Cour d'appel de Liège 15 février 2007
MANDAT
Mandat apparent - Imputabilité - Agent bancaire - Conséquences
La reconnaissance d'un mandat apparent entre une banque et son agent n'exige pas que le mandataire apparent ait fait usage de documents à l'en-tête ou portant le logo ou le cachet de la banque, mandante apparente.
La représentation apparente entraîne l'attribution directe au mandant apparent de l'acte juridique accompli par le mandataire apparent. Le tiers cocontractant préjudicié peut en conséquence s'en tenir à la convention conclue avec le mandataire apparent, y inclus, en l'espèce, le taux d'intérêt élevé accordé suivant la banque.
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LASTGEVING
Schijnmandaat - Toerekenbaarheid - Bankagent - Gevolgen
Voor de erkenning van een schijnmandaat tussen een bank en haar agent is niet vereist dat de schijnmandataris documenten met briefhoofd of logo of stempel van de bank, schijnvertegenwoordigde, heeft gebruikt.
Tengevolge van de schijnvertegenwoordiging wordt de rechtshandeling die de schijnmandataris heeft gesteld rechtstreeks als dusdanig aan de schijnvertegenwoordigde toegerekend. De benadeelde derde-medecontractant mag bijgevolg uitgaan van het contract zoals het met de schijnmandataris werd afgesloten met inbegrip, in het voorliggende geval, van de volgens de bank hoge toegekende interestvoet.
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SA AXA Banque / R.D.
Siég.: R. de Francquen (président), X. Ghuysen et M.-Cl. Ernotte (conseillers) |
Pl.: Mes J.-M. van Durme et E. Lemmens |
(...)
Par requête déposée le 10 mai 2005, la SA AXA Bank Belgium a interjeté appel du jugement rendu le 24 mars 2005 par le tribunal de commerce de Liège.
Par conclusions du 28 juillet 2005, l'intimé a introduit une demande incidente de 2.500 euros pour appel téméraire et vexatoire. En conclusions additionnelles d'appel déposées le 10 novembre 2005, l'intimé demandait une nouvelle capitalisation des intérêts, demande qu'il ne soutient plus en ses conclusions de synthèse déposées le 9 janvier 2006. Par contre, il y postule 5.000 euros provisionnels à titre de frais de défense.
Les faits |
Les premiers juges dans le jugement du 21 février 2002 qui n'est pas frappé d'appel ont énoncé les faits de la cause en des motifs auxquels la cour renvoie. Au présent stade de la procédure, il convient néanmoins de rappeler ce qui suit.
Le litige se rapporte à une indélicatesse dont l'intimé a été victime le 26 octobre 1993 de la part d'un certain B.B.
À l'époque, un dénommé Ledent, ami de l'intimé, lui aurait conseillé de s'adresser à l'agence ansoise de la banque Anhyp, devenue aujourd'hui AXA Bank Belgium en raison des placements très intéressants qui y étaient proposés. L'intimé disposait de bons d'épargne d'un montant total de 800.000 francs qui venaient précisément à échéance fin 1993 (dossier intimé, pièce 9).
L'intimé dit s'être présenté le 26 octobre 1993, accompagné de son ami Ledent, à l'agence Anhyp d'Ans où il fut reçu par le gérant B.B. Celui-ci lui aurait fait miroiter les avantages d'un placement chez Anhyp.
À cette date fut signée la convention intitulée “placement privé”, portant sur une somme de 860.000 francs remboursable au terme de trois ans avec une rente annuelle nette de 77.400 francs payable sur le compte COB de l'intimé pour la première fois le 26 octobre 1994.
Fin 1994, l'intimé apprit que B.B. venait de sortir de prison et qu'il avait apparemment détourné les valeurs qui lui avaient été remises. Il se mit en rapport avec celui-ci, dont il obtint un acompte de 40.000 francs en novembre 1994. Le 30 décembre 1994, le conseil de l'intimé fit part de ces éléments à l'appelante en sollicitant le remboursement du principal et des intérêts non versés (dossier intimé, pièce 3).
Par courrier en réponse du 5 janvier 1995, l'appelante affirmait ne pas connaître l'intimé et “(signalait) par ailleurs que toute transaction qui est (ou a été) effectuée en dehors du mandat Anhyp donné à un agent indépendant tombe sous la seule responsabilité de celui-ci. De plus, nous avons mis fin au contrat d'agence de Mr. B.B. le 30 décembre 1993.” L'appelante mettait également en doute la bonne foi de l'intimé.
Bruno B. a été condamné au pénal par jugement du tribunal correctionnel de Liège du 22 février 2001. Cette décision accueille la constitution de partie civile de l'intimé et lui octroie 860.000 francs majorés d'intérêts compensatoires calculés au taux légal à dater du 26 octobre 1993.
L'appelante reproche aux premiers juges d'avoir fait droit à l'action de l'intimé sur base de la théorie du mandat apparent.
À l'appui de son recours, elle fait tout d'abord valoir que le fondement juridique de cette théorie est controversé (S. Stijns, D. Van Gerven et P. Wery, “Chronique de jurisprudence, les obligations: les sources”, J.T. 1996, pp. 693 et s., nos 40 à 14; P. Wéry, Le mandat, Rép. not., T. IX, livre VII, nos 209 et s.; C. Verbruggen, “La théorie de l'apparence: quelques acquis et beaucoup d'incertitudes”, in Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaeghe, p. 301, nos 7 et s.). Ceci n'enlève rien au fait que le mandat apparent est admis en droit belge comme source de droits et obligations, que ce soit sur base de la responsabilité extracontractuelle de principe général du respect de la bonne foi ou encore comme source de droit autonome: le mandant peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent, non seulement dans le cas où il a fautivement créé l'apparence, mais également en l'absence d'une faute susceptible de lui être reprochée, si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime (Cass. 20 juin 1988, Pas. 1990, I, p. 915, R.C.J.B. 1991, pp. 45 à 51 et note de Kruithof; Cass. 25 juin 2004, R.G. C.020122.F).
L'apparence invoquée par l'intimé consiste en la croyance d'avoir contracté avec l'appelante dès lors qu'il a traité avec le sieur B.B. qui était son agent.
Si, dans ses premières conclusions d'instance (p. 3), l'appelante émettait un doute quant à la réalité du versement de 860.000 FB au gérant, cette position n'est plus explicitement défendue en degré d'appel. En toute hypothèse, la réalité de cette transaction est à suffisance établie par la convention du 26 octobre 1993 qui n'a jamais été arguée de faux, par les aveux du sieur B.B. et sa condamnation du chef de cette prévention (dossier de l'intimé, pièces 15 et 17), ainsi que par les pièces qui émanent de la COB d'où il résulte que les bons d'épargne de l'intimé ont été négociés en faveur de la banque Anhyp le 5 novembre 1993 suite aux courriers des 28 et 29 octobre 1993 (dossier de l'intimé, pièces 11 à 14).
L'appelante considère que l'intimé ne peut, en raison d'un comportement jugé fautif et négligent, se prévaloir d'une croyance légitime en la situation apparente créée par le sieur B.B.
Cette thèse procède d'une analyse littérale de la convention passée le 26 octobre 1993, dont l'appelante souligne qu'elle est intitulée “PLACEMENT PRIVÉ”, qu'elle ne précise pas le type de placement envisagé et qu'elle ne porte pas de mention “Anhyp”, étant rédigée à l'en-tête de “B. B. RUE DE L'YSER, 218/5 4430 ANS TEL 041/46 01 01” (soit toutefois l'adresse de l'agence Anhyp d'Ans) (dossier intimé, pièce 1). L'appelante en infère que “tout laisse à penser que le contrat lie uniquement Messieurs B.B. et D.R.” (ses conclusions de synthèse, p. 9) et qu'à tout le moins, ces éléments eussent dû éveiller les soupçons de l'intimé.
La cour ne partage pas cette analyse, qui isole l'instrumentum de son contexte.
La reconnaissance d'un mandat apparent n'exige pas que le mandataire apparent ait fait usage de documents à l'en-tête ou portant le logo ou le cachet du mandant apparent. En revanche, l'appelante perd de vue que Bruno B. était un de ses mandataires habituels, ainsi que cela ressort de l'article 3 de la convention d'agence conclue entre celui-ci et Anhyp le 25 septembre 1984 (dossier de l'appelante, pièce 11).
La convention litigieuse ne peut être séparée du contexte dans lequel elle a été signée: l'intimé, mis en confiance par un ami qui d'ailleurs l'accompagne, se rend dans une agence bancaire qui a pignon sur rue et est reçu par son gérant qui présente dès lors toutes les apparences d'un mandataire de l'appelante. Ce gérant indélicat était donc idéalement placé pour circonvenir l'intimé et gagner sa confiance. En recevant un nouveau client et en lui conseillant des placements alléchants, il était au coeur même de son métier.
Tout bon père de famille, normalement diligent et prudent, placé dans les mêmes circonstances d'action, de temps et de lieu, aurait pu être victime de la même escroquerie. Le système bancaire est fondé sur la confiance légitime des usagers qui n'ont pas à vérifier à tout moment, quand ils se rendent à la banque, que leur interlocuteur est valablement mandaté et qu'il fera bien l'usage convenu des valeurs remises entre ses mains.
Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que l'intimé, petit épargnant sans expérience avérée, ait pu confier son épargne à l'agent Anhyp B.B., ni de lui reprocher de n'avoir pas fait de plus amples vérifications qu'a priori, rien ne justifiait. En agissant de la sorte, l'intimé n'a pas voulu traiter à titre privé avec B.B. - qu'il ne connaissait pas - mais a cru de bonne foi contracter avec la banque Anhyp.
L'appelante affirme également que le taux net de 9% proposé par son gérant B.B. aurait dû attirer l'attention de l'intimé, mais reste toutefois en défaut de démontrer qu'un tel taux était hors de proportion avec ceux que pratiquaient à l'époque Anhyp et les banques concurrentes. Ainsi que le souligne à juste titre l'intimé, Anhyp offrait à l'époque un taux (brut) de 8%, ce que la revue Budget Hebdo jugeait peu intéressant (son dossier, pièce 8). Mais surtout, les parties perdent de vue un élément essentiel: les bons d'épargne souscrits par l'intimé auprès de la banque COB pour la période 1990-1993 prévoyaient un taux de 8,90% (dossier de l'intimé, pièce 9). L'intimé n'avait donc pas à s'étonner de se voir proposer un taux de 9% et le sieur B.B. ne pouvait en faire moins s'il voulait convaincre l'intimé de changer d'institution bancaire pour le placement de ses économies.
À tort, l'appelante s'étonne de ce que l'intimé ait interpellé B.B. en premier. En effet, l'intimé n'était pas client de l'Anhyp, n'y avait aucun compte et a donc naturellement cherché à entrer en contact avec le seul interlocuteur qu'il connaissait au sein de l'Anhyp lorsqu'il a constaté que la première annuité n'était pas payée. Cette démarche doit en outre être mise en rapport avec la déclaration précitée de monsieur D.R., qui précise que B.B. a indemnisé plusieurs de ses victimes. Or l'intimé précise avoir obtenu de sa part fin novembre 1994 une somme de 40.000 francs (991,57 euros) (son dossier, pièce 3).
À titre subsidiaire, l'appelante demande que le taux d'intérêt soit réduit à 6,45%, soit le taux selon elle applicable à des placements similaires. Cette demande ne tient pas compte du mode de réparation qui est propre au mandat apparent. “La représentation apparente entraîne l'attribution directe au mandant apparent de l'acte juridique accompli par le mandataire apparent. Le tiers cocontractant préjudicié peut en conséquence s'en tenir à la convention conclue avec le mandant apparent” (B. Tilleman, o.c., n° 458, pp. 289-290).
Le jugement dont appel sera dès lors confirmé, sous la seule émendation qu'il convient de déduire des montants alloués par les premiers juges la somme de 991,57 euros à majorer des intérêts calculés au taux légal depuis le 1er décembre 1994.
L'appel n'est pas téméraire et vexatoire puisqu'il est partiellement fondé.
Il convient par contre de faire droit à la demande nouvelle relative aux frais de défense en justice exposés par l'intimé, qui constituent la conséquence nécessaire de l'attitude fautive de la banque. Puisque le montant de 5.000 euros réclamé par l'intimé n'est pas contesté il sera alloué mais à titre définitif.
Par ces motifs, et ceux, non contraires, des premiers juges,
La cour, statuant contradictoirement
Reçoit l'appel et les demandes nouvelles.
Confirme le jugement dont appel sous la seule émendation qu'il convient de déduire des montants alloués par les premiers juges la somme de 991,57 euros, à majorer des intérêts calculés au taux légal depuis le 1er décembre 1994.
Déboute l'intimé de sa demande pour appel téméraire et vexatoire.
Condamne l'appelante à payer à l'intimé la somme de 5.000 euros à titre de frais de défense.
Condamne l'appelante aux dépens d'appel, liquidés pour l'intimé à la somme de 475,96 euros selon l'état produit.
(...)