Article

Cour d'appel Bruxelles, 30/01/2004, R.D.C.-T.B.H., 2007/10, p. 965-968

Cour d'appel de Bruxelles 30 janvier 2004

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente exclusive - Avenant supprimant l'exclusivité - Licéité - Conséquences
Un avenant (de 1977) à un contrat de concession de vente (conclu en 1950), substituant une concession non exclusive à une concession exclusive, a pour conséquence d'exclure ce contrat du champ d'application de l'article 1er § 1er, 1° de la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée, pour autant que cet amendement n'ait pas pour effet d'instaurer une concession partagée.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Bijvoegsel dat de exclusiviteit opschort - Geoorloofd karakter - Gevolgen
Een bijvoegsel (uit 1977) bij een concesssieovereenkomst (afgesloten in 1950), waarbij een exclusieve concessie wordt vervangen door een niet-exclusieve concessie, heeft tot gevolg dat deze overeenkomst uit het toepassingsgebied wordt geweerd van artikel 1 § 1, 1°, van de Wet van 27 juli 1961 betreffende de eenzijdige beëindiging van de voor onbepaalde tijd verleende concessies van alleenverkoop, voor zover deze wijziging niet tot gevolg heeft dat er een gedeelde concessie in het leven wordt geroepen.

Me A. d'Ieteren q.q. SA C.R.B. / Riedel-De Haen Laborchemikalien GmbH & Co Kg

Siég.: H. Mackelbert (conseiller)
Pl.: Mes O. Margaux et C. Schnitzler, B. van Egeren
I. Décision attaquée

L'appel est dirigé contre le jugement prononcé contradictoirement par le tribunal de commerce de Bruxelles, le 7 octobre 1999, signifié le 23 décembre 1999.

II. Procédure devant la cour

L'appel principal est formé par requête, déposée par Me d'Ieteren au greffe de la cour, le 24 janvier 2000.

Par conclusions déposées au greffe de la cour le 30 octobre 2001, Riedel-De Haen introduit un appel incident.

Il est fait application de l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues.

III. Faits et antécédents de la procédure

1. C.R.B. est le concessionnaire exclusif de Riedel-De Haen pour la Belgique depuis le 15 juin 1950.

Le 27 septembre 1954, une convention écrite est conclue entre les parties. Cette convention fait l'objet d'un amendement, le 8 mars 1955, en ce qui concerne les commissions.

Le 25 septembre 1970, Riedel-De Haen est contrainte de dénoncer le contrat de vente exclusive au motif que la société Hoechst Belgium représente, désormais, ses intérêts en Belgique. Néanmoins, les parties conviennent que C.R.B. continuera à promouvoir les réactifs Riedel-De Haen auprès de sa clientèle actuelle, Hoechst Belgium se réservant la vente aux laboratoires médicaux et paramédicaux.

Le 1er janvier 1972, une convention, qualifiée de “contrat de sous-agence” est conclue entre Hoechst Belgium et Riedel-De Haen d'une part, et C.R.B., d'autre part.

Aux termes de celle-ci:

- la concession de vente exclusive dont bénéficie C.R.B. est étendue au Grand-Duché de Luxembourg;

- C.R.B. est tenue de s'approvisionner directement auprès de Riedel-De Haen dont les conditions générales de vente régiront les ventes;

- C.R.B. s'engage à détenir un stock suffisant;

- C.R.B. ne pourra représenter une firme concurrente.

Le 14 avril 1976, Hoechst Belgium et Riedel-De Haen adressent à C.R.B. un projet d'avenant rédigé comme suit:

“Il a été convenu que la clause d'exclusivité figurant à l'article 1er, 3e alinéa, est considérée comme nulle.

Cet alinéa devient donc:

(...)

qu'elles sont d'accord pour confier à C.R.B. qui accepte, la vente non exclusive sur le territoire du Royaume de Belgique et du Grand-Duché de Luxembourg des produits définis en qualité de sous-agent dépendant de Hoechst Belgium.”

Le 20 juin 1977, C.R.B. renvoie cet avenant signé pour accord, en faisant référence à un accord qui a été conclu entre les parties, le 14 juin 1977.

Le 8 septembre 1977, Riedel-De Haen adresse à C.R.B. la lettre suivante (traduction):

Lors de notre entretien du 14 juin dernier à Bruxelles, au siège de Hoechst Belgium, nous avons notamment discuté du contrat de sous-agence (avec exclusivité) pour produits chimiques de laboratoire conclu entre vous et Hoechst Belgium.

Vous vous êtes déclarés disposés, contre paiement de trois versements annuels de 2.500 DEM, à renoncer à cette exclusivité afin de nous permettre de confier également à la firme Pleuger, Wijnegem en Belgique la distribution des produits chimiques pour laboratoires.

Suite à la faillite de la société Pleuger en 1992, Riedel-De Haen lui substitue la société Resco Trade.

C.R.B. et Resco Trade distribuent conjointement les produits Riedel-De Haen (cf. catalogues, pièces IVbis 1 et IVbis 2 du dossier de Riedel-De Haen).

Cette situation entraîne des tensions, C.R.B. se plaignant que Resco Trade soit capable de vendre moins cher qu'elle, ce à quoi Riedel-De Haen répond qu'il n'est pas acceptable que Resco Trade “s'attaque” aux clients de C.R.B. (cf. son fax du 14 novembre 1996, pièce I, 15 de son dossier).

Riedel-De Haen vend également à d'autres firmes en Belgique. La répartition du chiffre d'affaires pour les années 1996-1997 est la suivante (cf. pièce IVbis 3 du dossier de Riedel-De Haen)

- C.R.B.: 36,0%
- Resco Trade: 31,1%
- 22 autres clients: 32,9%

Le 30 janvier 1995, Hoechst Belgium annonce à Riedel-De Haen que C.R.B. a décidé de représenter en Belgique les produits Labscan, ce dont elle ne se cache pas, considérant qu'il s'agit d'une bonne opportunité pour toutes les parties (cf. son fax du 7 mars 1995, pièce I, 16 de son dossier).

2. Le 28 juin 1996, Hoechst Belgium annonce à C.R.B. que Riedel-De Haen a mis fin à son contrat et qu'elle se voit contrainte de rompre également le contrat de sous-agence, tout en signalant que Riedel-De Haen prendra contact avec elle en vue d'envisager une collaboration éventuelle.

Aucun nouveau contrat n'est signé entre les parties. Néanmoins, Riedel-De Haen poursuit ses livraisons. Dans son fax du 14 novembre 1996, elle assure C.R.B. qu'elle travaille à l'élaboration d'une nouvelle stratégie pour vendre ses produits en Belgique et espère pouvoir présenter une solution dans les prochains mois. Elle demande à C.R.B. de patienter dans l'intervalle.

Le 29 août 1997, Riedel-De Haen écrit à C.R.B. que suite à la constitution d'une nouvelle société, issue d'une joint-venture avec les sociétés Sigma-Aldrich et Allied Signal, il a été décidé que la vente, en Belgique, de ses produits sera confiée à Sigma-Aldrich, au plus tard à la fin de l'année 1997.

Riedel-De Haen informe dès lors C.R.B. qu'elle cessera de lui vendre au-delà du 31 décembre 1997.

Par courrier du 30 décembre 1997, C.R.B. considère qu'elle est un concessionnaire exclusif de vente et met Riedel-De Haen en demeure de lui payer une indemnité compensatoire de préavis de 34 mois, soit 21.600.000 FB et une indemnité complémentaire de deux ans, soit 12.700.000 FB. Elle proteste également contre le fait que Riedel-De Haen a suspendu ses livraisons au motif qu'elle serait en retard de paiement, ce qu'elle conteste.

Dans le courant du mois de janvier 1998, les parties tentent en vain de trouver un accord.

3. Par exploit du 9 mars 1998, C.R.B. fait citer Riedel-De Haen devant le tribunal de commerce de Bruxelles en paiement de:

- 18.064.000 FB à titre d'indemnité compensatoire de préavis;

- 12.751.000 FB à titre d'indemnité complémentaire;

- 45.000 DEM pour la reprise du stock;

- 1.000 FB par jour à titre d'indemnité pour frais d'entreposage du stock depuis le 31 décembre 1997.

Riedel-De Haen introduit une demande reconventionnelle tendant au paiement de 168.842 DEM, à titre de factures impayées, augmentés d'un intérêt moratoire égal à celui de la Banque Fédérale d'Allemagne majoré de 3%, calculé depuis la date d'exigibilité des factures.

C.R.B. est déclarée en faillite le 17 mai 1999 et son curateur, Me d'Ieteren, déclare poursuivre l'instance.

Par le jugement attaqué, le premier juge déboute C.R.B. de sa demande. Il dit la demande reconventionnelle fondée, sauf en ce qui concerne les intérêts moratoires qu'il réduit aux intérêts “judiciaires jusqu'au jour de la faillite”.

4. Me d'Ieteren interjette appel de cette décision dont il postule la réformation.

Aux termes de ses dernières conclusions et déclarations faite à l'audience, il demande à la cour de condamner Riedel-De Haen à payer à la masse:

- 11.500.874 FB à titre d'indemnité compensatoire de préavis;

- 8.118.264 FB à titre d'indemnité complémentaire;

- 45.000 DEM correspondant à la valeur du stock.

Riedel-De Haen forme un appel incident en ce que le premier juge ne lui a pas accordé les intérêts moratoires au taux conventionnel.

IV. Discussion

(...)

2. Non exclusivité

6. Aux termes de l'article 1er § 1er, 1° de la loi du 27 juillet 1961, sont notamment soumises aux dispositions de la loi les concessions de vente exclusive.

Il convient donc de vérifier si la concession est exclusive ou non.

Riedel-De Haen soutient que par l'avenant des 14 avril 1976 et 20 juin 1977, C.R.B. a renoncé au bénéfice de l'exclusivité qui lui avait été consentie.

Cette dernière considère, au contraire, que sa renonciation doit s'interpréter en fonction de l'accord conclu le 14 juin 1977, tel qu'il a été confirmé par la lettre du 8 septembre 1977, à savoir qu'il s'agissait de permettre la conclusion d'un accord avec la société Pleuger. Elle en déduit qu'une concession partagée a été instituée entre elle et cette société.

7. Les termes employés par les parties dans l'avenant des 14 avril 1976 et 20 juin 1977 sont clairs et ne nécessitent aucune interprétation. En effet, une concession non exclusive a été purement et simplement substituée à une concession exclusive, sans autre précision.

Certes, une concession reste exclusive, au sens de la loi, si le concédant a accordé à plusieurs concessionnaires le droit de vendre des produits qu'il fabrique ou distribue (Cass. 22 janvier 1981, Pas. 1981, I, 541). Il en est de même s'il s'est réservé conventionnellement le droit de vendre personnellement les mêmes produits que ceux faisant l'objet de la concession (Cass. 23 février 1995, Pas. 1995, I, 200).

C'est donc la protection ou le monopole accordé à un ou plusieurs concessionnaires contre la concurrence de tiers qui rend exclusive la concession de chacun et pas le fait de ne partager son droit avec personne (Willemart, “Concessions exclusives ou le monopole partagé”, J.L.M.B. 1995, 1360).

8. Cette protection a été retirée, conventionnellement, par l'avenant des 14 avril 1976 et 20 juin 1977.

Ce n'est pas parce que la lettre du 8 septembre 1977 confirme l'intention de Riedel-De Haen de confier la distribution de ses produits à la société Pleuger qu'il faut en déduire qu'elle s'interdisait de conclure d'autres conventions ayant le même objet avec toutes autres sociétés.

Le fait que Riedel-de Haen n'ait, apparemment, eu d'autres distributeurs que C.R.B., Pleuger et ensuite Resco Trade n'implique pas qu'elle ait accepté de renoncer au droit qu'elle avait acquis, par l'effet de l'avenant, de conclure tous autres contrats. Il est d'ailleurs significatif de constater, à la lecture des courriers adressés aux sociétés Merck, Vel et Acros (pièces IVbis, 15, 16 et 17 du dossier de Riedel-De Haen) qu'elle a, semble-t-il, bien conclu avec ces sociétés des accords de distribution, contrairement à ce qu'elle affirmait dans sa lettre du 21 janvier 1998, puisqu'elle les informait, qu'elle cessait de leur vendre ses produits à partir du 31 décembre 1997, et qu'elle était prête à reprendre leur stock. Une telle attitude est peu compatible avec un simple contrat de vente.

Par ailleurs, la lettre du 8 septembre 1977 ne dit pas que C.R.B. retrouvera un quelconque monopole et sera prémunie contre toute autre concurrence éventuelle de tiers.

Il s'en déduit que cette lettre n'a pas pour effet d'instaurer une concession partagée et qu'elle n'infirme ni ne réduit la portée claire et précise de l'avenant qui supprime l'exclusivité qui avait été accordée à C.R.B.

Dès lors, la concession ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 1er § 1er, 1° de la loi du 27 juillet 1961.

3. Quasi-exclusivité

9. C.R.B. estime qu'elle bénéficiait d'une quasi-exclusivité puisqu'elle assurait 80% des ventes en Wallonie.

Outre que ce chiffre n'est pas prouvé, il ne résulte d'aucune pièce soumise à la cour que Riedel-De Haen avait décidé de délimiter un territoire, la Wallonie pour C.R.B. et la Flandre pour Pleuger, et ensuite Resco Trade.

Par ailleurs, il n'est pas soutenu que la concession serait quasi-exclusive sur le plan national, ce qui ne saurait d'ailleurs être admis, puisque le chiffre d'affaires réalisé par l'intermédiaire de C.R.B. ne constituait que 36% du chiffre d'affaires total.

Il s'en déduit que la concession ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 1er § 1er, 2° de la loi du 27 juillet 1961.

4. Étendue des obligations pesant sur C.R.B.

10. C.R.B. soutient que la convention lui imposait des obligations importantes dont la charge est telle qu'elle subirait un grave préjudice en cas de résiliation de la convention. Partant, elle estime que la loi du 27 juillet 1961 serait applicable, en exécution de son article 1er § 1er, 3°.

Les obligations dont il est question sont les suivantes:

- défendre les intérêts de Riedel-De Haen avec tous les soins et efforts requis et prendre toute mesure nécessaire pour assurer la promotion et la vente des produits auprès de la clientèle (art. 6);

- détenir un stock suffisant pour assurer l'approvisionnement continu de la clientèle (art. 7);

- ne pas accepter ni maintenir la représentation d'une firme concurrente ni produire ou promouvoir des produits concurrents (art. 10);

- communiquer semestriellement le relevé des ventes (art. 11).

11. Aucune de ces obligations n'est de nature à causer un préjudice grave en cas de résiliation de la convention.

Le stock minimum n'est pas défini et C.R.B. n'est pas tenue de respecter un quota déterminé d'achats.

Par ailleurs, Riedel-De Haen ne s'est pas opposée à ce que C.R.B. représente des produits concurrents, en l'espèce les produits Labscan.

Il s'en déduit que la concession ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 1er § 1er, 3° de la loi du 27 juillet 1961 et que l'appel n'est pas fondé.

5. Remboursement du stock

12. L'obligation de reprendre le stock ne s'inscrit que dans le cadre de la loi du 27 juillet 1961.

C.R.B. soutient cependant que Riedel-De Haen aurait marqué son accord pour reprendre celui-ci au prix de 45.000 DEM.

13. Dans le cadre de la recherche d'une solution amiable, Riedel-De Haen a, le 21 janvier 1998, proposé, entre autres, de reprendre le stock, évalué à 45.000 DEM, tout en précisant que cette reprise ne donnerait pas lieu à d'autres paiement ou remboursement.

Cette proposition n'a cependant pas été acceptée.

Dès lors, la demande de C.R.B. ne repose sur aucun fondement légal.

(...)

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit les appels principal et incident recevables mais non fondés. En déboute les parties.

2. Met les dépens d'appel à charge de la société faillie C.R.B.

Ces dépens s'élèvent à 185,92 + 52,06 EUR pour elle et à 456,12 EUR pour Riedel-De Haen.

(...)