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La mise en œuvre du droit de préférence reconnu au commissaire au sursis pour le paiement de ses honoraires, R.D.C.-T.B.H., 2006/8, p. 838-840

CONCORDAT JUDICIAIRE
Procédure en concordat - Sursis provisoire et période d'observation - Refus du sursis définitif, non suivi d'une faillite - Honoraires du commissaire au sursis - Privilège de l'article 19 alinéa 5 de la loi sur le concordat judiciaire (non) - Dette de la masse (non)
L'article 19 alinéa 5 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat juridiaire instaure au profit du commissaire au sursis un droit de préférence pour le paiement de ses honoraires. Toutefois, ce privilège ne peut être invoqué que si la procédure concordataire échoue et si le débiteur est déclaré en faillite au terme de celle-ci. Un tel privilège s'éteint par l'effet du prononcé de la décision constatant que les conditions de la faillite ne sont pas réunies.
GERECHTELIJK AKKOORD
Rechtspleging - Voorlopige opschorting en observatie­periode - Weigering van de toekenning van de definitieve opschorting niet gevolgd door faillissement - Erelonen van de commissaris inzake opschorting - Voorrecht van artikel 19, 5de lid van de wet op het gerechtelijk akkoord (neen) - Boedelschuld (neen)
Artikel 19, 5de lid van de wet van 17 juli 1997 betreffende het gerechtelijk akkoord geeft aan de commissaris inzake opschorting een voorrecht voor de betaling van zijn ere­lonen. Dit voorrecht kan echter maar worden ingeroepen indien het gerechtelijk akkoord faalt en de debiteur failliet wordt verklaard. Dit voorrecht dooft uit als gevolg van de uitspraak van het vonnis dat vaststelt dat de voorwaarden van het faillissement niet vervuld zijn.
La mise en oeuvre du droit de préférence reconnu au commissaire au sursis
pour le paiement de ses honoraires
Aude Mahy [1]

1.L'article 19 alinéa 5 de la loi du 17 juillet 1997 relative au concordat judiciaire instaure au profit du commissaire au sursis un droit de préférence pour le paiement de ses honoraires.

Il s'agit d'un privilège sur l'ensemble des biens du débiteur, primant toutes les prétentions d'autres créanciers sur les actifs concernés par la gestion du commissaire au sursis [2].

Cette disposition ne précise toutefois pas les circonstances dans lesquelles un tel droit de préférence peut être invoqué, laissant ainsi le praticien fort démuni.

Il semble en tout cas que ce droit de préférence n'ait pas vocation à être mis en oeuvre au cours même de la période concordataire, d'une part parce que le législateur n'a jamais exprimé une volonté en ce sens et, d'autre part, parce que le concordat ne génère pas une situation de concours permettant la mise en oeuvre des privilèges [3].

Il ressort de l'intention du législateur que les frais et honoraires du commissaire au sursis doivent être considérés comme une sorte de dette de la masse [4].

Il apparaît donc que l'intention du législateur ait été de considérer l'article 19 alinéa 5 de la loi sur le concordat judiciaire établissant le principe du paiement par préférence des honoraires du commissaire au sursis comme un cas d'application de l'article 44 alinéa 2 de la même loi, lequel dispose que “les actes accomplis par le débiteur au cours de la procédure avec la collaboration, l'autorisation ou l'assistance du commissaire au sursis, sont considérés lors de la faillite comme des actes du curateur, les dettes contractées pendant le concordat étant comprises comme des dettes de la masse faillie.”.

L'objectif avoué de ce type de privilège est d'assurer un règlement préférentiel aux créanciers qui ont accepté de faire crédit au débiteur concordataire, alors que l'entreprise n'a pu éviter la faillite [5].

Partant, il faut en déduire que le droit de préférence prévu par l'article 19 alinéa 5 a vocation à être mis en oeuvre dans le cadre d'une procédure en faillite ou de liquidation.

La question qui se pose, et qui a été soumise à la cour d'appel de Liège, est de savoir si, dans de telles circonstances, la faillite doit avoir été déclarée au cours de la procédure concordataire (soit, lorsque le tribunal se trouve face à l'une des quatre passerelles lui permettant de prononcer la faillite “d'office”) ou s'il est indifférent qu'elle l'ait été postérieurement à la révocation du concordat.

2.Revenons brièvement sur les faits soumis à la cour:

Par jugement du 5 février 1998, le tribunal de commerce de Namur octroie un sursis provisoire à la “société Canivet”, dans le cadre d'une procédure concordataire. Quelques mois plus tard, constatant que les conditions d'approbation du sursis définitif ne sont pas réunies, il révoque le concordat. Une réouverture des débats est ordonnée afin d'entendre le débiteur sur la réunion des conditions de la faillite.

Par jugement du 28 janvier 1999, le tribunal estime ne pas devoir prononcer la faillite de la société “Canivet”, dès lors que la cessation durable des paiements et l'ébranlement de son crédit ne sont pas établis. Elle poursuivra ainsi ses activités jusqu'au 9 novembre 2000, date à laquelle elle a été déclarée en faillite.

Le commissaire au sursis, qui avait assisté la société au cours de la période concordataire et à qui des honoraires restaient encore dus, déclara sa créance au passif de la faillite. Il entendait la faire admettre au titre de dette de la masse, sur base de l'article 19 alinéa 5 de la loi susmentionnée.

Le curateur contestait le caractère privilégié de cette créance, dans la mesure où la faillite n'avait pas été prononcée immédiatement après la révocation du concordat, mais deux ans après celle-ci.

3.La cour d'appel de Liège décide en l'espèce que le droit de préférence prévu par l'article 19 alinéa 5 de la loi sur le concordat judiciaire ne vaut que si le débiteur est déclaré en faillite à l'issue de la procédure concordataire.

À cet égard, elle pose comme principe que l'article 44 alinéa 2 doit s'appliquer dans les mêmes situations que celles prévues à l'article 44 alinéa 1er, à savoir lorsque le débiteur est déclaré en faillite au cours de la procédure concordataire [6].

Dans la mesure où le droit de préférence reconnu au commissaire au sursis par l'article 19 alinéa 5 doit être considéré comme un cas d'application de l'article 44 alinéa 2, la cour en déduit que ce droit de préférence ne pourra, lui aussi, être mis en oeuvre qu'en cas de faillite déclarée concomitamment à la révocation du concordat.

En outre, le raisonnement de la cour s'appuie également sur le fait qu'un texte établissant un privilège doit être interprété restrictivement.

4.L'assimilation de la portée de l'article 44 alinéa 1er à l'article 44 alinéa 2 ne rallie toutefois pas l'unanimité de la jurisprudence.

Ainsi, le tribunal de commerce de Bruges [7] a considéré que l'article 44 alinéa 2 de la loi du 17 juillet 1997 a une portée générale et n'exige par conséquent pas que la faillite soit déclarée au cours de la procédure concordataire. Le tribunal de commerce de Bruges distingue donc l'article 44 alinéa 2 de son 1er alinéa et se base à cet égard sur l'intention du législateur.

Selon cette décision, pour que le privilège concerné puisse être mis en oeuvre, le simple fait que la faillite soit une conséquence de l'échec du concordat suffit.

À l'évidence, le tribunal de commerce de Bruges a fondé sa décision sur la ratio legis de l'article 44 alinéa 2 de la loi sur le concordat judiciaire, qui vise à inciter les dispensateurs de crédit et les fournisseurs à continuer à donner leur confiance au débiteur pendant la procédure concordataire afin de permettre à l'entreprise en difficulté de bénéficier des meilleures chances de redressement [8]. Considérant que l'article 19 alinéa 5 constitue un cas d'application de l'article 44 alinéa 2, le législateur a été guidé par le même dessein lorsqu'il a accordé au commissaire au sursis un droit de préférence pour le paiement de ses honoraires et frais.

Pour déterminer si le droit de préférence accordé au commissaire au sursis pouvait être mis en oeuvre dans le cas qui lui était soumis, le tribunal de commerce de Bruges s'est donc posé la question de savoir si la faillite était une conséquence de l'échec de la procédure concordataire, indépendamment du fait qu'elle ait ou non été prononcée suite à la révocation du concordat.

5.À y regarder de plus près, l'on s'aperçoit que ces deux décisions ne sont, au fond, pas réellement contradictoires.

En estimant suffisant, pour admettre la créance du commissaire au sursis au titre de dette de la masse, que la faillite soit une conséquence de l'échec du concordat, le tribunal de commerce de Bruges a plutôt pris en compte l'aspect économique de la situation.

La cour d'appel de Liège, elle, s'est cantonnée à rester sur un plan strictement juridique en exigeant que la faillite soit déclarée à l'issue de la procédure concordataire.

Ces deux aspects, économique et juridique, ne s'opposent en réalité pas tant qu'il y paraît.

À cet égard, il est significatif de remarquer que la date de cessation des paiements peut remonter jusqu'à six mois précédant le jugement déclaratif de faillite. Ceci renforce l'idée qu'une faillite peut exister économiquement, avant même d'être déclarée par un tribunal, lorsque, par exemple, elle s'avère inéluctable suite au recouvrement par les créanciers de tous leurs droits à l'encontre du débiteur par l'effet de la révocation du concordat.

Il convient toutefois de ne pas oublier que, dérogeant au droit commun, le droit de préférence doit être interprété restrictivement. Dès lors, il paraît difficile de justifier le maintien du droit de préférence des honoraires du commissaire au sursis lorsque le juge qui prononce la faillite plusieurs mois après la fin du concordat ne fait pas remonter la date de cessation des paiements au plus tard au jour de la révocation du concordat.

En tout état de cause, il serait heureux que le législateur intervienne en cette matière afin de préciser les circonstances concrètes dans lesquelles le droit de préférence accordé au commissaire au sursis pour le paiement de ses honoraires peut être mis en oeuvre.

6.Enfin, quand bien même sa créance ne serait pas admise au titre de dette de la masse sur base de l'article 19 alinéa 5 de la loi sur le concordat judiciaire, il sera toujours loisible à un “ex-commissaire au sursis” de faire valoir à son profit le privilège des frais de justice, prévu par les articles 17 et 19, 1° de la loi hypothécaire [9].

Bien que passant, en rang, après les dettes de la masse, le privilège des frais de justice constitue un privilège spécial sur l'ensemble des biens du débiteur. Il permettra donc au commissaire au sursis impayé, et dont la créance n'est plus privilégiée, de ne pas voir sa créance reléguée purement et simplement au rang de créance chirographaire.

[1] Avocat au barreau de Bruxelles, Assistante ULB.
[2] I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Bruxelles, Kluwer, 1998, p. 69.
[3] Dans le sens de l'existence d'un concours: X. Dieux et J. Windey, “Nouvelles observations sur la théorie générale du concours entre les créanciers. À la lumière de la loi du 17 juillet 1997 sur le concordat judiciaire et de ses premières applications”, in Mélanges offerts à Pierre Van Ommeslaghe, Bruxelles, Bruylant, 2000, p. 402; Comm. Anvers 16 juin 1998, R.W. 1998-99, p. 227. Contra: M. Grégoire, Théorie générale du concours des créanciers en droit belge, 1992; M. Grégoire, “Le sort réservé aux contrats en cours”, in Nouvelle législation: concordat et faillite, Sky Room Event, septembre 1997, p. 12; J.-P. Buyle, “Les effets du concordat judiciaire et de la faillite sur les créanciers poursuivants”, in Nouvelle législation: concordat et faillite, Sky Room Event, septembre 1997, p. 19; Y. Dumon, “Le concordat judiciaire. Loi du 17 luilet 1997”, J.T. 1997, p. 860 ; Fr. T'Kint, Sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 1991, n° 85; C. Van Buggenhout, Kanttekeningen bij de wet op het gerechtelijk akkoord en de faillissementswet, exposé BACOB, pp. 28 et 29; I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat 1998, n° 125; A. Zenner, Dépistage, faillite et concordat 1998; Comm. Liège 25 juin 1998, Rev. prat. soc. 1998, p. 289; Comm. Liège 8 décembre 1995, R.D.C. 1997, p. 127. Voy. également, Cass. 1er juin 2006, R.D.C. 2006, p. 819 avec note E. Van den Hautte.
[4] Doc. parl. Chambre 1995-96, n° 329/17, p. 64.
[5] J. Caeymaex, Les privilèges. Les modifications entraînées par les lois de 1997 et par la jurisprudence subséquente, C.U.P., novembre 2002, vol. 58, n° 4.1., p. 151; I. Verougstraete, Manuel de la faillite et du concordat, Bruxelles, Kluwer, 2003, p. 71.
[6] L'art. 44 al. 1er énonce en effet que “si le débiteur est déclaré en faillite au cours de la procédure en concordat, les créanciers concernés par le sursis y sont comptés à raison de la part qu'ils n'ont pas encore reçue, et entrent, sans préjudice des droits prévus à l'alinéa suivant, en concours avec les nouveaux créanciers.”.
[7] Comm. Bruges 6 février 2002, R.W. 2002-03, n° 20, p. 791; voy. également Comm. Charleroi 2 mai 2000, J.L.M.B. 2001/40 , p. 1745 qui rejette le principe d'interprétation restrictive de l'article 44 alinéa 2 de la loi sur le concordat judiciaire.
[8] Exposé des motifs, pp. 33-34; Ph. Gérard, J. Windey et M. Grégoire, Le concordat judiciaire et la faillite - Lois des 17 juillet et 8 août 1997, Les Dossiers du J.T., n° 17, Bruxelles, Larcier, 1998, p. 43; Y. Dumon, “L'entreprise en difficulté et la faillite. Les modifications législatives en cours”, in Évolutions récentes et perspectives du droit des sociétés commerciales et de l'entreprise en difficulté, Bruxelles, Éd. du Jeune Barreau, 1996, pp. 365-366; Ch.-A. Van Oldeneel, “Les procédures préventives. Droit actuel. Projet de loi sur l'accord et le sursis de paiement”, in L'entreprise en difficulté: vers un nouveau droit, C.D.V.A., 1994, pp. 91.
[9] En ce sens, Pottier et M. De Roeck, “L'administration provisoire: bilan et perspectives”, R.D.C. 1997, p. 203.