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Sociétés – Offres publiques d'acquisition, R.D.C.-T.B.H., 2007/5, p. 507-510

SOCIÉTÉS

Offres publiques d'acquisition

Nouveau régime

1.À l'heure où ces lignes sont rédigées, la Chambre des représentants et le Sénat viennent d'adopter deux projets de loi appelés à modifier de manière fondamentale le régime des offres publiques d'acquisition en droit belge [1]. Le premier projet vise tout d'abord à transposer dans notre système juridique la Directive européenne 2004/25/CE du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d'acquisition. Le législateur a cependant saisi l'occasion que lui offrait cette transposition, pour moderniser, compléter et étendre la réglementation existante. Le deuxième projet de loi a un objet plus limité puisqu'il se concentre sur la question - fort débattue - des recours judiciaires en matière d'OPA. Dans le cadre limité de la présente chronique d'actualité, il est évidemment impossible de procéder à une analyse exhaustive des textes en préparation. Il en va d'autant plus ainsi que ces deux projets de loi sont appelés à être complétés par un arrêté royal qui remplacera l'arrêté royal du 8 novembre 1989 et dont le texte doit encore faire l'objet de divers arbitrages.

2.L'on se contentera dès lors d'une introduction générale des nouveaux textes, en insistant sur quatre modifications essentielles qu'ils devraient apporter au droit belge des offres publiques d'acquisition. Ces modifications ont trait aux éléments suivants: (i) modification du champ d'application de la réglementation sur les OPA, (ii) révision fondamentale des règles relatives aux offres publiques obligatoires, (iii) aménagement de la procédure de rédaction du prospectus, (iv) instauration d'un mécanisme de “sell-out”.

3.Modification du champ d'application de la réglementation OPA. Pour rappel, le droit belge actuel des OPA repose essentiellement sur trois textes [2], à savoir: (i) les articles 15 à 18ter de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition [3], (ii) l'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition et aux modifications du contrôle des sociétés, qui constitue bien sûr le siège de la matière pour toutes les OPA portant sur les titres représentatifs ou non du capital, conférant le droit de vote, ainsi que sur les titres donnant droit à la souscription ou à l'acquisition de tels titres ou à la conversion en de tels titres, et (iii) la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres [4].

Un deuxième rappel s'impose pour apprécier la portée des textes en préparation. Il concerne le champ d'application de l'arrêté royal du 8 novembre 1989. Celui-ci vise trois types d'offres publiques qui ont toutes en commun de ne concerner que les seuls titres représentatifs ou non du capital, conférant le droit de vote, ainsi que les titres donnant droit à la souscription ou à l'acquisition de tels titres ou à la conversion en de tels titres. Il s'agit (i) des OPA volontaires lancées en Belgique, quelle que soit la nationalité de la société cible, (ii) des OPA obligatoires consécutives au changement de contrôle des sociétés de droit belge ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne, (iii) des offres de reprise portant sur les titres d'une société anonyme de droit belge ayant fait ou faisant publiquement appel à l'épargne. L'arrêté royal du 8 novembre 1989 n'a, en principe, jamais vocation à régir une offre publique lancée à l'étranger. Il s'applique indépendamment de la question de savoir si une offre est également lancée à l'étranger et est donc simultanément soumise à un autre droit.

4.Devant se substituer au chapitre II de la loi du 2 mars 1989 ainsi qu'à la loi du 22 avril 2003 qui seraient abrogés, le projet de loi a pour vocation d'énoncer les règles de base applicables aux offres publiques. On soulignera d'emblée l'étendue du champ d'application de cette loi puisque les titres susceptibles de faire l'objet d'une offre publique au sens de cet avant-projet de loi sont (i) toutes les catégories d'instruments de placement négociables sur le marché des capitaux et (ii) les autres instruments de placement visés à l'article 4 de la loi du 16 juin 2006. Par le biais de cette référence à l'article 4 de la loi du 16 juin 2006 et notamment à la clause catch-all qu'il contient, le projet confirme expressément l'interprétation large qu'il faut réserver au champ d'application de la future loi.

5.C'est cependant au niveau du type d'opérations visées ainsi que du champ d'application rationae loci que le projet de loi se démarque le plus des règles actuellement en vigueur. En effet, ce projet de loi est appelé à régir: (i) toute offre publique volontaire portant sur des titres, effectuée sur le territoire belge et ce, sous réserve des importantes dérogations liées à la transposition de la directive OPA et à la volonté du législateur européen de soumettre, pour l'essentiel, à un seul droit, les OPA lancées simultanément dans plusieurs États membres; ces dérogations - qui portent sur les règles de droit belge relatives à la reconnaissance d'un prospectus par la CBFA et aux communications à caractère promotionnel - concernent notamment les OPA volontaires visant les titres cotés avec droit de vote d'une société cible dont tant le siège statutaire que le marché principal sont situés dans un autre État membre; (ii) toute offre publique obligatoire portant sur des titres avec droit de vote émis par une société belge et dont une partie au moins des titres avec droit de vote sont admis à la négociation [5] sur un marché réglementé belge, quels que soient les autres pays dans lesquels cette offre est, le cas échéant, également lancée; (iii) toute offre de reprise au sens de l'article 513 § 1er du Code des sociétés; (iv) les questions touchant à la contrepartie offerte et à la procédure d'offre en cas d'OPA obligatoire portant sur des titres avec droit de vote émis par une société qui a son siège statutaire dans un autre État membre mais qui n'y est pas admise à la négociation sur un marché réglementé pour autant que son marché principal soit situé en Belgique; (v) les questions touchant à la reconnaissance du prospectus et aux communications à caractère promotionnel et autres documents et avis dans le cas d'une OPA obligatoire portant sur des titres d'une société qui a son siège statutaire et son marché principal dans un autre État membre, lorsque cette offre est également ouverte en Belgique.

6.Par ailleurs on soulignera la nouvelle définition donnée du caractère public d'une OPA volontaire. L'avant-projet de loi précise en effet qu'une OPA volontaire sera réputée revêtir un caractère public en cas de (i) diffusion sur le territoire belge d'une communication sous quelque forme que ce soit présentant une information suffisante sur les conditions de l'offre pour mettre un détenteur de titres en mesure de décider de céder ses titres ou de (ii) mise en oeuvre d'un procédé de publicité destiné à annoncer ou à recommander l'offre à un nombre minimal de personnes en Belgique autres que des investisseurs qualifiés au sens de l'article 10 de la loi du 16 juin 2006. Ce nombre minimal d'investisseurs sera vraisemblablement fixé à 100. C'est ce même nombre qui interviendra dans la définition de la notion de diffusion d'information.

7.Nouveau régime des offres publiques obligatoires. À la suite des principes posés par la directive européenne, une OPA sera désormais obligatoire, indépendamment de tout changement de contrôle et de tout paiement d'une prime par rapport au prix du marché, lorsque, seule ou avec des personnes avec lesquelles elle agit de concert, une personne viendra à détenir un pourcentage à fixer par le Roi de titres avec droit de vote d'une société belge et dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou sur un marché organisé belge. Ce principe - qui diffère radicalement du système prévu par l'arrêté royal du 8 novembre 1989 - appelle de nombreux commentaires. Nous nous limiterons aux quelques remarques liminaires suivantes.

Le projet de loi propose de fixer à 30% le seuil de participation rendant le lancement d'une OPA obligatoire. Ce seuil de 30% doit se calculer en tenant compte de tous les titres détenus par les personnes agissant de concert; il faut cependant souligner que la notion d'action de concert est appelée à recevoir une définition beaucoup plus large que celle actuellement en vigueur et que le nouveau régime des OPA obligatoires rendra donc très vraisemblablement plus difficile et moins fréquente la conclusion de pactes d'actionnaires ou de tous autres accords susceptibles d'être constitutifs d'une action de concert. Élément fondamentalement neuf, l'avant-projet d'arrêté royal vise également les acquisitions indirectes puisqu'une OPA sera désormais obligatoire pour toute personne acquérant, seule ou de concert, plus de 50% des titres avec droit de vote d'une société qui possède elle-même une participation de 30% dans une société visée; la même obligation s'imposera à celui qui acquerra plus de 50% des titres d'une société exerçant un contrôle de droit sur une société détenant une participation de 30% dans le capital de la société visée.

Diverses exceptions à l'obligation de lancer une OPA sont prévues. On retiendra notamment que l'exception liée à une augmentation de capital aura un champ d'application beaucoup plus restreint que sous le régime actuel [6].

Le prix de l'offre publique obligatoire est le prix le plus élevé payé au cours des 12 mois précédant l'annonce de l'offre par l'offrant ou une personne agissant de concert avec lui pour les titres concernés; autre élément neuf, le prix doit au moins représenter la moyenne des prix des négociations pratiqués au cours des trois derniers mois précédant le franchissement du seuil de 30%.

Last but not least, le projet de loi contient une clause de safe harbour pour les actionnaires détenant seuls ou de concert, à la date d'entrée en vigueur de cette loi, 30% des titres avec droit de vote de la société visée et ce, à la condition expresse que dans un délai de 120 jours suivant l'entrée en vigueur du nouveau régime des OPA obligatoires, ils notifient cette participation à la CBFA par lettre recommandée.

8.Adaptation du processus de rédaction et d'approbation des prospectus. Si l'obligation de principe de rédiger un prospectus en cas d'offre publique d'acquisition n'est évidemment pas neuve, les modalités de sa rédaction et de son approbation telles que définies par les nouveaux textes appellent notamment les commentaires suivants.

Le projet de loi apporte des éclaircissements quant au format du prospectus. Les offrants auront désormais la faculté de préparer leurs prospectus sur la base (i) d'un document unique ou (ii) de documents distincts (à savoir un document d'enregistrement [7] complété par une note spécifique - dont le format doit encore être défini - relative à l'offre publique d'acquisition). Dans tous les cas de figure, ces documents seront complétés par un résumé de prospectus.

Dans les cas déterminés par le projet d'arrêté royal, un nouveau document fera son apparition en matière d'OPA; il s'agit du mémoire en réponse rédigé par la société cible dans un délai de 10 jours ouvrables suivant la réception de l'avis d'offre publique; ce mémoire devra également être approuvé par la CBFA et sera diffusé - le cas échéant indépendamment du prospectus - selon des mécanismes similaires à ceux prévus pour la diffusion du prospectus proprement dit.

Le régime linguistique des prospectus d'OPA sera différent de celui applicable aux prospectus d'émission et d'admission; en l'espèce, le projet de loi prévoit que les prospectus d'OPA seront en principe rédigés en français et en néerlandais; il n'en ira autrement que si l'offrant établit que la société visée publie habituellement son information financière dans une seule langue nationale ou dans une langue usuelle dans la sphère financière internationale et acceptée par la CBFA. Le résumé de prospectus ne peut quant à lui être rédigé qu'en français ou en néerlandais.

En matière d'approbation de prospectus relatif à des offres lancées simultanément dans plusieurs pays, la Directive OPA amorce un développement majeur puisqu'elle désigne l'autorité compétente chargée de contrôler cette offre publique et d'approuver le prospectus y afférent et qu'elle prévoit que l'offrant peut solliciter dans d'autres États membres la reconnaissance du prospectus ainsi approuvé sans que les autorités de contrôle de ces autres États membres doivent à leur tour approuver ce prospectus (si ce n'est une éventuelle traduction de celui-ci). Tout au plus ces autorités pourront-elles exiger l'insertion d'informations spécifiquement destinées aux investisseurs établis dans ces autres États membres.

Sur la base du projet de loi, l'autorité de contrôle sera définie par référence au marché principal de la société visée; par marché principal, il faudra entendre: a) l'État membre sur le marché réglementé duquel les titres avec droit de vote de la société visée sont admis à la négociation; ou b) si les titres avec droit de vote de la société visée sont admis à la négociation sur les marchés réglementés de plus d'un État membre, l'État membre sur le marché réglementé duquel les titres de la société ont été admis à la négociation en premier lieu; ou c) si les titres avec droit de vote de la société visée sont ou ont été admis à la négociation simultanément sur les marchés réglementés de plusieurs États membres, l'un de ces États membres tel que désigné par la société visée. Cette définition du marché principal qui est inspirée de l'article 2 a) de la Directive OPA laisse donc potentiellement à la société visée le choix du droit applicable et de l'autorité de contrôle compétente en cas d'OPA la visant. Il s'agit là certainement d'un des aspects les plus délicats de la directive européenne puisqu'il ouvre la voie à une certaine forme de forum shopping.

Sauf s'il y renonce sur décision unanime de ses membres, le conseil d'entreprise de la société visée entendra les représentants de l'organe d'administration de l'offrant afin que ceux-ci lui exposent de manière détaillée la politique industrielle de l'offrant, ses plans stratégiques pour la société visée et ses répercussions sur l'emploi et les sites d'activité de la société. Les sanctions applicables en cas de non-comparution des représentants de l'organe d'administration de l'offrant devant le conseil d'entreprise de la société visée pourraient aller jusqu'à la suspension des droits de vote attachés aux titres acquis dans le cadre de l'offre et ce, jusqu'à ce que l'offrant se présente à l'audition.

9.“Squeeze-out” et “sell-out”. Les nouveaux textes adaptent également les règles relatives aux offres de reprise qui suivent une offre volontaire (“squeeze-out”) et instaurent, dans certaines hypothèses, la faculté pour les actionnaires minoritaires d'exiger de l'offrant qu'il leur rachète leurs titres après la clôture de l'offre (“sell-out”). En ce qui concerne l'offre de reprise, les nouveaux textes confirment le principe selon lequel si à la suite de l'offre, l'offrant détient, seul ou de concert, 95% des titres avec droit de vote de la société visée, il peut lancer une offre de reprise au terme d'une procédure simplifiée. Ils précisent cependant que le prix de l'offre doit être juste, étant entendu que le prix de l'offre sera réputé tel si l'offrant a acquis, au terme de l'offre, 90% des titres avec droit de vote qui faisaient l'objet de l'offre.

S'inspirant des dispositions de la Directive OPA, le projet d'arrêté royal prévoit par ailleurs qu'en l'absence d'offre de reprise et dans l'hypothèse où à la suite de l'offre, l'offrant détient, seul ou de concert, 95% des titres avec droit de vote de la société visée, l'actionnaire minoritaire peut exiger de l'offrant - dans un délai de 90 jours suivant la clôture de l'offre - qu'il rachète ses titres avec droit de vote de la société visée et ce, à un prix juste. Ici aussi, le nouveau texte présume que le prix de l'offre sera réputé juste si l'offrant a acquis, au terme de l'offre, 90% des titres avec droit de vote qui faisaient l'objet de l'offre mais ne précise pas ce qu'il advient si cette présomption ne joue pas.

[1] Les deux projets de loi ont été adoptés en séance plénière par la Chambre des représentants le 15 février 2007 et par le Sénat le 15 mars 2007. À l'heure où ces lignes sont rédigées, les deux projets ont été renvoyés à la Chambre pour sanction royale et publication au Moniteur belge.
[2] Il faut également mentionner l'art. 121 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers et modifiant diverses autres dispositions légales qui confère à la cour d'appel de Bruxelles une compétence exclusive en matière de contentieux relatif aux décisions de la CBFA n'infligeant ni astreinte, ni amende administrative (ce qui vise notamment le contentieux relatif au refus d'approbation d'un prospectus d'offre publique) ou aux décisions de la Commission imposant des astreintes ou des amendes administratives.
[3] Dont on retiendra essentiellement (i) qu'ils constituent la base légale sur laquelle a été adopté l'arrêté royal du 8 novembre 1989, (ii) qu'ils définissent les pouvoirs de la CBFA en matière d'OPA et (iii) qu'ils confèrent à la cour d'appel de Bruxelles une compétence exclusive pour connaître du contentieux des droits subjectifs en matière d'OPA.
[4] Qui, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2006, ne reste plus en vigueur que dans la seule mesure où elle concerne les offres publiques d'acquisition et qui constitue donc le texte principal relatif aux OPA ne portant pas sur les titres représentatifs ou non du capital, conférant le droit de vote, ou sur les titres donnant droit à la souscription ou à l'acquisition de tels titres ou à la conversion en de tels titres.
[5] On remarquera que les sociétés dont les titres sont répandus dans le public mais ne sont pas admis à la négociation sur un marché réglementé belge ne seront donc plus susceptibles de faire l'objet d'une OPA obligatoire.
[6] En dehors des augmentation de capital décidées par des sociétés en difficulté, cette exception ne concernera plus que la souscription à une augmentation de capital, avec droit de préférence, d'une société, décidée par l'assemblée générale pour autant que la personne qui, seule ou de concert, vient à détenir plus de 30% des droits de vote de cette société n'ait pas participé au vote sur cette augmentation de capital.
[7] Au sens de l'art. 50 de la loi du 16 juin 2006.