Article

Tribunal de première instance Bruxelles (président), 29/06/2007, R.D.C.-T.B.H., 2007/7, p. 701-706

Tribunal de première instance de Bruxelles (président) 29 juin 2007

DROITS D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
Dispositions communes - Respect du droit d'auteur et des droits voisins - Action en cessation - Communication d'oeuvres illicites (“peer-to-peer”) sur Internet - Solutions permettant à des tiers de mettre fin aux atteintes constatées - Filtrage et blocage par des intermédiaires techniques
L'action en cessation ne requiert pas l'urgence. L'ordre de cessation doit produire un résultat en ce qu'il doit mettre fin de manière effective à la situation illicite.
Il existe des mesures techniquement possibles permettant aux intermédiaires ISP, dont les services sont utilisés pour l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux grâce à des logiciels “peer-to-peer”, de mettre fin aux atteintes à des droits d'auteur ainsi commises.
Des questions et des spéculations sur des évolutions techniques futures éventuelles ne peuvent aujourd'hui faire obstacle à une mesure de cessation dès lors que celle-ci s'avérerait actuellement techniquement possible et en mesure de produire un résultat. L'action en cessation ne suppose aucun constat préalable d'une faute dans le chef de l'intermédiaire.
AUTEURSRECHTEN EN NABURIGE RECHTEN
Gemeenschappelijke bepalingen - Naleving van het auteursrecht en de naburige rechten - Stakingsvordering - Mededeling van ongeoorloofde werken (“peer-to-peer”) op Internet - Oplossingen die aan derden de mogelijkheid bieden om een einde te stellen aan de vastgestelde inbreuken - Filtrage en blokkering door technische tussenpersonen
De stakingsvordering vereist geen urgentie. Het stakingsbevel dient een resultaat op te leveren in die zin dat ze op een daadwerkelijke manier een einde dient te stellen aan de ongeoorloofde situatie.
Er bestaan maatregelen die op technisch vlak aan de ISP-tussenpersonen, wiens diensten worden aangewend om ongeoorloofde elektronische muziekbestanden uit te wisselen via “peer-to-peer” software, de mogelijkheid bieden om een einde te stellen aan de inbreuken die op deze manier tegen het auteursrecht worden begaan.
Vragen en speculaties omtrent eventuele toekomstige technische evoluties kunnen er vandaag niet toe leiden dat een stakingsmaatregel wordt verhinderd zodra zou blijken dat deze maatregel technisch mogelijk is en een gunstig resultaat zou kunnen opleveren. De stakingsvordering veronderstelt geen enkele voorafgaande vaststelling van een fout in hoofde van de tussenpersoon.

SCRL SABAM / SA Scarlet (anciennement SA Tiscali)

Siég.: C. Heilporn (président)
Pl.: Mes B. Michaux et Van Praet

Dans cette cause, il est conclu et plaidé en français à l'audience publique du 18 mai 2007;

Après délibéré le président du tribunal de première instance rend le jugement suivant:

Vu:

- le jugement avant dire droit prononcé en date du 26 novembre 2004;

- l'ordonnance 747 § 2 rendue le 16 février 2007;

- les conclusions principales de la partie demanderesse déposées au greffe le 11 avril 2007 et ses conclusions additionnelles déposées à l'audience du 4 mai 2007;

- les quatrièmes conclusions de la partie défenderesse déposées au greffe le 21 mars 2007, ses cinquièmes conclusions y déposées le 25 avril 2007 et ses sixièmes conclusions y déposées le 14 mai 2007;

Entendu en leurs plaidoiries les conseils des parties.

Les antécédents

Par citation du 24 juin 2004, la SABAM a formé une action en cessation fondée sur l'article 87 § 1er de la loi du 30 juin 2004 relative aux droits d'auteur et aux droits voisins, dirigée contre la SA Tiscali aux fins d'entendre constater l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SABAM du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux illicites réalisés grâce à des logiciels dits “peer-to-peer”, atteintes commises au travers de l'utilisation des services de la SA Tiscali, d'entendre condamner celle-ci à faire cesser ces atteintes, en rendant impossible ou en paralysant toute forme d'envoi ou de réception par ses clients de fichiers reprenant une oeuvre musicale, sans l'autorisation des ayants-droit, au moyen d'un logiciel “peer-to-peer”, sous peine d'une astreinte de € 25.000 par jour ou partie de journée où la SA Tiscali ne respecterait pas le jugement à intervenir à partir du 8ème jour suivant sa signification et de voir ordonner des mesures d'affichage sur le site Internet de la SA Tiscali et de publication dans des quotidiens du jugement à intervenir.

La SA Tiscali a formé une demande reconventionnelle tendant à voir condamner la SABAM au paiement des sommes de € 25.000 pour procédure téméraire et vexatoire et de € 25.000 pour ses frais de défense.

Le tribunal de céans, après avoir rejeté l'exception d'incompétence ratione materiae soulevée par la SA Tiscali, a, dans son jugement du 26 novembre 2004:

- admis que la SABAM justifiait d'un intérêt à diriger une action en cessation contre la SA Tiscali en sa qualité d'intermédiaire ISP dont il était allégué que les services étaient utilisés par des tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur (p. 7 du jugement);

- dit établie l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales faisant partie du répertoire de la SABAM du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux grâce à des logiciels peer-to-peer et ce, au travers de l'utilisation du réseau Internet de la SA Tiscali (p. 9 du jugement);

- rappelé que la constatation d'une atteinte au droit d'auteur contraint en principe le tribunal à en prononcer la cessation et que l'ordre de cessation doit mettre fin de manière effective à la situation illicite;

- estimé qu'il n'était pas suffisamment éclairé sur la faisabilité des mesures techniques qui pourraient être envisagées pour qu'il puisse concrètement être mis fin aux atteintes au droit d'auteur commises par les internautes utilisant les services de la SA Tiscali,

en conséquence de quoi, une expertise a été ordonnée, l'expert ayant pour mission de:

- “prendre connaissance de l'intégralité des rapports établis par HP, Cap Gemini et L. Golvers et d'examiner les solutions proposées dans ces rapports;

- dire si les solutions envisagées dans ces rapports sont techniquement réalisables et si elles peuvent techniquement être mises en place sur les installations de la SA Tiscali;

- dire si ces solutions permettent de filtrer uniquement les échanges illicites de fichiers électroniques ou bien concernent l'ensemble des utilisations via les logiciels 'peer- to-peer';

- dire si d'autres dispositifs (de filtrages ou autres) peuvent être envisagés pour contrôler l'usage des logiciels peer-to-peer et le cas échéant de déterminer si ces dispositifs affecteraient l'ensemble des échanges Internet ou seulement les échanges considérés comme illicites;

- déterminer le coût des dispositifs qui sont envisagés ou qui pourraient l'être et la durée de leur mise en place;

- répondre à toutes questions utiles des parties, les concilier si faire se peut et à défaut d'y parvenir, déposer son rapport au greffe du tribunal dans les trois mois de la mise en mouvement de l'expertise à la requête de la partie la plus diligente.”

Il a par ailleurs été réservé à statuer sur la demande reconventionnelle de la SA Tiscali.

L'expert a déposé son rapport au greffe du tribunal de première instance le 3 janvier 2007.

La SA Tiscali a changé de dénomination et est devenue la SA Scarlet Extended.

Discussion
1. Demande principale

1.1. Attendu que Scarlet reproche à la SABAM d'avoir attendu jusqu'au mois de mars 2006 avant d'avoir mis en mouvement l'expertise; qu'elle estime dès lors que “l'urgence de la demande en cessation ne peut plus être présumée” et évoque un éventuel comportement abusif de la SABAM dans la poursuite de la présente procédure;

Attendu que l'action en cessation ne requiert pas l'urgence; que le demandeur ne peut dès lors se voir opposer qu'il aurait tardé à agir (C. Dalcq, Vers et pour une théorie générale du comme en référé, CUP 2006, Les actions comme en référé, p. 60);

Que le 22 mai 2006, la SABAM a adressé à l'expert judiciaire une note technique d'introduction reprenant plusieurs solutions de blocage et de filtrage;

Que l'on ne peut faire grief à la SABAM, qui est a priori moins informée en matière d'Internet qu'un opérateur de télécommunication, d'avoir voulu apporter à l'expert un dossier complet; que le nombre de solutions présentées à l'expert par la SABAM peut expliquer le temps mis par elle pour se constituer ce dossier;

Que le retard dénoncé par Scarlet n'est dès lors pas constitutif d'un abus de droit;

1.2. Attendu que dans son rapport, l'expert judiciaire a dégagé 11 solutions “techniquement pertinentes à court terme pour le filtrage P2P”, dont 7 “applicables au réseau Scarlet” (voy. p. 30 du rapport de l'expert Gerbehaye);

Que parmi ces 7 solutions, l'expert a estimé qu'une seule, “Audible Magic” (CopySense Network Appliance), “cherche à identifier le contenu musical protégé dans les flux P2P”, les autres applications étant “des solutions de gestion de trafic, qui utilisent notamment et non exclusivement la reconnaissance d'application comme discriminant. Aucune de ces autres solutions de gestion n'a donc pour objectif de différencier le contenu véhiculé au sein de ces applications”;

Que l'expert considère dès lors que “la solution proposée par la société Audible Magic est donc la seule à tenter de répondre à la problématique de manière spécifique” (conclusion générale, p. 38, point 4);

Qu'il constate toutefois que:

- “la pérennité des solutions de filtrage d'application P2P est loin d'être assurée sur le moyen terme (2-3 ans) de par l'utilisation grandissante du cryptage dans ce type d'application”;

- la solution proposée par Audible Magic, “essentiellement destinée au monde éducatif n'est... pas dimensionnée pour répondre au volume de trafic d'un FAI (c.-à-d. un fournisseur d'accès à Internet)”;

- “le recours à cette technique dans le contexte FAI induit de ce fait un coût d'acquisition et d'exploitation élevé pour compenser ce sous-dimensionnement”, coût “qui est à mettre en regard avec la période pendant laquelle cette solution sera efficace, le cryptage... rendant cette solution également inefficace dans le cadre du filtrage en transit” (conclusion générale, p. 38, points 3 à 5);

Attendu que sur la base de ces constatations, la SABAM considère qu'il existe dès lors plusieurs solutions permettant à Scarlet de mettre fin aux atteintes constatées;

Que Scarlet estime pour sa part que les techniques auxquelles la SABAM se réfère ne sont pas aptes à empêcher l'échange non autorisé d'oeuvres musicales dans la mesure où “la licéité d'une transmission est une donnée inaccessible à la technique” (il n'est pas possible de savoir si l'auteur de l'oeuvre a consenti à la communication en cause ou si cette dernière peut être justifiée par une exception au droit d'auteur ou une licence légale) et où “l'identification même des oeuvres échangées pourrait poser problème” en raison du cryptage des données transmises;

Attendu qu'ainsi qu'il a déjà été rappelé dans le jugement du 26 novembre 2004, l'ordre de cessation doit produire un résultat en ce sens qu'il doit mettre fin de manière effective à la situation illicite (voy. implicitement Cass. 6 décembre 2001, AM 2002, 146 et la note de B. Michaux);

Qu'il faut qu'il existe des mesures techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur;

Que le rapport d'expertise, complété par les informations produites par la SABAM à son dossier, permet en l'espèce de conclure qu'il existe effectivement de telles mesures;

Que l'expert a dégagé 7 solutions applicables au réseau Scarlet dont 6 ont pour effet de bloquer l'utilisation “peer-to-peer” sans distinction du contenu (solutions de blocage) et dont une est une solution de filtrage qu'il considère comme étant la plus appropriée “à tenter de répondre à la problématique de manière spécifique”;

Que relativement à cette dernière solution, la SABAM soutient, sans être contredite, que la solution Audible Magic, qui cherche selon l'expert “à identifier le contenu musical protégé dans les flux P2P” utilise une base de données “qui couvre plus de 70% des chansons protégées échangées sur Internet” ce qui correspond “en réalité à plus de 90% du volume des fichiers musicaux illicites effectivement échangés sur Internet”;

Que la SABAM fournit par ailleurs la preuve que cette solution a d'ores et déjà été adoptée par “un des géants de l'Internet”, My Space, qui est “une des plates-formes d'échanges les plus sollicitées par les internautes” pour bloquer l'utilisation non autorisée de contenus protégés par le droit d'auteur (voy. communiqué de presse et article de presse paru dans le New York Times du 13 février 2007, farde VI du dossier de la SABAM); que Microsoft a par ailleurs également annoncé son intention d'utiliser “la technologie de tatouage numérique Copysense Network Appliance d'Audible Magic pour détecter et bloquer automatiquement tout contenu protégé” (voy. communiqué de presse et article paru sur Vnunet.com le 28 mars 2007, farde XII du dossier de la SABAM); qu'enfin selon Audible Magic, “un ISP asiatique de premier plan a installé le dispositif Copysense Network Appliance d'Audible Magic sur son réseau pour évaluer la technologie et son potentiel dans le domaine de la large bande passante. Le test a été réalisé pendant l'été 2005. Le test a démontré que la technologie pouvait être utilisée pour identifier et filtrer le contenu protégé par le droit d'auteur sur son réseau” (farde VIII du dossier de la SABAM);

Que ces éléments sont de nature à contredire la conclusion de l'expert (qui n'est appuyée d'aucun élément informatif) selon laquelle, la solution Audible Magic ne serait “pas dimensionnée pour répondre au volume de trafic d'un FAI”; que la SABAM produit en outre à son dossier une étude “Iometrix” démontrant la capacité d'Audible Magic de faire face à des volumes de trafic très importants avec un résultat de 99,3 à 100% de fichiers bloqués (farde IX du dossier de la SABAM);

Que la SABAM fait par ailleurs observer que si l'expert a émis des réserves quant à la pérennité des solutions en raison du cryptage des données, il a néanmoins admis, après avoir été interrogé sur ce point par la SABAM, qu'il n'avait pas examiné “l'aspect faisabilité (technique, temporelle, etc.) d'une encryption par les réseaux peer-to-peer” (rapport, p. 32); que la SABAM soutient que “la référence à l'encryption dans le cadre du peer-to-peer est abusive” puisque “l'accès massif au réseau peer-to-peer suppose nécessairement que le contenu du fichier recherché par l'internaute dans ce réseau soit lisible pour tous les participants. La lecture et le téléchargement de ces fichiers ne peut pas être limitée à un groupe restreint de personnes qui partagent un secret”;

Que ces considérations techniques ne sont pas contestées par Scarlet Extended;

Qu'en outre et plus fondamentalement, il échet de relever que la question d'un cryptage futur éventuel ne peut aujourd'hui faire obstacle à une mesure de cessation dès lors que celle-ci s'avérerait actuellement techniquement possible et en mesure de produire un résultat, comme c'est le cas en l'espèce; que le secteur de l'Internet est en constante évolution; que le juge de la cessation ne peut tenir compte de spéculations sur des évolutions techniques futures éventuelles, d'autant que celles-ci pourraient également faire l'objet d'adaptations parallèles au niveau des mesures de blocages et de filtrage et notamment de la solution Audible Magic;

Qu'enfin le coût moyen de la mise en oeuvre de ces mesures ne semble pas excessif; que selon l'expert, ce coût estimé sur une période de 3 ans (durée de l'amortissement) et sur la base d'un nombre d'utilisateurs de l'ordre de 150.000 personnes ne devrait pas excéder € 0,5 par mois et par utilisateur;

Qu'il résulte de l'ensemble de ces considérations qu'il existe effectivement à ce jour des mesures techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur constatées dans le jugement du 26 novembre 2004;

Que certes, ces mesures pourraient sans doute également avoir comme conséquence marginale de bloquer certains échanges autorisés; que la circonstance qu'une mesure de cessation affecte un ensemble d'informations dont certaines ne sont pas contrefaites (par exemple un film, un livre, un CD,...) n'empêche toutefois pas qu'il puisse être fait droit à celle-ci; que, comme le tribunal de céans le relevait déjà dans son jugement du 26 novembre 2004, le juge de la cessation ne peut, sous réserve d'un abus de droit, refuser de prononcer la cessation de l'atteinte en recourant à une balance des intérêts qui pencherait en défaveur du plaignant (De Visscher et Michaux, Précis du droit d'auteur et des droits voisins, n° 635); que Scarlet ne démontre en l'espèce pas que la SABAM abuserait de ses droits en sollicitant lesdites mesures; que la seule circonstance que le blocage affecterait certains contenus licites est insuffisant pour conclure à un abus de droit dans le chef de la SABAM;

Attendu que la SA Scarlet Extended conteste néanmoins la possibilité pour le tribunal de céans d'ordonner la cessation en arguant de ce que:

- les mesures techniques sollicitées reviennent à lui imposer une obligation générale de surveillance de la totalité du trafic “peer-to-peer”, ce qui constituerait une charge permanente contraire à la législation sur le commerce électronique (directive n° 2000/31 et la loi du 11 mars 2003 qui la transpose);

- la mise en place de mesures de filtrage risque de lui faire perdre l'exonération de responsabilité pour l'activité de simple transport dont bénéficient les intermédiaires techniques en vertu de l'article 12 de la directive n°2000/31;

- les mesures techniques sollicitées en ce qu'elles reviennent à “installer de façon permanente et systématique des appareils d'écoute” violeront les droits fondamentaux et plus particulièrement le droit à la vie privée, le droit au secret de la correspondance et le droit à la liberté d'expression;

Attendu que la directive n° 2000/31 du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information et notamment du commerce électronique dans le marché intérieur énonce en son article 15 que “les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires... une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent” (cette disposition a été transposée en droit interne par l'art. 21 § 1er de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l'information);

Que l'article 15, qui fait partie de la section 4 de la directive consacrée à la “Responsabilité des prestataires intermédiaires”, vise à éviter que le juge national déduise une faute dans le chef du prestataire du fait de la simple présence sur ses réseaux d'une information illicite au motif qu'il aurait manqué à une obligation générale de surveiller toutes les informations quelconques qu'il transmet (C. De Preter, “Wie heeft nog boodschap aan de boodschap? De aansprakelijkheid van tussenpersonen onder de wet elektronische handel”, AM 2003, 256, spéc. 265);

Que cette disposition qui règle ainsi la question de la responsabilité du prestataire s'adresse toutefois exclusivement au juge de la responsabilité et est sans incidence sur le présent litige dans la mesure où l'action en cessation ne suppose aucun constat préalable d'une faute dans le chef de l'intermédiaire;

Que la directive n° 2000/31 n'affecte en effet pas le pouvoir du juge de l'injonction et ne limite pas les mesures qui peuvent être prises par celui-ci à l'égard du prestataire;

Que les dispositions de la directive n° 2000/31 sur la responsabilité des prestataires intermédiaires et partant l'interdiction d'imposer une obligation générale de surveillance “ne doivent en effet pas faire obstacle au développement et à la mise en oeuvre effective, par les différentes parties concernées, de système technique de protection et d'identification ainsi que d'instruments techniques de surveillance rendus possibles par les techniques numériques” (voy. considérant 40 de la directive);

Que l'ordre de cessation n'impose pas à Scarlet de “surveiller” son réseau;

Que les solutions identifiées par l'expert sont des “instruments techniques” qui se limitent à bloquer ou à filtrer certaines informations qui sont transmises sur le réseau de Scarlet; qu'elles ne sont pas constitutives d'une obligation générale de surveiller le réseau;

Qu'en faisant droit à l'ordre de cessation sollicité le tribunal de céans n'ordonne dès lors aucune mesure contraire à l'article 15 de la directive n° 2000/31 (voy. en ce sens F. Petillion, note sous Civ. Bruxelles (cess.) 26 novembre 2004, Computerrecht 2005, p. 65, spéc. 71);

Attendu en outre que c'est à tort que Scarlet estime que cette injonction aurait pour effet de lui faire perdre l'exonération de responsabilité prévue à l'article 12 de la directive n° 2000/31 (art. 18 de la loi du 11 mars 2003) qui bénéficie au prestataire dont l'activité se limite au simple transport ou de fourniture d'accès à Internet à la condition notamment qu'il ne sélectionne ni ne modifie les informations faisant l'objet de la transmission;

Que selon le considérant 45 de la directive n° 2000/31, “les limitations de responsabilité des prestataires de services intermédiaires prévues dans la présente directive sont sans préjudice de la possibilité d'actions en cessation de différents types. Ces actions en cessation peuvent notamment revêtir la forme de décisions de tribunaux... exigeant qu'il soit mis un terme à toute violation ou que l'on prévienne toute violation, y compris en retirant les informations illicites ou en rendant l'accès à ces dernières impossible”;

Que le seul fait que l'instrument technique de filtrage laisserait passer des oeuvres contrefaites du répertoire de la SABAM n'implique en outre nullement que ces oeuvres auraient été sélectionnées par Scarlet; qu'en effet le fait de ne pas parvenir à bloquer un contenu n'implique pas que ce contenu ait été sélectionné par l'intermédiaire à défaut pour celui-ci de cibler l'information en vue de la fournir à sa clientèle; que la mesure de blocage a un caractère purement technique et automatique, l'intermédiaire n'opérant aucun rôle actif dans le filtrage;

Que par ailleurs et à supposer même que Scarlet perde dans cette hypothèse le bénéfice de l'exonération, il ne s'en suivrait pas nécessairement que sa responsabilité serait engagée; qu'il faudrait en effet encore démontrer une faute dans son chef; que ce contentieux relèverait toutefois du seul juge de la responsabilité;

Attendu enfin que les logiciels de filtrage et de blocage ne traitent en tant que tels aucune donnée à caractère personnel; qu'à l'instar des logiciels anti-virus ou anti-spam, ils sont de simples instruments techniques qui comme tels ne réalisent pas d'activités impliquant l'identification d'internautes;

Qu'en outre la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel autorise en son article 5, b) le traitement de données à caractère personnel qui est nécessaire à l'exécution du contrat; que les conditions générales de Scarlet auxquelles le contrat signé entre Scarlet et ses abonnés renvoie prévoient que le réseau ne peut être autorisé qu'à des fins prévues par la loi et qu'il est notamment interdit d'effectuer une connexion qui viole les droits d'auteur; que Scarlet se réserve le droit de prendre des sanctions au cas où l'abonné enfreindrait cet engagement; que l'installation de logiciels de filtrage ou de blocage qui impliquerait une identification des internautes en rapport avec les opérations de filtrage ou de blocage ne contreviendrait dès lors pas à la loi du 8 décembre 1992;

Que le tribunal de céans n'aperçoit pour le surplus pas en quoi les logiciels de blocage ou de filtrage violeraient le droit “au secret de la correspondance” ou la liberté d'expression, Scarlet ne s'en expliquant au demeurant pas;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces considérations que les mesures techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur constatées dans le jugement du 26 novembre 2004 ne contreviennent pas aux dispositions légales invoquées par Scarlet;

Qu'il convient dès lors de faire droit à l'ordre de cessation;

Qu'un délai de 6 mois pour permettre à Scarlet de se conformer à l'ordre de cessation paraît raisonnable; que selon les informations obtenues par la SABAM (farde X de son dossier) le temps d'installation de la solution Audible Magic (solution la plus complexe) est, à dater de la commande, de 4 à 6 mois;

Qu'il appartiendra à Scarlet de communiquer par écrit à la SABAM dans ce même délai de 6 mois, le descriptif des mesures adoptées;

Que l'astreinte se justifie dans son principe pour assurer une efficacité à la présente décision en ce qu'elle concerne l'ordre de cessation; que seul un incitant financier sérieux peut en effet garantir l'exécution volontaire d'une condamnation de faire; que son montant sera toutefois réduit à € 2.500 par jour de retard à dater de l'échéance du délai de 6 mois;

Attendu que la mesure de publication doit réellement contribuer à la cessation; que tel n'est pas le cas en l'espèce; qu'il n'est en effet pas établi que la publication de la présente décision aura un effet plus dissuasif sur Scarlet;

Attendu enfin que Scarlet soutient qu'il ne lui appartient pas de prendre en charge le coût relatif aux mesures techniques qui devraient être mises en place pour se conformer à l'ordre de cessation à défaut de base juridique l'y obligeant et de responsabilité établie dans son chef; qu'elle entend dès lors imposer à la SABAM de supporter le coût des mesures qu'elle devrait prendre;

Qu'il n'appartient en principe pas au juge de l'injonction de régler cette question; qu'il lui suffit de constater l'existence de mesures techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur; qu'une fois ce constat fait, il ne peut, sous réserve d'un abus de droit, refuser de prononcer la cessation de l'atteinte; que la prise en charge du coût des mesures prises par le débiteur de l'injonction pour se conformer à celle-ci est la conséquence de l'ordre de cessation (voy. par analogie l'art. 1248 du Code civil qui met à charge du débiteur les frais du paiement, c'est-à-dire les frais qu'occasionne l'exécution de l'obligation);

Qu'il ne peut en toute hypothèse être raisonnablement soutenu en l'espèce (et Scarlet ne le soutient au demeurant pas) que la SABAM abuserait de ses droits en considérant que le coût des mesures techniques doit être supporté par le débiteur desdites mesures, d'autant que celui-ci est, selon la directive n° 2001/29, “le mieux à même de mettre fin aux atteintes” et peut répercuter ce coût (estimé par l'expert à un maximum de € 0,5 par mois et par utilisateur durant 3 ans) sur les internautes (alors que la SABAM ne dispose pas de cette même possibilité à défaut de pouvoir identifier les internautes contrevenants);

2. Demande reconventionnelle

Attendu que la SA Scarlet sollicite la condamnation de la SABAM au paiement de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire;

Qu'elle estime que la demande de la SABAM est uniquement destinée à lui nuire dans la mesure où elle n'a engagé de procédure qu'à son égard alors que d'autres fournisseurs d'Internet, qui occupent une part nettement plus importante du marché sont également concernés et qu'aucune action n'a été entreprise contre les fournisseurs de logiciels “peer-to-peer”;

Attendu que la demande principale étant déclarée fondée, elle n'a de ce seul fait rien de téméraire et vexatoire puisqu'elle exclut que la SABAM ait agi avec légèreté ou imprudence;

Qu'au surplus, le fait que d'autres opérateurs ISP, voire même les fournisseurs de logiciels peer-to-peer ou encore les hébergeurs de sites web de ces fournisseurs, pourraient également faire l'objet d'une action en cessation ne porte pas atteinte au droit de la SABAM de diriger, dans un premier temps, son recours uniquement contre un seul des ISP dès lors qu'il n'est nullement démontré qu'en faisant ce choix, la SABAM n'aurait pas agi comme aurait dû le faire un justiciable prudent et diligent;

Que pour des raisons financières compréhensibles, la SABAM a pu estimer opportun, dans un premier temps, de limiter son action à un seul ISP;

Par ces motifs,

Nous, C. Heilporn, juge désigné pour remplacer le président du tribunal de première instance de Bruxelles;

Assisté de Wansart, greffier adjoint délégué;

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement;

Rejetant toutes conclusions autres plus amples ou contraires;

Disons la demande principale recevable et fondée dans les limites suivantes;

Condamnons la SA Scarlet Extended à faire cesser les atteintes au droit d'auteur constatées dans le jugement du 26 novembre 2004 en rendant impossible toute forme, au moyen d'un logiciel “peer-to-peer”, d'envoi ou de réception par ses clients de fichiers électroniques reprenant une oeuvre musicale du répertoire de la SABAM, sous peine d'une astreinte de € 2.500 par jour où Scarlet ne respecterait pas le jugement après l'expiration d'un délai de 6 mois suivant sa signification;

Condamnons la SA Scarlet Extended à communiquer par écrit à la SABAM dans les 6 mois de la signification du présent jugement le descriptif des mesures qu'elle appliquera en vue de respecter le jugement;

Déboutons la SABAM du surplus de ses demandes;

Disons la demande reconventionnelle recevable mais non fondée;

En déboutons la SA Scarlet Extended;

(...)