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Observations, R.D.C.-T.B.H., 2007/1, p. 61-63

DROIT BANCAIRE
Opérations bancaires - Virement - Virement faux ou falsifié - Faute lourde de la banque
C'est à la lumière des dispositions contractuelles qui régissent les rapports des parties et notamment le règlement général des opérations remis par la banque à ses clients lors de l'ouverture du compte que la question de la responsabilité de la banque qui exécute un ordre falsifié doit être examinée pour vérifier dans quelle mesure elle a à répondre des conséquences de cette exécution.
Font partie du cadre contractuel, les mesures particulières mises en place par la banque pour les comptes de clients non résidents.
Commet une faute grave non conforme au comportement d'un banquier normalement diligent et prudent, la banque qui en présence d'éléments de nature à éveiller sa suspicion n'applique pas la procédure spéciale de vérification conforme à ses normes internes de sécurité.

BANKRECHT
Bankverrichtingen - Overschrijving - Valse of vervalste overschrijving - Zware fout van de bank
De vraag naar de aansprakelijkheid van de bank die een vervalste overschrijving uitvoert, moet nagekeken worden in het licht van de contractuele bepalingen die de relatie tussen partijen regelen en in het bijzonder het algemeen reglement van de verrichtingen dat door de bank aan haar cliënten overhandigd wordt bij het openen van de rekening om te verifiëren in welke mate zij moet instaan voor de gevolgen van deze uitvoering.
De bijzondere maatregelen die door de bank tot stand gebracht worden voor de rekeningen van haar niet-residente cliënten maken deel uit van het contractuele kader.
De bank die in aanwezigheid van elementen die van die aard zijn om haar achterdocht op te wekken, de bijzondere procedure van onderzoek volgens haar interne maatregelen van veiligheid niet toepast, begaat een zware fout die niet overeenstemt met het gedrag van een normaal naarstige en voorzichtig bankier.

Doctrine et jurisprudence demeurent divisées sur la question des conséquences de l'exécution d'un ordre de virement faux ou falsifié et en particulier en ce qui concerne la base juridique des recours dont dispose le titulaire du compte débité sans ordre ou sur base d'un faux ordre.

Ne serait-ce qu'au cours de l'année 2006, nombre de décisions et de notes doctrinales consacrées à cette question ont été publiées.

Sans refaire ici un examen complet de cette problématique [1], il nous a semblé utile de faire un petit inventaire - non exhaustif - des avancées qui se font jour en cette matière et des interrogations qu'elle continue de susciter.

C'est au seul examen de la responsabilité contractuelle de la banque que s'attache l'arrêt commenté lequel - confirmant en cela la décision du juge de première instance - retient l'existence d'une faute grave dans le chef de la banque qui n'applique pas une procédure de vérification tant orale qu'écrite en présence d'un ordre de virement d'un montant important, provenant d'un pays où le titulaire du compte concerné ne réside pas et émis en faveur d'un bénéficiaire résident dans un pays lointain.

La cour d'appel de Bruxelles réaffirme le principe selon lequel c'est en fonction du cadre contractuel régissant les relations entre parties que doit s'apprécier la mesure suivant laquelle le client et/ou la banque doivent supporter les conséquences résultant de l'exécution d'un faux virement.

La clause suivant laquelle le banquier limite ses obligations contractuelles à la comparaison de la signature figurant sur l'ordre qui lui est adressé avec le spécimen de signature déposé, la responsabilité de la banque n'étant engagée que si le client apporte la preuve de la faute grave de la banque est valable.

Simplement, en l'espèce, compte tenu des circonstances de fait appréciées par le juge, celui-ci estime que la banque s'est bien rendue coupable de faute grave en ne procédant pas aux vérifications prévues par une procédure spéciale applicable aux clients non résidents.

La cour d'appel de Mons a quant à elle considéré, en 1999 [2], que la clause du règlement général des opérations suivant laquelle le client assume l'entière responsabilité des conséquences pouvant résulter de la communication à la banque de documents non authentiques doit être considérée comme abusive au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, dès lors que combinée à d'autres clauses du même règlement, elle conduit à dispenser la banque de toute autre obligation que celle de vérifier la conformité apparente de la signature apposée sur l'ordre avec le spécimen de signature déposé par le client titulaire du compte concerné. Selon la cour d'appel de Mons, il incombe au banquier, outre de vérifier la conformité apparente de la signature, de demeurer attentif aux éléments suspects qui peuvent entourer un ordre de virement sous peine de vider le contrat de services qui le lie à son client d'une obligation essentielle visant à assurer la sécurité que cherche le mandant en confiant à la banque la réalisation des opérations de transfert.

Reinhard Steennot [3] opère une distinction entre les clauses d'exonération de responsabilité parfaitement valables dès lors qu'elles visent les relations entre la banque et ses clients professionnels et les clauses destinées à régir les relations de la banque avec des consommateurs, hypothèse où l'article 31 de la loi sur les pratiques du commerce et la jurisprudence montoise précitée trouvent application.

Dans les cas où il apparaît qu'aucune faute - le cas échéant limitée en fonction de clauses d'exonération de responsabilité valables et applicables à la relation en cause - ne peut être reprochée à la banque et en l'absence de tout comportement fautif imputable au client se pose la question de savoir, qui de la banque ou du client doit supporter les conséquences de l'exécution d'un ordre faux ou falsifié.

Une partie de la doctrine et de la jurisprudence mettent ces conséquences à charge de la banque, tenue d'une obligation de restitution et soumise à l'adage exprimé notamment par l'article 1239 du Code civil selon lequel “qui paye mal paye deux fois”.

Suivant la cour d'appel de Bruxelles [4], l'application de clauses d'exonération de responsabilité ne peut être élargie au cas où la banque est mise en cause sur la base de l'article 1239 du Code civil et de son obligation de restitution, sans qu'il soit important que la banque ait ou non commis une faute.

Certaines décisions font par contre une application cumulée de l'obligation de restitution et de l'article 1239 du Code civil d'une part et d'un examen du comportement fautif de la banque d'autre part [5].

Il est par ailleurs admis [6] qu'une clause contractuelle peut valablement écarter en matière d'exécution d'ordres de virement les principes de droit commun en matière de dépôt et de paiement et en particulier l'application de l'article 1239 du Code civil. Une fois ces principes écartés, une limitation de la responsabilité de la banque en cas de faute lourde ou de faute intentionnelle n'est pas abusive et n'aboutit pas à dénuer de tout sens la convention passée par le client avec sa banque.

Olivier Creplet [7] réfute pour sa part que la solution aux problèmes que pose l'exécution de faux ordres de virement puisse trouver son fondement dans l'obligation de restitution. Une telle analyse revient, suivant cet auteur, à envisager - de manière artificielle et peu respectueuse de l'institution du virement - l'exécution de l'ordre de virement comme “une restitution” faite au bénéficiaire du virement agissant comme mandataire du donneur d'ordre titulaire du compte.

Suivant cet auteur, le paiement opéré par la banque est un acte juridique unilatéral qui, lorsqu'il est fait erronément - dans la croyance d'exécuter un service de caisse dont il se croit redevable vis-à-vis de son client titulaire du compte alors qu'il paie en réalité un faussaire - apparaît comme un acte nul, car dépourvu de cause (au sens de mobile déterminant). Dans la mesure où la nullité d'un acte juridique unilatéral ne peut être invoquée que par son auteur (la banque), force est de considérer que le titulaire du compte débité sur base d'un faux virement ne peut en obtenir l'invalidation hormis les cas où il est en mesure de prouver une faute du banquier et compte tenu des clauses d'exonération de responsabilité en vigueur, le cas échéant.

L'approche consistant à voir dans le bénéficiaire du virement un mandataire du titulaire du compte à partir duquel le virement est opéré est également critiquée - à raison, selon nous - par Ch.-Gh. Winandy et M. Lafontaine [8].

Ces auteurs proposent toutefois une approche technique de la notion de paiement applicable à l'exécution d'un ordre de virement, approche qui considère le paiement comme l'exécution de n'importe quelle obligation, qu'elle soit de donner, de faire ou de ne pas faire [9].

Nous partageons cette approche qui tient compte du contenu donné par les parties à la convention de compte laquelle peut fort bien englober les services de paiement aux bénéficiaires désignés parmi les modalités d'exécution de l'obligation de restitution [10].

Encore les contours de ces services de paiement et la charge des risques qui s'y attachent peuvent-ils être précisés par les parties en tenant compte des intérêts en présence.

Tout est question d'espèce mais il ne nous semble pas qu'une répartition des risques qui mette à charge du client les conséquences d'une vérification éventuellement limitée opérée par le banquier lors de la réception d'un ordre de virement soit nécessairement et forcément constitutive d'un abus du banquier même à l'égard de clients non professionnels.

Au sens de l'article 31 de la loi du 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l'information et la protection du consommateur, une clause est abusive dès lors que “à elle seule ou combinée avec une ou plusieurs autres clauses ou conditions” elle “crée un déséquilibre manifeste entre les droits et les obligations des parties”. L'existence ou non d'un équilibre est une question d'appréciation mais écarter d'office et de manière absolue l'hypothèse suivant laquelle la rapidité d'exécution des ordres de virement peut dans l'esprit des clients l'emporter sur la recherche d'une sécurité “absolue” à payer au prix de vérifications qui dans bon nombre de cas peuvent être ressenties comme tatillonnes nous paraît faire preuve d'une certaine méconnaissance de la réalité.

[1] Voy. nos précédentes chroniques, R.D.C. 2005, pp. 156 et s. et R.D.C. 2006, pp. 83 et s.; voy. également Ch.-Gh. Winandy et M. Lafontaine, “Les conditions générales bancaires. Le fonctionnement du compte”, in Cahier AEDBF/EVBFR-Belgium, n° 17, Algemene Bankvoorwaarden - Les Conditions Générales Bancaires, pp. 212 et s. et M. Delierneux, “L'ouverture d'un compte bancaire”, in Cahier AEDBF/EVBFR-Belgium, n° 17, Algemene Bankvoorwaarden - Les Conditions Générales Bancaires, pp. 153 et s.
[2] Mons 29 mars 1999, R.G.D.C. 2001, p. 76 et la note de R. Steennot, “De aansprakelijkheid van de bank bij de uitvoering van een vervalste overschrij­vingopdracht”.
[3] R. Steennot, “Vervalste overschrijvingsopdrachten: artikel 1239 B.W., afwijkende bedingen in de bankvoorwaarden en de leer van de onrechtmatige bedingen”, Forum financier/Dr. banc. fin. 2006, pp. 59 et s. En particulier n° 12.
[4] Bruxelles 5 mars 2005, Forum financier/Dr. banc. fin. 2006, p. 82.
[5] Anvers 12 janvier 2006, Forum financier/Dr. banc. fin. 2006, pp. 87 et s.
[6] Anvers 12 janvier 2006, Forum financier/Dr. banc. fin. 2006, pp. 91 et s. Voy. également tribunal de première instance de Bruxelles 29 mars 2004, R.D.C. 2006, pp. 79 et s.
[7] O. Creplet, “Les conséquences juridiques de l'exécution d'un faux virement dans le rapport entre le titulaire du compte débité et la banque”, Forum financier/Dr. banc. fin. 2006, pp. 69 et s.
[8] “Les conditions générales bancaires. Le fonctionnement du compte, in Cahier AEDBF/EVBFR-Belgium, n° 17, Algemene Bankvoorwaarden - Les Conditions Générales Bancaires, p. 212, n° 18.
[9] Ch.-Gh. Winandy et M. Lafontaine, “Les conditions générales bancaires. Le fonctionnement du compte”, o.c., n° 19.
[10] R.D.C. 2005, p. 156 . Dans le même sens, Bruxelles 18 mars 2003, R.D.C. 2005, pp. 152 et s.