur.
[39] La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre prévoit un régime spécial en cas de faillite du preneur (art. 32).
[40] Le législateur semble d'ailleurs avoir perçu la difficulté en ce qui concerne les contrats de travail, pour établir à leur égard, au sein même de l'art. 46, un régime particulier. Un mieux, certes, mais un comble lorsque l'on se souvient que la rédaction de cet article, et précisément les formulations qui donnent aujourd'hui matière à controverses, résulte directement des contraintes particulières qu'imposaient les contrats de travail (voy. note 25).
[41] A. De Wilde, o.c., p. 211; E. Dirix, o.c., p. 209.
[42] Il semble que cette question ne reçoit pas grand écho en droit comparé. En effet, si la plupart des systèmes jugent nécessaires d'établir des règles particulières en cas de faillite du preneur à bail (voy. notamment en droit français, l'art. L 622-14 du Code de commerce ou en droit allemand, les paragraphes 108 et 109 de l'Insolvenzordnung), l'hypothèse de la faillite du bailleur reste soumise au droit commun: c'est donc la continuité du contrat qui prévaut, assortie d'un droit d'option en faveur du curateur de ne pas poursuivre les contrats en cours. Le curateur ne jouit pour autant pas, dans aucun de ces systèmes, d'un droit de résiliation sui generis: il ne peut mettre fin au contrat que dans les conditions et au moment autorisés par la loi ou le contrat.
[43] A. De Wilde, o.c., p. 212.
[44] Voy. notamment E. Dirix, o.c., p. 204.
[45] C.A. 10 décembre 2003, R.W. 2005-06, pp. 52 et s.
[46] Th. Hürner, o.c., p. 345.
[47] Dans le même sens, voy. A. Zenner et C. Alter, o.c., p. 250.
[48] Cass. 24 juin 2004, R.D.C. 2005, p. 241 .
[49] L'arrêt a d'ailleurs été rendu sur conclusions contraires du Ministère public, qui se rattachait à la doctrine traditionnelle.
[50] E. Dirix, o.c., p. 204; A. Zenner et C. Alter, o.c., p. 251.
[51] E. Dirix, o.c., p. 204; A. Zenner et C. Alter, “Faillite et contrats en cours: faculté de ne pas poursuivre l'exécution ou droit de résiliation dans le chef du curateur?”, R.D.C. 2005, pp. 245 et s., spéc. p. 248.
[52] P. Van Ommeslaghe, “Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté”, in Les sûretés, Paris, Feduci, 1983, p. 345 et spéc. p. 366.
[53] Ch. Van Buggenhout et I. de Mierop, o.c., p. 256.
[54] E. Dirix, o.c., p. 210.
[55] Bruxelles 11 mai 2005, NjW 2006, p. 801.
[56] C. Alter tente, à notre sens vainement, de minimiser la portée de cette décision (voy. C. Alter, “Faillites et contrats en cours: état de la question après l'arrêt de la Cour de cassation du 10 avril 2008”, o.c., pp. 470-471.
[57] Par cette jurisprudence, la Belgique semble vouloir jouer cavalier seul dans le paysage juridique européen (voy. note 42).
[58] Selon le communiqué relatif à l'arrêt publié sous la rubrique “Actualité” du site de la Cour (http://www.juridat.be ).
[59] Ibid.
[60] E. Dirix, “Overzicht van rechtspraak. Zekerheden (1998-2003)”, T.P.R. 2004, p. 1163, spéc. p. 1192; A. De Wilde, o.c., p. 216.
[61] C. Alter, o.c., p. 471.
[62] Certains auteurs se sont interrogés: la reconnaissance d'un droit de résiliation sui generis, indépendant des modalités légalement ou conventionnellement prévues ne rendrait-elle pas caduc le droit du preneur de demander une indemnité? Cela reviendrait alors à priver d'objet l'art. 46, al. 2, qui prévoit que “les dommages-intérêts éventuellement dus tombent dans la masse” (voy. A. Zenner, o.c., p. 65).
[63] Dans le même sens, voy. Th. Hürner, o.c., p. 347.
[64] Voy. notamment, en droit espagnol, l'art. 909.9 II du Code de commerce (CCo 1885).
[65] Proposition de loi relative à la continuité des entreprises, précitée note 132.
[66] Voy. note 132.
[67] Art. 26 de la proposition de loi précitée.
[68] Développements précédant la proposition de loi, o.c., p. 23.
[69] Comme nous avons déjà pu le souligner, cette réforme, nécessaire certes, laisse subsister, pour les autres contrats, les incertitudes et les controverses nées de la rédaction de l'art. 46 originel, qui avait précisément été adaptée - et malmenée! - pour prendre en compte les impératifs propres inhérents aux contrats de travail ! (voy. note 40).
[70] Rapport Marirower, Chambre 2004-05, n° 1541/05, p. 23.
[71] Certains auteurs souhaiteraient étendre les enseignements de cet arrêt à tous les types de contrats, au-delà des seuls contrats de bail (voy. notamment Th. Hürner, o.c., p. 347); nous ne partageons toutefois pas cette opinion - par ailleurs émise, paradoxalement, par des auteurs qui regrettent la généralité des termes de l'article 46 (voy. Th. Hürner, o.c., p. 343), qui nous semble en contradiction, notamment, avec le rejet, dans le cadre de la réforme de l'art. 46 quant aux contrats de travail, de l'amendement précité.
[72] À cet égard, on notera que deux propositions de loi interprétatives de l'art. 46 ont été déposées dans la foulée de l'arrêt du 10 avril 2008, qui ne paraissent toutefois pas susceptibles d'éteindre les controverses, au vu des réactions qu'elle ont déjà suscitées! (voy. Th. Hürner, o.c., p. 347-348 et C. Alter, o.c., p. 472).