Cour d'appel de Liège 8 mars 2007
DÉPÔT
Dépôt proprement dit - Garagiste - Dépositaire - Devoir de restitution - Obligation de résultat
L'obligation de restitution imposée au dépositaire est une obligation de résultat de sorte que la non-restitution fait peser sur le dépositaire une présomption d'inexécution fautive. Pour renverser cette présomption, il faut que le dépositaire prouve que le dommage est survenu sans sa faute.
OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES
Exécution de l'obligation - Dommages et intérêts - Lien causal - Interdiction “d'hypothèses inexistantes”
Le juge qui procède à la reconstitution des faits, ne peut pas modifier les conditions dans lesquelles le dommage est survenu, sous la seule réserve de l'omission du fait litigieux. Il ne peut se laisser guider par des hypothèses inexistantes. Le juge ne peut exclure l'existence du lien causal au motif que le dommage aurait également pu se produire dans des circonstances qui diffèrent des circonstances concrètes de l'espèce.
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BEWAARGEVING
Eigenlijke bewaargeving - Garagehouder - Restitutieplicht - Resultaatsverbintenis
De restitutieverbintenis die op de bewaarnemer rust is een resultaatsverbintenis zodat een gebrek aan teruggave een vermoeden van foutieve uitvoering van de bewaargeving op de bewaarnemer doet wegen. Om dat vermoeden te weerleggen rust op de bewaarnemer de bewijslast om aan te tonen dat de schade zonder zijn fout is ontstaan.
VERBINTENISSEN UIT OVEREENKOMST
Nakoming van verbintenissen - Schadevergoeding - Causaliteit - Verbod van “onwerkelijke hypotheses”
De rechter die de feiten reconstrueert mag de omstandigheden waaronder de schade zich heeft voorgedaan niet wijzigen, met uitzondering van het wegdenken van de beweerde fout. Hij mag zich niet laten leiden door zogenaamde “onwerkelijke hypotheses”. De rechter mag een causaal verband niet uitsluiten op basis van de vaststelling dat de schade zich eveneens had kunnen voordoen in omstandigheden die verschillen van de concrete omstandigheden van het geval.
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SA Iacolino / M.J.
Siég.: M. Ligot, F. Royaux et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes X. Windels loco P. Monseur et D. Rosu loco J.-L. Wenric |
(...)
Le 7 août 1996, la SA Iacolino interjette appel du jugement rendu le 24 mai 2006 par le tribunal de première instance de Liège qui la condamne à payer à Jonathan M. € 9.678 à majorer des intérêts au taux légal depuis le 3 juin 2005 et des dépens liquidés dans le chef de celui-ci à € 575,55.
Dans sa requête d'appel, la SA Iacolino introduit également une demande reconventionnelle en vue d'obtenir le remboursement de ses frais de défense.
Les faits de la cause ont été exactement exposés par le premier juge; ils peuvent être résumés comme suit: le 5 avril 2005, J.M. est victime d'un accident de roulage. Son véhicule est remorqué chez le garagiste Iacolino qui établit un devis de réparation s'élevant à € 7.865,52.
Finalement, c'est la solution du déclassement qui est retenue par le bureau d'expertise Bergmans qui fixe la valeur du véhicule avant sinistre à la somme de € 13.000 TVAC.
J.M. est invité le 10 mai 2005 par l'expert Bergmans à prendre contact avec la fume KOPC qui a fait la meilleure offre (€ 9.678) pour le rachat de l'épave.
Le 1er juin 2005 à 13h30, le dépanneur Koupi Recup Car se présente chez le garagiste Iacolino; il remet une copie de la lettre adressée le 10 mai 2005 par le bureau d'expertise Bergmans à J.M. et procède à l'enlèvement du véhicule sans en payer le prix.
Lorsque par un courrier électronique du 3 juin 2005 à 8h52, le bureau Bergmans apprend que l' “épaviste” KOPC est un escroc qui se fait remettre des véhicules en recourant à des offres “très élevées, voire trop élevées” qu'il paye au moyen de faux chèques certifiés, il est trop tard.
J.M. après avoir déposé plainte au pénal contre les responsables de KOPC recherche la responsabilité contractuelle du garagiste Iacolino.
Les rapports entre les parties sont régis par un contrat de dépôt puisque l'offre faite par le garagiste de réparer le véhicule n'a pas été suivie d'effet.
La décision du tribunal doit être entièrement approuvée en ce qu'il est rappelé que “l'obligation de restitution imposée au dépositaire par l'article 1927 du Code civil est analysée comme une obligation de résultat (et que) la non-restitution de la chose déposée fait dès lors peser sur le dépositaire une présomption d'inexécution fautive. Il appartient dès lors à la défenderesse de renverser cette présomption en établissant qu'elle n'a commis aucune faute” (jugt., p. 4).
C'est ce que l'appelante soutient; elle prétend qu' “(elle) a apporté dans la garde de la chose déposée les mêmes soins qu'elle apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent, qu'elle a pris soin de l'épave appartenant à la partie intimée comme elle le fait pour tous les véhicules entreposés dans ses installations (et) a traité l'enlèvement de l'épave selon les éléments du dossier et les usages” (requête d'appel, pp. 1 et 2).
Elle souligne encore que J.M. “n'a pas jugé utile de (la) prévenir des convenances qu'il avait prises pour l'enlèvement de son véhicule” qui selon lui devait intervenir le 3 juin 2005 à 11 heures, qu' “elle (n'avait pas) été mandatée pour recevoir (le prix de l'épave) et qu'elle pouvait légitimement penser que le prix avait été payé par banque au demandeur originaire ou même entre les mains du bureau d'expertise Bergmans en contrepartie de la lettre faisant office de bon d'enlèvement” (conclusions, p. 5, pts. 5° et 8°).
Elle conclut que “sa légitime confiance a été trompée, tant par les malversations de KOPC et de Kouki que par ce qui apparaît, à tout le moins, pour de la légèreté et de l'imprudence fautive dans le chef du bureau d'expertise Bergmans” (conclusions, p. 5, pt. 7°). Elle s'étonne d'ailleurs que l'intimé n'ait pas mis à la cause le dépanneur Kouki ainsi que le bureau d'expertise Bergmans et indique que “les choses auraient été exactement identiques si (elle) avait reçu un chèque sans provision ce qui confirme bien évidemment qu'elle a été victime d'une escroquerie constituant pour elle, une cause étrangère à sa faute” (conclusions, p. 6, pt. 9°).
Elle ajoute enfin que “si elle avait contacté l'expert Bergmans (le 1er juin 2005), celui-ci n'aurait pas manqué de confirmer que l'épave avait bien été attribuée à la société KOPC qui elle-même aurait confirmé que Kouki était autorisé à prendre en charge l'épave” (conclusions, p. 7).
Il ne suffit pas pour que le garagiste soit mis hors cause de constater qu'il a été victime des agissements malhonnêtes du dépanneur et de l'“épaviste”. Il faut encore qu'il prouve que le dommage est survenu sans sa faute.
“Pour apprécier l'étendue de l'obligation de garde que contracte le dépositaire, il faut tenir compte de la nature de la chose déposée et des usages, notamment ceux qui régissent la profession (art. 1135 C. civ.; De Page, T. V, n° 200)”, (Simont, De Gavre et Foriers, “Examen de jurisprudence. Les contrats spéciaux”, R.C.J.B. 1986, n° 209, p. 377).
En l'espèce, suivant les usages de la profession dont témoigne l'attestation d'un garagiste figurant au dossier de l'intimé, “lors de l'enlèvement (de l'épave), avec l'accord du client, nous remettons les documents du véhicule en contre-partie du chèque ou souvent (du) montant dû en espèces, en aucun cas le véhicule ne quitte les établissements sans contre-partie et documents d'enlèvement signés”.
Le garagiste Iacolino se plaint de n'avoir pas été informé par son client des dispositions prises pour l'enlèvement de l'épave; il ne pouvait dès lors sans commettre de faute s'en dessaisir sans en recevoir le prix. La SA Iacolino ne peut être crue lorsqu'elle prétend qu'elle n'aurait pas agi différemment s'il s'était agi d'un véhicule lui appartenant: jamais, elle n'aurait remis un véhicule même accidenté à un acheteur professionnel qu'elle ne connaissait pas sans obtenir sinon le paiement ou en tout cas la certitude d'être payée.
Il n'est pas vrai que si elle avait contacté l'expert Bergmans le 1er juin, celui-ci lui aurait donné le feu vert pour la livraison de l'épave. La lettre du 10 mai 2005 du bureau Bergmans qui a été remise en copie au garagiste le 1er juin indique en effet clairement que c'est au propriétaire du véhicule qu'il appartient de négocier la vente de l'épave avec le candidat acquéreur. C'est donc à celui-ci qu'elle devait demander l'autorisation de livrer la voiture.
La négligence du garage Iacolino est établie et le fait qu'elle ait conservé le carnet d'immatriculation et le certificat de conformité et qu'elle ait cru à tort que le prix avait été payé par banque n'y change rien car le dommage s'est réalisé en raison de son manque de prudence.
“Le juge qui procède à la reconstruction des événements ne peut modifier les conditions dans lesquelles le dommage est survenu, sous la seule réserve de l'omission du fait litigieux. Il ne peut se laisser guider par des hypothèses inexistantes, pour reprendre les termes de la Cour de cassation (Cass. 15 mai 1990, Pas. 1990, I, p. 1054), au risque d'excéder les limites de la reconstruction à laquelle il procède. Il faut prendre la situation concrète telle qu'elle apparaît, sous la seule réserve de l'occultation du fait générateur.” (I. Durant, À propos de ce lien qui doit unir la faute au dommage. Droit de la responsabilité. Morceaux choisis, C.U.P. 01/2004, vol. 68, n° 7, p. 18).
La remise alléguée par l'acquéreur KOPC d'un faux chèque ou d'un chèque sans provision constitue une “hypothèse inexistante” et “le juge ne peut exclure l'existence du lien causal au motif que l'accident (le dommage, in casu) aurait également pu se produire dans des circonstances qui diffèrent des circonstances concrètes de l'espèce” (I. Durant, même référence, p. 19).
Il n'est donc pas établi que sans la faute de l'appelante, le dommage se serait néanmoins produit tel qu'il s'est réalisé concrètement, toutes les autres conditions du dommage étant identiques (Cass. 3 janvier 2007, n° P.05.1019 F. en cause Assubel).
L'intimé est donc fondé à réclamer à l'appelante la réparation du préjudice qu'il a subi.
La circonstance que d'autres agents aient par leur intervention fautivement contribué à la naissance du dommage n'y change rien puisqu'ils sont chacun tenus à le réparer intégralement.
Il n'est pas établi toutefois que le dommage subi par l'intimé s'élève à € 9.678. La première manoeuvre constitutive de l'escroquerie mise en place par KOPC constituait à faire une offre largement supérieure pour le prix de l'épave, ce qui la plaçait en position de force pour pouvoir ensuite entreprendre de l'enlever sans la payer.
C'est ce qui s'est passé dans le cas d'espèce. KOPC a fait offre à € 9.678 tandis que toutes les autres offres reçues par le bureau Bergmans vont de € 2.600 à € 6.519,60.
Contrairement à ce que Iacolino soutient à titre subsidiaire, il ne convient pas pour apprécier la valeur du dommage de faire la moyenne des offres recueillies à l'exception de l'offre frauduleuse de KOPC.
C'est l'offre faite par la firme Cars No1 à € 6.519,60 qui doit être retenue comme correspondant le mieux à la valeur réelle de l'épave du véhicule.
La demande étant fondée en son principe, la SA Iacolino qui par son comportement fautif est à l'origine du procès, n'est pas fondée à obtenir le remboursement des frais de défense qu'elle a exposés.
Décision |
La cour statuant contradictoirement
Reçoit l'appel et la demande reconventionnelle de la SA Iacolino,
Confirme le jugement entrepris sous la seule émendation que le montant en principal de la condamnation prononcée à charge de l'appelante est réduit à € 6.519,60,
Rejette la demande reconventionnelle introduite par la SA Iacolino et compense les dépens d'appel.
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