L'arrêt commenté rappelle à bon droit qu'au Grand-Duché de Luxembourg, le secret bancaire a un fondement légal et que son non respect est sanctionné pénalement.
C'est une différence de nature importante avec la Belgique où le devoir de confidentialité du banquier n'est pas sanctionné pénalement [1] et a un fondement basé sur le contrat ou sur les usages [2].
Au Grand-Duché de Luxembourg, il est aussi de jurisprudence que le secret bancaire est d'ordre public et est constitutif d'une obligation de résultat [3]. Il en est de même en Suisse [4].
Le domaine de l'obligation de discrétion du banquier a toujours fait couler beaucoup d'encre. Ne sont en principe concernées que les informations confidentielles apprises à l'occasion des opérations bancaires ou sur les opérations elles-mêmes [5]. Ces informations doivent présenter un caractère précis tel que par exemple le montant ou le mouvement d'un compte.
Plus délicate est la question de savoir si le banquier doit conserver le silence sur le fait que telle personne fait partie de sa clientèle.
En Belgique, le professeur Henrion considérait qu'un tel fait n'est pas couvert par l'obligation de discrétion [6].
Dans les pays où le secret bancaire trouve un fondement légal assorti de sanctions pénales, la question est controversée.
En Suisse, on considère que l'obligation de discrétion concerne l'identité du client et de l'ayant droit économique [7]. En France, certains considèrent que l'existence même des relations d'affaires pourrait échapper au devoir du secret, à moins que le client ait manifesté une volonté contraire [8].
Plus originale encore est la question posée par l'arrêt commenté. L'inexistence d'une relation bancaire est-elle en soi couverte par le secret professionnel du banquier? Le banquier a-t-il un devoir de se taire, en toutes circonstances? Révéler le fait qu'une personne physique ou morale n'est pas cliente d'un établissement de crédit est-il constitutif de la violation d'un quelconque secret? Nous ne le pensons pas. Cette question nous semble étrangère à la question du secret qui interdirait au banquier de parler.
Une banque qui devrait attester qu'une personne n'est pas cliente auprès de son établissement ne trahit en réalité aucune confidence qu'un de ses clients lui aurait confiée. Aucun contractant, aucun tiers créancier d'un prétendu droit à ce prétendu secret ne serait dans ce cas lésé.
Par contre, si le banquier n'a quant à ce aucun devoir de se taire, on comprend tout autant qu'il ait le droit de ne rien révéler. La doctrine citée dans l'arrêt commenté en donne les raisons:
“En effet, des réponses négatives de plusieurs établissements peuvent permettre de déduire où se trouvent des fonds. De plus, il serait facile de déduire une réponse positive du silence d'une banque qui a coutume de préciser qu'elle ne détient pas de compte. Il s'agit donc à la fois d'un devoir de solidarité professionnelle [9] et d'une obligation légale. S'il est vrai qu'en l'absence d'un client, il n'y a pas de secret (et en conséquence pas de violation possible) la banque est néanmoins tenue de s'abstenir de fournir des indices permettant de violer la discrétion qu'elle doit à l'ensemble de ses clients” [10].
D'autres auteurs suisses vont dans le même sens: “Le banquier n'est pas autorisé à révéler si une personne est ou non un client de son établissement”. “C'est notamment pour cette raison que des instituts bancaires imposaient à leurs employés de ne pas répondre aux appels téléphoniques en provenance de l'étranger en citant le nom de la banque, mais en confirmant simplement le numéro de téléphone de celle-ci. En effet, cette mesure visait à protéger les clients étrangers susceptibles de faire l'objet d'écoutes téléphoniques. De même, les enveloppes avec lesquelles la banque adresse sa correspondance à sa clientèle ne portent jamais l'en-tête de la banque. À une époque, les enveloppes transitaient même par les succursales de la banque à l'étranger pour éviter que le cachet de la poste indique qu'elles provenaient de Suisse. Actuellement, encore, certaines banques ont créé des sociétés distinctes de la banque, domiciliées à la même adresse, mais permettant de donner l'apparence sur la correspondance que le client n'est pas en relation avec une banque suisse, mais avec une société quelconque” [11].
En définitive, le fait pour une banque de ne pas confirmer qu'une personne n'est pas l'une de ses clientes n'est pas fautif. Si ceci nous paraît étranger au secret professionnel, ce droit au refus est en tout état de cause légitime. Il fait partie des devoirs de vigilance du banquier. C'est à bon droit que l'arrêt commenté considère que le refus du banquier de délivrer une attestation négative est conforme à la pratique généralement observée dans les milieux bancaires concernés et que cette position s'appuie sur l'interprétation des textes légaux applicables qu'en donnent la jurisprudence et un fort courant doctrinal. Et de conclure que cette position ne constitue pas un comportement contraire à celui d'une institution bancaire normalement prudente et diligente constitutif d'une faute sur base de l'article 1382 du Code civil. Il nous paraît cependant qu'en l'espèce, la juridiction principautaire aurait pu tenir compte d'un élément de fait non négligeable. En effet, l'attestation négative n'était pas demandée par un tiers mais par une personne qui n'était pas cliente de l'établissement de crédit incriminé. On voit mal dans ce cas quels indices la banque pourrait fournir qui permettrait à ce non client de violer un quelconque secret qui serait dû à l'ensemble des clients …
[1] | “Ni la nature des fonctions exercées par les banquiers, ni aucune disposition légale, ne leur confèrent la qualité de personnes tenues au secret professionnel au sens de l'article 458 du Code pénal” (Cass. 25 octobre 1978, J.T. 1979, p. 371 et obs. A. Bruyneel, “Le secret bancaire en Belgique après l'arrêt du 25 octobre 1978”). Cette jurisprudence ne contredit nullement l'existence d'une obligation de garder le secret sur les opérations traitées par le banquier avec ses clients. Elle implique seulement que la méconnaissance de cette obligation n'entraîne pas de sanctions pénales. Cons. aussi Civ. Namur 11 octobre 1988, R.R.D. 1989, p. 204; Comm. Namur 29 juin 1995, J.T. 1996, p. 328. |
[2] | A. Willems et J.-P. Buyle, “Les usages en droit bancaire”, DAOR 1990/17, p. 89. Certains avancent l'idée que l'obligation serait imposée par un principe général de droit (F. Grua, Les contrats bancaires, t. I, Economica, 1990, p. 22, n° 17). |
[3] | Luxembourg 2 avril 2003 (2 arrêts), J.T. 2003, p. 315 , ALJB-Bulletin droit et banque, n° 34, p. 52. Contra A. Serebinakoff, “Le caractère d'ordre public du secret bancaire: conviction ou réalité”, in Droit bancaire et financier au Luxembourg, ALJB, Larcier, 2004, vol. 1, p. 283. |
[4] | A. Joyce Rappo, Le secret bancaire, Berne, Staempfli, 2002, p. 248, n° 626. |
[5] | Le banquier doit garder le secret, tant sur les opérations traitées avec son client que sur les renseignements donnés par celui-ci en vue de leur réalisation (J. Van Ryn et J. Heenen, Principes de droit commercial, t. III, p. 290, n° 2049). |
[6] | R. Henrion, Le secret professionnel du banquier, U.L.B., 1963, p. 60. |
[7] | M. Aubert, Le secret bancaire suisse, Berne, Staempfli, 1995, p. 92. |
[8] | Ch. Gavalda et J. Stoufflet, Droit bancaire, 6e éd., Litec, 2005, p. 121, n° 174. |
[9] | Il est intéressant de constater qu'un devoir de solidarité existe entre banquiers. Le devoir de solidarité est une valeur déontologique que l'on rencontre peu souvent (par exemple pour les avocats les règles existantes lorsqu'un avocat intervient après un confrère en lui succédant ou lorsqu'il intervient pour ou contre un autre avocat). |
[10] | M. Aubert, Le secret bancaire suisse, o.c., pp. 92-93. |
[11] | A. Joyce Rappo, Le secret bancaire, o.c., p. 251, n° 635 et note 4. |