Article

Cour d'appel Liège, 04/10/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/3, p. 273-275

Cour d'appel de Liège 4 octobre 2005

SÛRETÉS
Sûretés personnelles - Cautionnement - Caractère gratuit - administrateur de sociétés (non gratuit)
L'administrateur d'une société commerciale ne peut pas être considéré avoir donné un cautionnement gratuit pour les dettes de cette société quand les statuts de la société prévoyaient des rémunérations pour l'administrateur, qui a accompli des actes dans l'intérêt de la société, ce qui démontre l'existence d'un avantage à tout le moins indirect dans le chef de l'administrateur-caution.
ZEKERHEDEN
Persoonlijke zekerheid - Borgtocht - Kosteloos karakter - Bestuurder van vennootschappen (niet kosteloos)
De bestuurder van een vennootschap kan niet geacht worden zich kosteloos borg te hebben gesteld voor deze vennootschap wanneer hij een minstens indirect belang bij die borgstelling heeft, hetgeen aangetoond wordt doordat de statuten van de vennootschap in een bestuurdersvergoeding voorzien en de bestuurder handelingen in het belang van de vennootschap gesteld heeft.

A. Laffineuse et M. Montjoie / SA ING Belgique

Siég.: M.-F. Hubert (conseiller ff. de président), E. Dehant et L. Noir (conseillers)
Pl.: Mes Y. Duquenne loco O. Boclinville et P. Rosoux

Vu la requête du 3 février 2004 par laquelle Alphonse Laffineuse et son épouse, Marie Montjoie - ci-après dénommés les époux Laffineuse - interjettent appel du jugement rendu le 27 novembre 2003 par le tribunal de première instance de Marche-en-Famenne, signifié le 5 janvier 2004, et intiment la SA ING Belgique, anciennement BBL.

Les faits de la cause et l'objet de la demande ont été correctement énoncés par le premier juge à l'exposé duquel la cour se réfère sous la seule précision que, par jugement du 20 septembre 2004 du tribunal de commerce de Marche-en-Famenne, la créance de l'intimée a été admise au passif chirographaire de la faillite de la SA Laffineuse Invest pour la somme de 888.984,34 euros.

Procédure

À supposer même - quod non - que le tribunal de première instance n'était pas compétent ratione materiae pour connaître du litige, la présente cour - juridiction d'appel des instances civiles et commerciales - est en tout état de cause compétente pour connaître du fond de celui-ci dès lors que “lorsqu'il infirme une décision par laquelle le premier juge s'est déclaré compétent, le juge d'appel doit statuer au fond s'il est lui-même compétent” (Cass. 24 décembre 1987 et concl. proc. gén. E. Krings).

La cause n'a pas, au vu de ce qui précède, à être “renvoyée devant le tribunal de commerce de Marche-en-Famenne” comme le postulent les appelants dans le dispositif de leurs conclusions d'appel, la présente cour statuant au fond comme détaillé ci-après.

Par ailleurs, il s'agit d'une question de compétence de la juridiction saisie et non de recevabilité de l'action originaire qui, dès lors qu'aucun moyen d'irrecevabilité n'est - et ne semble devoir l'être d'office - soulevé à son encontre, doit être déclarée recevable.

Fond
1. Montant réclamé en principal

Compte tenu de ce que, par jugement du 20 septembre 2004 du tribunal de commerce de Marche-en-Famenne, la créance de l'intimée a été admise au passif chirographaire de la faillite de la SA Laffineuse Invest pour la somme de 888.984,34 euros, la réclamation de l'intimée à l'encontre des appelants, d'un montant de 867.627,34 euros en principal, est justifiée.

2. Taux des intérêts

Les appelants considèrent que le taux de 1,60% par mois - ce qui donne un taux annuel de 19,2% et non 21% contrairement à ce qu'affirment les appelants - réclamé pour découvert sur compte relèverait de l'usure.

Un taux n'est “usuraire” que dans les conditions prévues par l'article 1907ter du Code civil, ce qui implique notamment que ce taux soit anormal, ce qui n'est pas le cas concernant le taux litigieux car il est fixé en fonction de divers paramètres dont l'application le rend variable, paramètres tels que:

- le taux d'intérêt que la banque doit elle-même payer en empruntant cet argent sur le marché financier (généralement le taux BIBOR 3 mois);

- les frais généraux exposés par la banque pour exercer son activité bancaire (frais d'exploitation, de personnel,...);

- les risques plus grands liés aux découverts en compte (caractère imprévu,...);

- tous autres facteurs qui rendent de tels taux légitimes en cas de dépassement en compte - voy., sur la question de savoir si un taux d'intérêt de l'ordre de 20% (ou plus) est usuraire, CUP, vol. XXIV, Points délicats des règlements généraux des opérations de banque, n° 60 et les références citées.

Compte tenu de ce qui précède, le taux réclamé doit être appliqué.

3. Caractère gratuit du cautionnement

Comme le relève la Cour d'arbitrage dans son arrêt du 30 juin 2004, “le choix de ne libérer que la caution dite de bienfaisance a été justifié de la manière suivante: [...]. Il y a lieu de faire la distinction entre les cautions professionnelles [...] et celles qui sont constituées par des particuliers pour des motifs de bienfaisance, sans parfois mesurer toutes les conséquences de leur décision [...]. La différence de traitement critiquée repose sur un critère objectif: la nature gratuite de la caution porte sur l'absence de tout avantage, tant direct qu'indirect, que la caution peut obtenir grâce au cautionnement. Le critère est pertinent [...]. En libérant de leurs obligations les seules personnes qui ne poursuivent aucun avantage économique par le biais de leur caution, le législateur a entendu protéger la catégorie des cautions la plus désintéressée et la plus vulnérable”, (mis en caractères gras par la cour de céans) (C.A. 30 juin 2004, n° de rôle 1142004, 2674, 2789).

En l'espèce les appelants ne remplissent pas les conditions de cautions à titre gratuit telles que dégagées ci-avant.

En effet,

- Alphonse Laffineuse était administrateur de la SA Laffineuse Invest, de sa création jusqu'à sa faillite;

- les statuts de cette société prévoyaient, en leur article 28, que “les administrateurs reçoivent, à charge des frais généraux, des émoluments dont l'assemblée générale détermine les modalités et l'importance”; l'affirmation des appelants, selon laquelle Alphonse Laffineuse - et la SA Laffineuse, dont il sera question ci-après à propos de Marie Montjoie - n'aurait jamais perçu aucune rémunération ni aucun défraiement n'est étayée par aucun document, alors qu'il eût suffi de produire les comptes de la société pour l'établir;

- contrairement à ce qu'il soutient, Alphonse Laffineuse a bel et bien accompli des actes dans l'intérêt de la société, à tout le moins celui - des plus importants en l'occurrence - de signer, en sa qualité d'administrateur, le document du 26 février 1997 portant le crédit octroyé à la société à 35 millions de francs et prévoyant le cautionnement litigieux, à savoir le sien et celui de son épouse;

- Marie Montjoie était administrateur et présidente du conseil d'administration de la SA Laffineuse, qui détenait 90% des actions de la SA Laffineuse Invest et était également administrateur de cette dernière - également de sa constitution à sa faillite - ce qui lui permettait, à ce titre, de percevoir des émoluments; il importe peu, à cet égard, que le mandat de Marie Montjoie au sein de la SA Laffineuse ait été gratuit.

Les éléments relevés ci-dessus excluent que les appelants n'aient pu “mesurer toutes les conséquences de leur décision” de cautionner les engagements de la SA Laffineuse Invest et démontrent l'existence, dans leur chef, d'un avantage économique à tout le moins indirect. Le fait que leur fils était administrateur délégué de la SA Laffineuse Invest ne peut suffire à donner à leur cautionnement un caractère gratuit et n'énerve en rien les considérations qui précèdent.

Par ailleurs et tout à fait superfétatoirement, les appelants ne démontrent pas que l'obligation qu'ils ont contractée en se portant cautions est disproportionnée à leurs revenus et à leur patrimoine.

4. Demande de question préjudicielle à poser à la Cour d'arbitrage suivie d'une demande de surséance à statuer

1. Dans un premier temps, les appelants, considérant qu'il y avait rupture d'égalité des Belges devant la loi dès lors que le sort des cautions “bénévoles” était différent en cas de faillite du débiteur principal selon qu'elles étaient cautions d'une personne physique ou d'une personne morale, postulait que la Cour d'arbitrage soit interrogée à cet égard - requête d'appel, page 6.

Entre-temps, la Cour d'arbitrage, qui avait été saisie, non seulement d'une question préjudicielle, mais également d'un recours en annulation des dispositions légales incriminées, a tranché le problème par son arrêt - dont question ci-avant - du 30 juin 2004.

Cette demande, qui ne peut en conséquence être suivie au vu de l'article 26 § 2, 1° de la loi spéciale sur la Cour d'arbitrage du 6 janvier 1989, n'est d'ailleurs pas reproduite par les appelants par voie de conclusions, ceux-ci l'ayant remplacée, au vu de la teneur de cet arrêt du 30 juin 2004, par une demande de surséance à statuer dans l'attente de la réforme législative à intervenir.

2. Il n'existe aucune raison de surseoir à statuer.

La réforme législative attendue suite à l'arrêt précité de la Cour d'arbitrage du 30 juin 2004 est intervenue le 20 juillet 2005 et est entrée en vigueur le 7 août 2005.

En tout état de cause, cette loi permet, dans certaines conditions, la libération des seules cautions à titre gratuit et il a été démontré ci-avant que les appelants ne pouvaient être considérés comme tels.

Par ces motifs,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935,

La cour, statuant contradictoirement,

Reçoit l'appel,

Confirme le jugement entrepris.

Condamne les époux Laffineuse aux dépens de l'appel, liquidés de la SA ING Belgique à 456,12 euros.

(...)