Tribunal de commerce de Huy 7 décembre 2005
Ph. Trisman et M. Van Hoven / Record Bank
Siég.: Hicter (juge ff. de président), Mokeddem et Poncin (juges consulaires) |
Pl.: Mes Eeman et de Harven loco Van Parys |
(...)
Contexte du litige |
Les époux Trisman-Van Hoven, à une date indéterminée mais avant décembre 1999, ouvrent un compte bancaire auprès de la banque Dipo aux droits de laquelle est venu la SCRL Record Bank, et dont l'agence à Hannut est tenue par un sieur Deblire, agent indépendant.
En date du 6 décembre 1999, les demandeurs se présentent à ladite agence de Hannut et souscrivent un contrat à terme déterminé d'une durée de trois ans à un taux net de 9% l'an d'un montant de 200.000 FB qu'ils déposent en échange d'une copie du contrat et de la confirmation du dépôt de la somme.
Ces documents, reproduits en copie ci-après, sont libellés comme suit:
L'opération est reproduite en date du 26 janvier 2000 à propos d'une somme de 100.000 FB, mais cette fois, l'intérêt prévu est de 10%.
Il se révèlera que le sieur Deblire a détourné les fonds et en date du 6 août 2002, le conseil des époux Trisman-Van Hoven somme la banque Dipo de rembourser les montants placés à majorer des intérêts.
Objet de la demande |
L'action a pour objet d'entendre la SA Record Bank condamnée à rembourser aux demandeurs les sommes de 4.957,87 euros à majorer des intérêts au taux de 9% l'an pendant trois ans et 2.478,94 euros à majorer des intérêts au taux de 10% l'an pendant trois ans, soit 9.522,89 euros à majorer des intérêts moratoires et judiciaires au taux légal à dater du 29 janvier 2003 jusqu'à complet paiement.
La demande est fondée sur le principe du mandat que le sieur Deblire détenait de la banque, celle-ci, mandante est tenue des délits et quasi-délits commis par le mandataire et qui sont inhérents à l'acte juridique à accomplir ou indissociable de celui-ci.
En outre, à supposer que Deblire ait agi en dehors du cadre de son mandat, la défenderesse serait néanmoins tenue au paiement sur base de la théorie du mandat apparent en raison de ce que, même sans faute de la banque, les demandeurs ont pu légitimement croire qu'ils contractaient avec celle-ci.
Position de la partie défenderesse |
La SCRL Record Bank considère ne pouvoir être tenue en raison du mandat conféré à Deblire dans la mesure où il apparaît clairement que ce dernier n'agissait pas dans le cadre du mandat puisqu'en réalité “il s'est avéré par après que monsieur Deblire avait mis sur pied un système parallèle, à son profit, au bout duquel il n'a plus pu rembourser ses clients” (conclusions de synthèse de la défenderesse p. 3).
Quant à la théorie du mandat apparent, celle-ci ne peut trouver à s'appliquer en raison de ce que:
- les documents du contrat (reproduits ci-avant) sont établis sur le papier à en-tête de Deblire, ce qui est contraire à l'article 32 du règlement général de la banque;
- dans les faits, comme l'atteste l'en-tête des documents, Deblire n'était pas un agent exclusif de la défenderesse ce qui implique que le mandat apparent pourrait s'appliquer également aux autres entreprises représentées par Deblire;
- l'apparence du mandat n'est pas imputable à la défenderesse qui imposait pour ses opérations des quittances spécialement prévues à cet effet par le règlement général de la banque;
- le taux des placements est anormalement élevé, ce que ne pouvaient ignorer les demandeurs.
Discussion |
Le principe de la matière dans l'exécution du contrat de mandat est que “Si, à l'occasion de son mandat, le mandataire commet un délit ou un quasi-délit, le mandant n'en répond pas envers le tiers qui est victime de cette faute. Le principe de la représentation ne peut, en effet, jouer: la commission de faits juridiques - délits ou quasi-délits - excède les pouvoirs du mandataire, chargé par définition d'accomplir des actes juridiques. C'est donc au mandataire, et à lui seul, qu'incombe la réparation des conséquences dommageables de sa faute” (P. Wéry, Droit des contrats, Le Mandat, p. 220).
Ce principe connaît une exception si la faute aquilienne est inhérente à l'exécution du mandat. Pour cela, il faut que la faute et l'exécution du mandat soient indissociablement liées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Doctrine et jurisprudence admettent sur base de la théorie du mandat apparent, que le mandant est tenu vis-à-vis du tiers de bonne foi en cas de dépassement de pouvoir de son mandataire (pour un fait délictueux ou non) si ce mandant a fautivement créé l'apparence du pouvoir du mandataire et même, sans faute du mandant, si le tiers a pu légitiment croire dans l'existence du mandat si cette apparence est imputable au mandant (“Les contrats spéciaux. Chronique de jurisprudence (1996-2000), J.T. pp. 184 et s.).
En l'espèce, les demandeurs s'adressent à une banque dont la tradition tout autant que la réputation sont des critères de sérieux unanimement admis et même à la base de toutes relations contractuelles entre une banque et son client.
Le consommateur est en droit de considérer, qu'en entrant dans une agence bancaire, il contracte avec une banque et non pas avec son agent ou mandataire dont par ailleurs il a la conviction que ce dernier fait l'objet d'un contrôle rigoureux après avoir été choisi pour son sérieux et ses compétences.
Le contrat d'agence de la défenderesse est établi en ce sens, il comporte une clause d'exclusivité et contient diverses interdictions dans le chef du mandataire Deblire dont l'interdiction d'effectuer des opérations pour son propre compte.
Le tribunal rejette dès lors l'argumentaire de la défenderesse relativement à la faculté qui avait été laissée à Deblire de travailler pour d'autres organismes de crédit, ce faisant, la défenderesse se mettait en contradiction avec son propre contrat et ne permettait pas aux tiers d'appréhender correctement la situation juridique réelle. C'est une faute de la défenderesse.
Les demandeurs pouvaient donc légitimement croire qu'ils s'adressaient à un organisme bancaire ordinaire avec la confiance qui s'adresse à ce genre d'organisme.
Quant à la forme des documents établis par le sieur Deblire, les articles 32 (1) à (3) du règlement général de la défenderesse sont relatifs à la qualité des signataires des documents, ce règlement ne précise pas physiquement les documents admis par la banque, l'article 32 (2) parlant même de “documents impliquant des engagements pour la Dipo doivent être établis sur ses formules et/ou être revêtus des signatures des personnes qui peuvent l'engager statutairement” (c'est le tribunal qui souligne)
Cette mention et/ou indique que la signature d'un mandataire peut être suffisante, ce qui implique qu'un document ordinaire pourrait être admis dès lors qu'il contient la signature du mandataire.
Relativement au taux des contrats souscrits par les demandeurs, la défenderesse se borne à affirmer que le taux était anormal, mais elle ne démontre nullement quel était le taux normal. Cette argumentation ne peut dès lors être retenue.
Quant au montant du dommage, la défenderesse ne conteste pas le calcul des demandeurs.
Enfin, compte tenu du contexte et de la qualité des parties, l'exécution provisoire ne se justifie pas.
Par ces motifs,
Le tribunal, statuant contradictoirement:
Déclare la demande recevable et fondée.
Condamne la SCRL Record et/ou Record Bank à payer à Trisman Philibert et Van Hoven Micheline la somme de neuf mille cinq cent vingt deux euros quatre-vingt neuf centimes (€ 9.522,89) à majorer des intérêts moratoires et judiciaires au taux légal à dater du 29 janvier 2003 jusqu'à complet paiement.
La condamne en outre aux dépens, ces derniers non liquidés à défaut du relevé prescrit par l'article 1021 du Code judiciaire.
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