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Cour d'appel Liège, 12/06/2006, R.D.C.-T.B.H., 2007/10, p. 1013-1014

Cour d'appel de Liège 12 juin 2006

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Sort du stock après rupture - Absence de base légale - Liberté contractuelle - Exécution de bonne foi
Aucune disposition de la loi de 1961 ne réglant d'une quelconque manière le sort du stock et de l'outillage lors de la cessation du contrat, la clause prévoyant que la rupture du contrat, quel qu'en soit le motif, ou son non-renouvellement à l'échéance, n'entraînera pour le concédant aucune obligation de rachat du stock du concessionnaire, est licite.
Dès lors que le concédant a saisi conservatoirement le stock de son concessionnaire en garantie du paiement de factures contestées, il a véritablement étranglé son concessionnaire et aggravé son sort en immobilisant le stock dont il savait qu'il risquait de devenir rapidement obsolète, manquant ainsi à la bonne foi.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Bestemming van de stock na de verbreking - Ontbreken van een wettelijke basis - Contractuele vrijheid - Uitvoering te goeder trouw
Aangezien geen enkele bepaling van de wet van 1961 op welke wijze dan ook de bestemming van de stock en het materieel regelt bij de beëindiging van het contract, is de clausule die voorziet dat de verbreking van het contract, wat ook de reden is, of de niet-hernieuwing op de vervaldag, voor de concessiegever geen enkele verplichting tot terugkoop van de stock van de concessiehouder inhoudt, geoorloofd.
Door bewarend beslag te leggen op de stock van zijn concessiehouder met het oog op de betaling van de geprotesteerde facturen, heeft de concessiegever zijn concessiehouder werkelijk aan banden gelegd en zijn toekomst in gevaar gebracht door de oplegging van de stock, waarvan hij wist dat deze spoedig in onbruik zou raken, en heeft zodoende blijk gegeven van een gebrek aan goede trouw.

SA Honda Belgium / SA Service Center Number 1

Siég.: R. de Francquen (président), M. Ligot et A. Jacquemin (conseillers)
Pl.: Mes G. Bogaert, E. Kairis et M. Tramasure, Ph. Delannay, P. Dupuis

(...)

Après en avoir délibéré

Le litige dont la cour est actuellement saisie trouve son origine dans la rupture par la SA Honda Belgium le 20 octobre 1992 du contrat de concession exclusive de vente qui la liait depuis 1972 à la SA Service Center N° 1 actuellement en liquidation.

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La saisine de la cour de céans est déterminée par l'arrêt rendu le 15 mai 2003 par la Cour de cassation qui casse l'arrêt rendu le 26 juin 2001 par la cour d'appel de Bruxelles “en tant qu'il statue sur l'indemnité réclamée par (Service Center) pour la moins-value du stock, qu'il condamne (la même) à payer à (Honda Belgium) la somme en principal de 24.648.831 FB majorée des intérêts et de l'indemnité forfaitaire conventionnelle, qu'il condamne (celle-ci) à payer une indemnité provisionnelle égale à cette condamnation, qu'il déclare la compensation de ces condamnations à concurrence de 28.346.155 FB et qu'il statue sur les dépens”.

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Honda Belgium reconnaît qu'au stade actuel de la procédure, “il est définitivement acquis qu'(elle) a mis fin, fautivement au contrat de concession, que c'est à tort qu'(elle) a bloqué les livraisons de véhicules neufs à partir de mars 1992 et que c'est à bon droit, conformément au principe de l'exception d'inexécution, que Service Center a retenu le paiement des factures” (conclusions HB, p. 4).

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I. Indemnité pour moins-value du stock

Service Center réclame de ce chef € 457.586,66 correspondant à la différence entre la valeur de ce stock dans sa comptabilité au 30 juin 1992 (18.700.000 FB) et le prix pour lequel il a été revendu le 7 mars 1995 (241.000 FB, TVAC) (dossier S.C., pièces 66 et 67).

(...)

Honda Belgium se prévaut maintenant de l'article 15 § 1er du contrat de distribution du 23 janvier 1981 que la cour d'appel de Bruxelles avait appliqué d'office, qui prévoit que “la rupture du contrat, quel qu'en soit le motif, ou son non-renouvellement à l'échéance n'entraînera pour le concédant aucune obligation de rachat de véhicules ou de pièces de rechange qui seraient encore en stock chez le concessionnaire”.

“Aucune disposition de la loi de 1961 ne règle d'une quelconque manière, le sort du stock et de l'outillage lors de la cessation du contrat. Par conséquent, en l'absence de dispositions légales impératives sur la question, les parties sont libres de contracter à ce propos comme elles l'entendent.” (Mons 24 octobre 1988, R.D.C. 1989, p. 524 et note P. Kileste; Anvers 1 mars 1989, R.W. 1989-90, p. 157; Comm. Bruxelles 5 novembre 1990, R.D.C. 1992, p. 511 et note P. Lefèvre; Fierens et Mottet Haugaard, “Chronique de jurisprudence”, J.T. 1998, p. 105 ; Liège 5 mai 1998, R.G. 181/96 subséquent à Liège 12 octobre 1993, J.L.M.B. 1995, p. 785, cité par Kileste et Hollander, “Examen de jurisprudence”, R.D.C. 2003, n° 124, p. 446; Mons 12 octobre 1998, J.L.M.B. 1999, p. 511 ).

La licéité de la clause dont Honda Belgium se prévaut est certaine.

“L'indemnisation de la perte subie à l'occasion de l'écoulement du stock n'étant pas retenue dans la loi, un tel poste ne pourrait donc être pris en compte le cas échéant qu'au titre de la responsabilité contractuelle ou le cas échéant extracontractuelle du concédant” (Kileste et Hollander, o.c., n° 125, p. 447).

(...)

Par contre, l'existence d'un lien de causalité entre la rupture fautive de la concession et la moins-value enregistrée à l'occasion de la réalisation du stock est certaine. La clause dont il a été question plus haut exclut toutefois toute indemnisation de ce chef.

L'attitude de Honda Belgium est cependant loin d'être exempte de tout reproche. Certes, elle n'était pas tenue de reprendre ce stock mais il n'en demeure pas moins que ce stock, elle l'a saisi conservatoirement dès le 20 octobre 1992, ce qui a empêché Service Center de le réaliser. À cet égard, on voit mal comment Service Center qui reconnaissait et reconnaît toujours devoir des factures pour plus de vingt millions de francs et dont la créance à l'égard de Honda Belgium était vigoureusement contestée, aurait pu obtenir la mainlevée de cette saisie.

Honda Belgium a donc, pour ce qui est du stock, véritablement étranglé sa débitrice.

Certes, elle souligne que “Service Center a postulé la reprise du stock pour la première fois au moment de la vente en 1995 de l'immeuble où elle exerçait son activité, c'est-à-dire près de trois ans après la rupture des relations contractuelles” (conclusions, p. 6, § 1) ce qui est trop tard. Il n'en demeure pas moins que c'est Honda Belgium qui assume la responsabilité de l'immobilisation du stock.

“L'exécution des conventions peut, en effet, du point de vue de la bonne foi, comprendre la dissolution des conventions plus particulièrement lorsqu'une partie prend l'initiative de la dissolution. On s'accorde à dire qu'une partie doit mettre fin à un contrat ou appliquer une sanction de l'inexécution, en respectant les exigences de la bonne foi. C'est en particulier - mais non exclusivement - au créancier victime de l'inexécution par son débiteur, qu'incombe dès lors, l'obligation de déterminer son comportement en tenant compte des intérêts légitimes de son cocontractant” (Stijns, Van Gerven et Wéry, “Chronique. Les obligations, les sources”, J.T. 1996, p. 743); un arrêt de la cour d'appel de Mons (17 décembre 1991, R.R.D. 1992, 49) cité par les mêmes auteurs (même référence) rappelle “que la solidarité, que le lien contractuel établit en vue de l'utilité sociale, défend à chacune des parties de se désintéresser de l'autre, impose à celles-ci une collaboration loyale et requiert que le créancier de l'obligation s'abstienne de tout acte ou omission susceptible de rendre plus lourde ou plus onéreuse la situation du débiteur”.

En réalité, les deux parties se sont désintéressées du stock que Honda Belgium a bloqué entre les mains de son débiteur. Elles se sont préoccupées exclusivement dans un premier temps l'une de récupérer ses factures et l'autre d'obtenir les indemnités prévues par la loi du 27 juillet 1961 relative à la résiliation unilatérale des concessions de vente exclusive à durée indéterminée et des dommages et intérêts. Ainsi dans les conclusions que les parties ont prises en 1993, 1994, 1995 et 1996 devant le tribunal de commerce de Bruxelles, à aucun moment, il n'est question du stock. De même, dans les dossiers produits, on ne trouve aucune trace d'une quelconque correspondance échangée à ce sujet.

Honda Belgium a manqué à la bonne foi et a aggravé le sort de son débiteur en immobilisant le stock dont elle savait qu'il risquait rapidement de devenir en tout ou partie obsolète tandis que Service Center, tenue de réduire son dommage, aurait dû sommer Honda Belgium de prendre position au sujet de celui-ci sans attendre le moment où elle a été obligée de vider les locaux de son entreprise.

Les responsabilités seront donc partagées par moitié.

(...)