Article

Cour d'appel Liège, 15/09/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/1, p. 90-96

Cour d'appel de Liège 15 septembre 2005

DROIT BANCAIRE
Secret bancaire - Secret bancaire luxembourgeois - Ordre public - Obligation de résultat de la banque
Le secret bancaire luxembourgeois est d'ordre public. L'obligation au secret de la banque est une obligation de résultat.
Ne commet pas de faute le banquier luxembourgeois qui, en raison de ses obligations légales de secret et de confidentialité, refuse de délivrer à une personne qui n'est pas cliente une attestation établissant qu'il ne détient pas et qu'il n'a jamais détenu aucun compte auprès de cet établissement.
BANKRECHT
Bankgeheim - Luxemburgs bankgeheim - Openbare orde - Resultaatsverbintenis van de bank
Het Luxemburgse bankgeheim is van openbare orde. De verplichting tot geheimhouding van de bank is een resultaatsverbintenis.
De Luxemburgse bankier die, omwille van zijn wettelijke verplichtingen van geheimhouding en confidentialiteit, weigert om aan een persoon die niet zijn cliënte is een attest af te leveren waaruit blijkt dat deze geen rekening bij deze instelling aanhoudt of heeft aangehouden, maakt geen fout.

D. Reynders / SA Kredietbank Luxembourgeoise, L. Verduyn et A. Costa

L. Verduyn / D. Reynders et A. Costa

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes D. Matray, J.-F. Moreau et J.-P. De Bandt, J.-Ch. Troussel et G. Sorreaux loco G. Glas, D. Roelens et M. Verschure

(...)

Rappel des faits et de la procédure

Le vendredi 12 novembre 1999, Ludwig Verduyn signe dans le quotidien “De Morgen” dont il est le rédacteur en chef trois articles publiés en pages 1, 2 et 6 affirmant que Didier Reynders, ministre belge des Finances, possède auprès de la KBL un compte codé présentant un solde positif de 191.701.470 FB et un compte d'épargne nominatif présentant un solde de 13.010.000 FB.

Ces articles s'appuient sur les reproductions photographiques de deux documents, à savoir une “fiche technique” relative à un compte codé “WK” portant le numéro 745511 dont le titulaire désigné est Didier Reynders et dont la légende indique qu'il s'agit des documents internes de la KBL relatifs au compte anonyme de l'intéressé, et un “extrait” d'un compte d'épargne portant le numéro 52-745211-65 dont le titulaire désigné est de même Didier Reynders et dont la légende mentionne qu'il s'agit d'un compte d'épargne au nom du ministre.

Le journaliste accompagne l'exposé des informations qu'il présente comme certaines de commentaires relatifs tant à la nature du compte codé (“instrument-clé pour échapper au fisc belge ou à tout autre contrôle”) qu'au montant de ceux-ci (“d'où Reynders a-t-il pu tirer cet argent? Les parents du ministre faisaient partie de la classe moyenne. L'homme a lui-même exercé divers mandats de dirigeant, mais ces mandats n'ont pas pu lui rapporter 200 millions”) pour aboutir à la conclusion que le politicien est maintenant “dans de beaux draps” et qu'“avec son commentaire (“je nie”), Reynders ne peut rien faire d'autre” que ce que font les “petits épargnants” à qui “lui-même a donné le signal d'ouverture de la chasse”, soit “nier les faits, jusqu'au bout, dans l'espoir qu'un tribunal dise un jour que les documents en question sont illégaux”.

Dans le courant de la matinée du 12 novembre, le juge d'instruction chargé du dossier KBL, J.C. Leys, et le porte-parole du parquet du procureur du Roi de Bruxelles, L. Pellens, font savoir que les documents publiés sont des faux grossiers;

L'information est immédiatement transmise par les journaux parlés et télévisés dès la mi-journée (ainsi au J.T. de 12h50 de la RTBF, à la question d'une “certitude à 100% qu'il s'agit d'un faux ou [d']un doute qui subsiste?”, L. Pellens répond: “Non, je crois qu'on peut parler d'une certitude à 100%”); les quotidiens belges s'en font largement l'écho dès le lendemain (voy. notamment “Le Soir” du 13 novembre 1999: “Reynders victime d'un faux publié par 'De Morgen'. Montage de toutes pièces”).

Le jour même de la publication des articles litigieux, Didier Reynders, par télécopie et courrier recommandé de son conseil, met L. Verduyn en demeure de publier dans l'édition du “De Morgen” du 13 novembre, en première page et dans des caractères d'une dimension égale à ceux desdits articles, la confirmation de ce que les documents publiés sont faux et des excuses pour avoir diffusé des informations inexactes et pour avoir accompagné celles-ci de commentaires destinés à lui nuire. Il n'y a alors pas de réaction du journaliste.

C'est dans l'édition du “De Morgen” du lundi 15 novembre 1999 que L. Verduyn s'incline: sous le titre “Faute”, il reconnaît que le journal “a été utilisé pour introduire dans le dossier des faux documents”, que “Didier Reynders ne possède donc pas de compte à la KB Lux” et il “présente [ses] excuses pour la manière dont le ministre a été attaqué dans le journal”. Sur les ondes de la VRT, au journal parlé de 7h40, il admet que le ton employé dans les articles était exagéré, que c'était sans aucun doute une faute et il réitère ses excuses au ministre.

Ce même lundi 15 novembre 1999, Antonino Costa, ancien comptable de la KBL, reconnaît tant sur les ondes de la RTBF qu'à la rédaction du “De Standaard” qui s'en fait l'écho le lendemain, qu'il est l'auteur des faux et que c'est lui qui les a transmis à L. Verduyn. Il explique qu'en diffusant les faux, il a tenté de protéger les petits contribuables qui peuvent, eux aussi, prétendre que les documents de l'administration fiscale sont des faux et avoue avoir eu d'autre part des raisons personnelles à agir, soit qu'un membre de sa famille est inquiété pour un compte détenu à la KBL et que lui-même avait un compte à régler avec le journaliste qu'il tient pour responsable de l'incarcération qu'il a subie suite à des informations publiées par L. Verduyn.

L'après-midi du lundi 15 novembre, Didier Reynders accompagné d'un huissier de justice se présente au siège de la KBL à Luxembourg pour faire “constater la prise de position de la Kredietbank et notamment les réponses à ces deux questions spécifiques:

1. de confirmer que contrairement à l'information publiée par De Morgen (...il) n'est pas titulaire, auprès de Kredietbank Luxembourg SA, des comptes nos 745511 et 745211 et qu'il ne détient et n'a jamais détenu en réalité aucun compte auprès de cet établissement;

2. de confirmer que les documents bancaires reproduits par De Morgen, dans son édition susdite, n'émanaient en réalité pas de Kredietbank Luxembourg SA et qu'ils constituaient partant des faux”.

Le procès-verbal “de constat contenant sommation” consigne que le président de la banque, D. Wigny, a déclaré “qu'il ne pouvait pas prendre position et qu'il refusait de se prononcer (au nom) du secret bancaire et du secret professionnel”.

Didier Reynders assigne le 23 novembre 1999 L. Verduyn, A. Costa et la KBL en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi suite à la publication des articles et au refus de la banque de lui délivrer l'attestation postulée.

Il demande leur condamnation in solidum à verser au CPAS de Liège ou à une institution de bienfaisance à déterminer ultérieurement 250.000 FB d'indemnisation et la publication de la décision à intervenir, à leurs frais, dans 4 quotidiens, publications hebdomadaires ou mensuelles, francophones et 4 néerlandophones dont “De Morgen”.

Le jugement entrepris condamne L. Verduyn et A. Costa in solidum à verser € 6.000 au CPAS de Liège et à faire publier à leurs frais le jugement dans 3 quotidiens néerlandophones dont De Morgen et dans deux quotidiens francophones à désigner par le ministre. Il déboute ce dernier de son action contre la KBL au motif qu'il ne démontre pas la faute qu'il impute à la banque.

Les différents appels relevés de ce jugement doivent être joints en raison de la connexité qui les unit.

Didier Reynders est en appel principalement de la mise hors cause de la KBL mais, incidemment, il entreprend aussi le jugement en ce qu'il a limité le nombre des publications prévues et a refusé d'assortir la mesure des astreintes postulées.

Dans ses dernières conclusions de synthèse, il introduit une demande nouvelle visant la condamnation in solidum des trois autres parties à ses frais de défense à concurrence pour l'heure d'un euro provisionnel.

Ludwig Verduyn limite son appel aux mesures de dommages et intérêts et de publication prononcées par le jugement entrepris.

À titre subsidiaire, il postule pour la première fois en degré d'appel qu'A. Costa le garantisse de toute condamnation qui serait prononcée à sa charge, étendant de ce fait la demande qu'il formulait contre ce dernier en instance de le voir condamner aux dépens.

La KBL postule, en ce qui la concerne, la confirmation du jugement. Elle introduit par ailleurs une demande incidente visant la condamnation de Didier Reynders à lui payer € 10.000 de dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire.

Discussion
La faute de Ludwig Verduyn

Attendu que le jugement entrepris retient que “en publiant sans réserves des documents dont il devait pressentir qu'ils étaient suspects et sans opérer la moindre vérification alors qu'il disposait du temps nécessaire pour le faire, Ludwig Verduyn a commis une faute”;

Que l'intéressé en convient puisqu'il précise que son appel “ne porte en effet pas sur l'existence de la faute commise par lui par la publication des articles incriminés (conclusions, p. 5).

La faute d'Antonino Costa

Attendu qu'Antonino Costa conteste au contraire avoir commis la moindre faute qui serait en relation causale avec le dommage invoqué par Didier Reynders;

Qu'il ne nie pas être l'auteur des faux documents publiés: il a d'ailleurs été condamné par défaut le 10 mars 2003 par le tribunal correctionnel de Bruxelles pour avoir commis ces faux et en avoir fait usage à un emprisonnement de 18 mois et à une amende de € 500, jugement qu'il prétend avoir été réformé sur son opposition, au bénéfice d'une mesure de suspension de la condamnation dont le parquet serait en appel;

Qu'il ne conteste pas non plus avoir communiqué les documents à Ludwig Verduyn dès le 4 novembre 1999 mais qu'il argue lui avoir signalé, à cette occasion, “qu'il s'agissait de faux documents et qu'il était possible, moyennant quelques procédés techniques, de rédiger tout et n'importe quoi à l'égard de quiconque” en sorte que ce serait “dans un pur esprit de sensationnalisme” que L. Verduyn aurait, “sous sa seule responsabilité, décidé de publier lesdits documents en les accompagnant de commentaires accusateurs” (ses conclusions, p. 5);

Attendu que le propos est contredit par ses propres révélations à la presse au moment même des faits qui établissent une réalité toute différente; que si A. Costa a aussi transmis les documents au ministre Reynders en indiquant, à l'adresse de ce dernier, la mention manuscrite “Vrai? ou Faux?”, loin d'avoir fait de même avec le journaliste, il a au contraire avoué à la rédaction du “De Standaard” lors d'un entretien du 15 novembre 1999 qu'il avait “fait croire à Verduyn que Reynders avait un compte à la KB-Lux” et que ce dernier était “tombé dans le panneau”, expliquant qu'il “voulait selon ses propres dires atteindre Verduyn personnellement” même s'il lui a “encore téléphoné le jour précédant la publication pour lui dire de faire attention” car il avait “un peu de remords”;

Que cette mise en garde évasive et tardive que Verduyn a fort bien pu interpréter comme faisant allusion au scandale qu'il allait susciter et non pas à l'authenticité des documents que son informateur lui avait remis, ne peut occulter que Costa a commis les faux et les lui a communiqués sciemment en vue qu'il les publie et par-là même se discrédite en sa qualité de journaliste tout en servant la thèse de Costa que les épargnants mis en cause dans le dossier KBL, comme un de ses proches, pouvaient être la victime de faux documents à l'instar du ministre des Finances;

Que cette faute est clairement en relation causale avec le dommage invoqué par ce dernier puisque sans ces faux documents, Verduyn n'aurait pas fait paraître les articles à l'origine de celui-ci.

La faute de la KBL

Attendu que Didier Reynders précise qu'il n'a jamais prétendu ni implicitement ni explicitement qu'il existe “une obligation générale de répondre à une question au seul motif que quelqu'un vous la pose” mais “qu'en fonction de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le comportement de la KBL était constitutif d'une faute, car contraire au comportement d'une institution bancaire normalement prudente et diligente” (ses conclusions de synthèse, p. 15);

Qu'il estime qu'eu égard aux circonstances exceptionnelles de l'affaire, à savoir une accusation grave portée contre une personne publique, la KBL ne pouvait refuser sans commettre de faute de confirmer l'absence de relation puisqu'elle seule détenait la preuve certaine capable de le disculper des accusations dont il était l'objet;

Attendu toutefois qu'il reste en défaut d'établir que toute autre institution bancaire normalement prudente et diligente aurait agi ou dû agir différemment de la KBL, dans les conditions précises de l'espèce, et aurait obtempéré à sa sommation;

Attendu que la KBL démontre avoir prudemment pris l'avis, au bénéfice de l'urgence, d'un spécialiste externe avant de prendre position; que Me Reckinger ainsi consulté conclut, sur base des dispositions légales luxembourgeoises et plus particulièrement celles applicables en matière de secret professionnel (soit l'article 41 (1) de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier consacrant l'obligation au secret du banquier et l'article 458 du Code pénal auquel renvoie cette disposition et qui règle de manière générale le secret professionnel) qu'il est interdit au banquier de poser un acte quelconque qui peut entraîner de manière directe ou indirecte la violation d'un secret, toute règle contraire étant de nature à enlever au secret le caractère “protecteur” qu'il a envers le client lui-même: ainsi le fait d'accepter pour une banque de délivrer à une personne qui n'est pas cliente chez elle l'attestation qu'elle n'a pas et n'a jamais eu de compte bancaire auprès d'elle est susceptible d'entraîner une violation du secret professionnel du seul fait que l'impossibilité dans laquelle elle serait de délivrer pareille attestation à un client impliquerait ipso facto et a contrario que ce dernier est bien en compte auprès d'elle, information dont il n'est discuté par personne qu'elle est couverte par le secret professionnel;

Que si Didier Reynders se prévaut de l'avis contraire émis par Me Spielmann en 2000, force est d'observer que cet autre spécialiste admet néanmoins lors d'un colloque consacré au droit bancaire en 2004 que “la position adoptée par les milieux concernés est très stricte” et qu'“en général, les banques refusent même de donner des renseignements purement négatifs”; que même si l'auteur maintient que cette position lui semble excessive “dans la mesure où la doctrine estime que pour être un confident punissable, il faut que la connaissance du secret provienne de l'exercice même de la profession”, qu'“il est difficilement concevable que le banquier puisse dès lors s'estimer confident nécessaire, alors que la personne concernée ne détient aucun compte auprès de son établissement” et qu'“il n'a donc pas eu connaissance d'un secret alors qu'il n'a pas exercé sa profession à l'égard du demandeur de l'attestation négative”, il reconnaît explicitement qu'“ainsi par exemple, une attestation négative certifiant l'inexistence d'une relation de compte entre une banque et un individu déterminé est généralement refusée” (“Aspects internationaux du secret bancaire luxembourgeois”, p. 85, contribution au colloque “Le droit bancaire confronté au droit pénal européen”, in Les dossiers de la revue de droit pénal et de criminologie, Éd. la Charte, 2004);

Qu'il convient de relever qu'entre-temps, la controverse quant au caractère d'ordre public du secret bancaire en droit luxembourgeois semble avoir été résolue, deux arrêts du 2 avril 2003 de la cour d'appel de Luxembourg ayant précisé la portée du respect du secret bancaire en décidant d'une part que celui-ci est d'ordre public, à l'inverse de ce que soutenait Me Spielmann (o.c., p. 86), et d'autre part que l'obligation au secret de la banque est une obligation de résultat;

Que la position des milieux concernés ainsi qualifiée de “très stricte” par Me Spielmann se comprend d'autant mieux dans pareil cadre légal; qu'à propos du secret bancaire suisse dont il n'est pas contesté qu'il est identique en son principe au secret bancaire luxembourgeois, la doctrine enseigne de même: “Précisons d'ores et déjà que, si elle n'est pas déliée de son obligation de discrétion, une banque ne doit jamais indiquer si elle détient un compte ou non. En effet, des réponses négatives de plusieurs établissements peuvent permettre de déduire où se trouvent les fonds. De plus, il serait facile de déduire une réponse positive du silence d'une banque qui a coutume de préciser qu'elle ne détient pas de compte. Il s'agit donc à la fois d'un devoir de solidarité professionnelle et d'une obligation légale. S'il est vrai qu'en l'absence d'un client il n'y a pas de secret (et en conséquence pas de violation possible), la banque est néanmoins tenue de s'abstenir de fournir des indices permettant de violer la discrétion qu'elle doit à l'ensemble de ses clients” (M. Aubert, Le secret bancaire suisse, 1995, pp. 92-93);

Attendu que le moyen soulevé par Didier Reynders de ce que le secret bancaire ne pourrait pas lui être opposé pour lui refuser l'attestation demandée dès lors que le secret bancaire ne pourrait être opposé à la personne qu'il vise à protéger se heurte à la constatation qu'en l'occurrence, ce n'est pas lui mais les clients de la banque que le secret bancaire tend à protéger;

Attendu que non seulement le refus opposé par la KBL de délivrer l'attestation négative sollicitée apparaît conforme à la pratique généralement observée dans les milieux bancaires concernés mais qu'encore cette position s'appuie sur l'interprétation des textes légaux applicables qu'en donnent la jurisprudence et un fort courant doctrinal en sorte qu'il est difficilement concevable de qualifier cette position de contraire au comportement d'une institution bancaire normalement prudente et diligente pour l'ériger en faute sur base de l'article 1382 du Code civil;

Que ce refus n'était par ailleurs ni abusif ni incompatible avec le droit qu'avait l'appelant de se défendre des accusations injustes dont il était victime;

Que si l'affaire a fait l'objet d'une publicité médiatique sans précédent du fait qu'au moment de la parution des articles incriminés, la KBL et ses clients belges faisaient l'objet d'investigations de très grande envergure de la part des autorités judiciaires et du fisc belges et que l'appelant exerçait déjà ses fonctions de ministre des Finances, il demeure que de l'aveu même de celui-ci, il attendait de la KBL une attestation de nature non pas à établir que l'information publiée était fausse mais de nature à confirmer ce qui était déjà acquis à ce moment par la prise de position du magistrat instructeur, du parquet, du journaliste et de l'auteur des faux;

Qu'encore s'il estimait que le refus de la KBL était néanmoins de nature à laisser subsister des doutes auprès du grand public, quoique l'attestation n'aurait pu de toute façon couper court à toute rumeur telle celle lancée par le journal satirique “Père Ubu” qui situe les 191 millions non pas à la KBL mais à la “Société Générale [qui, d'ailleurs, se trouve sur le trottoir d'en face à Luxembourg]”, il lui était loisible de ne pas en rester là et de s'adresser à une juridiction en vue d'obtenir une injonction relative à la production de documents;

Que la situation aurait alors été toute autre car aux termes de l'article 41(2) de la loi luxembourgeoise précitée du 5 avril 1993 “l'obligation au secret cesse lorsque la révélation d'un renseignement est autorisée ou imposée par ou en vertu d'une disposition législative, même antérieure à la présente loi” et que l'obligation pour toutes les parties de collaborer à l'administration de la preuve et de contribuer à l'oeuvre de vérité judiciaire, dont l'appelant se prévaut comme relevant de l'ordre public international, aurait alors pu utilement être invoquée;

Que de même il ne peut être déduit de conclusion pertinente dans la présente cause du fait qu'une banque luxembourgeoise a admis d'attester, à la demande d'un particulier confronté à une injonction d'un tribunal belge dans une procédure de référé en matière de divorce, qu'il n'avait pas de compte chez elle à telle date précise (Trib. civ. Liège 30 juin 2000, J.L.M.B. 2000, p. 1216 ); que le contexte est de nouveau totalement différent puisqu'il est alors porté devant une juridiction; qu'en toute hypothèse, la seule constatation qu'une banque luxembourgeoise obtempère dans ce cadre à la demande d'un particulier dont le tribunal subodore qu'il était son client avant d'avoir pris soin de faire le vide n'est pas de nature à établir que la KBL aurait commis une faute en s'y refusant ici en dehors de toute procédure;

Qu'à raison, celle-ci souligne avoir considéré qu'il ne lui appartenait pas de s'estimer déliée de ses obligations légales de secret et de confidentialité face à la simple demande d'un citoyen au motif qu'elle aurait été probablement tenue de ce faire si ce citoyen avait pris la peine de s'adresser à un tribunal compétent;

Que l'appelant reste en défaut de prouver que la KBL a commis une faute dans les circonstances précises de l'espèce;

Attendu que la KBL ne démontre pas pour sa part que l'action dirigée à son encontre par Didier Reynders était téméraire et vexatoire en sorte de lui ouvrir le droit à une indemnisation;

Que la gravité de l'attaque portée par les publications litigieuses est de nature à expliquer la démarche posée à l'égard des différents auteurs ressentis comme les artisans potentiels de son préjudice et la recherche d'un débat judiciaire sur une question dont il ne peut être soutenu que la solution s'imposait comme une évidence.

La relation de causalité entre les fautes de L. Verduyn et de A. Costa et le dommage allégué

Attendu que Ludwig Verduyn conteste l'existence d'un dommage résiduel après les nombreux événements intervenus suite à la révélation que les documents exploités étaient totalement faux;

Qu'à supposer que la réalité de pareil préjudice soit néanmoins retenue, il ne conteste pas que celui-ci trouverait sa cause dans les publications qu'il reconnaît fautives;

Attendu qu'il a été par ailleurs retenu qu'A. Costa avait aussi commis une faute en relation causale avec le préjudice vanté puisque sans les faux sciemment transmis à Verduyn, les publications à l'origine dudit préjudice n'auraient pas eu lieu.

Le dommage

Attendu que la réalité et la gravité du préjudice subi par Didier Reynders suite aux publications litigieuses ne méritent pas d'amples débats tant elles s'imposent à l'évidence: l'homme a été violemment attaqué dans sa probité aussi bien de ministre des Finances, que de politicien, que de citoyen pour être accusé d'avoir fraudé le fisc belge à un moment où précisément il engage toute son autorité à l'appui de la lutte contre la fraude fiscale, d'avoir engrangé des fonds dont il n'est pas possible qu'il soit entré en possession honnêtement et d'en être réduit à ne pouvoir que nier ce qu'on lui reproche, faute de pouvoir l'expliquer;

Attendu que l'impact de telles accusations s'est trouvé toutefois très rapidement contrebalancé par l'information qu'elles ne reposaient que sur des faux, la prise de position des autorités judiciaires le jour même de la publication des articles ayant amené le reste de la presse belge à se faire aussitôt l'écho plus d'une cabale lancée en vue de déstabiliser le ministre que d'une véritable mise en cause de celui-ci, le soutien immédiat du premier ministre jugeant “scandaleux les articles parus” et “réaffirmant que le gouvernement ne se laisserait pas intimider par ces tentatives de déstabilisation” (“La Libre Belgique” du samedi 13 novembre 1999) ayant contribué à asseoir le poids de cette mise au point;

Que dès le lundi 15 novembre 1999, la reconnaissance officielle par Ludwig Verduyn de ce que ses articles étaient dépourvus de tout fondement puisqu'ils ne reposaient que sur des faux documents, les aveux d'Antonino Costa quant à la confection de ceux-ci et les excuses publiques des deux hommes achevaient de consacrer la thèse d'une tentative de déstabilisation du ministre belge des Finances, avec à la clé la démission de L. Verduyn de ses fonctions de rédacteur en chef du “De Morgen” pour préserver la crédibilité et l'avenir du journal;

Que si les accusations proférées ont ainsi été très rapidement démenties et ce, de manière indiscutable, il demeure que ces mises au point ont été de nature à atténuer de manière très significative le dommage sans toutefois pouvoir ni l'empêcher ni le neutraliser totalement tant il est vrai que des atteintes aussi graves à l'intégrité morale d'un homme public en vue laissent des traces dans l'opinion publique comme en atteste le dicton populaire qui veut qu'il n'y ait pas de fumée sans feu; que l'article du “Père Ubu” qui insinue que si les millions dénoncés ne sont pas à la KBL, cela signifie non pas qu'ils n'existent pas mais qu'ils sont ailleurs, illustre clairement la réalité du dommage diffus que continue à subir celui qui a été victime d'accusations mensongères;

Qu'il ne peut être inféré de la carte de voeux assez particulière adressée par Didier Reynders au journaliste à l'occasion de la Saint Sylvestre suivante que celui-ci considère alors l'incident comme nul et sans conséquence préjudiciable puisqu'au contraire, il chargeait son conseil dès le 23 novembre 1999 d'assigner en réparation de son préjudice;

Attendu qu'enfin la victime étant libre de disposer à sa guise de la juste indemnisation du préjudice qui lui est reconnu, rien ne s'oppose à ce que, à la demande de l'intéressé, celle-ci soit versée au CPAS de Liège; qu'il n'en résulte pas la preuve que le dommage ne serait que de principe ou purement symbolique en sorte que toute indemnisation autre qu'un euro tout aussi symbolique en deviendrait “punitive” mais plutôt l'indice que l'homme attaqué dans ses rapports avec l'argent entend aussi ne pas prêter le flanc à une nouvelle critique d'éventuels détracteurs;

Que l'indemnisation à allouer ne peut être estimée en pareil cas qu'ex aequo et bono en tenant compte de toutes les circonstances particulières de l'affaire et notamment aussi des mesures de publication postulées par la victime dont elle souligne elle-même qu'elles participent de manière particulièrement satisfaisante à la réparation de son préjudice en contribuant à voir son honneur rétabli auprès du public;

Que les € 6.000 alloués de ce chef en instance apparaissent devoir adéquatement être ramenés dans ces conditions à € 3.000;

Que les mesures de publication décidées seront en revanche intégralement confirmées;

Que la meilleure preuve que ces publications restent d'actualité malgré le temps écoulé depuis les faits résulte de la constatation faite par L. Verduyn et A. Costa eux-mêmes que la presse nationale s'est d'initiative faite largement l'écho du jugement a quo;

Que ces publications loin de risquer de ranimer la polémique apparaissent donc au contraire en constituer l'aboutissement; qu'elles contribuent effectivement à la réparation du dommage subi en portant à l'attention du grand public la consécration judiciaire du caractère fautif et préjudiciable des accusations dont D. Reynders a été la victime et dont juste réparation lui est accordée;

Qu'à cet égard les mesures décidées par les premiers juges - publication dans trois quotidiens néerlandophones (dont “De Morgen”) et dans deux quotidiens francophones à désigner par l'intéressé - apparaissent nécessaires et suffisantes à atteindre l'objectif escompté; qu'autant D. Reynders ne justifie pas pourquoi il faudrait en prévoir d'autres, autant L. Verduyn ne justifie pas qu'il faudrait les limiter au seul journal “De Morgen” alors qu'il ne peut nier que le scandale provoqué par ses articles a largement débordé des colonnes de ce seul quotidien;

Que Didier Reynders ne démontre par ailleurs pas la nécessité d'assortir ces mesures d'astreintes alors que les premiers juges ont judicieusement prévu qu'à défaut pour L. Verduyn et A. Costa d'y avoir procédé dans les conditions et délais fixés, lui-même serait autorisé à les faire réaliser à leur charge.

L'indemnisation des frais de défense

Attendu que Didier Reynders a introduit cette demande nouvelle à un moment où ni L. Verduyn ni A. Costa n'avaient encore la possibilité de conclure aux termes de l'ordonnance aménageant les délais pour conclure et fixant date pour plaider, prise le 25 novembre 2003 en application de l'article 747 § 2 du Code judiciaire;

Que dans le respect des droits de la défense, il y a lieu de réserver à statuer sur ce chef de demande pour leur permettre d'instruire la cause à cet égard.

L'appel en garantie de L. Verduyn

Attendu qu'en considération de ce que le dommage ne se serait pas produit en l'absence des fautes commises par A. Costa, L. Verduyn postule de voir contraindre ce dernier à le garantir de toutes les condamnations prononcées à sa charge au motif que lui-même n'aurait pas commis de faute propre ayant contribué à augmenter le dommage;

Qu'il omet qu'il a été définitivement jugé en instance, à défaut pour lui de s'en être pourvu en appel, qu'il avait commis la faute de publier sans réserves des documents dont il devait pressentir qu'ils étaient suspects et sans opérer la moindre vérification alors qu'il disposait du temps nécessaire pour le faire;

Que cette faute qui lui est assurément personnelle en dehors de tout fait d'A. Costa n'a pas contribué à “augmenter” le dommage mais bien à le causer, au même titre que les fautes reprochées à A. Costa: que nécessairement ce dommage ne se serait en effet pas produit tel qu'il s'est produit sans cette faute du journaliste;

Que la demande en garantie est donc dépourvue de fondement.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement,

Vu l'avis écrit de Madame P. Somers, substitut du procureur général, donné le 16 juin 2005,

Reçoit les appels et les demandes incidentes et nouvelles dans les causes portant les numéros de rôle général 2002/1478, 2002/1758 et 2003/39;

Joint ces causes en raison de la connexité qui les unit;

Confirme le jugement entrepris sous l'émendation que la somme que Ludwig Verduyn et A. Costa sont condamnés in solidum à verser au CPAS de Liège est ramenée à 3.000 euros et que les mesures de publication décidées visent tant le dispositif du jugement d'instance que le présent arrêt et doivent intervenir dans le mois du jour où cet arrêt sera coulé en force de chose jugée;

Déboute Didier Reynders de sa demande en indemnisation de ses frais de défense à l'encontre de la KBL et réserve à statuer sur cette demande à l'encontre de L. Verduyn et d'A. Costa; place la cause au rôle particulier à cet égard;

Déboute la KBL de sa demande en dommages et intérêts pour procédure téméraire et vexatoire à l'encontre de Didier Reynders;

Déboute Ludwig Verduyn de sa demande en garantie à l'encontre d'Antonino Costa;

Condamne Didier Reynders aux dépens d'appel liquidés par la KBL à € 466,05 selon le relevé produit non contesté;

Réserve à statuer quant au surplus des dépens.

(...)