Cour d'appel de Bruxelles 13 décembre 2005
SA Fortis Banque / Merx-Grade / SA CBC Banque
Siég.: J.-P. Collin (président) |
Pl.: Mes M. Pierreux, M. Loveniers loco P. Beyens et L. Van De Kerchove loco F. de Patoul |
1. | Faits de la cause |
Attendu que, le 30 mai 1992, une dame Joséphine Graceffa remit à l'ordre de l'intimé André Grade un chèque d'un montant de 500.000 anciens BEF tiré sur son compte auprès de Crédit Général.
Que près de six mois plus tard, soit le 13 novembre 1992, l'intimé Grade se rendit à l'agence Neerpede de la CGER, auprès de laquelle il avait ouvert avec sa mère Jeannette Merx le compte à vue 001-0111818-53, pour procéder à l'encaissement de ce chèque par le crédit de ce compte;
Que le 16 novembre 1992, la CGER présenta ce chèque en chambre de compensation et en crédita, le 16 novembre 1992, le compte des intimés Grade-Merx, ce qui amena le Crédit Général à verser au membre présentateur le montant nominal de ce chèque conformément au prescrit de l'article 25 du règlement de cette chambre;
Que, le 18 novembre 1992, le Crédit Général notifia à la CGER son refus de paiement du chèque tiré sur le compte bancaire de Joséphine Graceffa au motif que celle-ci aurait, entre-temps, clôturé ce compte;
Que, dans un premier temps, la CGER refusa de rembourser le Crédit Général en excipant de ce que, en application du règlement, un refus de paiement fondé sur une clôture de compte doit être notifié dans un délai de 24 heures;
Que, le 14 décembre 1992, le Crédit Général invoqua le fait que le chèque émis par Joséphine Graceffa n'était pas revêtu de l'endos d'usage conformément à la loi uniforme sur le chèque et que, conformément à l'article 26 alinéa 2 du règlement de la chambre de compensation, le membre présentateur s'engageait à rembourser le tiré à sa première demande, fondée sur ce motif, et introduite dans les trois mois du règlement du chèque;
Qu'acceptant le motif invoqué par le Crédit Général, la CGER lui remboursa le 24 janvier 1993 le montant nominal du chèque tiré par Joséphine Graceffa par le débit d'un de ses comptes internes;
Qu'étant donné que le compte des intimés Merx-Grade avait été clôturé en avril 2003 après que ceux-ci aient retiré la totalité des sommes y déposées (notamment du retrait, en espèces, de 500.000 BEF le 30 novembre 1992), la CGER rouvrit ce compte le 6 août 2003 en le débitant de la contre-valeur du chèque émis par Joséphine Graceffa avec date valeur au 21 janvier 2003;
Que les démarches amiables entreprises par la CGER par ses lettres du 28 janvier et du 9 juin 2003 adressées à l'intimé Grade étant demeurées infructueuses, la CGER cita les deux intimés devant le premier juge afin d'obtenir leur condamnation solidaire au paiement de 500.000 BEF à majorer d'intérêts débiteurs au taux conventionnel de 1,7% par mois à partir du 21 janvier 1993 jusqu'au jour du parfait paiement.
2. | La décision du premier juge |
Attendu que le premier juge débouta la CGER de ses prétentions en estimant qu'il ne serait pas “juste et équitable” de condamner les intimés à rembourser le montant du chèque de 500.000 BEF émis par Joséphine Graceffa, alors que c'est en toute bonne foi qu'ils avaient déposé ce chèque pour ensuite, retirer la somme dont leur compte avait été crédité; que le premier juge estima, par ailleurs, que le comportement de la CGER et celui de la CBC Banque n'était pas exempt de critique - la première “en ne prenant pas la précaution élémentaire de demander l'apposition de la signature de son client pour endos au verso du chèque” et la seconde “pour avoir, lors de son premier refus, invoqué un motif injustifié sur base de la prétendue clôture du compte de la dame Graceffa”; qu'il a décidé enfin, “en équité” que le règlement interbancaire soulevé par la CBC Banque ne pouvait être opposé aux actuels intimés;
Que le premier juge faisait, par ailleurs, fi de l'argumentation principale des intimés selon laquelle la demande de la CGER aurait été prescrite en application de l'article 52 de la loi du 1er mars 1961 selon laquelle les actions en recours du porteur contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés se prescrivent par six mois à partir de l'expiration du délai de présentation.;
3. | Sur le fondement des appels |
a. | L'appel principal |
i. Sur l'exception de prescription soulevée en ordre principal par les intimés |
Attendu que la prescription de six mois dont il est question à l'article 52 de la loi uniforme sur le chèque ne concerne que les actions de droit cambiaire et non celles fondées sur le droit commun;
Qu'en l'espèce, le chèque émis par Graceffa le 30 mai 1992, tiré sur compte au Crédit Général, était libellé payable à l'ordre de l'intimé Grade et n'a jamais été endossé par celui-ci à l'ordre de la CGER qui, en conséquence, n'en a jamais été le porteur;
Que seul le porteur du chèque dispose d'un recours fondé sur le droit cambiaire à exercer contre l'endosseur ou le tireur et les autres obligés;
Que, par ailleurs, les intimés Grade et Merx ne sont ni endosseurs, ou tireurs ou obligés au paiement de ce chèque en telle sorte qu'un recours cambiaire à leur encontre ne peut se concevoir;
Attendu que, conformément à une pratique fréquente, la CGER s'est bornée à rendre service à l'intimé Grade en acceptant d'encaisser pour son compte ce chèque en le portant au crédit du compte qu'il avait ouvert dans son agence de Neerpede - et dont il avait lui-même apposé le numéro au verso du chèque -, ce qui le dispensait des démarches de présentation de ce chèque en se présentant à un guichet du Crédit Général; que pareil service s'analyse en un crédit direct par lequel la CGER avançait à l'intimé Grade le montant nominal du chèque libellé à son ordre (tiré sur le compte ouvert dans une autre banque) sous la condition résolutoire d'un encaissement effectif lors de la présentation de ce chèque; que la réalisation de cette condition résolutoire donne à l'établissement bancaire négociateur le droit de contrepasser le montant porté au crédit du compte à titre d'avance, sous réserve de paiement effectif (P. de Vroede, Le Chèque, Édition des services interbancaires, n° 127; Comm. Bruxelles 8 février 1996, R.D.C. 1997, p. 750);
Que la circonstance que la CGER aurait conservé par devers elle ce chèque jusqu'à ce qu'elle obtienne le remboursement des 500.000 BEF n'induit nullement qu'elle doit être considérée comme le porteur de ce chèque que l'intimé Grade lui aurait endossé;
Que l'exception de prescription soulevée par les intimés Grade-Merx sur pied de l'article 52 de la loi uniforme sur le chèque doit être rejetée.
ii. Sur le fondement du recours extra-bancaire de l'appelante Fortis Banque |
Attendu que la bonne foi dont auraient fait preuve les intimés (…) est sans la moindre incidence sur leur obligation de rembourser la CGER.
(…)
Attendu que, contrairement à l'appréciation que fit le premier juge, la CGER n'a pas commis de faute en portant au crédit du compte des intimés le montant du chèque, tiré par Joséphine Graceffa sur son compte au Crédit Général, libellé à l'ordre de l'intimé Grade et non endossé par ce dernier lorsqu'il le remit à son banquier et, ensuite, en contrepassant ce crédit lorsqu'elle se trouvait obligée de réserver suite à la demande du Crédit Général excipant de l'absence d'un endossement valable du chèque, conformément à l'article 26 du règlement de la chambre de compensation;
Que l'article 26 alinéa 2 du règlement de la chambre de compensation organisant le déroulement des opérations portant sur des chèques - auquel fait référence l'article 11 de la loi uniforme sur le chèque - dispose en effet que “par l'apposition du cachet d'acquit, le membre présentateur s'engage toutefois à rembourser le tiré de sa première demande, fondée sur l'absence ou l'irrégularité de l'endos et faite dans un délai de 3 mois à compter de la date du règlement du chèque”;
Que faisant appel à la CGER pour que celle-ci lui rende le service gracieux d'encaisser un chèque tiré sur un autre établissement bancaire, l'intimé Grade devait être conscient que pareil encaissement s'effectuait en chambre de compensation dans le respect du règlement établi par celle-ci;
Qu'à tort, le premier juge a considéré que les intimés n'avaient pas à souffrir d'un règlement interbancaire qui ne leur était pas opposable alors que, lorsqu'ils ont ouvert leur compte à l'agence Neerpede de la CGER en janvier 1986, ils se sont engagés à se conformer à toutes les dispositions légales et administratives régissant l'emploi de leur compte universel en adhérant ainsi au règlement général de la CGER régissant ses rapports avec ses clients, complété par des règlements spécifiques, propres à des services déterminés, ainsi que par les usages en vigueur (art. 1er al. 2 du règlement général sur les opérations); que tel est le cas du règlement de la chambre de compensation;
Attendu que le paiement du chèque litigieux par le Crédit Général n'était effectué, conformément au règlement de la chambre de compensation, que “sauf bonne fin”; que, conformément à l'article 25 du règlement de la chambre de compensation, cette banque pouvait remettre en cause ce paiement, dans les termes et conditions de l'article 26 dudit règlement, en exigeant de la CGER le remboursement du montant du chèque non valablement endossé, ce que cette dernière fit;
Que, de son côté, la CGER n'a pu créditer le compte des intimés à concurrence du montant nominal du chèque litigieux que sous la même réserve de bonne fin;
Qu'en redébitant le compte des intimés du montant nominal de ce chèque, la CGER fit une parfaite application du règlement général des opérations qui, en son article 14 dispose que “… l'inscription au crédit du compte du montant repris sur tout document donnant droit au paiement d'une somme d'argent s'effectue, sauf convention contraire et nonobstant l'absence de toute indication sur l'extrait de compte, sous réserve de bonne fin” (al. 3) et que “au cas où un document dont le montant a été porté au crédit d'un compte n'a pas été honoré, la banque contrepasse d'office l'inscription en compte et débite de plein droit le compte du montant provisoirement avancé (al. 4);
Que ce même article 14 précise, en son 8ème alinéa, que “la banque n'assume aucune responsabilité quant à la validité des documents remis à l'encaissement…”;
Attendu qu'il ne peut, par ailleurs, être reproché à la CGER d'avoir conservé le chèque litigieux en attendant d'être effectivement couverte du crédit direct ainsi consenti alors que le même article 14 de son règlement général des opérations porte, en son alinéa 5, que “la banque peut retenir à tout moment, les documents impayés et exercer les droits y afférents jusqu'à l'apurement complet de l'avance provisoirement consentie ainsi que des frais éventuels”;
Attendu que les clauses du règlement général des opérations de la CGER, de même que celles contenues dans le règlement général de la chambre de compensation ne sont nullement excessives et n'ont nullement pour effet de permettre aux banquiers de se dégager des obligations que la loi uniforme sur le chèque leur impose, notamment en son article 42; qu'il doit, à nouveau, être rappelé que ni la CGER, ni le Crédit Général ont la qualité de porteur de chèque;
Qu'enfin, la CGER était parfaitement en droit de rouvrir le compte bancaire des intimés en application de l'article 14 alinéa 4 de son règlement général des opérations précité et de l'article 15 alinéa 6 dudit règlement rendant le titulaire du compte responsable des opérations exécutées après la liquidation du compte; que tel est le cas de la remise d'un chèque crédit “sauf bonne foi [fin?]” et dont il n'est pas avéré, après la clôture du compte, qu'il ne peut être effectivement payé; que décider du contraire serait vide de tout sens aux dispositions du règlement général des opérations de la CGER;
Attendu qu'il appert ainsi que ni la CGER, ni le Crédit Général n'ont, en l'espèce, commis une faute par référence à un standard de bon comportement en matière bancaire;
Qu'il convient, en conséquence, de déclarer l'appel principal fondé et de réformer la décision entreprise en ce qu'il a débouté la Fortis Banque (CGER) de sa demande originaire;
Qu'aucune faute n'est établie dans le chef de CBC Banque (Crédit Général) qui n'avait pas à payer un chèque qui s'est avéré non provisionné quand bien même le tireur s'engageait à le rembourser par mensualités et, qui, par ailleurs, était fondée à se prévaloir du non endossement du chèque par application de l'article 26 alinéa 2 du règlement de la chambre de compensation en exigeant, en temps utile, de la CGER d'être recréditée du montant du chèque, sans qu'elle soit liée par le fait que, dans un premier temps, elle a débité le compte bancaire de Joséphine Graceffa du montant dudit chèque;
Par ces motifs,
LA COUR,
(…)
Déclare seul l'appel fondé l'appel principal.
Réforme le jugement entrepris uniquement en tant qu'il a débouté la SA Fortis Banque de sa demande principale;
Condamne en conséquence solidairement les intimés à payer à la SA Fortis Banque 12.394,68 EUR à majorer des intérêts conventionnels au taux de 1,7% par mois à dater du 21 janvier 1993 jusqu'au jour du parfait paiement.