Cour d'appel de Bruxelles 29 juin 2006
SOCIÉTÉS
SPRL - Litiges internes - Exclusion - Justes motifs
Lorsque, suite à une mésintelligence grave, un associé adopte une attitude négative et contraire aux intérêts de la société, souhaitant sa liquidation, sinon sa mise en faillite, et démontrant par là son absence totale d'affectio societatis, une action en exclusion pour justes motifs peut être déclarée fondée. Le juge doit en effet surtout prendre en considération l'intérêt social.
Par ailleurs, bien que la faute d'un gérant ne puisse, en principe, être retenue comme juste motif d'exclusion puisque c'est entre associés que le règlement du conflit doit intervenir, il ne peut être exclu que les fautes de gestion d'un gérant, représentant également un des associés de la société, soient prises en compte dans le cadre d'un ensemble de faits reflétant également le comportement fautif de cet associé.
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VENNOOTSCHAPPEN
BVBA - Interne geschillen - Uitsluiting - Gegronde redenen
Indien, ten gevolge van een slechte verstandhouding, een vennoot een negatieve houding aanneemt die tegengesteld is aan het vennootschapsbelang en dit met het oog op de vereffening van deze vennootschap, of zelfs haar faillissement, en hierdoor duidelijk zijn totale gebrek aan affectio societatis demonstreert, kan een vordering tot uitsluiting wegens gegronde redenen worden ingewilligd. Hierbij moet de rechter in hoofdzaak rekening houden met het vennootschapsbelang.
Ook al kan de fout van een zaakvoerder in principe niet worden gekwalificeerd als gegronde reden voor uitsluiting aangezien het geschil tussen vennoten dient te worden opgelost, kan het niet worden uitgesloten dat de bestuursfouten van een zaakvoerder die eveneens één van de vennoten vertegenwoordigt, in rekening worden gebracht in het kader van een geheel van feiten dat eveneens het foutieve gedrag van deze vennoot aantoont.
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Centre médical Medigand / K. Channaoui
Siég.: M. Regout, H. Mackelbert et E. Herregodts (conseillers) |
Pl.: Mes J.-M. Tillieux et Ph. Druylans, A. Mahy |
III. | Faits et antécédents de la procédure |
1. La SPRL “A & K” (dénommée ci-après “la société”) est constituée le 7 mai 2002 par M. Channaoui et le Centre médical Medigand, représenté par son gérant, le docteur Bbahla.
Le capital social, entièrement libéré, est de € 19.000. Il est souscrit par moitié par chaque associé.
La société a pour objet la gestion d'un patrimoine immobilier, en l'espèce un double immeuble de commerce et de rapport situé place Bara, 2-3 à Anderlecht, loué au rez-de-chaussée à la société Pharma 2000.
Le docteur Bbahla et M. Channaoui sont désignés comme gérants. Ils peuvent chacun engager seul la société.
2. Depuis le mois de juillet 2004, époque à laquelle les locataires autres que la pharmacie ont quitté l'immeuble, le docteur Bbahla et M. Channaoui sont en désaccord quant à l'avenir de la société. Le docteur Bbahla souhaite la vendre, ce à quoi s'oppose M. Channaoui (cf. PV d'audition du docteur Bbahla du 10 septembre 2004, pièce 5 de son dossier).
Le 15 décembre 2004, le docteur Bbahla fait à M. Channaoui la proposition suivante que ce dernier approuve:
Suite aux diverses discussions (...) et par respect à ta proposition, à savoir ton souhait de racheter mes parts dans l'association pour une valeur de € 112.500 et mon désengagement total du crédit contracté par notre association (mainlevée de la banque), j'ai le plaisir de te confirmer mon accord sur ta proposition, mais en la conditionnant par un délai maximum de trois mois à dater de l'expédition sous pli recommandé et libre de la présente à signer pour accord par toi-même. Passé ce délai sans réalisation de ta proposition, l'association devient caduque et ma proposition aura force d'exécution. Pour rappel, je m'engage à racheter à titre personnel une maison faisant partie de l'association actuelle pour l'équivalent de la moitié du crédit solde restant dû. Et à la suite de cette opération, je m'engage à te céder gratuitement et pour l'euro symbolique, mes 50% que je détiens dans l'association.
Pour financer l'achat des parts sociales du Centre médical Medigand, M. Channaoui entreprend des démarches auprès de la banque Dexia, par ailleurs créancier de la société.
La société Pharma 2000 est déclarée en faillite le 5 janvier 2005 par le tribunal de commerce de Bruxelles qui désigne Me Hanssens-Ensch comme curateur. La société est ainsi privée de ses derniers revenus.
Le 25 janvier 2005, le conseiller fiscal de M. Channaoui demande au docteur Bbahla de ne pas mettre en oeuvre ses menaces d'écrire à la banque en guise de représailles suite à une altercation qui avait opposé les deux gérants.
Plusieurs candidats se présentent au curateur pour acquérir le fonds de commerce de Pharma 2000. Par courrier du 2 février 2005, M. Channaoui signale au curateur qu'il s'oppose à ce qu'un nouveau bail soit conclu avec un amateur qui n'aurait pas son agrément et que ce bail soit signé par le docteur Bbahla seul.
Le 22 février 2005, la banque Dexia refuse d'accorder à M. Channaoui le crédit demandé, vu le contexte particulier [du] dossier.
Le 28 février 2005, Me Hanssens-Ensch cède le fonds de commerce de Pharma 2000 à un candidat proposé par le docteur Bbahla. La société, représentée par le docteur Bbahla, marque son accord sur cette cession.
Le 13 mars 2005, M. Channaoui lève l'option de cession des parts sociales contenues dans la convention du 15 décembre 2004. M. Channaoui signale par ailleurs au docteur Bbahla que la banque Dexia l'a informé avoir reçu un courrier de ce dernier en vue de bloquer les négociations. M. Channaoui déclare s'opposer à ce que le docteur Bbahla conclue un accord avec le curateur sans lui.
Le 14 mars 2005, la société, représentée par le docteur Bbahla, conclut un bail commercial avec Mme Baraka pour un loyer mensuel de € 1.200.
Le 25 mars 2005, le docteur Bbahla informe M. Channaoui qu'il considère que l'accord du 15 décembre 2004 est caduc du fait qu'il n'a pas été mis en possession des € 112.500 convenus dans les trois mois, soit le 15 mars 2005 au plus tard. En revanche, il lui propose de racheter ses parts, à défaut de quoi il déposera le bilan.
3. Par exploit du 19 mai 2005, M. Channaoui fait citer le Centre médical Medigand en exclusion devant le président du tribunal de commerce de Bruxelles. Il sollicite sa condamnation à lui céder les 50 parts sociales qu'il détient dans la société A & K moyennant le paiement de € 112.500.
Le Centre médical Medigand introduit une demande reconventionnelle par laquelle il poursuit l'exclusion de M. Channaoui moyennant le paiement de € 50.000 pour ses parts.
Le premier juge fait droit à la demande de M. Channaoui et condamne le Centre médical Medigand à lui céder les parts qu'il détient dans la société. Avant de statuer plus avant au fond, il désigne M. Bikar comme expert en vue de déterminer la valeur des parts au jour de l'introduction de la demande.
4. Le Centre médical Medigand interjette appel de cette décision.
Il demande à la cour de la mettre à néant, de dire sa demande reconventionnelle originaire fondée en son principe et de surseoir à statuer sur la valeur des parts dans l'attente du dépôt du rapport de l'expert Bikar.
M. Channaoui introduit une demande nouvelle tendant à la condamnation du Centre médical Medigand à l'indemniser de ses frais de conseils, évalués provisionnellement à € 1 et de surseoir à statuer sur l'évaluation définitive.
IV. | Discussion |
1. | Sur l'intérêt à agir de M. Channaoui |
5. Le Centre médical Medigand expose que le 25 mars 2005, les parts sociales détenues par M. Channaoui ont été saisies-arrêtées conservatoirement entre les mains de la société par la banque KBC, pour sûreté d'une créance de € 228.392 et qu'il a formulé une offre d'achat de ces parts à la banque. Il en déduit que lorsque celles-ci lui seront cédées, M. Channaoui ne sera plus associé et n'aura donc plus d'intérêt à poursuivre son action en rachat forcé.
6. L'intérêt, au sens de l'article 17 du Code judiciaire consiste en tout avantage, matériel ou moral, effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme, dût la reconnaissance de droit n'être établie, ou non établie, qu'à la prononciation du jugement (Rapport Van Reepighem, Bruylant, 320).
Une saisie conservatoire a pour seul effet d'empêcher provisoirement M. Channaoui de céder à un tiers ses parts sociales sans l'accord de la banque et de bloquer les rémunérations, tantièmes, dividendes et éventuels produits de liquidation qui lui seraient reconnus. Elle n'affecte pas sa qualité d'associé. C'est ainsi que, nonobstant la saisie de ses parts, M. Channaoui peut assister et voter aux assemblées générales.
À ce jour, la saisie conservatoire n'a pas été transformée en saisie-exécution. La banque KBC est donc sans droit pour céder les parts au docteur Bbahla.
Il s'en déduit que M. Channaoui avait et a toujours intérêt à former l'action en exclusion.
2. | Sur les justes motifs imputés au Centre médical Medigand |
7. Les justes motifs invoqués par M. Channaoui à l'appui de sa demande en exclusion sont les suivants:
- demande adressée au banquier de dénoncer le crédit de la société;
- volonté de mettre la société en faillite, absence de soutien financier et tentatives de déséquilibrer la trésorerie;
- conclusion d'un bail contraire aux intérêts sociaux de la société;
- déplacement unilatéral du siège social;
- absence de représentation de la société en justice ayant entraîné un jugement par défaut;
- retard dans la transmission du précompte immobilier à payer.
Peuvent être retenus comme justes motifs, les manquements de l'associé à ses obligations qui causent un préjudice à la société, les abus de majorité ou de minorité, la mésintelligence grave entre associés, rendant toute collaboration entre eux définitivement impossible, conduisant au blocage du fonctionnement des organes sociaux, ou à tout le moins, constituant un conflit sérieux et compromettant la réalisation du but sociétaire (Bruxelles 8 juin 2001, J.L.M.B. 2002, p. 1350 ). Le juge doit surtout prendre en considération l'intérêt social (Pottier et De Roeck, “Le divorce entre actionnaires: premières applications jurisprudentielles des procédures d'exclusion et de retrait”, R.D.C. 1998, p. 568).
Lorsque la société “A & K” a rencontré des difficultés financières liées au départ de ses locataires et s'est trouvée momentanément dans l'impossibilité de faire face à ses obligations à l'égard de la banque Dexia, plutôt que de recapitaliser la société, le Centre médical Medigand a envisagé la vente de celle-ci ou, à tout le moins, la vente de l'immeuble (cf. lettre du docteur Bbahla du 20 juillet 2004), ce qui ne pouvait que conduire à la liquidation de la société. En vue d'éviter cette situation, M. Channaoui a suggéré de racheter les parts du Centre médical Medigand, ce que ce dernier a accepté.
Si la transaction n'a pu se concrétiser à bref délai, c'est en raison d'une intervention dissuasive du docteur Bbahla auprès de la banque Dexia qui devait financer l'acquisition de M. Channaoui. Lors de son audition du 23 février 2005 (pièce 19 de son dossier), le docteur Bbahla reconnaît expressément avoir exposé le problème à la banque Dexia par lettre en dénonçant le crédit. Le Centre médical Medigand ne conteste pas la réalité de cette initiative qui va à l'encontre des intérêts de la société, mais tente d'en atténuer la portée en invoquant que le docteur Bbahla était excédé par le harcèlement dont il prétend avoir été la victime.
Après avoir refusé d'exécuter la convention du 15 décembre 2004, en la considérant comme caduque, alors qu'elle mettait un terme au litige entre associés, le docteur Bbahla a également menacé de déposer le bilan si M. Channaoui ne lui cédait pas ses parts sociales.
Enfin, nonobstant l'opposition de M. Channaoui, le docteur Bbahla, agissant à la fois comme gérant de la société “A & K” et comme représentant de la SPRL [Centre médical] Medigand (cf. préambule de la convention du 28 février 2005) a accepté unilatéralement de donner son accord à la cession du fonds de commerce de Pharma 2000.
8. Par ailleurs, le docteur Bbahla, agissant cette fois en sa seule qualité de gérant de la société “A & K”, a conclu un bail commercial, sans exiger de pas de porte ou des conditions locatives plus attractives pour la société, alors que cette dernière se trouvait en position de force pour négocier puisque la cession du fonds de commerce par le curateur ne pouvait aboutir sans l'accord du bailleur.
S'il est vrai que la faute d'un gérant ne peut, en principe, être retenue comme juste motif d'exclusion puisque c'est entre associés que le règlement du conflit doit intervenir, cette affirmation appelle néanmoins certains tempéraments, puisqu'il n'est pas exclu que des fautes de gestion entrent en ligne de compte dans un complexe de faits reflétant également le comportement fautif de l'associé (M. Caluwaerts, “L'exclusion ou le retrait forcés comme solution aux litiges entre associés”, in Les conflits au sein des sociétés commerciales ou à forme commerciale, Jeune Barreau de Bruxelles, 2004, p. 147).
En l'espèce, la conclusion du bail commercial constitue la prolongation de l'accord donné par le docteur Bbahla, en sa qualité de gérant du Centre médical Medigand, à la cession du fonds de commerce par le curateur de Pharma 2000.
Le Centre médical Medigand est une société à responsabilité limitée unipersonnelle au travers de laquelle le docteur Bbahla exerce son activité professionnelle. Lorsqu'il intervient dans le cadre de la vie sociale de la société “A & K”, il agit à la fois comme gérant de cette société mais aussi et surtout comme mandataire d'un des co-associés, le Centre médical Medigand, dont il entend défendre les intérêts patrimoniaux. Dans le courrier qu'il échange dans le cadre du conflit qui l'oppose à M. Channaoui, le docteur Bbahla confond en outre son patrimoine avec celui du Centre médical Medigand, considérant les parts sociales de “A & K” comme étant les siennes (cf. sa lettre du 20 juillet 2004 et la convention du 15 décembre 2004).
Il s'ensuit qu'en l'espèce, lorsqu'il conclut le bail commercial, le docteur Bbahla agit également sur les instructions du Centre médical Medigand qui est un des associés de la société “A & K”.
9. Il est ainsi établi que, suite à la mésintelligence grave qui s'est installée entre les associés, le Centre médical Medigand a adopté une attitude négative et contraire aux intérêts de la société, souhaitant sa liquidation, si pas sa mise en faillite, et démontrant par là son absence totale d'affectio societatis.
L'exclusion du Centre médical Medigand est de nature à résoudre le conflit entre les associés et à maintenir en activité la société puisque, par son attitude, M. Channaoui a démontré l'intérêt qu'il portait à celle-ci. En effet, pendant toute cette période, M. Channaoui a soutenu la société en lui faisant des avances, à concurrence de € 11.900, entre le 25 février et le 29 avril 2005, lui permettant ainsi de faire face à ses obligations vis-à-vis de la banque Dexia, alors que le Centre médical Medigand a cessé toute intervention à partir de décembre 2004. Au contraire, si le Centre médical Medigand devait être maintenu comme associé, et par voie de conséquence le docteur Bbahla comme gérant, le fonctionnement de la société risquerait d'être paralysé, eu égard aux menaces proférées par ce dernier et à ses actions unilatérales.
Comme il suffit qu'un juste motif soit établi pour qu'il puisse être fait droit à la demande originaire, il est sans utilité d'examiner les autres motifs invoqués. Il est précisé, pour autant que de besoin, que la cour ne se prononce donc pas sur le bien ou le mal fondé des autres motifs.
L'appel n'est pas fondé.
3. | Sur la demande reconventionnelle du Centre médical Medigand |
10. Dès lors que la demande originaire est fondée, la demande reconventionnelle ne l'est pas.
4. | Sur la demande d'indemnisation des frais de conseil |
11. Dans le cadre de l'article 340 du Code des sociétés, le président du tribunal n'est pas saisi d'une action en responsabilité du défendeur (Pottier et De Roeck, “Le divorce entre actionnaires: premières applications jurisprudentielles des procédures d'exclusion et de retrait”, R.D.C. 1998, p. 578). La cession forcée, tout comme le retrait contentieux, apparaissent davantage comme le constat d'une situation de fait plutôt que comme une sanction (Doc. parl. Sénat 1993-94, n° 1086-2, p. 427).
L'exclusion forcée ne constituant pas une forme de réparation en nature d'une faute commise par un des associés, M. Channaoui ne peut soutenir que les honoraires et frais d'avocat ou de conseil technique exposés par lui constituent un élément d'un dommage donnant lieu à indemnisation parce qu'ils présentent un caractère de nécessité.
La demande nouvelle n'est pas fondée.
V. | Conclusion |
Pour ces motifs, la cour,
1. Dit l'appel non fondé et en déboute le Centre médical Medigand.
2. Dit la demande nouvelle introduite par M. Channaoui non fondée et l'en déboute.
3. Renvoie l'affaire au premier juge, en exécution de l'article 1068, alinéa 2 du Code judiciaire.
(...)