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Le bicentenaire du Code de commerce: un colloque et un ouvrage, R.D.C.-T.B.H., 2007/6, p. 523-526

Le bicentenaire du Code de commerce: un colloque et un ouvrage

Werner Derijcke [1] et Jean-Pierre Buyle [2]

Le Code de commerce fête cette année ses deux cents ans d'existence. Notre revue a profité de ce jubilé pour mener une réflexion approfondie et comparatiste sur le droit commercial et économique actuel.

Une journée d'études a ainsi été organisée le 27 mars dernier dans la salle solennelle de la Cour de cassation, sous la présidence de Madame Ch. Lardennois, doyen de la chambre commerciale, économique et financière de la Cour de cassation de France, et de Monsieur J. Embrechts, rédacteur en chef de la R.D.C., en présence de SAR le Prince Lorenz [3].

C'est à Napoléon qu'est revenue la décision d'adopter le Code de commerce. Le projet fut voté en cinq lois distinctes, qui furent ensuite réunies en un seul code par la loi du 15 septembre 1807. Le code fut rendu obligatoire à partir du 1er janvier 1808 et était à l'origine, avec ses 648 articles (dont 250 consacrés au seul droit maritime), relativement bref. Le rêve: un droit tout entier contenu dans la loi… Beaucoup de textes étaient cependant repris aux ordonnances de Colbert de 1673 et 1681: le découpage, le vocabulaire (manufacture, entreprise, fourniture, vente à l'encan, lettre de voiture, …), les idées de registre de commerce, d'enregistrement des actes de société, d'acceptation sans condition des lettres de change ou de la période suspecte en matière de faillite…

Au fil des années, ce code fut lentement mais sûrement complété et modifié, voire démembré. Des passages entiers furent abrogés et remplacés, à tel point qu'il ne subsiste aujourd'hui que très peu d'articles figurant dans la version originale. Des matières essentielles comme le droit des sociétés, le droit bancaire et financier, ou celui des faillites n'y figurent même plus.

Ce code s'est progressivement vidé de son contenu. C'est bien le temps qui a dénaturé le Code de commerce. Il ne reste du texte initial que les titres…

MM. Van Ryn et Heenen le qualifiaient il y a 50 ans de “squelette”. M. P. Van Ommeslaghe ajoute, dans son rapport introductif, que c'est un squelette “rachitique”. “Il n'en reste plus grand-chose aujourd'hui. Il faut considérer que c'est un échec certain. Seul un constat de décès paraît devoir s'imposer.”

M. G. Horsmans au contraire défend énergiquement ce code de 1807. “C'est très bien de dire qu'il est mort-né, qu'il n'en reste rien, qu'on a pris tous ses organes pour les donner à quelqu'un d'autre, que c'est un enfant malformé et laid. Mais que serions-nous sans lui? Il faut en faire son éloge. On a eu la chance d'avoir eu un Code de commerce de 1807. C'est un enfant créé dans une conception européenne qui ne mérite pas le discrédit. C'est grâce à lui que la chaire de droit commercial a pu être créée à l'époque dans nos universités. Il faut mettre une stèle et le remercier, ce Code de commerce… 1807 a été un moment prodigieux. Que fait-on aujourd'hui?”. Et de se demander si le monde universitaire ne devrait pas commencer à rédiger de nouveaux codes et s'en tenir à des principes essentiels…

Face à ces constats, quelles perspectives faut-il envisager?

Le professeur Van Ommeslaghe envisage trois solutions possibles:

    • laisser les choses en l'état, en laissant le droit commercial se développer de manière anarchique avec la promulgation de lois-programmes, de lois fourre tout et de lois particulières. Les inconvénients sont évidents …;
    • prévoir une nouvelle “vraie” codification, un nouveau Code de commerce, à l'instar du Code judiciaire ou du Code de DIP. Mais a-t-on les moyens humains de le faire? Une approche moins ambitieuse pourrait consister à faire des codifications particulières (code de l'insolvabilité, des assurances ou de droit financier, p. ex.);
    • mettre en place une “fausse” codification, une codification à droit constant, du type Code de commerce à la française. On mettrait ensemble des textes existants, en les regroupant, en les recoupant. Ce n'est pas le code de 1807. C'est une sorte de compilation ou de consolidation intelligente.

    En Belgique, le Code des sociétés est à la mi-chemin entre ces deux conceptions de codification. C'est un système nouveau et cohérent, dont on pourrait peut-être s'inspirer. Cet exemple illustre aussi bien l'interdépendance qui existe aujourd'hui entre le droit commercial et le droit civil. L'autonomie du droit commercial telle qu'elle était défendue au siècle dernier par plusieurs auteurs doit être oubliée. Il faut aujourd'hui se fonder sur un droit patrimonial commun.

    Mme A. Puttemans entrevoit quant à elle un petit peu d'avenir pour un droit commercial entendu comme étant un droit des “activités commerciales”. “Il faut, dit-elle, mettre de l'ordre et de la cohérence dans les notions fondamentales, les sujets et les objets, en repartant par exemple de la notion d'entreprise. C'est cette notion, au sens du droit de la concurrence, qui fonde le champ d'application des activités commerciales.”

    Mme A. Puttemans plaide en faveur d'une codification modeste à droit constant, qui reprendrait les règles principales du droit commercial et qui intégrerait le droit de la consommation, en le sortant du Code civil.

    Répondant à Mme A. Puttemans du point de vue néerlandais, M. A. Meij fait observer que les Pays-Bas n'ont plus de véritable Code de commerce, ce qu'il en reste devant disparaître définitivement dans un proche avenir. L'orateur n'en voit que plus de richesse dans la confrontation avec les orateurs qui l'ont précédé. Dans son pays, c'est dès le 19ème siècle que le monde juridique s'est interrogé sur l'autonomie du droit commercial, laquelle autonomie n'a jamais trouvé d'ancrage profond. Pour n'en citer qu'un indice flagrant; il n'y a jamais eu aux Pays-Bas de tribunaux de commerce en tant que tels. Cette évanescence de la frontière entre droit civil et droit commercial a entraîné la contamination du premier par le second: assouplissement du droit de la preuve, simplification des procédures de référé, attachement moins fort aux textes écrits et aux concepts juridiques, grande marge d'appréciation laissée au juge,… M. A. Meij y voit une influence anglo-saxonne, du moins si on met l'accent sur la casuistique, plus que sur la notion de précédent au sens strict du terme. Ce n'est pas à dire que le droit commercial n'a plus du tout droit de cité, mais la figure centrale en est désormais l'entreprise et sa définition doit être plus pragmatique que dogmatique. M. A. Meij conclut en définissant le droit commercial comme cette partie du droit civil qui traite des aspects de droit privé de l'activité économique entrepreneuriale dans les relations “B 2 B”.

    Traitant du droit des sociétés, qui avait lui aussi, par le passé, sa place dans le Code de commerce, le professeur K. Geens souligne la “nervosité” qu'il perçoit dans cette branche du droit commercial. Le Code des sociétés lui-même n'a pas dix ans et on voit déjà refleurir les bis et les ter. À tout cela, il faut ajouter la véritable concurrence interétatique qui agit dans ce secteur. Il est difficile de vouloir tout à la fois être efficace et veiller à une codification pertinente. Ceci ne veut pas dire que le législateur ne pourrait pas faire oeuvre utile, ne serait-ce qu'en rationalisant un certain nombre de formes sociétaires: société de droit commun, société en nom collectif, société en commandite simple, société interne et société momentanée. Le droit belge contemporain pourrait, moyennant quelques aménagements, se satisfaire des seules trois premières. Le professeur K. Geens examine ensuite la difficile évolution des rapports entre la responsabilité limitée d'une part et la légitime satisfaction des créanciers d'autre part. La notion de capital, au sens historique du terme a-t-elle d'ailleurs encore un véritable intérêt? Les causes de tensions avec l'extérieur ont leurs pendants dans les relations au sein même des sociétés: actionnaires vis-à-vis du management et actionnaires entre eux, avec un certain nombre de manifestations de crises comme les actions en retrait et en exclusion, l'action sociale minoritaire, sans oublier le rôle qu'a pu jouer le juge des référés.

    En vis-à-vis, les professeurs A. Prüm et I. Corbisier ont apporté l'éclairage original du droit luxembourgeois des sociétés. En effet, après avoir longtemps tété à la mamelle belge, le droit luxembourgeois s'en est écarté sur un certain nombre de points méticuleusement énumérés par ces deux auteurs, étant entendu que cette énumération donne parfois l'impression que les points de différence révèlent moins une distance qu'aurait prise à ce jour le droit luxembourgeois que le choix de ne pas suivre les évolutions du droit belge. Les auteurs évoquent d'ailleurs la “relative stabilité qu'a connue la loi luxembourgeoise de 1915”, sous cette réserve que le droit luxembourgeois est, comme tous les autres droits de l'Union européenne, fortement marqué par l'influence communautaire. D'après les deux orateurs, on devrait, sans verser pour autant dans la caricature, attribuer la lente divergence entre les deux droits voisins à une tendance belge à une réglementation de plus en plus détaillée et contraignante alors que, de son côté, le Luxembourg est amené à rendre son environnement juridique attractif pour les investisseurs étrangers, plus sensibles à une approche libérale et donc à une plus grande liberté contractuelle.

    Si M. A. Bruyneel défend quant à lui l'idée d'une codification séparée du droit bancaire et financier, et du droit des assurances en dehors du Code de commerce, en raison de l'autonomie de ces matières, il ne sous-estime pas les obstacles considérables liés à la restructuration nécessaire des nombreux textes existants, à la distinction nécessaire à opérer entre l'essentiel et l'accessoire (les dispositions d'exécution n'ont pas leur place dans un vrai code) et au sort à réserver aux aspects européens (intégration des principes de base? sort à réserver à l'incohérence de certaines directives? place à réserver aux règlements “d'effet direct complet sans aucune mécanique de transposition”?). Cette codification n'est cependant pas pour aujourd'hui. Il faudra attendre que le droit des instruments et marchés financiers atteigne une plus grande maturité, ce qui prendra encore quelques années.

    Il est vrai aussi qu'en matière financière, quels que soient les efforts louables de codification sur le plan national, il restera toujours un nombre important de règles qui n'y trouveront pas leur place. Que ces normes soient issues des usages, des autorités de marché ou de contrôle, de la C.C.I., pour ne citer que ces exemples.

    Prenant alors la parole pour donner l'éclairage allemand, le professeur K. J. Hopt souligne d'emblée que, dans son pays, aucune recodification du droit financier ou du droit des assurances n'est en vue. Évoquant le niveau national, l'orateur souligne le grand activisme judiciaire, “case law in the purest sense”. D'après lui, on assiste à un accroissement de l'influence des tribunaux, lesquels se rendent parfaitement compte du rôle qu'ils peuvent jouer et qu'ils semblent accepter. Cela dit, 80% du droit des affaires est européen et il faut tenir compte des lourdeurs qu'implique la retransposition à l'échelon national de ce qui a été décidé au niveau de l'Union.

    Abordant ensuite la question du droit de l'insolvabilité et des sûretés, le président I. Verougstraete se veut résolument proactif mais admet qu'aucun droit de l'insolvabilité ne peut faire l'économie d'une interrogation sur les intérêts à protéger: faut-il donner le primat aux créanciers ou bien aux débiteurs?; qu'est-ce qui coûte le plus, sauver une entreprise ou bien la liquider et donner la préférence à la création d'entreprise nouvelle? Le président I. Verougstraete saisit l'occasion pour critiquer l'extension excessive qui a été donnée à la notion d'ordre public: “à force d'anoblir tout le monde, plus personne n'est noble”. Au départ de la notion d'égalité des créanciers, pourtant réputée centrale dans un droit de l'insolvabilité, il souligne que ce principe a connu toujours davantage d'exceptions. Or, à partir du moment où les exceptions se multiplient, la règle disparaît. Le même raisonnement peut se tenir à propos de l'estompement de la période suspecte. Passant alors au niveau européen, l'orateur admet les échecs des années '60, ce qui ne signifie pas qu'il n'y aurait pas une convergence autour des deux piliers que sont la liquidation et les réorganisations. Cela dit, la liquidation classique se déroule aujourd'hui encore toujours comme en 1807. Il n'y a pas eu de véritable changement en 1997, si ce n'est en ce qui concerne le sort du failli et plus particulièrement quant aux biens qui sont soustraits à la masse et quant à l'éventuelle excusabilité des débiteurs. En pleine cohérence avec ce qui précède, le président I. Verougstraete souligne tous les avantages de l'“énorme flexibilité” que pourrait apporter l'adoption du projet de loi sur la continuité des entreprises. Dans la deuxième partie de son exposé, consacrée aux sûretés, l'orateur se rallie au constat, souvent fait, du caractère cyclique, qui selon les époques, voit s'alourdir ou s'alléger les obligations des cautions. Quant aux privilèges, il est urgent d'y travailler: leur prolifération dépasse l'entendement et il faut encore y ajouter tous les autres mécanismes préférentiels. L'orateur évoque d'ailleurs au passage le cas de la Finlande qui a abrogé les privilèges généraux.

    En guise de conclusion, le président I. Verougstraete considère qu'en la matière, une codification est utile et possible. Le règlement (CE) n° 1346/2000 sur les procédures d'insolvabilité est assurément trop limité. Et de plaider pour une loi uniforme Benelux en matière d'insolvabilité.

    Reprenant le fil du raisonnement du président I. Verougstraete, le professeur B. Wessels essaie de mettre en exergue un certain nombre de principes autour desquels un rapprochement serait possible. Tout comme l'avait fait l'orateur précédent, le professer B. Wessels semble frappé par les besoins de flexibilité en matière de procédure d'insolvabilité, diverses procédures devant poursuivre des buts différents. Et l'auteur d'évoquer des travaux internationaux susceptibles de servir de source d'inspiration tant au niveau international qu'au niveau européen.

    Répondant ensuite, du point du vue français, au professeur G. Horsmans dont nous avons déjà évoqué ci-dessus l'intervention, le professeur J.-L. Vallens fait en quelque sorte écho à ce que disait déjà avant lui le professeur A. Meij et souligne une des caractéristiques du droit commercial, pris sous l'angle judiciaire: le confinement du formalisme. La procédure est largement orale, les avocats ne sont pas indispensables, la justice elle-même est rendue par des professionnels. Le professeur J.-L. Vallens propose même de façon audacieuse d'inclure un élément supplémentaire dans ce qu'il appelle “le dialogue judiciaire dans le monde des affaires”: une certaine dose de discrétion, dût en pâtir le principe de la publicité judiciaire.

    Le dernier grand aspect du Code de commerce à avoir été examiné est celui du droit des transports. Le professeur M. Huybrechts constate que des 250 articles du Code de commerce consacrés au commerce maritime, il ne reste plus grand-chose aujourd'hui, ce droit s'étant considérablement internationalisé. Bémol à cette internationalisation: l'interprétation des textes demeure largement nationale. Quant à une nouvelle codification, il n'y a guère qu'à éliminer les énormes pans qui n'ont plus aucune pertinence, à y inclure des références à ce droit largement international qui vient d'être évoqué et à réécrire les quelques parties qui n'ont pas encore été absorbées par lui.

    Répondant au précédent, le professeur M. Clarck souscrit à cette analyse en terme d'internationalisation de la matière, et semble même y apercevoir un excès: trop de traités, trop souvent amendés, interprétés par les tribunaux selon de propres approches nationales.

    La conclusion de la journée revenait au professeur W. Van Gerven. Ce dernier a, d'emblée, pointé les positions assez tranchées qui s'étaient exprimées au cours de la journée, tantôt pour, tantôt contre une éventuelle recodification. Cela étant, il semble en tout cas admis que le code de 1807 est désormais vieux et usé. Par ailleurs, le besoin d'une nouvelle codification se fait sans doute moins ressentir dans une Union européenne où plus aucun État n'est un État nation, pour lequel l'existence d'un code pourrait avoir valeur de symbole. L'Union européenne elle-même n'a pas vocation à établir une telle codification, pour laquelle il n'y a d'ailleurs aucune habilitation dans les traités. Les niveaux de pouvoir se sont en outre multipliés (international, européen, fédéral, régional, autorégulation), chaque niveau travaillant avec ses propres méthodes d'interprétation et avec ses propres organes. Plus ce pouvoir se morcelle, plus la concertation est nécessaire.

    Le professeur W. Van Gerven fait alors finement observer que le juriste confronté à une nouvelle matière sera sans doute spontanément tenté d'avoir recours d'abord à un manuel de droit, plutôt qu'à un recueil de textes légaux et réglementaires. Et de rappeler alors les conceptions opposées de Montesquieu (célébrant la diversité) et de Condorcet (une bonne loi est universelle). Toute l'attention ne doit pas se porter sur le souci de faire de bonnes lois mais également sur une formation des juristes de demain qui soit en phase avec le contexte économique et juridique d'aujourd'hui. Le pire hommage qui pourrait être rendu à Napoléon serait de vouloir bassement plagier sa méthode de codification, plutôt que de tenter de penser en termes de catégories nouvelles, adaptées à l'époque contemporaine.

    ***

    Notre objectif, dans les paragraphes qui précèdent, a été de mettre en évidence les traits saillants que les orateurs du colloque du bicentenaire du Code de commerce, ont eux-mêmes choisi d'appuyer au cours de leurs exposés. Les présentes lignes ne constituent donc pas une recension circonstanciée et méticuleuse du livre Bicentenaire du Code de commerce mais un encouragement à consulter cet excellent ouvrage, serti de références, et plus encore à poursuivre ce débat sur la codification qui, nous avons la faiblesse de le penser, est loin d'être clos.

    [1] Avocat White & Case.
    [2] Avocat Elegis, maître de conférences à l'ULB.
    [3] Les actes de ce colloque ont été publiés aux éditions Larcier, sous le titre Bicentenaire du Code de commerce - Tweehonderd jaar Wetboek van Koophandel, 389 p.