Article

Cour d'appel Liège, 08/02/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/1, p. 64-66

Cour d'appel de Liège 8 février 2005

BANQUE ET CRÉDIT
Généralités - Responsabilité contractuelle
La responsabilité de la banque peut être engagée si celle-ci a octroyé à son client inexpérimenté un crédit manifestement déraisonnable. Mais le crédité - auquel il est permis d'assimiler le principal responsable de la société - qui possède une connaissance parfaite de sa situation financière ne saurait reprocher à la banque de lui avoir octroyé un crédit nonobstant sa situation financière difficile.
L'activité commerciale tout comme l'activité bancaire impliquant nécessairement une part de risque, la réalisation de celui-ci ne suffit pas à démontrer que la prise de risque était fautive dans le chef du banquier.
Il ne peut être reproché à une banque d'avoir maintenu sa confiance en des clients fidèles et travailleurs et d'avoir pris le risque non déraisonnable de spéculer sur le redressement d'une entreprise familiale.

BANK EN KREDIET
Algemeen - Contractuele aansprakelijkheid
De aansprakelijkheid van de bank kan in het gedrang komen wanneer zij aan haar onervaren cliënt een manifest onredelijk krediet heeft toegekend. Maar de gecrediteerde - waarmee de belangrijkste verantwoordelijke van de vennootschap mee gelijk gesteld kan worden - die een perfecte kennis bezit van de financiële situatie kan aan de bank niet verwijten een krediet te hebben toegekend ongeacht haar moeilijke financiële situatie.
Aangezien iedere commerciële activiteit, zoals tevens de bancaire activiteit, noodzakelijkerwijze een risico inhoudt, volstaat de uitvoering van deze activiteit niet om aan te tonen dat het nemen van het risico een fout uitmaakt in hoofde van de bankier.
Het kan niet aan de bank verweten worden haar vertrouwen te hebben behouden in trouwe en hardwerkende cliënten en het niet onredelijke risico te hebben genomen om te speculeren op het herstel van een familiale onderneming.

Mes B. Rase et Ch. Lefevre, q.q. faillite R. Vermeulen et N. Degueldre / SA AXA Banque Belgium

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes B. Rase, J. Sine et M. t'Serstevens loco F. Poncelet

(...)

Vu l'appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Namur le 3 juin 2003 interjeté le 18 août 2003 par Me Baudhuin Rase et Christophe Lefevre en leur qualité de curateurs à la faillite de Rik Vermeulen et par l'épouse de celui-ci, Nadia Degueldre;

Attendu que les appelants recherchent la responsabilité de AXA Belgium laquelle vient aux droits de Anhyp et est appelée ci-après la banque, pour avoir porté, le 15 avril 1996, de 3.000.000 FB à 5.400.000 FB l'ouverture de crédit consentie aux époux Vermeulen-Degueldre le 24 avril 1984 laquelle avait déjà été modifiée à plusieurs reprises au fil des ans (dossier des curateurs, pièces 1 à 14);

Attendu qu'à l'occasion de cette majoration de l'ouverture de crédit, la banque a bénéficié de garanties supplémentaires constituées par une inscription hypothécaire de 5.400.000 FB venant en rang immédiat après celle de 350.000 FB dont elle disposait déjà et la mise en gage de bons de caisse Anhyp d'une valeur de 265.000 FB portant ainsi le montant des biens remis en gage à 1.781.205 FB;

Attendu que les crédits ont été dénoncés le 1er juillet 1998 et que la faillite est intervenue, sur aveu, le 16 novembre 1998;

Attendu que les appelants postulent la condamnation de l'intimée au paiement de € 44.154,92 correspondant au montant des garanties mobilières consenties à la banque;

Attendu que seule la responsabilité contractuelle de l'intimée à l'égard de ses clients est recherchée;

Qu'il s'observe en tout état de cause que le préjudice allégué, soit la perte des épargnes du couple mises en gage à l'occasion de la majoration de l'ouverture du crédit critiquée, ne peut excéder 265.000 FB puisque la banque disposait déjà de garanties mobilières pour un montant de (1.781.205 FB - 265.000 FB) 1.516.205 FB au jour de l'opération litigieuse;

Qu'en substance, il est essentiellement reproché à la banque d'avoir consenti à ses clients un crédit inconsidéré excédant leurs capacités de remboursement et ce à un moment où leur situation était déjà gravement, sinon irrémédiablement, compromise;

Attendu qu'il convient tout d'abord, avant d'aborder le fond, de rencontrer deux moyens avancés par le curateur:

1. la qualité de mandataires de justice des curateurs ne leur donne pas le droit, en dehors de l'application éventuelle de l'article 877 du Code judiciaire, d'exiger de la banque la production de ses dossiers internes relatifs à l'octroi de ce crédit et il ne peut être déduit du refus de celle-ci, qu'elle n'aurait procédé qu'à une étude insuffisante de la demande qui lui a été soumise par ses clients;

2. s'il peut être reproché à la banque eu égard à la qualité de non commerçante de Nadia Degueldre de n'avoir pas respecté l'article 2078 du Code civil, la preuve n'est pas faite que la réalisation des biens mis en gage serait intervenue dans des conditions dommageables pour les appelants.

Les principes

Attendu que le principe d'une mise en cause de la responsabilité du banquier vis-à-vis de son client pour octroi ou maintien abusif de crédits est maintenant admis (Liège 28 avril 1994, R.D.C. 1995, p. 1032; Mons 26 septembre 1994, R.D.C. 1995, p. 1035; Bruxelles 6 septembre 1999, R.D.C. 2000, p. 703; B. Demonty, Derniers développements en matière de responsabilité du banquier et actualité législative en matières bancaire et cambiaire, CUP, vol. XXIV, mai 1998, pp. 81 et 82);

Attendu que pour apprécier le comportement de l'intimée confrontée au “dilemme du banquier, partagé entre le devoir général de soutien aux entreprises que la communauté attend de lui, son devoir de rupture d'un soutien immérité” et la défense légitime de ses intérêts, “le juge (ne peut) se substituer aux intéressés ni (…) qualifier leur comportement à la lumière d'évènements postérieurs qui, au jour de la décision, n'existaient pas, si ce n'est à l'état de risques, de conjectures et de pronostics; que le contrôle des tribunaux ne peut être que marginal et fondé sur des éléments contemporains de la décision querellée” (Comm. Liège 2 juin 1983, R.D.C. 1984, p. 71 et les nombreuses références; Fagnart et Denève, “La responsabilité civile. Chronique de jurisprudence”, J.T. 1986, n° 71, p. 311);

Qu'il faut ici rappeler qu'“une erreur commise sur les chances de succès d'une entreprise à qui un banquier octroie ou maintient un crédit ne constitue pas nécessairement une faute pour autant que les risques pris n'aient pas été déraisonnables” (Liège 12 janvier 1990, J.L.M.B. 1990, p. 1269);

Que “toute erreur ne constitue pas une faute contractuelle; qu'une erreur d'appréciation qu'aurait commise tout banquier normalement prudent et diligent, placé dans les mêmes conditions, ne peut être qualifiée de faute” (Bruxelles 6 septembre 1999, déjà cité);

Qu'il doit encore être tenu compte de ce que “par définition, le crédité - auquel il est permis d'assimiler le principal responsable de la société - possède une connaissance parfaite de sa situation financière” ce qui permet à certains auteurs d'écrire “qu'il ne saurait reprocher à la banque de lui avoir octroyé un crédit nonobstant sa situation financière difficile” (Buyle et Creplet, La responsabilité civile des établissements de crédit, CUP, novembre 2001, volume 50, n° 48, p. 204);

“Attendu que pour décider si la responsabilité de la banque peut être retenue, il convient d'avoir égard au comportement d'un banquier normalement diligent et prudent placé dans les mêmes circonstances et de se livrer à une appréciation marginale en se replaçant dans les circonstances de l'époque;

Que la responsabilité de la banque pourrait être engagée si celle-ci avait octroyé à son client inexpérimenté un crédit manifestement déraisonnable;

Que l'activité commerciale tout comme l'activité bancaire implique nécessairement une part de risque et que la réalisation de celui-ci ne suffit pas à démontrer que la prise de risque était fautive dans le chef du banquier” (Liège (7ème ch.) 29 juin 2001, J.T. 2001, 864 ).

Discussion

Attendu que le reproche fait par les curateurs à la banque de n'avoir pas procédé à une instruction suffisante de la demande de crédit litigieuse n'est pas fondé;

Que l'appelante reconnaît d'ailleurs elle-même que “dans sa lettre du 23 mars 1996 adressée à l'attention du gérant de l'agence Anhyp, monsieur Vermeulen donnait toutes informations quant à sa situation financière” (conclusions N.D., § 4, p. 8);

Que l'on sait que la banque disposait des bilans relatifs aux années 1992 à 1995;

Attendu que la situation de Rik Vermeulen, au moment où il est interpellé par la banque en mars 1996, concernant le découvert de 1.700.000 FB à l'égard de son fournisseur en bonbonnes de gaz, est la suivante:

- son crédit de caisse plafonne à 3.000.000 FB;

- son endettement à l'égard de ses fournisseurs s'élève à 2.300.000 FB;

- le solde sur son crédit hypothécaire de 1.500.000 FB consenti en 1981 par la CGER est de l'ordre de 900.000 FB;

Attendu que le 28 mars 1996, Rik Vermeulen explique “les énormes difficultés” rencontrées pour “retrouver un équilibre financier correct comme (pour les) années antérieures” par l'incapacité de travail qu'il a subie suite à un grave accident dont il a été victime en juillet 1994 et par deux investissements de l'ordre d'environ 1.000.000 FB effectués la même année pour réparer un camion et aménager un quai à vidanges;

Qu'il faut encore souligner que:

- les époux Vermeulen-Degueldre étaient des clients de longue date de la banque, qu'ils n'avaient jamais manqué à leurs obligations à son égard et qu'ils s'étaient au contraire signalés par une épargne régulière confirmée par l'accroissement des valeurs mobilières données en garantie;

- la diminution du bénéfice brut enregistré en 1993 et 1994 pouvait apparaître comme accidentelle tandis que la reprise enregistrée en 1995 qui révèle un profit avant impôt de 853.657 FB donne à penser que l'entreprise avait simplement connu des difficultés temporaires;

- les époux annonçaient la perspective d'une rémunération complémentaire par la recherche par l'un d'entre eux d'une activité complémentaire de travailleur salarié;

Attendu que l'on sait que le crédit hypothécaire de 5.400.000 FB devait être et a été utilisé comme suit:

- reprise du crédit de caisse de 3.000.000 FB en crédit d'investissement, ce qui entraînait pour les époux Vermeulen le bénéfice d'un taux d'intérêt plus favorable;

- la reprise du prêt hypothécaire CGER sous forme d'un crédit d'investissement;

- le paiement d'un solde fournisseurs à concurrence de 1.000.000 FE

- l'octroi d'un nouveau crédit de caisse de 500.000 FB afin de mettre à disposition de l'entreprise un fond de roulement suffisant;

Attendu que, sur le plan d'une appréciation marginale effectuée sur base des circonstances de l'époque, l'opération n'apparaît pas fautive même s'il est certain que la charge de remboursement demandée, 44.974 FB par mois, était lourde;

Qu'il ne peut être reproché à la banque d'avoir maintenu sa confiance en des clients fidèles et travailleurs et d'avoir pris le risque non déraisonnable de spéculer sur le redressement d'une entreprise familiale et ce d'autant que les clients présentaient les garanties permettant de couvrir le crédit sollicité pour éviter la faillite;

Que sans vergogne aucune, l'appelante tout en reconnaissant qu'elle est intervenue aux côtés de son mari pour appuyer une demande de crédit qui devait lui permettre d'éviter une mise en faillite personnelle (conclusions, p. 9, § 1) relève que la banque aurait dû avoir son attention attirée sur “des difficultés de remboursement” révélées par l'importance de la dette à l'égard du créancier hypothécaire (conclusions, p. 7, par. 3);

Par ces motifs,

La cour statuant contradictoirement

Reçoit l'appel,

Confirme le jugement entrepris et condamne les appelants aux dépens

(...)