Cour d'appel de Liège 15 juin 2006
INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession de vente - Rupture pour motif grave - Conditions - Impossibilité de poursuivre des relations dans le cadre de l'exécution d'un préavis - Déloyauté grave du concessionnaire
Pour décider de la gravité d'une faute autorisant une rupture sans préavis, il importe de vérifier si la poursuite des relations peut encore être envisagée dans le cadre de l'exécution d'un préavis. Dès lors que le concessionnaire actif sur le territoire belge, qui a enregistré la marque de son concédant pour le Benelux, tente de monnayer la cession des droits sur cette marque au concédant contre le renoncement de ce dernier au paiement de fournitures, décide de bloquer les paiements tant qu'une solution n'est pas trouvée et menace en outre indirectement d'inquiéter le concédant sur le marché hollandais, où le concessionnaire n'est pas actif, il adopte une attitude déloyale et inacceptable mettant en place un véritable chantage à la désorganisation d'un réseau de distribution qu'il n'avait jamais critiqué et dont il entendait continuer à retirer les fruits. La rupture par le concédant pour motif grave est justifiée.
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TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Verbreking om dringende reden - Voorwaarden - Onmogelijkheid om de relatie verder te zetten in het kader van de uitvoering van een vooropzeg - Ernstige inbreuk van de concessiehouder op de loyauteit
Om een beslissing te nemen over de ernst van een fout die tot een beëindiging zonder opzegging leidt, is het van belang dat wordt nagegaan of de voortzetting van de relatie nog mogelijk is in het kader van de uitvoering van de vooropzeg. De concessiehouder die op het Belgische grondgebied actief is, die het merk van zijn concessiegever voor de Benelux heeft geregistreerd, die de overdracht van de rechten op dit merk aan de concessiegever te gelde probeert te maken op voorwaarde dat deze laatste afziet van betalingen voor leveringen, en die beslist om de betalingen te staken zolang er geen oplossing is gevonden en bovendien indirect dreigt om de concessiegever op de Nederlandse markt te bedreigen, waar de concessiehouder niet actief is, neemt een deloyale en onaanvaardbare houding aan, waarbij hij echt gaat dreigen om een distributienet te desorganiseren, waartegen hij voorheen nooit kritiek had geuit en waarvan hij had verwacht er nog verder de vruchten van te plukken. De verbreking door de concessiegever om dringende reden is gerechtvaardigd.
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Anilam Ltd. / F. Kerstenne et B. Christiane
Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers) |
Pl.: Mes Th. Van Innis et C. Hough loco P. Pichault |
(...)
Un nouvel exposé commenté s'avère utile pour dégager et justifier la solution mettant un terme au litige.
L'appelante a été constituée en 1976 sous la dénomination sociale “Anilam Electronics Europe Ltd”. Elle a distribué ses produits à travers un réseau de concessionnaires au rang desquels la SA Ronge-Dubois s'est inscrite à partir de 1978 pour le territoire de la Belgique. L'intimée affirme qu'il y avait un contrat écrit entre les parties mais que ce contrat n'a pu être retrouvé tandis que pour l'appelante il s'agissait d'un accord verbal, ce qui importe peu. Il est certain que les relations entre parties étaient régies par la loi du 27 juillet 1961 sur les concessions de ventes exclusive à durée indéterminée.
L'appelante utilise depuis toujours un logo sous lequel apparaît sa dénomination sociale, le logo ne reprenant, comme maints catalogues, que le vocable “Anilam” pour désigner ou accompagner les produits qu'elle fabrique et commercialise.
Aucun document n'est produit pour expliquer les raisons qui poussent l'intimée à faire enregistrer le 21 avril 1982 comme marque de produits l'appellation commerciale de sa concédante au Bureau Benelux des Marques mais il paraît sûr que, contrairement à ce que soutient l'appelante, la démarche n'a pas été ignorée de celle-ci à tout le moins depuis le 9 décembre 1982 puisqu'à cette date l'intimée annonce (pièce 2 intimée) qu'elle va vendre sous le nom “Anilam” avec d'autres produits fabriqués par l'appelante une pièce qu'elle peut obtenir ailleurs dans l'attente de ce que l'appelante puisse offrir un produit similaire. Cette utilisation de la marque de l'appelante pour un produit d'autre provenance est justifiée selon le courrier par la circonstance que l'intéressée possède “la marque Anilam pour la Belgique, la Hollande et le Luxembourg”. Il n'y a pas de protestation de l'appelante.
Le 9 mai 1983, l'intimée commande encore auprès du même fabricant étranger aux relations entre parties les pièces que l'appelante ne peut lui fournir et sur lesquelles l'intimée fait apposer le signe distinctif de la marque Anilam (pièce 31 intimée). Alors qu'en avril 1993 les dirigeants de l'intimée rencontrent en Suisse ceux de la nouvelle direction de l'appelante (pièce 3 intimée), la question est évoquée et le 5 mai 1993 l'intimée transmet à l'appelante “la copie du certificat du Bureau Benelux des Marques attestant” qu'elle possède le nom Anilam Electronics pour les pays du Benelux (pièce 4).
Le problème revient sur le tapis en avril 1995 car le nouvel actionnariat de l'appelante ne comprend pas cette appropriation par l'intimée de la marque de son concédant. L'appelante demande dès lors le transfert à son nom de l'enregistrement obtenu et renouvelé au profit de l'intimée, proposant d'indemniser cette dernière des frais qu'elle a exposés (lettre 27 avril 1995 - pièce 5 intimée). Le 8 mai 1995, l'intimée qui s'informe sur les formalités à remplir et leur coût obtient d'un bureau de conseil en brevets la communication des frais (5.900 FB + TVA) d'enregistrement d'une cession (pièce 15 intimée).
Une rencontre est programmée au mois de juin au cours de laquelle 2 problèmes sont évoqués: d'une part celui du règlement de factures que l'intimée n'a pas payées pour les fournitures reçues depuis le début de l'année et qui représentent un arriéré de quelque 55.000 DM (€ 28.121,05), d'autre part la question de la cession de l'enregistrement de la marque.
Par une télécopie du 23 juin 1995 à 10h01 (pièce 12 intimée), l'appelante revient sur les 2 questions et transmet le détail des arriérés (55.013 DM), rappelant qu'au cours de la rencontre il a été affirmé que le paiement avait eu lieu mais pour constater aussi que ce paiement n'est pas encore parvenu. Et de demander la preuve du paiement tout en insistant sur ce qu'elle continuera “toujours à travailler d'une manière claire et honnête mais (continuera) à attendre que (ses) partenaires agissent de la même manière” (traduction libre non contestée). Sur la seconde question, il apparaît que l'intimée entend monnayer la cession de l'enregistrement de son dépôt comme marque, ce que l'appelante déclare ne pas accepter sauf pour les frais liés à l'enregistrement parce qu'elle “trouve déplorable l'idée de déposer le nom de son fournisseur et de se proposer ensuite de le lui revendre”, y voyant une “absence de confiance incompatible avec un partenariat digne de ce nom”.
Alors qu'elle connaît l'opposition de sa partenaire au paiement d'une indemnité, l'intimée envoie le 26 juin 1995 à 9h26 un message daté du 23 juin où elle signifie qu'elle ne cédera la marque Benelux que moyennant la garantie d'une poursuite des relations pendant 5 ans au moins et la mise de son “compte courant à ZERO en couverture des investissements dans la marque”, ce qui correspond donc à une contrepartie de plus de 28.000 euros. Elle ajoute, non sans une fausse ingénuité, vouloir tenir compte “également du fait que nous ne vous avons jamais inquiété sur le marché néerlandais”, cette dernière allusion étant l'annonce à peine déguisée que forte de sa titularité sur la marque Anilam Electronics dans le Benelux, l'intimée aurait pu et pourrait contrarier la distribution des produits de l'appelante aux Pays-Bas où un distributeur choisi par l'appelante est actif.
L'appelante interprète ce message comme une trahison d'un partenaire cherchant à faire pression pour obtenir d'être déchargé d'une dette importante. Aussi elle réagit le 27 juin mettant l'intimée en demeure de payer sans délai les factures en suspens et de transférer les droits de marque à défaut de quoi elle annonce qu'elle ne pourra plus traiter avec l'intimée.
Le 12 juillet, l'appelante n'a toujours pas reçu de réponse de l'intimée et lui répète “qu'il n'est pas possible de coopérer avec une société qui ne paie pas ses fournisseurs (en sorte que) à moins que le paiement de toutes (les) dettes exceptionnelles ne soit fait sans délai supplémentaire, (elle ne voit) pas d'autres alternatives que d'introduire une action légale afin d'obtenir l'argent (qui lui revient)”.
Le lendemain, le directeur financier de l'intimée prend le relais pour rétorquer que puisqu'il n'y a aucune proposition de rachat de la marque déposée, il a été décidé “de bloquer le paiement aussi longtemps qu'un accord ne soit intervenu entre les deux parties concernées”.
Il lui est aussitôt répondu (télécopie 13 juillet 1995 - pièce 19 intimée) que le paiement des factures ne peut être lié à la question de la marque et que si l'appelante a soulevé ce dernier problème, ce n'est pas en préparation à la fin de relations contractuelles, mais cette mise au point n'apaise pas la donne en ce sens qu'il est alors explicitement annoncé que sans solution rapide au rachat de la marque Anilam par l'appelante “nous nous verrons obligés de prendre toutes les mesures nécessaires afin de défendre notre marque déposée autant en Belgique qu'au Luxembourg et en Hollande” et si le maintien de bonnes relations commerciales continue à être affirmé, il reste que “quant au paiement des factures échues, il sera effectué dès que nous aurons reçu de votre part un accord écrit comme quoi si nous n'obtenons aucun dédommagement pour notre marque déposée Anilam, nous pouvons d'une part conserver cette marque déposée et d'autre part avoir la confirmation d'une continuation du partenariat comme par le passé” (télécopie 18 juillet 1995 - pièce 20).
Le 25 juillet, l'appelante maintient qu'elle conçoit mal de devoir racheter la marque dont l'intimée a pris l'initiative d'assurer la protection. Elle insiste sur ce que le maintien d'une coopération suppose une totale confiance mise à mal par la retenue d'un paiement dont il avait été affirmé qu'il était effectué et répète encore qu'une action en paiement devra sans doute être initiée, encore que soit espérée une solution amiable (pièce 21).
Une rencontre est à nouveau organisée, qui tourne court parce que l'intimée qui le réécrit le 7 septembre exige, avant de payer ses factures, un écrit l'autorisant à “conserver notre marque déposée qui est notre protection de 17 ans de dur labeur pour créer un marché qui est aussi pour notre société centenaire un gage d'avenir” (pièce 22). Ce message énonce au passage que “nous n'avons jamais fait usage de notre marque déposée”, ce que le conseil de l'intimée dira devoir être interprété (lettre 26 septembre 1995 - pièce 24) “en ce sens que la SA Ronge-Dubois n'avait jamais essayé de monnayer cette marque dans le cadre de ses relations avec Anilam qui n'avaient jamais cessé d'être cordiales”.
Le 11 septembre 1995, l'appelante rompt la concession en invoquant deux fautes graves: l'utilisation de la marque déposée comme moyen de pression pour une poursuite indéfinie des relations contractuelles avec menaces d'entraver l'activité d'un autre concessionnaire assurant la distribution des mêmes produits aux, Pays-Bas ainsi que le refus de payer, malgré mises en demeure et avertissements quant aux conséquences du refus, une dette exigible incontestée.
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La marque déposée étant non pas celle des produits désignés sous la marque “Anilam” mais celle de la dénomination commerciale du concédant “Anilam Electronics”, la démarche de l'intimée était pour le moins insolite, inélégante sinon abusive. Mais l'appelante a appris plus tard l'existence de cette démarche et n'y a vu malice, considérant que l'intimée avait agi dans le but louable en soi de veiller au développement harmonieux au marché qui lui était confié.
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Il reste à se pencher sur la rupture unilatérale de la concession décidée le 11 septembre 1995 par l'appelante, à décider si les motifs invoqués étaient graves et justifiaient la fin des relations sans le préavis raisonnable auquel tout concessionnaire a droit, si l'intimée, actuellement représentée par son curateur ad hoc, peut prétendre aux indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961.
En affaires de commerce, chaque partenaire veille légitimement à ses propres intérêts. Il n'est pas obligé de faire de cadeau à ses interlocuteurs. Dans une négociation, chacun défendra son point de vue et utilisera les atouts qu'il détient.
L'intimée avait eu l'idée, parce que directement confrontée à une réalité de terrain dont l'appelante était moins consciente, d'assurer la protection d'une marque attachée à son concédant pour faire en sorte que d'autres ne puissent venir interférer dans un marché qu'elle commençait à développer. Quoiqu'il soit insolite qu'elle fasse elle-même enregistrer la marque attachée à son concédant plutôt que d'inviter celui-ci à assurer lui-même ses arrières, elle pouvait, puisque l'appelante pendant des années s'était accommodée de la situation mais décidait de reprendre le contrôle de sa marque, négocier une rétrocession et, pourquoi pas, la monnayer au-delà du simple remboursement des frais d'enregistrement.
Il est toutefois une qualité indispensable dans le monde des affaires et surtout entre concessionnaire et concédant: la loyauté et la franchise puisque leurs intérêts, sans être communs, sont néanmoins liés.
Or sur ce plan, l'attitude de l'intimée est critiquable. D'une part, le directeur de l'intimée avait dit, après avoir promis de faire le paiement des factures exigibles, que le paiement avait été effectué mais ce paiement n'avait pas été opéré et après avoir passé la main à un de ses employés, il revient sur la promesse de paiement pour faire de celui-ci une monnaie d'échange mettant la pression sur l'appelante.
Si l'on peut encore comprendre que l'intimée utilise l'argument financier pour arracher un supplément dans la négociation relative à la cession de l'enregistrement de la marque, la résistance devient inadmissible lorsqu'est brandie la menace d'interférences sur le marché néerlandais où l'intimée ne s'était jamais aventurée et n'avait même jamais songé à intervenir, respectueuse du réseau organisé de longue date par l'appelante. À partir de ce moment et lorsque de manière explicite l'intimée brandit la menace de “prendre les mesures nécessaires afin de défendre notre marque déposée autant en Belgique qu'au Luxembourg et en Hollande”, l'intimée passe les limites de la loyauté et se livre à un véritable chantage illégitime.
Pour décider de la gravité d'une faute autorisant une rupture sans préavis, il importe de vérifier si la poursuite des relations peut encore être envisagée dans le cadre de l'exécution d'un préavis.
Les premiers juges ont estimé qu'il était possible de continuer les relations dans le cadre d'un préavis tout en faisant régler par voie judiciaire d'une part la demande de paiement des factures non contestées par l'intimée et d'autre part les questions intéressant l'enregistrement de la marque que l'intimée s'était appropriée pour le territoire du Benelux.
Cette opinion ne peut être partagée dès lors que l'intimée adopte une attitude inacceptable mettant en place un véritable chantage à la désorganisation d'un réseau de distribution qu'elle n'avait jamais critiqué et dont elle entendait continuer à retirer les fruits. Cette attitude n'est pas loyale et ne permettait pas de maintenir des relations suivies exigeant une confiance mutuelle et une parfaite honnêteté d'autant qu'il était au surplus annoncé que, les paiements étant bloqués, l'appelante pouvait craindre que les livraisons futures qu'elle serait amenée à satisfaire en tant que concédante ne soient pas elles aussi honorées.
La rupture sans préavis pour motif grave était donc justifiée, d'où il découle que les demandes en paiement d'indemnités pour préavis et apport de clientèle ne sont pas fondées.
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