Article

Cour d'appel Mons, 16/01/2007, R.D.C.-T.B.H., 2007/8, p. 829-832

Cour d'appel de Mons 16 janvier 2007

ASSURANCES
Assurance terrestre - Contrat d'assurance en général - RC-vie privée - Etat de démence - Sinistre intentionnel - Déchéance - Charge de la preuve - Opposabilité
En raison du caractère impératif de la loi du 25 juin 1992, il n'est pas permis d'instituer conventionnellement un régime d'exclusion, alors que la loi sanctionne par la déchéance de la garantie celui qui a causé intentionnellement le sinistre.
L'état de démence n'exclut pas nécessairement l'intention ou la volonté de commettre un acte. Les pulsions, les humeurs ou le raisonnement peuvent contribuer à former la volonté, mais un individu agit volontairement et sciemment lorsqu'il adopte un comportement conforme à sa propre volonté, quels que soient les éléments qui aient déterminé celle-ci.
La déchéance sanctionnant le sinistre intentionnel trouve sa cause dans l'intention de causer le sinistre. Elle est opposable à la personne lésée.
VERZEKERINGEN
Landverzekering - Verzekeringsovereenkomst in het algemeen - BA-privéleven - De toestand van krank­zinnigheid - Opzettelijk schadegeval - Verval - Bewijslast - Tegenstelbaar
Omwille van het dwingend karakter van de wet van 25 juni 1992, is het niet toegestaan om op grond van een overeenkomst een uitsluitingsgrond in te voeren, daar waar de wet diegene die opzettelijk een schadegeval heeft veroorzaakt, sanctioneert met verval van dekking.
De staat van krankzinnigheid sluit niet noodzakelijk de intentie of de wil om een daad te stellen uit. De drang, de gemoedsgesteldheid of het redeneren kunnen bijdragen tot de wil, maar een individu handelt willens en wetens zodra hij een gedrag stelt dat beantwoordt aan zijn eigen wil, ongeacht de elementen die deze wil hebben bepaald.
Het verval als sanctie voor het opzettelijke schadegeval, vindt zijn oorsprong in de intentie om het schadegeval te veroorzaken. Dit verval is tegenstelbaar aan de benadeelde.

SA ING Insurance / D.J.

Siég.: M. Castin (président), J.-R. Rodelet (conseiller suppléant désigné pour remplacer E. Van Daele), M. Lemal (c­onseiller pour remplacer J.-L. Fagnart)
Pl.: Mes L. Bernard loco M. Tassin en N. Baudour

(...)

I. Antécédents
Les faits

Le 5 mai 2001, D.J. avait laissé son véhicule en stationnement sur le parking de son employeur, le Centre psychiatrique Saint-Bernard à Manage;

D.P. se présente ce jour-là au Centre psychiatrique Saint-Bernard, souhaitant y être hospitalisé; en raison d'un refus d'hospitalisation, D.P., “noir de colère”, selon sa propre expression, s'est rendu sur le parking réservé aux membres du personnel. Il s'est saisi d'un tournevis qu'il avait sur lui et a brisé la vitre arrière de la voiture Ford de D.J.; il s'est emparé d'un marteau qui se trouvait à l'intérieur de la voiture et a commencé à donner des coups dans la carrosserie et dans les vitres du véhicule.

La procédure de première instance

À la requête de D.J., une assignation en dommages et intérêts a été signifiée à D.P., à son assureur en responsabilité civile familiale (devenu ING Insurance) et à Me Demanche, administrateur provisoire de D.P.;

D.P. étant décédé en cours d'instance, D.J. s'est désisté de l'instance mue contre D.P. et contre Me Demanche;

Par un jugement du 18 mars 2004, le tribunal de première instance de Charleroi a donné acte à D.J. de ses désistements d'action, et avant de statuer sur la recevabilité et le fondement de l'action dirigée contre l'assureur, ordonne la réouverture des débats pour permettre:

- au demandeur, de produire les autres dossiers répressifs cités dans l'information répressive qu'il dispose et de s'expliquer, documents à l'appui, sur la différence entre les montants de sa demande et les pièces produites;

- à la défenderesse, d'établir les conditions dans lesquelles elle est venue aux droits et obligations de l'assureur initial (La Patriotique);

Par un jugement du 21 octobre 2004, actuellement frappé d'appel, le tribunal de première instance de Charleroi décide que l'appelante doit supporter les conséquences du sinistre du 5 mai 2001, au motif qu'il n'est pas établi à suffisance qu'il s'agirait d'un sinistre intentionnel;

Le jugement décide que la cause n'est pas en état en ce qui concerne l'évaluation du préjudice.

La procédure d'appel

Dans ses conclusions déposées devant la cour, la SA ING Insurance demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de dire la demande originaire non fondée;

Dans ses conclusions régulièrement déposées, D.J. demande à la cour de dire l'appel non fondé, et, formant un appel incident, demande à la cour de statuer sur le dommage évalué à la somme de 4.696,34 euros, à augmenter des intérêts compensatoires depuis le 5 mai 2001;

À titre subsidiaire, D.J. demande à la cour de l'autoriser à rapporter la preuve par témoins de l'état d'esprit du sieur D.P. au moment des faits.

(...)

III. Examen de l'appel principal
Le sinistre intentionnel

L'article 15, 3° des conditions générales d'assurance, invoqué par l'appelante, fait une application contractuelle de l'article 8, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre;

Au sens de l'article 8, alinéa 1er de la loi du 25 juin 1992, un sinistre a été causé intentionnellement lorsque l'assuré a volontairement et sciemment eu un comportement qui a causé à autrui un dommage raisonnablement prévisible; il n'est pas requis que l'assuré ait eu l'intention de causer le dommage tel qu'il s'est produit (Cass. 12 avril 2042, Pas. 2002, I, 883, J.L.M.B. 2002, 1218 , R.D.C. 2005, 847 ; Cass. 5 décembre 2000, Bull ass. 2001, 256, note M. Houben, R.G.A.R. 2002, n° 13.477).

La charge de la preuve

L'article 8 de la loi du 25 juin 1992 organise par un régime d'exclusion, mais sanctionne par la déchéance de la garantie, “quiconque a causé intentionnellement le sinistre”;

Il en résulte là que l'assureur, qui prétend être déchargé de la garantie, a la charge de prouver que l'assuré a commis le fait intentionnel qui le prive du bénéfice de l'assurance (Cass. 2 avril 2004, Pas. 2004, I, 567, concl. X. de Riemaecker, J.L.M.B. 2004, 1237 , R.D.C. 2005, 854 ; Cass. 18 janvier 2002, Pas. 2002, I, 201, concl. Henkes, J.T. 2002, 322 , R.G.A.R. 2003, n° 13.659);

L'appelante ne peut faire valoir que l'article 15 des conditions générales du contrat d'assurance place le sinistre intentionnel conventionnellement dans les causes d'exclusion, et non dans les cas de déchéance; en raison du caractère impératif de la loi du 25 juin 1992, il n'est pas permis d'instituer conventionnellement un régime d'exclusion, alors que la loi sanctionne par la déchéance de la garantie celui qui a causé intentionnellement le sinistre (M. Fontaine, Droit des assurances, Larcier, 2006, n° 362);

Il incombe dès lors à la SA ING Insurance d'établir que son assuré, D.P., a volontairement et sciemment eu un comportement qui a causé à l'intimé un dommage raisonnablement prévisible.

L'administration de la preuve

Il ressort du dossier répressif que D.P., animé d'une grande frustration, s'est rendu délibérément dans le parking où se trouvaient les voitures des travailleurs, et a volontairement et sciemment pris un tournevis d'abord, et un marteau ensuite, pour dégrader le véhicule appartenant à D.J.; il a donc volontairement et sciemment eu un comportement qui a causé à autrui un dommage raisonnablement prévisible;

Pour contester le caractère intentionnel des dégâts, D.J. invoque d'une part l'état de démence général de D.P., et d'autre part la circonstance qu'au moment des faits, D.P. se trouvait dans une véritable crise de démence, et n'a donc pas pu intentionnellement causer le sinistre;

Le premier argument implique que l'on examine en fait si D.P. était généralement en état de démence, et que l'on détermine si cet état est de nature à supprimer la possibilité de tout acte intentionnel;

Le second argument implique que l'on vérifie en fait si le 5 mai 2001 D.P. avait perdu l'esprit au point de ne plus pouvoir agir volontairement et sciemment.

a) L'état général de déséquilibre mental de D.P.

Les pièces du dossier permettent de penser que D.P. souffrait de troubles psychiatriques; il n'est pas contesté semble-t-il qu'il avait déjà séjourné régulièrement au Centre psychiatrique Saint-Bernard; il s'était vu désigner un administrateur provisoire en raison de son incapacité de gérer ses biens; il serait décédé en cours d'instance en raison, semble-t-il, d'un suicide; le rapport du Dr. Charles, établi quelques mois après les faits, conclut que D.P. “se trouvait, de par une affection psychiatrique dans un état grave de déséquilibre mental, le rendant incapable du contrôle de ses actions. Il se trouve encore actuellement dans cet état”;

On ne peut toutefois déduire de la démence dont souffrait D.P. qu'il était incapable d'avoir volontairement et sciemment un comportement causant à autrui un dommage;

Une jurisprudence bien établie souligne que l'état de démence n'exclut pas nécessairement l'intention ou la volonté de commettre un acte;

“Si, chez un dément, cette intention et cette volonté ne sont pas libres, elles peuvent néanmoins s'être formées dans son esprit, avoir déterminé son acte et être décelées par les circonstances dans lesquelles l'acte a été accompli; le dément peut, en conséquence, être reconnu comme l'auteur d'un fait qualifié de meurtre et interné de ce chef” (Cass. 10 décembre 1941, Pas. 1941, I, 447);

“L'état grave de déséquilibre mental dans lequel se trouvait le locataire au moment des faits n'a pour effet que de supprimer l'imputabilité (...) mais non de dénaturer les actes commis en actes non intentionnels” (Bruxelles 24 novembre 1997, R.G.A.R. 1999, n° 13.122);

Par un arrêt du 8 juin 1998 (J.L.M.B. 1998, 1558), la cour d'appel de Bruxelles a reproduit textuellement la formule adoptée par la Cour de cassation dans son arrêt déjà cité du 10 décembre 1941;

“La circonstance que l'expert désigné par le juge d'instruction ait conclu que le sieur x était au moment des faits mis à sa charge et au moment de l'examen dans un état grave de déséquilibre mental le rendant incapable du contrôle de ses actes (...), n'a pas pour conséquence qu'il puisse en être déduit nécessairement qu'il n'existe point d'intention dans son chef. En effet, l'état de déséquilibre mental existant au moment des faits n'a pour effet que de supprimer l'imputabilité, mais il ne peut aboutir à dénaturer l'acte. Si l'intention et la volonté ne sont pas issues du libre arbitre dans le cas d'un dément, elles peuvent néanmoins être formées dans son esprit, avoir déterminé son acte et être décelées par les circonstances dans lesquelles l'acte a été accompli” (Comm. Charleroi 30 janvier 2002, inédit, R.G. A/98/02984, pièce 2 du dossier de l'appelante);

Cette analyse est partagée par une doctrine unanime (P. Colle, Algemene beginselen van het Belgisch verzekeringsrecht, 3ème éd., 2002, n° 99; J.-L. Fagnart, “Droit privé des assurances terrestres”, in Traité pratique de droit commercial (sous la dir. de C. Jassogne), Kluwer, 1998, n° 115; M. Fontaine, Droit des assurances, Larcier, 2006, p. 254, note 467; L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, Intersentia, 2001, n° 722);

La cour en déduit que la démence de D.P. n'a pas nécessairement pour conséquence de faire obstacle au caractère intentionnel de son acte.

b) L'état de D.P. le jour du sinistre

Il convient dès lors d'examiner si, en fait, dans les circonstances de l'espèce, D.P. était atteint d'un trouble tel qu'il était incapable d'avoir volontairement et sciemment un comportement déterminé;

Il n'est pas douteux que D.P. présentait des troubles psychiques;

Dans sa déclaration recueillie le 2 juillet 2001 par les autorités de police, D.P. expose qu'il était en colère parce qu'on avait refusé de l'hospitaliser; il s'orientait manifestement très bien dans l'espace; sa colère ne l'a pas conduit à l'église ou chez le fleuriste; il déclare qu'il s'est “rendu sur le parking réservé aux membres du personnel”, dans le but de satisfaire sa vengeance;

Après avoir utilisé un tournevis pour briser la vitre arrière de la voiture de D.J., il s'est emparé d'un marteau et a volontairement donné des coups dans la carrosserie de la voiture et dans les vitres de celle-ci; contrairement à ce qu'affirme l'expert Charles, qui écrit que D.P. avait perdu le contrôle de ses actions, le dossier fait apparaître que D.P. contrôlait parfaitement le marteau qu'il manipulait; il n'a frappé ni sur son genou, ni dans les arbres; il a méthodiquement martelé la carrosserie du véhicule Ford de l'intimé; à aucun moment, il n'a déclaré que les coups de marteau auraient été donnés involontairement, par maladresse ou par inadvertance;

Le caractère volontaire et conscient de ce comportement est encore attesté par la suite des déclarations de D.P.; entendant qu'il lui est reproché d'avoir volontairement dégradé la voiture de D.J. et d'avoir ensuite lancé le marteau en direction des infirmiers, et d'avoir ainsi dégradé volontairement le double vitrage des WC à l'intérieur des bâtiments, D.P. reconnaît qu'il s'est servi du marteau pour dégrader le véhicule, mais conteste avoir voulu briser le double vitrage des WC; il affirme qu'il s'est simplement défait du marteau “en le lançant au loin”, ce qui démontre qu'il fait très clairement la distinction entre l'acte volontaire et celui qui ne l'est pas;

L'intimé fait valoir vainement que “pour que l'acte soit intentionnel, il faudrait que le sieur D.P. ait ressenti une véritable animosité à l'égard du concluant ou ait eu véritablement l'intention de dégrader un véhicule”;

L'allégation est inexacte; d'une part, la circonstance que l'auteur d'un acte n'ait pas souhaité le dommage qu'il a causé, sa nature ou son ampleur, ne change rien au caractère intentionnel de l'acte (Cass. 5 décembre 2000, déjà cité); d'autre part, D.P. avait véritablement l'intention de dégrader le véhicule, car c'est intentionnellement qu'il a frappé avec un marteau sur ce véhicule;

C'est tout aussi vainement que l'intimé se prévaut du rapport du Dr. Charles qui considère que “la dynamique du comportement de l'inculpé est sous-tendue par un fonctionnement psychotique, impulsif, aggravé par des consommations parfois abusives d'alcool”;

En effet, aucun élément du dossier n'établit que le “fonctionnement psychotique” qui, selon le Dr. Charles, sous-tendrait la dynamique du comportement de D.P., aurait empêché celui-ci d'avoir volontairement et sciemment un comportement déterminé;

Les pulsions, comme les sentiments, les humeurs ou le raisonnement, peuvent contribuer à former la volonté, mais un individu agit volontairement et sciemment lorsqu'il adopte un comportement conforme à sa propre volonté, quels que soient les éléments qui aient déterminé celle-ci;

En donnant volontairement des coups de marteau sur la carrosserie de la voiture de l'intimé, D.P. a usé de la liberté physique qui est la sienne; la circonstance que des pulsions de frustration et de colère aient conduit sa volonté à vouloir dégrader le bien d'autrui n'a pas pour effet de supprimer le caractère volontaire et conscient de l'acte accompli;

En raison du caractère intentionnel du sinistre, l'appelante ne peut accorder sa garantie d'assurance.

La demande d'enquête par témoins

En vertu de l'article 915 du Code judiciaire, le juge peut autoriser une preuve par témoins, lorsque celle-ci a pour objet “un fait précis et pertinent”;

L'intimé demande l'autorisation de prouver par témoins le fait suivant:

“Depuis de nombreuses années jusqu'à son décès, et en ce compris le 5 mai 2001, jour des faits, Monsieur D.P. souffrait de démence, de telle manière qu'il perdait régulièrement le contrôle de ses actes et n'agissait pas volontairement, en ayant conscience de la portée de ses actes. Le 5 mai 2001, Monsieur D.P. a agi sans intention de commettre une faute, sans avoir conscience de commettre une faute, sans avoir le contrôle de ses actes, mais dans le cadre d'une crise de démence”;

La première phrase ne concerne pas un fait précis au sens de l'article 915 du Code judiciaire;

La seconde phrase concerne un fait précis, mais la demande d'enquête n'est pas pertinente; en effet, les témoins peuvent dire ce que D.P. a fait ou n'a pas fait le 5 mai 2001; personne ne peut être témoin de “l'intention” ou de “la conscience” d'une autre personne;

Il n'y a donc pas lieu de procéder à une enquête.

L'opposabilité de la déchéance

Le contrat d'assurance souscrit par D.P. auprès de la SA ING Insurance est un contrat d'assurance de la responsabilité des faits de la vie privée; une telle assurance n'est pas légalement obligatoire;

En vertu de l'article 87 § 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, dans les assurances de la responsabilité civile non légalement obligatoires, l'assureur peut opposer à la personne lésée notamment les déchéances trouvant leur cause dans un fait antérieur au sinistre; la déchéance sanctionnant le sinistre intentionnel trouve sa cause dans l'intention de causer le sinistre; elle est donc nécessairement antérieure au sinistre lui-même;

La déchéance est donc en l'espèce opposable à D.J.

IV. Examen de l'appel incident

Il résulte de la décision prise par la cour au sujet de l'appel principal que la demande originaire n'est pas fondée; l'appel incident est dès lors sans objet;

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935, relative à l'emploi des langues en matière judiciaire;

Dit l'appel principal recevable et fondé;

Met à néant le jugement déféré et réformant,

Dit la demande originaire non fondée;

En déboute l'intimé et le condamne aux dépens des deux instances, liquidés dans le chef de l'appelante à 1.018,93 euros.

(...)