Dans le cadre d'un procès civil opposant deux sociétés d'assurance, la succursale new-yorkaise de la KBC s'était vue enjoindre par une juridiction américaine de produire tout document en sa possession relatif aux transferts opérés à partir du compte d'une des sociétés concernées ainsi que tout dossier en sa possession en rapport avec ladite société et deux de ses administrateurs.
La société concernée obtint, du président du tribunal de commerce de Bruxelles statuant en référé que défense soit faite à la KBC de communiquer toute information bancaire relative à la société en question tant que les cours et tribunaux belges n'auront pas statué, par une décision coulée en force de chose jugée, sur l'exequatur en Belgique du jugement étranger ordonnant la production de cette information.
Cette décision est réformée par la cour d'appel de Bruxelles.
Les banques ne sont pas tenues par un véritable secret professionnel mais seulement par une obligation de confidentialité fondée sur le contrat ou sur les usages qui se résout, le cas échéant, en dommage et intérêts [1].
Cette obligation de discrétion connaît des exceptions notamment dans le cadre de l'article 877 du Code judiciaire suivant lequel “Lorsqu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes de la détention par une partie ou par un tiers d'un document contenant la preuve d'un fait pertinent, le juge peut ordonner que ce document (…) soit déposé au dossier de la procédure”.
Dans quelle mesure une banque belge est-elle tenue de répondre à une ordonnance de production d'information émanant d'une juridiction étrangère?
La réponse à cette question peut s'avérer particulièrement délicate dans l'hypothèse où la banque concernée dispose d'une succursale dans le pays où se situe la juridiction qui a rendu la décision [2].
La cour d'appel constate que dans la mesure où la banque a une succursale à New York, il n'est pas contraire à l'ordre public international belge qu'elle soit attraite en justice à New York, ce qui ne porte pas atteinte à la souveraineté des tribunaux belges.
Se heurtent alors deux réalités contradictoires: celui de la limite territoriale de la force exécutoire des décisions judiciaires et celui de l'absence de personnalité juridique de la succursale, de manière telle qu'une décision exécutoire à l'égard de la succursale étrangère vise en réalité à atteindre l'être juridique tout entier.
Il est admis - même si c'est avec circonspection [3] - que le banquier puisse dans certains cas déroger à son obligation de discrétion professionnelle s'il y est contraint par la défense de ses intérêts légitimes.
S'agissant d'une banque disposant d'une succursale sur le territoire d'une juridiction étrangère, il est évident qu'elle sera soumise à de fortes pressions la poussant à respecter le prescrit de ladite décision. Il en va particulièrement ainsi aux États-Unis où le refus de satisfaire à une telle demande sans excuse adéquate peut se voir condamner au titre d'offense à la cour. Sans parler des menaces d'un possible retrait de la licence bancaire aux États-Unis.
La cour d'appel relève que l'exequatur d'un jugement étranger n'est nécessaire que pour entraîner à l'égard de la partie adverse des effets contraignants et que rien n'interdit à celle-ci d'acquiescer à une telle décision sans qu'elle soit préalablement déclarée exécutoire en Belgique.
La cour ajoute qu'un jugement étranger, même non reconnu, est un fait juridique que la banque peut opposer à ses clients pour justifier l'impossibilité de respecter son obligation contractuelle de discrétion. Ce faisant, la banque ne commet donc pas de faute contractuelle.
Par ailleurs, les clients restant en défaut de démontrer en quoi la production des informations demandées leur causerait un préjudice grave et difficilement réparable, la condition d'urgence justifiant la compétence du juge des référés fait défaut et l'ordonnance du président du tribunal de commerce de Bruxelles est mise à néant.
L'application de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée à l'égard des traitements de données à caractère personnel n'a pas été envisagée. La cour se borne à affirmer que “les banques ne sont soumises qu'à un devoir contractuel de discrétion qui ne s'inscrit pas dans le cadre du droit au respect de la vie privée et au secret des lettres.”.
Les données de fait dont nous disposons ne permettent pas de déterminer si le traitement des données concernées était en l'espèce effectué dans le cadre de l'établissement belge de la KBC (condition d'application de la loi belge en vertu de l'art. 3bis de la loi).
Pour le surplus, s'agissant des deux administrateurs personnes physiques, il nous semble que la loi sur la protection de la vie privée peut trouver application dans la mesure où la loi ne se limite pas à la protection des données relatives à la vie privée au sens strict mais vise d'une manière large toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable et notamment les données relatives à ses revenus, avoirs et numéros de compte bancaire [4].
Par ailleurs, il s'agissait bien d'un traitement d'information au sens de l'article 1er § 2 de la loi qui vise notamment “la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition”.
L'article 1er § 7 de la loi exclut des destinataires visés “les instances administratives ou judiciaires qui sont susceptibles de recevoir communication de données dans le cadre d'une enquête particulière”, mais il ne semble pas que cette disposition puisse trouver une application directe dans le cas qui nous occupe, s'agissant d'un procès civil à l'étranger.
Par contre, dans les circonstances soulignées ci-dessus, il pourrait être fait application de l'article 5, f). de la loi qui prévoit que le traitement de données à caractère personnel peut être effectué notamment lorsqu'il “est nécessaire à la réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement” (…) “à condition que ne prévalent pas l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée qui peut prétendre à une protection au titre de la loi”.
[1] | Cass. 25 octobre 1978, Pas. 1979, I, 237; J.-P. Buyle, “Le secret professionnel du banquier à l'égard de l'assureur”, Rev. dr. U.L.B. 2000, n° 21, pp. 111 et s. |
[2] | Cette question se pose de manière particulièrement complexe en cas de saisie opérée sur les avoirs bancaires d'une personne, lorsque tout ou partie de ces avoirs se trouvent sur un compte ouvert dans les livres d'une succursale à l'étranger. Voy. notamment, pour une synthèse de ces questions, F. Georges, La saisie de la monnaie scripturale, Larcier, 2006, pp. 307 et s. |
[3] | R. Henrion, Le secret professionnel du banquier, Études d'économie politique ULB, 1968, pp. 81 et s. |
[4] | Voy. notamment J. Rogge et C.A. Van Oldeneel, “Protection de la vie privée et bancassurfinance”, in Bancassurfinance, Collection de la Faculté de Droit de l'ULB, Bruylant, 2005, p. 393 et réf. citées. |