Article

Tribunal de première instance Bruxelles (président), 26/11/2004, R.D.C.-T.B.H., 2007/7, p. 694-700

Tribunal de première instance de Bruxelles (président) 26 novembre 2004

DROITS D'AUTEUR ET DROITS VOISINS
Dispositions communes - Respect du droit d'auteur et des droits voisins - Action en cessation - Communication d'oeuvres illicites (“peer-to-peer”) sur Internet - Intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers - Compétence - Directive européenne n° 2001/29 - Mesures techniquement possible - Expertise
La question de savoir si l'article 87 § 1er de la loi sur le droit d'auteur trouve à s'appliquer lorsque l'atteinte au droit d'auteur n'est pas le fait de la partie défenderesse mais d'un tiers qui n'est pas à la cause est étrangère à la compétence ratione materiae du tribunal.
La finalité de l'article 8.3. de la directive européenne n° 2001/29 est de permettre aux titulaires de droits d'auteur d'agir contre les intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour transmettre une contrefaçon d'une oeuvre protégée. Ces intermédiaires sont en effet selon la directive les mieux à même de mettre fin aux atteintes portées au droit d'auteur. L'action en cessation organisée à l'article 87 § 1er de la LDA, lu à la lumière de l'article 8.3. de la directive, permet d'atteindre ce résultat.
L'action en cessation est applicable à toute atteinte au droit d'auteur, indépendamment de toute recherche d'une quelconque faute ou manquement au devoir de prudence.
La constatation d'une atteinte au droit d'auteur contraint en principe le tribunal à en prononcer la cessation. Sous réserve d'un abus de droit, le tribunal ne peut refuser de prononcer la cessation de l'atteinte en recourant à une balance des intérêts qui pencherait en faveur du plaignant.
Il faut que soit démontré que l'ordre de cessation puisse produire un résultat et partant que des mesures soient techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur.
AUTEURSRECHTEN EN NABURIGE RECHTEN
Gemeenschappelijke bepalingen - Naleving van het auteursrecht en de naburige rechten - Stakingsvordering - Mededeling van ongeoorloofde werken (“peer-to-peer”) op Internet - Tussenpersoon wiens diensten door een derde worden gebruikt - Bevoegdheid - Europese Richtlijn nr. 2001/29 - Technisch mogelijke maatregelen - Expertise
De vraag of artikel 87 § 1 van de Auteurswet van toepassing is ingeval de inbreuk op de auteurswet niet het gevolg is van een daad gesteld door de verwerende partij maar door een derde die niet in de zaak betrokken is, is vreemd aan de bevoegdheid ratione materiae van de rechtbank.
De bedoeling van artikel 8.3° van de Europese Richtlijn nr. 2001/29 is om aan de houders van auteursrechten de mogelijkheid te bieden om op te treden tegen tussenpersonen wiens diensten door derden worden gebruikt om een namaak van een beschermd werk door te geven. Volgens de richtlijn zijn deze tussenpersonen het best geplaatst om een einde te stellen aan de inbreuken op het auteursrecht. De in artikel 87 § 1 van de Auteurswet bedoelde stakingsvordering, gelezen in het licht van artikel 8.3. van de richtlijn, laat dit resultaat toe.
De stakingsvordering is van toepassing op elke inbreuk van het auteursrecht, los van elk onderzoek naar om het even welke fout of niet-nakoming van de zorgvuldigheidsplicht.
De vaststelling van een inbreuk op het auteursrecht verplicht de rechtbank in principe de staking van deze inbreuk uit te spreken. Onder voorbehoud van rechtsmisbruik, mag de rechtbank niet weigeren om de staking van de inbreuk uit te spreken door de afweging van de belangen in het voordeel van de eisende partij.
Er dient te worden aangetoond dat het stakingsbevel tot een gunstig resultaat kan leiden en dat derhalve de maatregelen technisch mogelijk dienen te zijn om de inbreuken op het auteursrecht te verhinderen.

SCRL SABAM / SA Tiscali

Siég.: C. Heilporn (président)
Pl.: Mes B. Michaux et J. Surmont, J. Schuermans, J. Keustermans

(...)

En cette cause, il est conclu et plaidé en français à l'audience publique du 28 octobre 2004;

Après délibéré, le président du tribunal de première instance rend l'ordonnance suivante :

Vu:

- la citation en référé signifiée par exploit de Me. De Smet, huissier de justice suppléant, Me. Debray E., huissier de justice de résidence à 1150 Bruxelles le 24 juin 2004;

- les conclusions et conclusions additionnelles et de synthèse de la partie demanderesse déposées les 13 septembre et 11 octobre 2004;

- les conclusions, deuxièmes conclusions et troisièmes conclusions et conclusions de synthèse de la partie défenderesse déposées les 6 août, 27 septembre et 18 octobre 2004;

Entendu en leurs plaidoiries les conseils des parties.

Objet des demandes

Attendu que la demande principale tend:

- “Tiscali, entendre constater l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SABAM, en particulier des atteintes au droit de reproduction et au droit de communication au public consacré par l'article 1er § 1er LDA, du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux illicites réalisés grâce à des logiciels dits 'peer-to-peer', lesquelles atteintes sont commises au travers de l'utilisation des services de la citée;

- Tiscali, s'entendre condamner à faire cesser ces atteintes, en rendant impossible ou en paralysant toute forme d'envoi ou de réception par ses clients de fichiers reprenant une oeuvre musicale, sans l'autorisation des ayants-droit, au moyen d'un logiciel “peer-to-peer” tel que ceux repris à la liste non exhaustive en annexe de la mise en demeure de la SABAM, sous peine d'une astreinte de € 25.000 par jour ou partie d'une journée où la citée ne respecterait pas le jugement à intervenir, à partir du huitième jour suivant la signification du jugement à intervenir;

- Tiscali, s'entendre condamner à communiquer par écrit à la SABAM, dans les huit jours de la signification du jugement à intervenir, le descriptif des mesures qu'elle applique en vue de respecter le jugement, sous peine d'une astreinte de € 5.000 par jour de retard;

- Tiscali, s'entendre condamner à afficher dans les 24 heures de la signification du jugement à intervenir le texte repris ci-après et sa traduction en néerlandais, allemand et anglais, sur la page d'accueil de son site internet, en caractères gras, à un endroit visible et sous une forme lisible, de manière ininterrompue pendant trois mois, sous peine d'une astreinte de € 5.000 par jour ou partie d'une journée où la condamnation ne serait pas respectée:

“Le président du tribunal de première instance de Bruxelles a condamné Tiscali à rendre impossible toute forme d'envoi ou de réception, par sa clientèle, de fichiers reprenant la reproduction d'une oeuvre musicale, sans l'autorisation des ayants-droit, ou moyen de logiciels 'peer-to-peer'. L'échange de fichiers musicaux illicites porte gravement atteinte aux droits des auteurs, compositeurs et éditeurs des oeuvres musicales.”

- Tiscali, entendre ordonner la publication du jugement à intervenir et de sa traduction en néerlandais dans deux quotidiens et un hebdomadaire au choix de la SABAM, aux frais de la citée, ces frais étant récupérables sur présentation d'une facture même pro forma;

- Tiscali, s'entendre condamner aux frais de l'instance, en ce compris l'indemnité de procédure”;

Attendu que par voie de conclusions, la SA Tiscali a formé une demande reconventionnelle tendant à voir condamner la SABAM à lui payer la somme de € 25.000 à titre d'indemnité pour procédure téméraire et vexatoire et la somme provisionnelle de € 25.000 à titre de frais de défense.

Les faits

Attendu que la SABAM est une société de gestion qui gère en Belgique, les droits des auteurs, compositeurs et éditeurs d'oeuvres musicales du monde entier;

Que la SA Tiscali est un fournisseur de services Internet (ISP); qu'elle permet ainsi uniquement à ses utilisateurs Internet l'accès à Internet (“access provider”) mais n'héberge pas des sites web (“hosting providers”);

Qu'au cours de ces dernières années, un usage intensif de logiciels dits “peer-to-peer” s'est développé sur internet;

Que ces logiciels (tels que notamment KaZaA, Morpheus, eDonkey2000...) permettent le téléchargement et la communication d'une information (oeuvre musicales, films, documentaires, textes...) au départ non pas d'un serveur centralisé mais des ordinateurs respectifs des internautes utilisant un logiciel peer-to-peer similaire;

Que les internautes échangent ainsi, après les avoir copiées sur leur ordinateur personnel, des oeuvres musicales sous forme de fichiers électroniques sans autorisation des ayants-droit et sans en acquitter la rémunération;

Que considérant qu'il y avait ainsi violation flagrante du droit exclusif de reproduction et de communication au public appartenant aux auteurs et qu'en sa qualité de ISP, elle était “parfaitement consciente de la problématique peer-to-peer” dont elle profitait “dès lors que le phénomène a contribué à provoquer une hausse sensible du nombre d'internautes et de leur demande”, la SABAM a mis, le 15 juin 2004, la SA Tiscali en demeure de prendre les mesures adéquates, dans un délai de huit jours, pour faire cesser ces violations au droit d'auteur commises par ses clients et engendrées par l'utilisation des logiciels “peer-to-peer”;

Que ce courrier étant resté sans réponse, la SABAM a lancé citation le 24 juin 2004 sur la base de l'article 87 § 1er de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d'auteur et aux droits voisins (LDA).

Discussion
1. Demande principale
1.1. Compétence du président du tribunal de première instance

Attendu que la SA Tiscali oppose à la demande une exception d'incompétence ratione materiae du tribunal de céans déduite de ce que la SABAM ne lui reproche aucune infraction à la loi sur le droit d'auteur mais uniquement à ses clients;

Attendu que la compétence d'attribution déterminée en raison de l'objet de la demande, doit s'apprécier en fonction non de l'objet réel du litige, à déterminer par le tribunal, mais de la demande telle qu'elle est formulée par le demandeur (Cass. 19 décembre 1985, Pas. 1986, I, 511);

Que la demande, telle qu'elle est formulée par la SABAM, tend à entendre “constater l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SABAM du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux illicites réalisé grâce à des logiciels dits 'peer-to-peer', lesquelles atteintes sont commises au travers de l'utilisation des services de la citée” et d'entendre condamner Tiscali “à faire cesser ces atteintes”;

Qu'aux termes de l'article 87 § 1er de la LDA, “sans préjudice de la compétence du tribunal de première instance, le président de celui-ci constate l'existence et ordonne la cessation de toute atteinte au droit d'auteur ou à un droit voisin”;

Que telle que formulée, la demande qui tend à constater “l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SABAM” et à “faire cesser ces atteintes”, relève dès lors de la compétence du tribunal de céans;

Que la question de savoir si ledit article 87 § 1er de la LDA trouve à s'appliquer lorsque l'atteinte au droit d'auteur n'est pas le fait de la partie défenderesse mais d'un tiers qui n'est pas à la cause est étrangère à la compétence ratione materiae du tribunal.

1.2. Intérêt à agir de la SABAM

Attendu que la SA Tiscali argue que la SABAM ne justifie pas d'un intérêt à agir sur la base de l'article 87 § 1er de la LDA car elle ne lui reproche aucune infraction au droit d'auteur ni aucune faute;

Attendu que l'intérêt à agir au sens des articles 17 et 18 du Code judiciaire consiste en tout avantage matériel ou moral effectif mais non théorique que le demandeur peut retirer de la demande au moment où il la forme (Fettweis, Manuel de procédure civile, n° 27);

Que la SABAM soutient que la mise en cause de la SA Tiscali se justifie parce qu'elle est “la mieux à même de mettre fin” aux atteintes au droit d'auteur commises par ses clients;

Qu'elle fait valoir que la SA Tiscali ajoute une condition d'application à l'article 87 § 1er de la LDA en considérant que le demandeur ne pourrait diriger une action en cessation que contre l'auteur de l'atteinte;

Qu'elle estime que la formulation large et parfaitement claire de la loi ne s'oppose pas à ce qu'une mesure soit ordonnée à l'égard “d'un tiers qui, comme en l'espèce n'est pas l'auteur de l'infraction mais la personne (l'intermédiaire) qui est la mieux placée pour y mettre fin de manière efficace”;

Qu'elle allègue que cette interprétation est non seulement conforme à la lettre de l'article, à son esprit mais est surtout rendue obligatoire par la directive n° 2001/29 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société d'information dont l'article 8.3. dispose que “les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin”;

Attendu que la directive n° 2001/29 n'a pas encore été transposée en droit belge alors que le délai de transposition est expiré (22 décembre 2002); qu'un projet de loi du 17 mai 2004 a été déposé;

Attendu que “l'obligation des États membres de l'Union européenne, découlant d'une directive, d'atteindre le résultat prévu par celle-ci, ainsi que leur devoir, en vertu de l'article 5 du traité instituant la Communauté européenne, de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l'exécution de cette obligation s'imposent à toutes les autorités des États membres, y compris dans le cadre de leurs compétences, les autorités juridictionnelles et, par conséquent, en appliquant le droit national, la juridiction nationale est tenue de l'interpréter à la lumière du texte et de la finalité de la directive pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer à l'article 189 alinéa 3 du traité” (Cass. 9 janvier 2003, R.G. C.020046.F; Cass. 28 septembre 2001, Pas., I, 1534 ; Cass. 2 décembre 1996, R.C.J.B. 1998, 187 et la note de J. Verhoeven, “L'application ou la prise en considération des directives communautaires en droit belge”);

Que ce devoir d'interprétation n'est imposé au juge national que “dans toute la mesure où une marge d'appréciation est accordée au juge par son droit national” (J. Verhoeven, o.c., p. 211 citant la jurisprudence de la C.J.C.E. et plus précisément l'affaire Von Colson et Kamaan);

Qu'en l'espèce il y a matière à interprétation dès lors que l'absence de précision de l'article 87 § 1er de la LDA quant à l'auteur de l'atteinte permet une marge d'appréciation du juge;

Que c'est à tort que la SA Tiscali estime pouvoir trouver dans le § 2 dudit article 87 une confirmation de ce que l'atteinte visée au § 1er ne pourrait être que le fait du défendeur à l'action; que les prérogatives inscrites au § 2 ne font en effet pas partie des dispositions qui organisent l'action en cessation (De Visscher et Michaux, Précis du droit d'auteur, n° 641);

Que c'est également de manière non pertinente que la SA Tiscali invoque, d'une part, que la directive n'aurait pas d'effet direct dès lors que l'article 8.3. ne serait ni clair ni précis et laisserait une liberté d'appréciation aux autorités chargées de son application et, d'autre part, qu'elle ne pourrait avoir d'effet direct horizontal;

Qu'il n'est pas contesté qu'une directive ne peut pas, par elle-même, créer d'obligations dans le chef d'un particulier et qu'une disposition d'une directive ne peut dès lors être invoquée en tant que telle à l'encontre d'un particulier;

Que la SABAM ne se fonde toutefois pas sur l'applicabilité directe de la directive mais sur l'obligation imposée aux États membres par la C.J.C.E. et fondée sur les articles 5 et 189 du traité, d'interpréter leur droit national dans un sens compatible avec la directive;

Que ce devoir d'interprétation conforme s'impose aux États membres à partir du moment où le délai d'exécution qui leur est imparti est expiré, ce qui est le cas en l'espèce;

Qu'il importe par ailleurs peu que soient exclusivement en cause des rapports entre particuliers (voy. J. Verhoeven, o.c., p. 210) puisque le devoir d'interprétation s'impose au juge national dans tous les litiges qui lui sont soumis;

Attendu qu'il appartient dès lors au tribunal de céans d'interpréter l'article 87 § 1er de la LDA à la lumière du texte et de la finalité de l'article 8.3. de la directive n° 2001/29 et ce afin d'atteindre le résultat visé par celle-ci;

Que l'article 8.3. doit lui-même être lu à la lumière du considérant 59 de la directive n° 2001/29 aux termes duquel “les services d'intermédiaires peuvent, en particulier dans un environnement numérique, être de plus en plus utilisés par des tiers pour porter atteinte à des droits. Dans de nombreux cas, ces intermédiaires sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes. Par conséquent, sans préjudice de toute autre sanction ou voie de recours dont ils peuvent se prévaloir, les titulaires de droits doivent avoir la possibilité de demander qu'une ordonnance sur requête soit rendue à l'encontre d'un intermédiaire qui transmet dans un réseau une contrefaçon commise par un tiers d'une oeuvre protégée ou d'un autre objet protégé...”;

Que le résultat visé par la directive est l'adaptation des règles en matière de droit d'auteur afin de tenir compte des nouvelles formes d'exploitation (voy. considérant 5 de la directive);

Que la finalité de l'article 8.3., lu à la lumière du résultat visé par la directive, est donc bien de permettre aux titulaires de droits d'auteur d'agir contre les intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour transmettre une contrefaçon d'une oeuvre protégée; que ces intermédiaires sont en effet selon la directive les mieux à même de mettre fin aux atteintes portées au droit d'auteur;

que l'action en cessation organisée à l'article 87 § 1er de la LDA, lu à la lumière de l'article 8.3. de la directive, permet d'atteindre ce résultat;

Qu'à juste titre la SABAM fait observer que l'article 8.3. de la directive n'a pas été transposé dans le projet de loi du 17 mai 2004, ce qui laisse présumer que, pour le législateur belge, l'arsenal juridique contient déjà les dispositions permettant l'exercice du recours visé dans ladite disposition;

Attendu que la SA Tiscali soutient que seuls les intermédiaires qui “aident à une atteinte” commise par un tiers dans un réseau, soit les “hosting providers” qui hébergent des sites web par lesquels ou sur lesquels sont commises lesdites atteintes, seraient visés par la directive n° 2001/29;

Que l'article 8.3. vise les intermédiaires “dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur”; qu'aux termes du considérant n° 59, est visé l'intermédiaire “qui transmet dans un réseau” (“carries” dans la version anglaise du texte et “steunt” dans la version néerlandaise);

Qu'il ne se déduit pas de ces termes généraux que ne seraient visés que les intermédiaires “hosting providers”;

Que la SABAM a dès lors intérêt à diriger son recours contre la SA Tiscali en sa qualité d'intermédiaire dont il est allégué que les services seraient utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d'auteur.

1.3. Fondement de la demande

Attendu que la SA Tiscali considère que l'action de la SABAM n'aurait pas de fondement légal dès lors qu'aucune faute ne lui serait reprochée;

Qu'elle soutient que la directive n° 2001/29 n'impose aucune obligation concrète aux intermédiaires;

Attendu que la SA Tiscali ne conteste pas que l'échange de fichiers électroniques musicaux non autorisé et sans paiement d'une rémunération aux titulaires des droits et ce, via un logiciel “peer-to-peer”, constitue en soi une atteinte au droit d'auteur;

Attendu que l'action en cessation est applicable à toute atteinte au droit d'auteur;

Qu'il suffit de constater que l'atteinte au droit d'auteur (en l'espèce une violation du droit exclusif de reproduction et du droit exclusif de communication au public des ayants-droit dont la SABAM gère les droits) est illégale indépendamment de toute recherche d'une quelconque faute ou manquement au devoir de prudence;

Que la SABAM ne doit dès lors pas démontrer que la SA Tiscali commettrait une faute ou manquerait à son obligation générale de prudence par le fait de permettre au travers de ses services d'accès à Internet les échanges d'oeuvres musicales à l'aide de logiciels peer-to-peer;

Que la référence faite en conclusions par la SA Tiscali aux dispositions de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l'information réglant la responsabilité des fournisseurs de services qui interviennent comme intermédiaires n'est dès lors pas pertinente;

Que l'article 87 § 1er de la LDA interprété à la lumière de l'article 8.3. de la directive n° 2001/29 constitue en conséquence la base légale suffisante et nécessaire pour constater les infractions au droit d'auteur découlant de l'utilisation des logiciels peer-to-peer pour échanger des oeuvres musicales protégées sans autorisation de la SABAM et pour ordonner à la SA Tiscali, en sa qualité d'intermédiaire dont les services sont utilisés pour commettre ces infractions, de prendre les mesures de nature à les faire cesser;

Qu'aucun enseignement ne peut être déduit de la jurisprudence invoquée par la SA Tiscali (aff. Belgacom Skynet, Bruxelles 13 février 2001) qui est antérieure à l'adoption de la directive;

Attendu que la SA Tiscali fait valoir que la SABAM ne démontre pas que ses clients commettraient une atteinte aux droits d'auteur des membres dont elle gère les droits;

Attendu que l'abondante couverture médiatique (dont de nombreux articles de presse sont versés aux dossiers des parties), le débat de société soulevé en France et ayant donné lieu à la signature d'une charte le 28 juillet 2004 signée par tous les intervenants (politiques, fournisseurs d'accès internet, sociétés de gestion des droits...) démontrent si besoin en est, l'ampleur du problème;

Qu'il n'existe aucune raison de croire que la SA Tiscali (dont la société soeur est signataire de la charte en France) serait épargnée par le phénomène en ce sens que les internautes clients de ses services n'utiliseraient pas les logiciels peer-to-peer pour échanger des oeuvres musicales de manière illicite;

Que selon une étude OCDE produite par la SABAM plus de 600 millions de fichiers sont échangés au moyen du logiciel KaZaA (qui offre en téléchargement des oeuvres des membres affiliés à la SABAM) par une moyenne de 3 millions d'internautes à chaque instant donné;

Que le groupe Tiscali, qui représente près de 4% des parts du marché belge, a conclu en 2002 un accord avec les propriétaires du logiciel KaZaA pour augmenter la vente de ses services d'accès internet à large bande au moyen de publicité diffusée sur ledit logiciel;

Ces éléments précis permettent dès lors de présumer que Tiscali a, à l'instar des autres providers, parmi ses clients des utilisateurs de ce logiciel peer-to-peer qui échangent sous forme de fichiers électroniques des oeuvres musicales faisant partie du répertoire des membres de la SABAM (voy. le procès-verbal de constat établi le 24 juin 2004 attestant que des oeuvres du répertoire des membres de la SABAM sont offertes en téléchargement sur le réseau KaZaA);

Attendu qu'il se déduit de l'ensemble de ces considérations qu'est établie l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales faisant partie du répertoire de la SABAM du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux grâce à des logiciels peer-to-peer et ce, au travers de l'utilisation du réseau internet de la SA Tiscali;

Attendu que la constatation d'une atteinte au droit d'auteur contraint en principe le tribunal à en prononcer la cessation;

Que la SA Tiscali fait valoir que si des mesures devaient être ordonnées, encore conviendrait-il de faire une comparaison entre les intérêts des ayants-droit et ceux des utilisateurs;

Qu'elle soutient qu'aucune mesure ne pourrait être ordonnée qui viserait à ce que soit rendu impossible en lui-même l'accès aux sites web qui comprennent des logiciels peer-to-peer ou qui rendrait impossible l'utilisation en elle-même des logiciels peer-to-peer dès lors que ces derniers ont également de nombreuses applications parfaitement légales;

Qu'elle estime qu'il appartient à la SABAM de démontrer que des mesures sont techniquement possibles dès lors qu'une certaine jurisprudence étrangère aurait reconnu la non-faisabilité technique des mesures;

Qu'elle considère enfin que la SABAM, qui sollicite une condamnation sous peine d'astreinte, doit préciser de manière concrète les mesures qui devraient être prises;

Attendu que, sous réserve d'un abus de droit, le tribunal ne peut refuser de prononcer la cessation de l'atteinte en recourant à une balance des intérêts qui pencherait en faveur du plaignant (De Visscher et Michaux, o.c., n° 635);

Que l'ordre de cessation doit produire un résultat en ce sens qu'il doit mettre fin de manière effective à la situation illicite (voy. implicitement: Cass. 6 décembre 2001, AM 2002, 146 et la note de B. Michaux);

Que si l'article 87 § 1er de la LDA n'exige pas, comme le soutient la SABAM, que le demandeur à l'action ou le juge détermine les modalités techniques des mesures à prendre par le défendeur pour se conformer à l'ordre de cessation (voy. en ce sens Bruxelles 1er février 2002, AM 2003, 3), il faut néanmoins que soit démontré que l'ordre puisse produire un résultat et partant que des mesures soient techniquement possibles pour empêcher les atteintes au droit d'auteur;

Que la SABAM produit à son dossier deux rapports d'expertise dont les conclusions seraient de nature à confirmer la faisabilité technique de sa demande (mesures de filtrage...);

Que le tribunal se doit toutefois d'observer que l'un de ces rapports, le rapport Cap Gemini, a été réalisé en France et soumis aux signataires de la charte française du 28 juillet 2004;

Que nonobstant ce rapport, lesdits signataires ont toutefois estimé nécessaire de désigner deux experts avec pour mission d'“étudier avant le 1er octobre 2004 (leurs conclusions n'étaient toujours pas connues à la date de l'audience du 28 octobre 2004) les solutions proposées par les industriels de la musique (étude transmise par le SNEP) en matière de filtrage, à la demande des internautes, dans le domaine peer-to-peer. Si les experts l'estiment nécessaire et possible sur les plans techniques, notamment en terme de qualité de service, et économiques, et sous leur supervision, expérimenter via un ou plusieurs fournisseurs d'accès, dans les délais recommandés par les experts, certaines de ces solutions. Un bilan de l'expérimentation est établi de manière à proposer, si c'est possible (c'est nous qui soulignons) sur les plans techniques et économiques, dans des conditions réellement incitatives, le bénéfice d'un de ces systèmes aux abonnés qui le souhaitent”;

Que la SA Tiscali a fait examiner les deux rapports produits par la SABAM par un expert unilatéral (M. Golvers); que ce dernier considère qu'il “ressort clairement des rapports de HP et de Cap Gemini qu'il n'existe pas de solution miracle en la matière... Bien au contraire, le rapport de HP énonce une série de voies envisageables mais détaille également les limites, contraintes et impossibilités qui y sont liées, aucune ne paraissant seule réellement efficace... Le rapport de Cap Gemini est avant tout un plaidoyer pour une expérimentation de mesures restrictives, dont la faisabilité doit encore être établie sous le contrôle d'un collège d'experts... le problème majeur que soulève à mes yeux la demande de la SABAM concerne le nécessité de pouvoir faire la distinction 'ou vol' entre des contenus licites et illicites transitant par la technologie 'peer-to-peer' sur le réseau Internet...”;

Qu'au vu de ces éléments, le tribunal estime qu'il n'est pas suffisamment éclairé sur la faisabilité des mesures techniques qui pourraient être envisagées pour qu'il puisse concrètement être mis fin aux atteintes au droit d'auteur commises par les internautes utilisant les services de la SA Tiscali;

Que seule une expertise permettra de faire la lumière sur cette question;

Que chacune des parties, sans demander explicitement la désignation d'un expert, sollicite que l'autre soit tenue d'avancer les frais de l'éventuelle expertise qui serait ordonnée par le tribunal;

Que lorsque l'expertise est ordonnée d'office par le juge, c'est la partie la plus diligente, celle qui a mis l'expertise en mouvement, qui est obligée à la dette des honoraires et des frais (Fettweis, Manuel de procédure civile, n° 539);

Qu'à défaut de consignation de la provision (art. 990 C. jud.), le juge qui a ordonné une expertise ne peut délivrer exécutoire qu'à charge de la partie qui est légalement tenue de la verser, c'est-à-dire celle qui a requis l'expertise ou qui la poursuit (Cass. 16 novembre 1989, Pas. 1990, I, 333);

Que les frais de l'expertise devront dès lors être avancés, conformément à ces principes, par la partie qui la mettra en mouvement.

2. Demande reconventionnelle

Attendu que la SA Tiscali sollicite la condamnation de la SABAM au paiement de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire;

Qu'elle fait grief à la SABAM de n'avoir engagé de procédure qu'à son égard alors que d'autres fournisseurs d'Internet, qui occupent une part nettement plus importante du marché sont également concernés et que sa condamnation ne sera d'aucune utilité puisque sa clientèle se détournera pour s'affilier à un autre access provider;

Attendu qu'il convient de réserver à statuer sur cette demande jusqu'à ce que le tribunal ait pu prendre connaissance du rapport de l'expertise ordonnée;

Par ces motifs,

Nous, C. Heilporn, juge désigné pour remplacer le président du tribunal de première instance de Bruxelles;

Assisté de Hubrich, greffier;

Vu la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Statuant contradictoirement;

Rejetant toutes conclusions autres plus amples ou contraires;

Disons la demande principale recevable;

Constatons l'existence d'atteintes au droit d'auteur sur les oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SABAM, en particulier des atteintes au droit de reproduction et au droit de communication au public consacrés par l'article 1er § 1er de la LDA, du fait de l'échange non autorisé de fichiers électroniques musicaux illicites réalisé grâce à des logiciels dits “peer-to-peer”, lesquelles atteintes sont commises au travers de l'utilisation des services de la SA Tiscali;

Avant de statuer plus avant sur la demande de cessation:

Désignons en qualité d'expert M. Gerbehaye Olivier, de résidence à 1150 Bruxelles, rue L. Thys, 7 (tél. 02/762.95.35) lequel aura pour mission, après avoir prêté serment, de:

- prendre connaissance de l'intégralité des rapports établis par HP, Cap Gemini et L. Golvers et d'examiner les solutions proposées dans ces rapports;

- dire si les solutions envisagées dans ces rapports sont techniquement réalisables et si elles peuvent techniquement être mises en place sur les installations de la SA Tiscali;

- dire si ces solutions permettent de filtrer uniquement les échanges illicites de fichiers électroniques ou bien concernent l'ensemble des utilisations via les logiciels “ peer-to-peer”;

- dire si d'autres dispositifs (de filtrages ou autres) peuvent être envisagés pour contrôler l'usage des logiciels peer-to-peer et, le cas échéant, déterminer si ces dispositifs affecteraient l'ensemble des échanges Internet ou seulement les échanges considérés comme illicites;

- déterminer le coût des dispositifs qui sont envisagés ou qui pourraient l'être et la durée de leur mise en place;

- répondre à toutes questions utiles des parties, les concilier si faire se peut et à défaut d'y parvenir, déposer son rapport au greffe du tribunal dans les trois mois de la mise en mouvement de l'expertise à la requête de la partie la plus diligente;

Disons que l'expert pourra se faire assister par tous autres spécialistes en la matière;

Réservons à statuer sur le surplus;

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