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Tribunal de commerce Nivelles, 25/05/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/8, p. 855-857

Tribunal de commerce de Nivelles 25 mai 2005

CONCORDAT
Procédure en concordat - Généralités - Absence de déclaration de créance - Opposabilité du plan concordataire au créancier non déclarant
Le plan voté par une majorité des créanciers et approuvé par le tribunal devient obligatoire pour tous les créanciers, même ceux qui se sont prononcés contre le plan, et ce, indépendamment du fait qu'ils aient ou non déclaré leur créance. Le caractère obligatoire du plan voté et approuvé n'autorise pas l'ONSS à remettre en cause les dispositions du plan.
GERECHTELIJK AKKOORD
Akkoordprocedure - Algemeen - Geen aangifte van schuldvordering - Plan kan aan schuldeiser worden tegengeworpen
Het plan dat werd gestemd door de meerderheid van de schuldeisers en goedgekeurd door de rechtbank bindt alle schuldeisers met inbegrip van de schuldeisers die zich uitgesproken hebben tegen het plan, en dit ongeacht of zij al dan niet aangifte van schuldvordering hebben gedaan. Het bindend karakter van het gestemde en goedgekeurde plan belet de RSZ de bepalingen ervan in vraag te stellen.

ONSS / SPRL Les Ateliers HED Créations et Me Ch. Jeegers q.q.

Siég.: Schaar (président), Pietquin et Remy (juges consulaires)
Pl.: Mes Baltus loco Van Drooghenbroeck et L. Ibarrondo, Ch. Jeegers

(...)

Après délibéré, le tribunal prononce le jugement suivant:

1. Les demandes soumises au tribunal
La demande principale

La demande principale tend à réformer un jugement prononcé le 15 mars 2004 par lequel le tribunal a octroyé, en application de l'article 34 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire (ci-après “la loi”), le bénéfice du sursis définitif à la SPRL Les ateliers HED Création (ci-après “HED”).

Le demandeur sur tierce-opposition demande au tribunal de:

- réformer le jugement dont tierce-opposition et dire pour droit que la créance de l'ONSS non déclarée ne peut se retrouver dans le plan et ne peut être réduite par l'effet de ce plan;

- dire pour droit que la créance de l'ONSS se maintient dans son intégralité mais qu'aucun paiement n'interviendra en faveur de l'ONSS jusqu'à la clôture du sursis le 1er mars 2006, date à laquelle l'ONSS recouvrira l'intégralité de ses droits;

- condamner la société HED et son commissaire au sursis aux entiers frais et dépens de l'instance en ce compris l'indemnité de procédure.

HED et le commissaire au sursis ont conclu à l'absence de fondement de la demande.

La demande reconventionnelle

Les défendeurs sur tierce-opposition forment une demande reconventionnelle par laquelle ils postulent la condamnation de l'ONSS à leur payer une somme de € 5.000 à titre de dommages et intérêts pour action téméraire et vexatoire.

L'ONSS conteste le fondement de cette demande.

2. Les antécédents

1. HED a déposé le 24 septembre 2003 une requête en vue d'obtenir le bénéfice du sursis provisoire en application de l'article 11 de la loi.

Dans la description de l'état “actif/passif”, HED a renseigné en premier lieu des créanciers privilégiés l'ONSS pour un montant de € 10.010,03.

HED a fait état de 6 créanciers privilégiés et de 10 créanciers chirographaires.

Les propositions concordataires prévoient un remboursement échelonné sur 28 mois ainsi que la possibilité d'obtenir par requête une diminution des majorations et intérêts pour l'ONSS et le Service Public Fédéral Finance.

2. Il a été fait droit à cette requête par jugement du 29 septembre 2003. Le tribunal a invité les créanciers à faire leur déclaration de créance pour le 5 décembre 2003. Il a en outre fixé la date des débats sur l'octroi du sursis définitif à la date du 15 mars 2004.

Ce jugement a été publié dans le Moniteur belge du 21 octobre 2003 ainsi que dans les journaux Vers l'Avenir et L'Écho.

3. 20 créanciers introduiront une déclaration de créance dont deux créanciers publics, à savoir l'INASTI et le SPF Finance.

L'ONSS, quoiqu'invité par le commissaire au sursis à faire sa déclaration de créance dans le délai imparti, est demeuré impassible.

4. Le 26 janvier 2004, le commissaire au sursis dépose le plan de redressement prévu à l'article 29 de la loi le 26 janvier 2004. Les convocations aux créanciers sont envoyées par les soins du greffe le 27 janvier 2004, en application de la même disposition.

5. Les opérations de vote prévues à l'article 34 de la loi se déroulent le 15 mars 2004.

13 créanciers y participent, dont l'INASTI et le SPF Finance. Tous marquent leur accord avec les propositions, à l'exception du créancier SA Leasing J. Van Breda & C°.

Par jugement du même jour, le tribunal approuve le plan et octroie le bénéfice du sursis définitif à HED. Il précise que celui-ci se terminera le 1er mars 2006.

La créance de l'ONSS avait été admise par le commissaire au sursis pour le montant connu, soit € 10.567,97. Un dividende mensuel de € 110,22 est versé depuis l'adoption du plan à l'ONSS.

6. La présente action est introduite le 21 juin 2004 devant le tribunal de céans.

3. Position des parties
L'ONSS

L'Office considère que l'absence de déclaration d'une créance dans le cadre du concordat a une double conséquence:

- la suspension de toute possibilité d'exécution pendant toute la durée du concordat;

- le recouvrement de la totalité des droits des créanciers, en ce compris l'exécution, après la clôture du concordat.

À l'appui de sa thèse, l'ONSS relève que le créancier n'est nullement obligé de déposer une déclaration de créance et qu'il s'agit d'un droit personnel qui ne peut être accompli par un tiers.

L'ONSS ajoute que le plan approuvé par le tribunal ne lui est pas opposable dès lors qu'il ne lui a pas été notifié et qu'il n'a pu le consulter.

L'ONSS demande donc à être écarté du plan dès lors qu'“un créancier ne peut se voir opposer ce qu'il n'a jamais demandé et que le débiteur ne peut être libéré pour des créanciers non déclarés” (cf. conclusions de l'ONSS, p. 6).

Les défendeurs

HED et le commissaire au sursis considèrent que le plan est opposable à l'ONSS, nonobstant l'absence de déclaration de créance, dès lors que la créance de l'Office est prévue au plan approuvé par le vote des créanciers.

4. Position du tribunal
4.1. La demande principale
4.1.1. L'obligation de faire une déclaration de créance

L'ONSS considère que le créancier d'un concordat est simplement invité à faire une déclaration de créance. S'il renonce à cette invitation, il devra patienter jusqu'à la clôture du sursis.

Sa patience serait toutefois récompensée par le fait qu'à la différence des créanciers déclarants qui ont consenti une réduction de leur créance pour permettre le redressement de l'entreprise en difficulté, le créancier clandestin retrouverait l'intégralité de ses droits à l'issue de la clôture.

L'ONSS semble ignorer les dispositions de l'article 25 de la loi qui oblige tous les créanciers de sommes à déclarer leurs créances dans le délai fixé dans le jugement qui octroie le bénéfice du sursis provisoire.

Aucun créancier de sommes au jour de l'ouverture de la procédure n'échappe à l'obligation de déclarer sa créance, qui s'applique à l'égard des créanciers jouissant de sûretés spéciales ou de privilèges particuliers et à l'égard des créanciers d'impôts comme à l'égard des créanciers chirographaires ou titulaires de privilèges spéciaux (A. Zenner, Dépistage, faillites et concordats, Larcier, 1998, p. 985).

La déclaration obligatoire de toutes les créances permet de déterminer l'état du passif et de l'actif grevé du débiteur, ce qui permet de poser un jugement concret sur le sérieux et la faisabilité des mesures de redressement et de réorganisation (Doc. 1406/1, p. 23).

La circonstance que le commissaire au sursis ait admis la créance est sans incidence sur la question dans la mesure où la situation de principe (obligation de déclaration) aurait été identique même sans l'admission de celle-ci.

4.1.2. Les conséquences de l'absence de déclaration

Le créancier qui ne déclare pas sa créance, ou la déclare tardivement, ne peut pas participer au vote ni obtenir paiement pendant l'exécution du concordat, à moins qu'il n'établisse que le paiement qu'il demande ne porterait pas atteinte au plan approuvé (A. Zenner, o.c., p. 986).

La déclaration de créance permet la participation au vote et donne par voie de conséquence accès aux voies de recours contre la décision du tribunal.

L'absence de déclaration - qui en l'espèce s'apparente à un refus de déclaration, l'ONSS ayant été avisé et par le commissaire au sursis et par les publications légales - ferme l'accès à ces portes.

Le plan, voté par une majorité de créanciers, puis approuvé par le tribunal, devient obligatoire pour tous les créanciers, même ceux qui se sont prononcés contre le plan et ce, indépendamment du fait qu'ils aient ou non déclaré leur créance.

L'expression que l'exécution complète du plan libère totalement et définitivement le débiteur pour toutes les créances figurant au plan n'indique nullement que les créanciers non déclarants ne sont pas liés par la libération.

En effet, la libération vaut également à leur égard comme l'indique l'article 35 alinéa 2 de la loi (I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Éd. Kluwer, 2003, p. 139).

Le caractère obligatoire du plan voté et approuvé à l'égard de tous les créanciers liés aux conséquences de l'absence de déclaration n'autorise pas l'ONSS de remettre en cause les dispositions du plan. Il en résulte que la demande principale n'est pas fondée.

4.2. La demande reconventionnelle

HED et le commissaire au sursis poursuivent la condamnation de l'ONSS à leur payer une somme de € 5.000 à titre de dédommagement pour procédure téméraire et vexatoire.

Le fait d'agir en justice constitue l'exercice d'un droit et ne dégénère en acte illicite que s'il est accompli avec témérité, malice ou mauvaise foi, ce qui entraîne l'octroi de dommages et intérêts.

La témérité pourra se déduire de la légèreté avec laquelle l'action aura été exercée et dont se serait gardé tout homme normalement prudent et réfléchi, alors même que l'action aurait été intentée de bonne foi, mais par la suite d'une erreur à ce point évidente qu'elle devait être aperçue et évitée.

L'absence de déclaration de créance n'est pas fortuite: elle résulte soit d'une négligence administrative soit d'un acte délibéré.

Quelle qu'en soit l'origine, l'ONSS ne pouvait ignorer que le caractère obligatoire du plan s'imposait à l'Office et, en raison de sa défaillance, lui interdisait le recours introduit.

Ce recours de dernière minute cause un dommage à HED dès lors qu'il est susceptible de contrarier, si ce n'est d'anéantir, les projets de redressement de cette entreprise avalisés par le tribunal.

Il en va de même pour le commissaire au sursis, contraint de s'astreindre à des devoirs procéduraux qui l'ont distrait des charges de son mandat judiciaire.

Ce dommage sera réparé de manière complète par l'octroi de la somme de € 1.500 à HED et de € 500 au commissaire au sursis.

Par ces motifs

Le tribunal

Statuant contradictoirement,

Reçoit la tierce-opposition et la demande reconventionnelle,

Déclare la tierce-opposition non fondée et en déboute son auteur,

Déclare la demande reconventionnelle partiellement fondée,

Condamne la demanderesse sur tierce opposition à payer à la SPRL Les Ateliers HED la somme de € 1.500 à titre de dommages et intérêts,

Condamne la même partie à payer au commissaire au sursis la somme de € 500 au même titre,

Condamne la demanderesse sur tierce-opposition aux dépens, non liquidés dans le chef des parties à défaut de relevé détaillé.

(...)