Article

Cour d'appel Mons, 23/10/2006, R.D.C.-T.B.H., 2007/6, p. 600-603

Cour d'appel de Mons 23 octobre 2006

FAILLITE
Demande en taxation d'honoraires extraordinaires du curateur - Prestations relatives à une action en responsabilité des dirigeants du failli
Les prestations accomplies par le curateur dans le cadre d'une action en responsabilité dirigée contre les organes du failli ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une liquidation normale de faillite et dépassent les tâches ordinaires qu'un curateur diligent est censé mener dans le cadre de la liquidation normale d'une faillite.
FAILLISSEMENT
Verzoek tot begroting buitengewone erelonen van de curator - Prestaties m.b.t. een vordering in aansprakelijkheid ingesteld tegen de bestuurders van de gefailleerde
De prestaties verricht door de curator in het kader van een vordering in aansprakelijkheid ingesteld tegen de bestuurders van de gefailleerde vallen buiten de normale vereffening van het faillissement en buiten de gewone taken die door een normaal en voorzichtig curator moeten worden waargenomen in het kader van de normale vereffening van het faillissement.

Me. L. Dermine q.q.

Siég.: C. Lefebve (présidente), M. Levecque et Y. Vanthuyne (conseillers)
Pl.: Me. X. Born

La Cour, après avoir délibéré, rend l'arrêt suivant

1. La décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé le 30 novembre 2005 par la première chambre du tribunal de. commerce de Charleroi en la cause portant le numéro de rôle général A/99/03500 - F/05/01986.

Produite en copie certifiée conforme, cette décision dit n'y avoir lieu de faire droit à la demande en taxation d'honoraires extraordinaires introduite par Maître L. Dermine, qualitate qua, à la suite de l'action en responsabilité qu'il a menée contre les anciens administrateurs de la société faillie, laquelle a donné lieu à un arrêt prononcé par la première chambre de la cour de céans le 28 février 2005, accueillant partiellement la demande du curateur.

II. La procédure devant la Cour

Le 31 mai 2006 Maître L. Dermine, qualitate qua, a déposé une requête d'appel au greffe de la cour, critiquant le jugement énoncé ci-avant en ce qu'il a rejeté la dite demande en taxation d'honoraires extraordinaires.

Il demande à la cour de taxer ses honoraires extraordinaires à la somme de 5.000 euros, du chef des devoirs qu'il a prestés dans le litige qu'il a conduit à son terme contre E. Wathelet, J. Van De Ven, N. Gaspar et la SA Sambrinvest, d'abord devant le tribunal de commerce de Charleroi et ensuite, en degré d'appel, devant la cour de céans.

L'appel est recevable.

III. Discussion

Le curateur fait grief au premier juge d'avoir rejeté sa demande d'honoraires extraordinaires.

Aux termes de 1'article 33 de la loi du 8 août 1997 sur les faillites, ainsi que le rappelle adéquatement le premier juge, “les honoraires des curateurs sont fixés en fonction de l'importance et de la complexité de leur mission. Ils ne peuvent être fixés exclusivement sous la forme d'une indemnité proportionnelle aux actifss réalisés. Les règles et barèmes relatifs à la fixation des honoraires sopt établis par le Roi. Le Roi détermine les prestations et frais couverts par les honoraires (…)”

L'arrêté royal du 10 août 1998 pris en exécution de l'article 33 alinéa 1er de la loi sur les faillites, met en oeuvre le système mixte consacré par l'article 33 susmentionné.

L'article 5 de cet arrêté royal précise que “les honoraires couvrent les prestations ordinaires du curateur dans le cadre d'une liquidation normale de la faillite telles que: la procédure de fixation de la date de cessation de paiement, l'inventaire, les inscriptions hypothécaires prises au nam de la masse, la vérification des créances, la réalisation et la liquidation de 1'actif, les contestations ou autres actions en justice, soit comme demandeur, soit comme défendeur, pour écarter les créances non justifiées ou exagérées, la recherche et le recouvrement de créances, les négociations du curateur avec les créanciers ou les tiers, l'examen de la comptabilité existante et des papiers du failli, les opérations de clóture, la correspondance, les plaidoiries”.

L'article 7 de cet arrêté royal ajoute par ailleurs que “peuvent faire l'objet d'honoraires extraordinaires, les prestations énumérées ou non à l'article 5, qui ne font pas partie de la liquidation normale de la faillite et qui ont contribué ou qui auraient du contribuer á conserver ou à augmenter l'actif de la faillite ou à en limiter le passif” et précise encore “sont, entre autres, ainsi visés la poursuite de l'activité commerciale par le curateur ou les devoirs exceptionnels résultant du nombre des créanciers ou de la dispersion des avoirs du failli”.

Le rapport au Roi qui précède l'arrêté royal du 10 août 1998 précise:

“Les prestations qui justifient la possibilité pour le tribunal de commerce d'accorder des honoraires extraordinaires doivent être des prestations qui sortent du cadre d'une liquidation normale d'une faillite. La prestation visée par cette disposition sera le plus souvent celle qui requiert un niveau de spécialisation tel qu'il justifie le recours au service spécialisé de tiers. Si le curateur, dans un souci d'économie envers la masse, réalise lui-même les actes dont la nature aurait justifié le recours à un tiers et s'en acquitte avec un résultat satisfaisant, ceux-ci justifieront, l'octroi d'honoraires extraordinaires. D'autre part, sont visées les prestations qui, du fait de leur accumulation ou de leur multiplication, rendent l'administration de la faillite à ce point anormale que la limitation des honoraires au forfait couvrant normalement tous ces devoirs et visée par les articles 2 et 3 du présent arrêté est inéquitable. Il importe d'affirmer que, dans ce cas de figure, le tribunal de commerce doit, pour octroyer des honoraires extraordinaires, préalablement constater que l'administration de la. faillite sort très fortement de la normale. On peut citer l'exemple de la faillite dont l'ampleur ne se rencontre pas une fois sur cent, c'est-à-dire celui d'une affaire dont les créanciers sont des milliers, ou dont les biens sont situés en divers pays. Le principe de la taxation forfaitaire ne doit qu'exceptionnellement être écarté. La raison essentielle en est que ce système est basé sur l'idée d'une compensation des manques à gagner subis par un curateur déterminé dans les faillites proportionnellement les moins rémunératrices, par la hausse relative des honoraires promérités par lui dans certaines faillites proportionnellement plus rémunératrices. Cette compensation globale ne peut jouer à sens unique en faveur du curateur, ce qui serait le cas si les devoirs ordinaires par nature dépassant le volume moyen des devoirs de ce type se métamorphosaient, ipso facto, en devoirs extraordinaires. Dès lors, lorsque le tribunal de commerce estime que, au vu de ce qui a été précisé ci-dessus, le curateur peut se voir octroyer des honoraires extraordinaires, il accorde, ex aequo et bono, à ce curateur un complément d'honoraires” (Mon. b. 8 septembre 1998, p. 28812).

Dans le cas d'espèce les prestations de l'appelant, pour lesquelles il revendique des honoraires extraordinaires, ne s'inscrivent en rien dans le cadre des prestations qui, du fait de leur accumulation ou de leur multiplication, auraient rendu l'administration de la faillite à ce point anormale que la limitation de ses honoraires au forfait couvrant normalement tous ces devoirs et visée par les articles 2 et 3 de l'arrêté royal du 10 août 1998 serait inéquitable.

C'est donc sans pertinence que le premier juge a notamment, pour écarter la demande de l'appelant, fait référence au rapport du Ministre de la Justice T. Van Parijs, en ce que celui-ci se rapporte à ce cas de figure précisément.

L'appelant soutient au contraire que dans le cas d'espèce les devoirs qu'il a posés dans le cadre du procès en responsabilité diligenté contre les dirigeants de la société faillie sont des prestations non ordinaires dans la mesure ou elles sortent du cadre de la liquidation normale de la faillite.

Le premier juge ne l'a pas suivi considérant, par référence d'une part à l'exemple cité dans le rapport au Roi et d'autre part à la motivation d'un jugement rendu le 8 décembre 1999 par le tribunal de commerce de Bruxelles, que les devoirs prestés par l'appelant dans le cadre du procès en responsabilité mu contre les anciens dirigeants de la société faillie n'étaient pas d'une complexité matérielle ou juridique telle qu'ils justifiaient le recours à un tiers spécialisé mais qu'ils ressortaient à 1'évidence à la compétence du juriste qu'était le curateur.

Le rapport au Roi évoque une situation qui n'est nullement limitative.

La décision du 8 décembre 1999 précisait quant à elle que les devoirs prestés par le curateur “relevaient du premier devoir du curateur de vérifier les créances; liés à la charge même du curateur de faillites” (Comm. Bruxelles 8 décembre 1999, DAOR 2000, p. 145).

En réalité la solution du présent litige consiste à se poser la question de savoir si les prestations, telles qu'accomplies in concreto dans le cadre du procès en responsabilité mû par l'appelant, contre les anciens dirigeants de la société faillie, sont des prestations qui s'inscrivent ou non dans le cadre d'une liquidation normale de faillite.

Il n'est pas inutile de rappeler que le curateur est chargé de réaliser les biens du failli et de les répartir. Comme le précise I. Verougstraete, “c'est sa mission principale. Il doit également administrer les biens du failli et les gérer”.

Il rappelle par ailleurs que la faillite tend en principe à mettre fin à l'activité d'un commerçant dans des conditions acceptables pour les créanciers et pour l'intérêt général (I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Kluwer, éd. 2003, n° 935).

Ainsi l'article 75 § 1 de la loi sur les faillites prévoit que:

“Dès le dépót du premier procès-verbal de vérification des créances ou à dater de quelque date ultérieure que ce soit, les curateurs procèdent à la liquidation de la faillite. Le juge-commissaire convoque le failli pour, en présence des curateurs, recueillir ses observations sur la meilleure réalisation possible de l'actif. Il en est donné procès-verbal. Les curateurs vendent notamment les immeubles, marchandises et effets mobiliers, le tout sous la surveillance du juge-commissaire en se conformant aux dispositions des articles 51 et 52, et sans qu'i1 soit besoin d'appeler le failli. Ils peuvent transiger de la manière prescrite à l'article 58 sur toutes espèces de droit appartenant au failli, notamment toute opposition de sa part”.

Comme l'écrivent Fr. T'Kint et W. De Rijcke, “L'application correcte de la loi sur les faillites suppose qu'on ait toujours á l'esprit qu'il s'agit d'une pure loi de liquidation” (Rép. Not., t. XII, p. 108, n° 14).

C'est ainsi tout naturellement que la poursuite de l'activité commerciale du failli par le curateur est de nature à permettre de justifier l'octroi d'honoraires extraordinaires. En effet la poursuite de l'activité commerciale du failli sort assurément du cadre d'une liquidation normale d'une faillite.

Si comme le souligne le premier juge, quelques faillites amènent des curatelles à devoir introduire des actions en responsabilité à l'encontre des organes de la société, encore est-il que certaines de ces actions requièrent des investigations et des analyses très approfondies, des constructions juridiques élaborées et des devoirs importants pour étayer le bien-fondé de l'action menée qui, s'ils demeurent assurément dans la sphère de compétence des curateurs désignés, dépassent très largement le cadre des tâches ordinaires qu'un curateur diligent est censé mener dans le cadre d'une liquidation normale d'une faillite.

Tel fut bien le cas en l'espèce.

Pour mémoire et en bref, l'appelant a entamé une procédure en responsabilité contre les anciens administrateurs de la société faillie et les a cités devant le tribunal de commerce de Charleroi en vue d'obtenir leur condamnation á prendre personnellement en charge l'en semble du passif de la société faillie.

Par un jugement du 9 janvier 2002, la troisième chambre du tribunal de commerce de Charleroi a décrété une expertise comptable.

La curatelle a interjeté appel de cette décision.

Par un arrêt du 28 février 2005, la première chambre de la cour de céans a débouté la curatelle de sa demande dans la mesure ou elle était dirigée contre les administrateurs J. Van De Ven, N. Gaspard et la SA Sambrinvest. Elle a par contre accueilli sa demande en ce qu'elle était mue contre l'administrateur délégué de la société faillie, E. Wathelet.

Ce dernier a été condamné à payer à la curatelle une somme provisionnelle de 25.000 euros.

E. Wathelet est en médiation de dettes.

La curatelle a néanmoins pu récupérer actuellement une somme de 1'ordre de 9.000 euros tandis qu'une somme de 4.000 euros devrait encore être versée à la curatelle avant 1'échéance de la médiation, en mai 2007.

Le procès mené par 1'.appelant a donc contribué à augmenter l'actif de la faillite, certes dans une mesure moindre que celle sans doute espérée.

La seule lecture des vingt pages de l'arrêt rendu par la cour de céans le 28 février 2005, à propos précisément de l'action mue par l'appelant, suffit à donner une idée précise de l'ampleur des investigations et/ou devoirs qui ont été menés par l'appelant, qualitate qua.

Il est indéniable que le procès ainsi mené par le curateur de la société faillie dépassait, de par le caractère comptable et technique des enjeux qu'il véhiculait, le simple et classique procès en récupération d'actifs ou en contestation de créance (voir le dossier de Me Dermine), en d'autres termes et de manière plus générale les devoirs ordinaires dans le cadre d'une liquidation normale de faillite.

C'est donc à bon droit que l'appelant qualitate qua revendique 1'octroi d'honoraires extraordinaires.

Prétendre le contraire conduirait assurément à tempérer anormalement l'ardeur des curateurs diligents.

Comme l'indique Me Born dans l'article qu'il a consacré à la problématique des honoraires extraordinaires, les tribunaux de commerce se sont eux-mêmes interdit de taxer les honoraires extraordinaires selon des bases fixes (H. Born, “La notion de devoirs extraordinaires en manière de faillites et leur évaluation”, J.C.B. 1980, p. 261 et s., spéc. n° 48, p. 281).

L'appelant explique que le litige pour lequel il revendique des honoraires extraordinaires a nécessité 68 heures de prestations qui, au vu du développement du procès, sont assurément justifiées.

Vu les perspectives de récupération et, dans un souci de modération, il les chiffre á la somme de 5.000 euros pour laquelle il réclame taxation.

Cette rémunération doit être fixée en équité tenant compte de “(...) la singulière modération dont doit faire preuve le curateur-avocat qui demande des honoraires pour les prestations accomplies comme avocat. Il doit sa nomination (...) au fait qu'il est avocat et peut donc, à bon compte accomplir des prestations à ce titre (...)” (I. Verougstraete, Manuel du curateur de faillite, éd. Swinnen, 1987, n° 752, p. 417 et 418).

Opérant une pondération appropriée à l'équité, la cour estime devoir fixer à 3.200 euros les honoraires extraordinaires dus au curateur pour les prestations qu'il a accomplies dans le cadre du procès qu'il a poursuivi à l'encontre des anciens dirigeants de la société faillie.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 concernant l'emploi des langues en matière judiciaire,

• Reçoit l'appel et le dit fondé,

• Met le jugement attaque à néant et réformant,

- reçoit la demande de taxation de l'appelant, qualitate qua, et la dit partiellement fondée,

- taxe à la somme de trois mille deux cents euros les honoraires extraordinaires réclamés par l'appelant, qualitate qua,

- le déboute du surplus de sa demande,

- Dit que les dépens des deux instances seront á charge de la masse.