Cour d'appel de Bruxelles 7 décembre 2006
RÉGLEMENTATION DU COMMERCE
Pratiques du commerce - Usages honnêtes en matière commerciale - Liberté de copier - Relation entre la loi sur les pratiques du commerce et le droit de la propriété intellectuelle - Risque de confusion - Imitation parasitaire
Le droit à une concurrence loyale a pour objet le bon fonctionnement du marché en tant que tel et non la protection de prestations créatives (création de formes et innovations techniques).
Dans la vie commerciale, c'est la liberté de copier son concurrent qui est la règle et ce sont les droits intellectuels privatifs, découlant de lois particulières, qui sont l'exception.
Une copie peut toutefois devenir illicite en cas d'imitation (quasi) servile provoquant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle ou d'imitation parasitaire cristallisant des efforts créatifs, de telle sorte que l'imitateur profite indûment des efforts ainsi déployés par autrui et commette un abus du droit de copier.
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REGLEMENTERING VAN HANDELSTRANSACTIES
Handelspraktijken - Eerlijke gebruiken en oneerlijke handelspraktijken - Vrijheid om te kopiëren - Verhouding tussen de WHPC en het intellectuelle eigendomsrecht - Verwarringsgevaar - Parasitaire nabootsing
Het recht op een eerlijke mededinging heeft de goede werking van de markt tot doel als zodanig en niet de bescherming van creatieve prestaties (vormcreaties en technische innovaties).
In de handel is de vrijheid zijn concurrent te kopiëren de regel en zijn de privatieve intellectuele rechten, op grond van bijzondere wetten, de uitzondering.
Nabootsing kan echter oneerlijk worden indien de (quasi) slaafse nabootsing verwarring sticht bij de cliënteel of wanneer een parasitaire nabootsing creatieve inspanningen kristalliseert, in zulke mate dat de nabootser onrechtvaardig voordeel haalt uit de inspanningen van iemand anders en misbruik maakt van het recht om te kopiëren.
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SPRL Annapurna Consult / D. et V.
Siég.: H. Mackelbert (conseiller unique) |
Pl.: Mes B. Thieffry et L. de Brouwer |
I. | Décision attaquée |
L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement le 21 octobre 2004 par le président du tribunal de commerce de Nivelles.
Les parties ne produisent aucun acte de signification de ce jugement.
II. | Procédure devant la cour |
L'appel principal est formé par requête, déposée par Annapurna au greffe de la cour, le 9 novembre 2004.
Par conclusions, déposées au greffe de la cour, le 12 janvier 2005, D. et V. introduisent un appel incident.
La procédure est contradictoire.
Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire.
III. | Faits et antécédents de la procédure |
1. Annapurna est constituée le 9 mai 2000 par Mme A. Cette société a pour objet l'organisation d'événements et plus particulièrement de soirées à thèmes destinées aux entreprises.
Le 3 juillet 2000, Annapurna et D. concluent un contrat de travail aux termes duquel ce dernier est chargé de l'organisation et de la coordination des événements. Mme A. et D. entretiennent par ailleurs une relation intime à laquelle il est mis fin en janvier 2004.
Le 15 janvier 2004, Annapurna rompt le contrat de travail de D., moyennant une indemnité compensatoire de préavis de trois mois.
Le 1er avril 2004, les parties concluent une convention de collaboration indépendante. D. est chargé de la prospection de la clientèle, de l'établissement des devis, de l'organisation et de l'animation des activités événementielles, et, de manière générale, d'assurer la promotion des relations commerciales de l'entreprise. Il est rémunéré, pour l'apport des affaires, par une commission de 35% et, pour ses prestations d'animateur, par un honoraire variant de 50 à 300 /heure selon le type de prestations.
2. En mai 2004, D. adresse à la société Sony une offre pour l'organisation d'une soirée The Ceremony Awards. La proposition est établie sur un papier sans en-tête qui mentionne les n° de téléphone de D. (pièce III, 2 du dossier d'Annapurna).
Le 30 juin 2004, D. envoie à Allen & Overy, une offre pour l'organisation d'un Family Day et suggère toutes sortes d'activités. Le courrier porte cette fois l'entête “Alleluias SPRL” et mentionne les mêmes numéros de téléphone que le courrier adressé à Sony (pièce III, 6 du dossier d'Annapurna).
Le 8 juillet 2004, une offre est adressée par Alleluias, sous la signature de D., à Air France pour l'organisation d'une soirée Halloween (pièce III, 5).
La société Alleluias n'existe pas et ne sera constituée par D. et V., sa nouvelle compagne, que le 7 octobre 2004.
3. Le 16 juillet 2004, le conseil d'Annapurna met D. en demeure de respecter la clause de non-concurrence contenue dans son contrat de collaboration indépendante, de cesser de dénigrer sa cliente, de ne plus utiliser le fichier de la clientèle et de renoncer à constituer la société Alleluias.
Le même jour, il adresse un courrier à V. l'informant des obligations de non concurrence qui pèsent sur D. et l'enjoignant de mettre fin à toute collaboration avec lui, sous peine d'être déclarée tiers-complice.
Par courrier du 2 août 2004, le conseil de D. conteste la validité de la clause de non-concurrence et les griefs formulés à l'encontre de son client. Il réclame le paiement de diverses sommes dues en exécution du contrat d'emploi et du contrat de collaboration indépendante. Quant aux relations contractuelles, il signale qu'à défaut de paiement et d'acceptation d'une médiation, elles seront considérées comme rompues.
Par courrier officiel de son conseil du 11 août 2004, Annapurna rompt la convention.
Le 1er septembre 2004, D. restitue à Annapurna l'ordinateur qui lui avait été confié.
Le 16 septembre 2004, D. organise, sous la dénomination “Alleluias SPRL” une soirée de présentation des différentes soirées à thèmes qu'il compte proposer aux entreprises.
Par courrier du 22 septembre 2004, le conseil d'Annapurna écrit au conseil de D. que l'ordinateur a été saboté mais qu'il a néanmoins pu être établi qu'une copie de tous les fichiers inscrits sur le disque dur a été faite et que sa cliente a reçu de ses propres clients copie des offres envoyées par D.
Le 8 octobre 2004, la société ExxonMobil, cliente d'Annapurna, informe cette dernière qu'elle a été contactée par D. en vue de l'organisation de sa fête du personnel.
4. Le 7 octobre 2004, Annapurna dépose entre les mains du président du tribunal de commerce de Nivelles une requête par laquelle elle demande qu'il soit fait interdiction à D. et V.:
- d'exercer toutes activités commerciales sous les dénominations “David Vivian”, “Anne Sand”, “ASBL A.S. Production”, “SPRL Alleluias” et “Alleluias Events”;
- de collaborer ensemble;
- de reproduire les activités à thèmes développées par elle (suit l'énumération de 16 activités);
- de reproduire les modèles d'offre de services utilisés par elle;
- d'organiser le 23 octobre 2004 l'activité The Swing Paleis au profit d'Air Products, sous peine d'une astreinte de € 10.000;
- d'organiser le 28 octobre 2004 l'activité Halloween au profit d'Air France, sous peine d'une astreinte de € 10.000;
- d'organiser l'activité The Ceremony Award au profit de Sony le 16 décembre 2004, sous peine d'une astreinte de € 10.000;
- de diffuser le catalogue Alleluias Events - Thematic Nights 2004 sous peine d'une astreinte de € 5.000;
- de reproduire les photographies, dessins et logos utilisés par elle.
D. introduit une demande reconventionnelle tendant à ordonner à Annapurna de cesser tout comportement ou contact avec les tiers en vue de les dissuader de recourir aux services ou produits qu'il offre, sous peine d'une astreinte de € 5.000 par infraction.
V. introduit une demande reconventionnelle en paiement de € 2.500 de dommages et intérêts pour action téméraire et vexatoire.
Le premier juge décide de statuer d'abord sur les demandes d'interdiction d'organiser les soirées des 23 et 28 octobre 2004. Il les déclare non fondées et remet la cause pour le surplus.
5. Annapurna interjette appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions, elle demande à la cour de:
- dire pour droit que D. et V. ont créé la confusion avec l'entreprise et les activités d'Annapurna, en proposant des activités thématiques et des animations identiques ou quasi-identiques, en s'adressant à la clientèle sous le nom de D., connu pour être un collaborateur d'Annapurna, et en recopiant servilement les offres et les publicités d'Annapurna pour leurs activités thématiques et leurs animations, et ceci afin de détourner la clientèle d'Annapurna, en infraction avec les articles 23, 8° et 93 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce;
- dire pour droit que D. et V. ont recopié servilement les caractéristiques essentielles des activités thématiques et des animations d'Annapurna et les ont détournées à leur profit, se rendant ainsi coupables, en infraction à l'article 93 de la LPCC, de copie parasitaire et illicite des activités suivantes d'Annapurna: Hollywood-Hollywood - The Conquest - L'affaire Ashmore: murder party - Disco Inferno - Les sept clés magiques de Bruocsella - 2001 Nights - Family Day - Le Moulin Rouge - The Cruise - Casino Party - Middle Age Evening - Le tour du monde en 80 minutes - Cotton Club - Le Gala de Boxe - Tropicana - Brainfoul;
- dire pour droit qu'en divulguant illicitement des informations confidentielles appartenant à Annapurna et en détournant ces informations de leur finalité, D. a commis des actes de concurrence déloyale;
- ordonner à D. et V. de cesser de divulguer le catalogue de leurs activités, dénommé Alleluias Events - Thematic Nights 2004 ainsi que tout catalogue identique ou similaire, dès la signification de l'arrêt à intervenir, et sous peine d'une astreinte de 10.000 par acte de communication, quel que soit le moyen de communication utilisé;
- ordonner à D. et V. de cesser de promouvoir et de commercialiser toute activité thématique ou animation identique ou similaire aux activités d'Annapurna énumérées ci-dessus, dès la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 5.000 par acte de promotion et de commercialisation d'une activité thématique ou d'une animation identique ou similaire à celles énumérées ci-dessus;
- ordonner à D. et V. de cesser toute communication à quelque tiers que ce soit des offres et publicités contenues dans la farde III du dossier d'Annapurna, ainsi que toute offre ou publicité identique ou similaire, dès la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de € 5.000 par acte de communication, quel que soit le moyen de communication utilisé;
- ordonner à D. et V. de cesser d'utiliser illicitement et de divulguer à des tiers les informations confidentielles appartenant à Annapurna, en particulier les informations figurant à l'annexe 2 de la convention de collaboration entre Annapurna et D. du 9 mars 2004, ainsi que toute information identique ou similaire, dès la signification de l'arrêt à intervenir et sous peine d'une astreinte de 5.000 par infraction constatée;
- dire pour droit que les ordres de cessation prononcés par l'arrêt à intervenir comprennent l'interdiction de poser les actes décrits ci-dessus à l'intervention de la société Alleluias, ou de toute autre personne morale dans laquelle D. et V. disposent d'un pouvoir de contrôle, de gestion et de représentation.
D. et V. introduisent un appel incident et réitèrent devant la cour leurs demandes reconventionnelles.
IV. | Discussion |
6. Annapurna soutient que D. disposait de tout le matériel nécessaire à la promotion et l'organisation des événements qu'elle proposait à sa clientèle et en particulier d'un ordinateur contenant les fichiers informatiques indispensables à son travail.
Annapurna fait grief à D. d'avoir copié servilement ses réalisations et son matériel de présentation ainsi que d'avoir démarché sa clientèle en détournant à son profit le fichier de sa clientèle. Elle formule le même grief à l'encontre de V.
7. Le droit à une concurrence loyale a pour objet le bon fonctionnement du marché en tant que tel, et non la protection de prestations créatives (créations de formes et innovations techniques). Dans la vie commerciale, c'est la liberté de copier son concurrent qui est la règle, et ce sont les droits intellectuels privatifs, découlant de lois particulières, qui sont l'exception. Il s'ensuit que la simple copie de l'oeuvre d'autrui ne constitue pas, en soi, un acte de concurrence déloyale (Liège 17 février 1998, R.D.C. 1998, 415; Liège 13 octobre 1998, R.D.C. 1999, 410).
Une copie peut toutefois devenir illicite dans les cas suivants:
(i) imitation servile ou quasi servile provoquant un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle;
(ii) imitation parasitaire cristallisant des efforts créatifs, de telle sorte que l'imitateur profite indûment des efforts ainsi déployés par autrui (M. Buydens, “La sanction de la 'piraterie de produits' par le droit de la concurrence déloyale”, J.T. 1993, 117; Bruxelles 20 avril 2005, Ann. prat. comm. conc. 2005, 506).
La possibilité de créer la confusion par la publicité ne consiste pas en l'utilisation d'éléments identiques ou similaires, mais résulte de l'analogie entre les entreprises ou leurs produits que cette identité ou similitude suggère au public à qui la publicité s'adresse (Cass. 11 octobre 1991, Pas. 1992, I, 118).
La concurrence parasitaire, hors du domaine de la propriété industrielle, constitue un acte contraire aux usages honnêtes en matière commerciale (Mons 7 novembre 1989, Ing.-Cons. 1991, p. 167). En effet, il ne doit pas être loisible à chacun de se créer un avantage concurrentiel en économisant la charge d'un effort créatif et en copiant servilement le travail d'autrui, de manière à pratiquer des prix moindres ou à réaliser des bénéfices plus grands que le concurrent frustré (De Caluwé, Delcorde et Leurquin, Les pratiques du commerce, n° 25.22).
Pour qu'il y ait concurrence parasitaire, il n'est pas indispensable qu'il existe un risque de confusion (Bruxelles 6 novembre 2003, Ann. prat. comm. conc. 2003, p. 566). Il y a concurrence parasitaire en cas de copie par un concurrent d'une prestation, d'un produit ou d'un service si les conditions suivantes sont réunies:
a) la prestation, le produit ou le service qui est copié doit être le fruit d'efforts créatifs et d'investissements relativement importants du point de vue financier et quant au temps consacré. La prestation protégée doit être suffisamment originale;
b) la prestation, le produit ou le service copié doit avoir une valeur économique;
c) celui qui copie ou imite doit tirer profit des efforts et investissements de l'autre vendeur, quelle qu'en soit la forme; c'est le cas notamment lorsque le copieur évite ainsi des frais de recherche et de développement du produit ou profite de la publicité effectuée par le créateur original;
d) le copieur ne doit pas avoir consenti le moindre effort créatif pour distinguer sa prestation, son produit ou son service de celui de l'autre vendeur.
Il y a lieu de procéder à une certaine balance des intérêts à cet égard et de comparer l'inconvénient que le vendeur copié subit avec l'avantage que l'auteur de l'imitation ou de la copie retire (Bruxelles 18 septembre 2003, AM 2005, liv. 2, 121, Ing.-Cons. 2003, liv. 3, 290, J.L.M.B. 2004, liv. 37, 1630).
1. | Sur la réalité des copies alléguées |
a. Activité “Hollywood-Hollywood” |
8. D. soutient que l'offre qui a été adressée à la société Sony (pièce III, 2 du dossier d'Annapurna) l'était pour le compte d'Annapurna et qu'il n'y a donc pas lieu de la prendre en considération pour apprécier s'il a commis un acte de concurrence déloyale. Il en veut pour preuve le courrier électronique du 19 juillet 2004 de Mme C. de chez Sony qui lui confirme qu'il lui avait signalé qu'il envoyait cette offre pour le compte d'Annapurna.
Une telle explication n'est pas plausible dès lors que, d'une part, les coordonnées personnelles de D. sont reproduites sur l'offre et que, d'autre part, l'événement proposé par lui s'intitule The Ceremony Award alors que celui mis au point par Annapurna s'appelle Hollywood-Hollywood. Si D. avait réellement agi pour le compte d'Annapurna, il n'aurait pas modifié la dénomination de l'événement.
Il n'est pas contesté non plus que Sony a, en définitive, décidé d'attribuer le marché à D.
9. D. reconnaît à la page 3 de ses conclusions que peu avant la rupture de ses relations contractuelles il a compilé sur son ordinateur les offres avec la mention Alleluias, croyant de bonne foi qu'il pouvait le faire car il en était l'auteur.
Si on compare les pièces II, 10 et III, 2 du dossier d'Annapurna, on constate que l'offre de services The Ceremony Award est, à quelques petites exceptions près, la copie servile de l'offre Hollywood-Hollywood (même typographie, mêmes photos, mêmes statues géantes de 3 m de haut, mêmes phrases, comme par exemple: Un tapis rouge sera déployé, un présentateur trilingue annoncera les invités tels de grandes stars à cette grande soirée de remise d'oscars, mêmes conditions générales).
La seule différence réside dans l'intitulé de l'événement.
b. Activité “Conquest” |
10. Si on compare l'offre de service d'Annapurna pour cette activité (pièce II, 8 de son dossier) et l'offre de D. faite à Air France, intitulée The Master of the World (pièce III, 5) on constate également qu'il s'agit d'une copie servile (même typographie, même explication du jeu au mot près).
Cependant, l'offre de D. reprend le logo d'Alleluias et les photos sont différentes.
En l'espèce, c'est donc le texte qui est seul en cause.
c. Activité “Affaire Ashmore” |
11. Si on compare l'offre de service d'Annapurna pour cette activité (pièce II, 11 de son dossier) et l'offre de D. faite à Belgacom, intitulée Killer Party: Qui a tué le Duc de Sande (pièce III, 5), on constate que le texte du scénario du jeu proposé est exactement le même.
La méthodologie est quelque peu différente, mais de nombreuses phrases se retrouvent dans les deux textes, comme par exemple Fausses pistes, coups de feu et coups de théâtre, feront vivre aux détectives amateurs tout au long de la soirée, des moments palpitants et inoubliables.
Une photo, représentant des participants, est la même.
d. Activité “Disco Inferno” |
12. Si on compare l'offre de service d'Annapurna pour cette activité (pièce II, 7 de son dossier) et l'offre de D. faite à Belgacom, intitulée La Fureur ou The Swing Paleis (pièce III, 10 et 11), on constate les ressemblances suivantes: même typographie, même titre en Word Art, même photo de participants, mêmes phrases dans l'explication du jeu, comme par exemple: un couple de participants d'équipes différentes va interpréter une chanson d'amour..., même décor comme une boule à facettes de 1,20m de diamètre.
Les deux offres sont, à quelques exceptions près, nettement ressemblantes.
e. Activité “Les sept clés magiques de Bruocsella” |
13. L'offre de D. est intitulée Brussels Quest (pièce III, 8 du dossier de Annapurna à comparer à la pièce II, 4). Le sujet du jeu proposé est le même, à savoir la découverte de Bruxelles, son histoire du Xème au XIXème siècle, son architecture et ses spécialités au travers d'une histoire rocambolesque.
Pour l'un il s'agit, à l'occasion d'un rallye pédestre, de retrouver 7 clés magiques, alors que pour l'autre c'est 7 Manneken Pis magiques.
Tout comme pour les précédents événements, l'offre contient de très nombreuses similitudes, tant au niveau des lieux visités que de la rédaction et de l'illustration comme la photo de Saint-Michel.
L'offre de D. est cependant plus élaborée et contient notamment des photos de participants. Il ne peut cependant être contesté que D. a utilisé, comme base pour son travail, le modèle élaboré par Annapurna dont il a pris connaissance en le transférant sur son propre ordinateur avant de restituer celui qui lui avait été confié par son commettant.
f. Activité “Journée de famille” |
14. Si on compare l'offre de service d'Annapurna pour cette activité (pièce II, 5 de son dossier) et l'offre de D. faite à Allen & Overy, intitulée Family Day (pièce III, 6), on constate les ressemblances suivantes: mêmes images (livre et coupe), trois mêmes thèmes sur quatre, mêmes suggestions de programme, même page de garde pour présenter les activités, illustrée par une affiche des aventures d'Indiana Jones, même présentation des activités pour les enfants, même photo d'un jeu d'adresse.
Il ne s'agit cependant pas d'une copie entièrement conforme, dans la mesure où toutes les activités proposées par Annapurna ne sont pas reprises et que D. agrémente son offre de plusieurs photos.
g. Activité “2001Nights” |
15. Il résulte de la comparaison des pièces II, 13 et III, 11 du dossier d'Annapurna qu'une fois encore l'activité proposée par D. à Air Product, dénommée Oriental Night, reprend des éléments de l'offre d'Annapurna, comme la description du programme et deux photos.
f. Activités “Moulin Rouge - The Cruise - Casino Party - Middle Age Evening - Le tour du monde en 80 minutes - Cotton Club - Le Gala de Boxe - Tropicana - Brainfoul” |
16. Annapurna ne dépose aucune pièce tendant à prouver que D. aurait proposé à la clientèle ces activités en utilisant des modèles d'offre identiques aux siens.
g. Le catalogue “Alleluias Events” |
17. Le 27 septembre 2004, Annapurna a adressé à la société ExxonMobil un catalogue de ses propositions d'événements.
À l'exception de deux photos d'artistes qui évoluent dans des bulles, il ne contient aucun texte ou photo repris des offres précédentes faites par Annapurna. Aucun reproche ne peut être formulé à l'encontre de D. d'avoir utilisé ces deux photos, dans la mesure où il s'agit d'un matériel de promotion pour les artistes eux-mêmes que ceux-ci mettent à disposition des organisateurs.
Il n'est donc pas établi que le catalogue serait le résultat d'un plagiat.
2. | Sur le risque de confusion |
18. Annapurna ne peut revendiquer un quelconque monopole sur les événements qu'elle a dans son portefeuille.
Ainsi que le démontre D., il s'agit d'adaptations de jeux de sociétés (comme le Monopoly ou le Cluedo), de films, d'émissions de télévision ou encore de cérémonies largement médiatisées (comme la remise des Oscars).
Ces événements sont proposés par la plupart des agences et, à défaut de disposer d'une protection fondée sur la propriété intellectuelle, aucune d'entre elles ne peut revendiquer la cessation par une agence concurrente d'offres identiques, sauf dans les conditions visées au point 7.
19. Annapurna ne prouve pas que l'organisation par elle de ce type d'événements aurait créé dans l'esprit du public concerné, constitué d'entreprises qui font appel à des agences spécialisées dans l'événementiel, un lien d'association entre elle-même et cet événement, au point que ce même public pourrait croire que tout événement identique qui lui serait proposé proviendrait de la même entreprise.
Il ne peut donc exister de risque de confusion entre Annapurna et D. pour le seul motif que ce dernier propose à la clientèle des services identiques.
20. Par ailleurs, en l'espèce, une telle confusion n'a pu être créée par le fait que, pour certaines offres ou partie d'offres, la copie s'est faite “à la virgule près”.
En effet, Annapurna a immédiatement avisé la clientèle que D. ne travaillait plus pour elle, les informant même qu'elle considérait qu'elle était la victime d'une concurrence illicite. Cette clientèle, qui appartient à un milieu professionnel assez fermé, n'a pu se méprendre sur l'identité de la personne ou de l'entreprise qui lui offrait ses services puisque toutes les offres de D. étaient à l'entête de “Alleluias SPRL”, avec laquelle aucune confusion de dénomination n'est possible, tant sur le plan auditif que sur les plans scriptural et conceptuel. D. produit en outre à son dossier de nombreux messages électroniques démontrant qu'il s'était adressé à la clientèle à titre personnel et que celle-ci en avait bien conscience.
Enfin, D. a veillé à modifier la dénomination de chacun des événements, ce qui est de nature à éviter toute confusion possible. En effet, c'est l'intitulé d'un jeu ou d'une activité que le public retient le plus facilement, ne gardant pas en mémoire, même imparfaitement, telle ou telle tournure de phrase ou telle ou telle photo d'un catalogue ou d'une publicité.
En tant qu'elle s'appuie sur un risque de confusion, la demande d'Annapurna n'est pas fondée.
3. | Sur le parasitisme |
21. En revanche, en procédant à une copie servile de tout ou partie des offres d'Annapurna, D. a commis un abus de droit en s'appropriant les efforts créatifs et les investissements que son concurrent avait consentis pour mettre au point les offres.
D. ne conteste d'ailleurs pas avoir copié les fichiers informatiques. Il n'a donc rien dû investir pour aboutir au même résultat, ce qui lui a conféré un avantage concurrentiel important.
Il importe peu qu'il ait, depuis lors, modifié le texte de ses offres, dès lors qu'un risque de récidive n'est pas exclu.
La copie des offres à laquelle D. s'est livré constitue un comportement parasitaire contraire à la loyauté commerciale qu'il y a lieu de faire cesser.
Cependant, il n'y a pas lieu d'interdire l'organisation d'événements identiques puisqu'ils appartiennent au domaine public et qu'en tout état de cause la notion de concurrence parasitaire ne peut créer un monopole nouveau. L'idée à l'origine d'un produit ou d'un service déterminé n'est pas protégeable et le tiers qui s'en inspire ne commet pas un acte contraire aux usages honnêtes (Bruxelles 25 novembre 1994, R.D.C. 1995, p. 288).
En revanche, il y a lieu d'ordonner la cessation de la copie de la promotion des événements dans des termes et une présentation identiques ainsi que dans leur séquencement.
Il importe peu que D. ait pu être l'auteur de ces textes puisqu'il n'est pas contesté qu'il a accompli ces prestations pour le compte d'Annapurna.
4. | Sur l'utilisation du fichier des clients et des fournisseurs |
22. Si D. reconnaît avoir copié les offres, il ne résulte d'aucune pièce déposée au dossier d'Annapurna qu'il aurait également copié les fichiers des clients et des fournisseurs et encore moins qu'il aurait contacté ces personnes sur la base de données confidentielles contenues dans ces fichiers.
Ces fichiers ne sont d'ailleurs pas produits.
Au demeurant, le reproche qui est formulé à l'encontre de D. d'avoir divulgué à la société Alleluias des données confidentielles se fonde sur la convention de collaboration du 8 mars 2004. Or, il n'est pas de la compétence du juge des cessations d'intervenir dans un cadre contractuel.
5. | Sur la demande reconventionnelle de D. |
23. Dès lors que la demande principale d'Annapurna est partiellement fondée, la demande reconventionnelle de D. ne l'est pas.
6. | Sur la mise en cause de V. et sur sa demande reconventionnelle |
24. Annapurna soutient que V. aurait développé des activités concurrentes aux siennes en profitant de tous les contacts et de l'expérience que D. avait accumulée.
La seule pièce qu'elle produit est une offre de service du 20 mai 2004 à l'hôtel Klooster pour deux prestations de quatre musiciens et deux danseurs (pièce V, 2 de son dossier).
Annapurna n'explique pas en quoi cette prestation de service est liée à D. ni comment V. aurait pu bénéficier d'informations confidentielles pour la proposer.
La demande d'Annapurna, en ce qu'elle vise V., n'est pas fondée.
25. Une procédure peut revêtir un caractère vexatoire non seulement lorsqu'une partie est animée de l'intention de nuire à l'autre mais aussi lorsqu'elle exerce son droit d'agir en justice d'une manière qui excède manifestement les limites de l'exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente (Cass. 31 octobre 2003, J.T. 2004, 135 ).
La mise à la cause de V. trouve en réalité son fondement dans le ressentiment qu'a éprouvé Mme A. à l'égard de la nouvelle compagne de D., en témoignent les propos peu amènes qu'elle emploie dans ses courriers électroniques lorsqu'elle parle d'elle (“aussi conne et méchante qu'elle est grosse et moche” - “grognasse” - “petite pimbêche de 20 ans” - cf. pièces 1 et 2 du dossier de V.) et la suggestion qu'elle s'est permise de faire à D. lorsqu'elle a appris la constitution de la société Alleluias (“donne lui 10% max. Et jette la dans 3 mois” - cf. pièce 3 du dossier de V.).
Annapurna a entraîné inutilement V. dans une procédure qui ne la concerne pas.
Le dommage moral et matériel ainsi subi peut être réparé, ex æquo et bono, par l'allocation de 1.250 de dommages et intérêts.
V. | Dispositif |
Pour ces motifs, la cour,
1. Dit l'appel principal partiellement fondé.
Réforme le jugement attaqué et statuant à nouveau:
Constate que D. a recopié servilement ou quasi-servilement et sans nécessité tout ou partie des offres d'organisation des événements Hollywood-Hollywood - The Conquest - L'affaire Ashmore: murder party - Disco Inferno - Les sept clés magiques de Bruocsella - 2001 Nights - Family Day proposés par Annapurna à sa clientèle et le séquencement de ceux-ci, se rendant ainsi coupable, en infraction à l'article 93 de la LPCC, de copie parasitaire.
Ordonne à D., agissant seul ou par l'intermédiaire de la SPRL Alleluias, de cesser d'adresser ou de présenter toute offre d'événement contenant des phrases entières ou des photos tirées des offres rédigées par Annapurna de 2002 à 2004 pour les événements Hollywood-Hollywood - The Conquest - L'affaire Ashmore: murder party - Disco Inferno - Les sept clés magiques de Bruocsella - 2001 Nights - Family Day et/ou de séquencer ces événements de la même manière qu'Annapurna, sous peine d'une astreinte de € 2.500 par infraction. Déboute Annapurna du surplus de sa demande.
2. Dit l'appel incident introduit par D. non fondé et l'en déboute.
3. Dit l'appel introduit par V. recevable et fondé.
Condamne Annapurna à payer à V. 1.250 de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire, augmentés des intérêts moratoires à dater du présent arrêt.
(...)