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Cour d'appel Bruxelles, 17/11/2005, R.D.C.-T.B.H., 2007/10, p. 1007-1009

Cour d'appel de Bruxelles 17 novembre 2005

INTERMÉDIAIRES COMMERCIAUX
Concession - Concession de vente exclusive - Notion - Droit réservé
Le simple fait d'être le seul revendeur sur un territoire ne suffit pas à établir l'existence d'une concession. Il n'y a pas lieu, en effet, de confondre un monopole de fait avec un monopole de droit. C'est la protection ou le monopole accordé à un ou plusieurs concessionnaires contre la concurrence de tiers qui rend exclusive la concession de chacun et pas le fait de ne partager son droit avec personne.
TUSSENPERSONEN (HANDEL)
Concessie - Exclusieve verkoopconcessie - Begrip - Voorbehouden recht
Het feit dat men de enige wederverkoper is op een territorium volstaat niet om het bestaan van een concessie aan te tonen. Men mag een feitelijk monopolie inderdaad niet verwarren met een rechtsmonopolie. De bescherming of het monopolie dat aan een of meerdere concessiehouders is toegekend tegen de concurrentie van een derde, maakt dat een concessie exclusief is en niet het feit dat dit recht niet met anderen wordt gedeeld.

Van Hopplynus Instrument / Societe d'étude, de développement et de réalisation, en abrégé SEDERE

Siég.: M. Regout, V. Goblet et H. Mackelbert (conseillers)
Pl.: Mes J. Linsmeau et B. de Lathauwer
III. Faits et antécédents de la procédure

1. Van Hopplynus est une société qui vend des appareils scientifiques de précision.

Depuis le 1er février 1991, elle achète à SEDERE des détecteurs à diffusion de lumière de marque Sedex 45 et Sedex 55, des nébuliseurs de marque TLS, des filtres et des détendeurs qu'elle revend à sa clientèle, constituée de laboratoires publics et privés, et de sociétés pétrochimiques et pharmaceutiques.

Il lui est accordé une remise de 30% sur les appareils Sedex et de 40% sur les autres appareils.

La documentation technique imprimée en français par SEDERE mentionne qu'elle a des “agents” en Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, Hollande, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Suède et Norvège. Un espace est réservé pour que l'agent puisse y apposer son cachet ou une étiquette. Dans la documentation imprimée en anglais, le mot “agent” est traduit par “distributor”.

En juillet 1992, SEDERE organise à l'Université d'Orléans un stage de formation pour l'utilisation du Sedex 45 auquel participent deux employés de Van Hopplynus.

Le volume des achats est le suivant:

- 1991: 79.092 FRF
- 1992: 143.070 FRF
- 1993: 47.860 FRF
- 1994: néant
- Total: 270.022 FRF

Les factures de SEDERE contiennent une mention, rédigée en anglais, dont la traduction littérale est : “Le soussigné, exportateur des marchandises couvertes par ce document déclare que, sauf ce qui est indiqué ailleurs, les marchandises rencontrent les conditions pour obtenir le statut originaire dans le commerce préférentiel avec Van Hopplynus et que le pays d'origine des marchandises est la France.”

2. Le 18 février 1994, SEDERE adresse à Van Hopplynus la lettre suivante:

“Nous vous avions informé lors de notre entretien téléphonique que l'organisation actuelle de votre société ne nous permettait vraisemblablement plus d'envisager de continuer de vous confier la distribution de nos produits.

Nous avons décidé de confier cette distribution à la société BRS à dater du 1er mars 1994.

Dans la mesure où des ordres vous parviendraient durant les trois prochains mois, nous accepterions de les honorer moyennant un paiement comptant.

À dater du 1er juin 1994, nous vous demandons de vous rapprocher de la société BRS pour envisager une éventuelle collaboration.”

(...)

IV. Discussion
1. Sur l'existence d'un contrat de concession de vente exclusive

5. Est une concession de vente, au sens de la loi, toute convention en vertu de laquelle un concédant réserve, à un ou plusieurs concessionnaires, le droit de vendre, en leur propre nom et pour leur propre compte, des produits qu'il fabrique ou distribue.

En l'absence d'écrit, le juge saisi d'un litige portant sur l'existence d'une convention de concession exclusive est tenu de rechercher, sur la base des éléments qui lui sont soumis, si une telle concession a été convenue par les parties (Cass. 23 février 1995, Pas. 1995, I, 200).

Le contrat de concession de vente est un contrat-cadre en vertu duquel une partie, le concédant, conclut avec une autre partie, le concessionnaire, une succession de contrats de vente relatifs à un ou plusieurs produits déterminés. Il se caractérise par la continuité des rapports entre concédant et concessionnaire et exige la mise en place d'une relation permanente à caractère organique structuré ayant pour objectif de promouvoir la vente des produits du concédant dans l'intérêt des deux parties (Liège 14 février 2005, J.L.M.B. 2005, 1471 ).

La concession n'existe que si le vendeur dispose de droits spéciaux, c'est-à-dire par le fait que le droit de vendre lui a été conventionnellement réservé (Liège 5 mai 1998, R.G. n° 181/96; Bruxelles 15 octobre 1999, R.G. n° 3742/95, cités par P. Kileste et P. Hollander, “Examen de jurisprudence (1997-2002)”, R.D.C. 2003, 411).

Il importe donc qu'il soit établi de manière certaine que la partie qui invoque l'existence d'un contrat de concession de vente exclusive prouve qu'elle jouissait d'une situation préférentielle en raison du choix de l'autre partie, et qu'à l'égard de la première, la seconde se considérait comme liée par des obligations particulières, distinctes de celles qu'elle aurait eues à l'égard d'un simple distributeur agréé (Cass. 12 juin 1986, Pas. 1986, I, 1254).

6. Le simple fait d'être le seul revendeur sur un territoire ne suffit pas à établir l'existence d'une concession. Il n'y a pas lieu, en effet, de confondre un monopole de fait avec un monopole de droit (Mons 3 février 1987, R.D.C. 1987, 683). C'est la protection ou le monopole accordé à un ou plusieurs concessionnaires contre la concurrence de tiers qui rend exclusive la concession de chacun et pas le fait de ne partager son droit avec personne (Willemart, “Concessions exclusives ou le monopole partagé”, J.L.M.B. 1995, 1360).

Le fait que les prospectus techniques mentionnent que SEDERE a des “agents” dans différents pays d'Europe, dont la Belgique, n'implique pas que SEDERE ait eu l'intention de conférer à Van Hopplynus des droits spéciaux et durables dans ce territoire. Le nom des agents locaux n'est d'ailleurs pas imprimé sur ce document, seul un espace y est réservé pour qu'ils puissent y apposer leur cachet; rien n'interdit donc que plusieurs agents d'un même territoire puissent utiliser ces mêmes prospectus.

Il n'est par ailleurs pas soutenu que SEDERE aurait renvoyé à Van Hopplynus des clients belges qui se seraient adressé directement à elle.

Enfin, la mention “commerce préférentiel” reprise dans les factures ne constitue pas la preuve de l'octroi d'une concession. Elle s'inscrit dans le cadre d'une déclaration pour l'exportation et est tout à fait compatible avec une simple agréation comme distributeur.

7. Par ailleurs, Van Hopplynus ne rapporte pas la preuve qu'elle était tenue de respecter des obligations précises qui découleraient de l'existence d'un contrat-cadre préalable. C'est ainsi que, notamment:

(...)

- le fait de participer à un cours de formation sur l'utilisation d'un appareil ne constitue pas un indice de l'existence d'un contrat-cadre; en effet, toute entreprise qui se propose de vendre des appareils de mesure sophistiqués se doit de pouvoir donner à sa clientèle des informations techniques fiables; en outre cette formation n'était pas obligatoire en l'espèce;

- le fait que le distributeur assume un service après vente n'est pas déterminant, dès lors qu'il n'est pas établi que ce service excède les obligations normales de garantie du vendeur vis-à-vis de sa propre clientèle (Gand 19 janvier 1995, R.G. n° 47.393/92, I.R.D.C. 1995, p. 68);

- l'octroi d'une remise sur le prix “public” n'est pas le propre d'un contrat de concession de vente exclusive mais est inhérent à tout contrat de distribution;

- la confection d'une simple liste de tous les produits qui sont distribués par un distributeur ne constitue pas une promotion ou une publicité spécifique pour un des produits de cette liste;

- la signification d'un préavis ne témoigne pas en soi de l'existence d'un contrat de concession; une telle obligation existe également en vertu du droit commun et plus particulièrement de la bonne foi avec laquelle les conventions doivent être exécutées (J.-P. Fierens et A. Mottet Haugaard, “Chronique de jurisprudence”, J.T. 1998, p. 106 );

- l'usage des termes “distributeur” ou “distribution” indique uniquement le recours à un intermédiaire commercial sans viser particulièrement le concessionnaire de vente exclusif.

8. Certes, SEDERE a motivé sa décision de ne plus honorer des commandes qui lui seraient transmises par Van Hopplynus, en émettant des doutes quant à sa faculté de promouvoir ses appareillages, dès lors que plusieurs de ses collaborateurs l'avaient quittée.

Cette seule circonstance n'est cependant pas de nature à établir que SEDERE avait eu l'intention, en 1991, de se lier par les liens d'une concession avec Van Hopplynus.

Toute entreprise commerciale qui fait appel à des distributeurs étrangers pour commercialiser ses produits est en droit de ne plus faire appel à ceux-ci lorsqu'elle s'inquiète de la baisse du chiffre d'affaires - ce qui était le cas en l'espèce puisque la dernière vente d'appareil datait du 27 juillet 1993 - sans que cela n'implique la reconnaissance de l'existence d'un contrat antérieur qui aurait réservé des droits spéciaux excédant ceux d'un simple contrat de distribution.

De même, le fait que SEDERE ait institué un distributeur en la personne de la société BRS à dater du 1er mars 1994, n'implique pas que Van Hopplynus disposait, en ce qui la concerne, avant cette date, de droits spéciaux. La cour ignore d'ailleurs tout des conditions contractuelles convenues avec BRS. Il n'est donc pas établi que BRS se substituait à Van Hopplynus dans les mêmes conditions.

9. Il s'ensuit que Van Hopplynus ne rapporte pas la preuve que les parties avaient convenu de faire régir leurs relations contractuelles dans le cadre d'un contrat de concession de vente exclusive, tel que défini par la loi du 27 juillet 1961.

(...)

V. Conclusion

Pour ces motifs, la cour, statuant contradictoirement,

1. Dit l'appel recevable mais non fondé.

2. En déboute Van Hopplynus.

3. Met les dépens d'appel à charge de Van Hopplynus.

Ces dépens s'élèvent à 185,92 + 50,82 + 475,96 EUR pour elle et à 475,96 EUR pour SEDERE.

(...)