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Actualité : Cour suprême des États-Unis, 18/06/2007, R.D.C.-T.B.H., 2007/9, p. 935-936

Cour suprême des États-Unis
du 18 juin 2007

DROIT FINANCIER
Emission publique - Concurrence - Offre publique en souscription - Pratiques de banques (“laddering”) - Commissions élevées pour acquisition ultérieure de titres - Atteinte à la concurrence - Class action - Spécificité du droit financier au regard du droit de la concurrence

Credit Suisse Securities (USA) LLC / Billing

Le 18 juin 2007, la Cour suprême des États-Unis a rendu un arrêt important dans lequel elle trace la frontière entre le droit des produits financiers et le droit de la concurrence (“antitrust”).

Les faits ayant donné lieu à l'arrêt sont les suivants. Un groupe d'acheteurs de titres nouvellement émis dans le cadre d'une OPI (offre publique initiale) avait intenté une “class action” à l'encontre de dix grandes banques souscriptrices qui commercialisaient ces titres. Les acheteurs accusaient les banques souscriptrices de s'être - en violation du droit antitrust - entendues sur le fait qu'elles ne vendraient pas les titres d'une OPI à succès à un acheteur à moins que cet acheteur ne s'engage à acheter par après des actions supplémentaires de la même OPI à des prix allant en augmentant (une pratique appelée “laddering”), de payer des commissions inhabituellement élevées pour des acquisitions ultérieures de titres ou d'acquérir des titres moins attractifs (“ventes liées”).

Les banques ont contré cette accusation en avançant que les lois fédérales américaines sur les produits financiers prohibent implicitement l'application des lois antitrust à ces pratiques propres au marché des instruments financiers.

Se basant sur trois jugements antérieurs qui portaient sur les relations entre droit des produits financiers et droit antitrust, la Cour suprême a distillé la règle selon laquelle une “incompatibilité claire” entre ces deux réglementations était un pré-requis nécessaire pour que le droit des produits financiers empêche implicitement que le droit antitrust ne s'applique.

La Cour suprême a établi quatre facteurs cruciaux pour évaluer l'incompatibilité claire:

    • l'existence d'une autorité régulatrice chargée de veiller au respect du droit des produits financiers pour superviser l'activité en question;
    • la preuve que cette entité régulatrice responsable exerce effectivement son autorité;
    • le risque d'obligations ou normes contradictoires dans l'hypothèse où le droit des produits financiers et le droit antitrust seraient simultanément applicables;
    • la pratique en question s'inscrit largement dans le domaine des marchés financiers que le droit des produits financiers cherche à réguler.

    La Cour suprême s'est focalisée sur l'analyse du troisième facteur, l'existence des autres facteurs ne pouvant raisonnablement être remise en cause. La Cour suprême a observé dans un premier temps que les accords entre banques souscriptrices (réunies en “syndicat”) sont nécessaires au bon fonctionnement des marchés financiers. Elle a interprété la plainte des investisseurs comme acceptant cette nécessité mais remettant en cause la manière dont les souscripteurs se sont concertés. Sur ce dernier point, la Cour suprême a suivi le point de vue des plaignants qui faisaient remarquer que la Securities and Exchange Commission (SEC; la Commission des produits financiers et des échanges) avait déjà désapprouvé les pratiques d'offre en souscription publique attaquées et ne semblait pas décidée à approuver de telles pratiques dans le futur.

    D'après la Cour suprême, seule une ligne de démarcation étroite permet de distinguer entre les activités des syndicats de souscripteurs permises par la SEC et celles interdites par elle. Si, à côté de la SEC, des plaignants privés se fondant sur le droit antitrust ou des jurys inexpérimentés tentaient de dessiner cette frontière étroite, il y aurait selon elle un risque élevé d'aboutir à des résultats inconciliables ou erronés. En outre, cela aurait un effet paralysant qui pourrait sérieusement nuire au bon fonctionnement des marchés financiers.

    Enfin, la Cour suprême a considéré que la SEC est mieux équipée que les tribunaux pour déterminer la légalité des activités de souscription opérées par les syndicats de banques pour les offres en souscription publique.

    Pour ces raisons, la Cour suprême a conclu à une large majorité de ses membres que le droit des produits financiers fait implicitement échec, pour cause d' “incompatibilité claire”, à la plainte desdits investisseurs fondée sur le droit de la concurrence dans cette affaire.

    L'arrêt de la Cour suprême peut surprendre.

    Il nous aurait semblé plus logique de voir la Cour suprême adopter un raisonnement selon lequel il y a lieu de s'atteler à un examen des effets concrets des pratiques attaquées sur la concurrence. Un examen des pratiques attaquées au regard du droit de la concurrence, qui tiendrait compte des spécificités et objectifs du droit des produits financiers, est d'ailleurs l'approche défendue par Justice Stevens, un des juges de la Cour suprême dans cette affaire.

    Le fait que la Cour suprême ait décidé de ne pas suivre Justice Stevens pourrait s'expliquer par le fait qu'elle ne craint pas tant un conflit entre droit des produits financiers et droit de la concurrence, mais bien que des jurys inexpérimentés ou des tribunaux mal équipés interdisent, en se fondant sur le droit de la concurrence, des pratiques financières qu'ils comprennent mal, alors que celles-ci seraient autorisées par la SEC.