Article

Cour d'appel Bruxelles, 10/02/2006, R.D.C.-T.B.H., 2006/8

Cour d'appel de Bruxelles 10 février 2006

Lendit SA et Lendit Louise SA / CBFA

Siég.: M. Regout (conseiller ff. président), Ch. Schurmans (conseiller), S. Vanommeslaghe (conseiller suppléant)
Pl.: Mes P. Guillaume-Gentil et X. Dieux, D. Willermain
I. Constatations
I. L'objet du recours et conclusions des parties

1. Le recours est dirigé contre la décision du Comité de direction de la CBFA du 23 novembre 2004, relative à l'offre publique d'acquisition (ci-après “OPA”) que la SA Lendit Louise se proposait de lancer sur les certificats immobiliers “Neerpelt” émis par la SA Le Certificat Foncier dans le cadre d'une émission privée.

Cette décision constate que “le dossier introduit par la SA Lendit n'est pas complet sur le plan de l'information des porteurs”. Elle a été portée à la connaissance de Lendit par une lettre du 24 novembre 2004.

En date du 6 décembre 2004 et conformément à l'article 121 § 2 alinéa 4, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, Lendit a sollicité, par lettre recommandée avec accusé de réception, la modification par le Comité de direction de la CBFA de cette décision. Il n'a pas été satisfait à sa demande.

2. Le recours a été formé par requête déposée au greffe de la cour le 27 décembre 2004.

Les requérantes poursuivent la mise à néant de la décision et demandent à la cour “de déclarer que la CBFA ne pouvait, pour les motifs invoqués dans la décision attaquée, décider que le dossier introduit par Lendit était incomplet et refuser d'approuver le prospectus présenté par Lendit relativement au projet d'offre publique d'achat sur les certificats immobiliers Neerpelt et de déclarer qu'au contraire, la CBFA ne disposait pas d'éléments objectivement justifiés pour refuser cette approbation;”

Aux termes de leurs conclusions déposées le 2 mai 2005, les requérantes demandent en outre à la cour “de déclarer qu'en instruisant ce dossier, la CBFA a commis une faute lourde, voire un acte dolosif”.

Elles poursuivent la condamnation de la CBFA au paiement de la somme de € 200.000 à titre de dommages et intérêts, et sa condamnation aux dépens en ce compris l'indemnité de procédure et un montant de € 20.000 à titre de contribution dans les frais d'avocats qu'elles ont exposés.

3. La CBFA conclut au rejet du recours en annulation de la décision. Elle conteste la compétence de la cour pour connaître des demandes en dommages et intérêts.

II. La phase d'examen du dossier d'offre ayant précédé la décision attaquée

4. Par un communiqué du 30 septembre 2004, la SA Le Certificat Foncier, émetteur des certificats fonciers “Neerpelt”, a annoncé la mise en paiement du coupon n° 32 à partir du 30 septembre 2004 et informé le public que suite à la vente de l'immeuble intervenue le 30 août 2004 “et sous réserve d'imprévus ou d'empêchements éventuels”, il serait procédé au paiement final de liquidation.

Selon ce communiqué: “ce montant devrait être payable à partir de fin novembre 2004 à concurrence de € 10.230 brut environ, y compris un remboursement de capital de € 2.563,30, soit environ € 8.310 net de précompte mobilier. La date du (des) prochain(s) coupon(s) ainsi que le(s) montant(s) seront annoncés par avis de presse et feront l'objet d'un rapport de liquidation”.

5. Le 11 octobre 2004, la SA Lendit a avisé la CBFA de son intention de lancer à brève échéance, pour le compte de la SA Lendit Louise, une OPA dite de ramassage sur les certificats immobiliers Neerpelt au prix de € 8.500 par certificat.

Elle priait la CBFA de statuer sur sa demande d'approbation du prospectus dans le délai de 15 jours ouvrables qui suivent la réception d'un dossier complet, conformément à l'article 20 de la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres.

À cet avis était joint un projet de communiqué annonçant l'opération et devant tenir lieu de “prospectus simplifié”, rédigé comme suit:

“Offre publique d'achat

Par

Lendit SA

Avenue Emile Duray 64, 1000 Bruxelles

Sur le certificat immobilier

Neerpelt € 8.500

Par communiqué du 30 septembre 2004, le Certificat Foncier annonce le paiement, à partir de fin novembre 2004, d'un solde final de liquidation en Neerpelt d'environ € 8.310, net de précompte mobilier. Le prix d'OPA offert par Lendit, agissant pour compte de la SA Lendit Louise, représente, en net, une prime de € 190 par certificat. Tout porteur précompté a donc intérêt à répondre à la présente offre, qui court à partir d'aujourd'hui jusqu'au … octobre 2004.

Le service guichet est assuré par Fortis Banque, Montagne du Parc 3, 1000 Bruxelles (tél: 02/565.26.31), où les manteaux du certificat Neerpelt, coupons n° 33 et suivant attachés, peuvent être déposés, contre paiement de € 8.500 par certificat, deux jours ouvrables après le paiement au service guichet du coupon de liquidation annoncé par Le Certificat Foncier, tous frais de l'opération étant à charge de Lendit.

Le présent prospectus, composé de l'avis ci- dessus, est publié après avoir été approuvé par la Commission Bancaire, Financière et des Assurances le … octobre 2004. Cette approbation ne comporte aucune appréciation de l'opportunité et de la qualité de l'opération ou de la situation de celui qui la réalise.”

Lendit communiquait également une lettre de la banque Fortis qui confirmait avoir bloqué un montant de € 15.200 sur le compte de Lendit Louise, jusqu'à la fin de l'opération, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2004. Fortis indiquait qu'elle était disposée à assurer le service guichet dans le cadre de cette opération “étant entendu que les certificats présentés seront remis à l'émetteur concomitamment au paiement du coupon de liquidation net, en appliquant le principe de 'livraison contre paiement'”.

Le montant de € 15.200 devait servir au financement de la prime d'OPA offerte par Lendit aux porteurs, Lendit ayant estimé que sur les 330 certificats émis, 80 certificats seraient présentés, le prix d'acquisition étant partiellement financé au moyen du montant net à verser par l'émetteur.

6. Lendit relève que la CBFA n'a pas rendu l'avis public alors que la Commission considérait qu'une application analogique des dispositions de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition et aux modifications du contrôle des sociétés se justifiait.

7. Le 21 octobre 2004, les services de la CBFA adressaient deux courriers, l'un à Lendit et l'autre à la Fortis Banque, dans lesquels il est renvoyé aux dispositions de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 précité, en particulier à l'article 3 alinéa 1, 2°, en indiquant que cet article “est rendu applicable par analogie aux offres publiques d'acquisition sur certificats immobiliers, conformément à l'article 18 de la loi du 22 avril 2003”.

Aux termes de l'article 3 alinéa 1, 2° de l'arrêté royal du 8 novembre 1989, “en cas d'offre publique d'acquisition, la totalité des fonds nécessaires à la réalisation de l'offre doit être disponible, soit en un compte auprès d'un établissement de crédit, soit sous la forme d'un crédit irrévocable et inconditionnel ouvert à l'offrant par un établissement de crédit; ces fonds doivent être bloqués pour assurer le paiement du prix d'achat des titres acquis dans le cadre de l'offre ou être affectés exclusivement à cette fin.”

La Commission rappelait toutefois que pour les opérations dites de ramassage sur certificats fonciers dont le déroulement dépend de l'opération donnant lieu au paiement du coupon de liquidation par l'émetteur, elle avait pour politique constante:

- d'accepter que le prix d'acquisition soit financé partiellement au moyen du montant net à verser par l'émetteur, pour autant que les porteurs ne se trouvent à aucun moment en risque sur l'offrant;

- d'accepter pour la partie du prix d'acquisition non financée au moyen du montant net à verser par l'émetteur, de limiter le montant des fonds à bloquer à 40% du montant de la prime d'OPA;

Sur la base de ces considérations, les services de la CBFA invitaient Lendit à justifier le taux d'acceptation avancé (environ 25%), et Fortis Banque à lui donner plus de précisions sur la procédure qu'elle entendait mettre en place pour que les porteurs ne se trouvent à aucun moment en risque sur l'offrant.

8. La CBFA a pris contact avec la SA Le Certificat Foncier puisqu'il ressort des pièces du dossier que le 22 octobre, l'émetteur signalait aux services de la CBFA “qu'il retiendrait éventuellement une partie du montant des coupons bruts comme provision en cas de différend éventuel” vu la crainte qu'il avait que Lendit tente de récupérer les commissions payées par l'émetteur au service financier de ce dernier (Doc. EMS 2/3, annexe à l'ordre du jour du Comité de Direction du 8 novembre 2004).

Le 27 octobre 2004, le président de la CBFA communiquait, par lettre recommandée, le projet de prospectus à la SA Le Certificat Foncier en la priant de lui faire parvenir, ainsi qu'à l'offrant, ses observations et avis sur le projet de prospectus, dans les cinq jours ouvrables, conformément à l'article 14 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 et de lui communiquer le montant précis du coupon de liquidation et la date précise de sa mise en paiement.

9. Lendit a répondu le 27 octobre 2004 à la lettre du 21 octobre 2004 du président de la CBFA qu'elle acceptait que le taux d'acceptation soit fixé à 40%. Comme elle possédait déjà 23 certificats Neerpelt, elle proposait de fixer le montant des fonds devant être bloqués pour assurer le paiement de la prime à € 20.710, montant calculé comme suit: 330 certificats x 40% = 132 - 23 = 109 x € 190 = € 20.710.

Elle joignait à ce courrier la preuve de l'inscription de 23 certificats Neerpelt au nom de la SA Lendit La Cambre et la preuve du transfert d'un montant de € 5.510 sur le compte bloqué de Lendit Louise.

Faisant état des précisions qu'apporterait la SA Fortis Banque sur la procédure de paiement, Lendit priait la CBFA de statuer sur sa demande d'approbation lors de la prochaine réunion du Comité de direction. Elle présentait le déroulement de l'opération comme suit:

- publication de l'avis tenant lieu de prospectus: samedi 6 novembre;

- lancement de l'OPA: lundi 8 novembre;

- fin de l'OPA et transfert des titres présentés au Certificat Foncier: vendredi 19 novembre;

- mise en paiement du coupon de liquidation: normalement le mercredi 24 novembre.

De son côté, la SA Fortis Banque fournissait par courrier du 28 octobre 2004 les précisions suivantes sur la procédure qui serait suivie en se référant à la procédure qui avait été suivie dans le cadre d'une OPA précédente menée par Lendit sur les certificats “IMC Nivelles”:

- les certificats qui seront présentés à la Fortis Banque en sa qualité de Banque guichet dans le cadre de l'OPA faite par Lendit Louise seront conservés par Fortis Banque pour compte des porteurs de certificats;

- le jour du paiement du solde de liquidation, les certificats présentés seront transférés sur le compte CIK de la banque de l'émetteur afin que celui-ci mette ces titres en inscription nominative au nom de la SA Lendit Louise contre paiement des coupons de liquidation du certificat sur un compte ouvert au nom de la Fortis Banque (livraison contre paiement);

- le transfert des titres, la mise au nominatif et le paiement des coupons seront concomitants;

- deux jours ouvrables après le paiement du coupon de liquidation annoncé par le Certificat Foncier, le montant de € 20.710 bloqué sur le compte de la SA Lendit Louise sera versé sur le même compte au nom de la Fortis Banque et la Banque paiera le prix de l'OPA aux porteurs.

10. Par courrier du 29 octobre 2004, les services de la CBFA écrivaient à Lendit que le montant bloqué était insuffisant dès lors qu'il correspondait à un taux de réponse de 35,40% des certificats répandus dans le public. Ils demandaient une nouvelle attestation de blocage des fonds établie par la SA Banque Fortis pour un montant de € 23.332, fixé comme suit: (330 certificats 23) x 190 € x 40% = € 23.332.

Ils informaient Lendit que les chiffres annoncés dans le communiqué du Certificat Foncier n'étant pas définitifs, l'avis du conseil d'administration de cette société avait été demandé sur le projet d'offre, conformément à l'article 14 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989.

Ils émettaient toutes réserves quant au timing proposé par Lendit en précisant que l'approbation par la CBFA ne pourrait pas intervenir avant le 9 novembre 2004 et “pour autant que le dossier ait été complété en temps utiles”.

Enfin, ils disaient s'interroger sur la rationalité économique de l'opération compte tenu de l'entrée en vigueur le 7 septembre 2004 de la loi du 4 juillet 2004 modifiant le Code des impôts sur les revenus 1992 en vue de permettre la transposition de la directive du Conseil de l'Union européenne du 3 juin 2003 (2003/49/CE) concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d'intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d'Etats membres différents et de l'arrêté royal modifiant l'A.R./CIR 92 en vue de renoncer à la perception du précompte mobilier sur les intérêts et les redevances alloués ou mis en paiement à des sociétés associées.

Ce courrier ne contient aucune observation sur le projet de prospectus qui avait été communiqué à la CBFA le 11 octobre 2004.

Répondant à ce courrier par télécopie du 2 novembre 2004, Lendit faisait parvenir à la CBFA la preuve du transfert d'un montant supplémentaire de € 2.622 sur le compte bloqué de Lendit Louise. Par ailleurs, elle critiquait le fait que la CBFA avait pris contact avec Le Certificat Foncier et demandé son avis, une telle démarche n'ayant jamais été suivie lors d'OPA de ramassage précédentes. Aux dires de Lendit, ce contact avec l'émetteur, avant d'avoir publié l'avis de dépôt de dossier, était contraire aux dispositions de l'arrêté royal du 8 novembre 1989.

11. Par courrier et télécopie du 3 novembre 2004, les services de la CBFA répondaient à Fortis Banque comme suit:

“Dans votre courrier, vous référez à la procédure mise en place dans l'OPA sur les certificats IMC Nivelles. Par rapport à la procédure appliquée lors de l'OPA sur les certificats IMC Nivelles, nous relevons que la concomitance du transfert des titres, de la mise au nominatif des titres et du paiement des coupons était garantie par un accord entre (l'émetteur des certificats) et la (Banque guichet), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Par ailleurs, il conviendrait que la société Lendit Louise marque irrévocablement son accord sur le transfert aux porteurs des sommes payées par l'émetteur.

Nous vous demandons de compléter la procédure avec l'accord de l'émetteur et de la société offrante et de nous en informer.

Par contre, si vous estimez que la procédure mise en place par Fortis Banque est suffisante, nous vous demandons de nous confirmer que Fortis Banque garantit de façon irrévocable et inconditionnelle le paiement de la partie autofinancée du prix de l'OPA (le coupon de liquidation) au bénéfice des porteurs de certificats qui ont accepté l'offre.

Copie de la présente est envoyée à Lendit SA.”

Suite à ce courrier, la SA Lendit Louise marquait irrévocablement son accord sur le transfert aux porteurs des sommes payées par l'émetteur (télécopie du 3 novembre 2004).

De son côté, la SA Lendit déclarait ne pas comprendre que la CBFA exige l'accord de l'émetteur, ce que ce dernier - aux dires de Lendit - ne comprenait pas non plus. Cette exigence était qualifiée de nouvelle par rapport à la pratique qui avait été suivie dans une trentaine d'OPA de ramassage sur les certificats émis par le Certificat Foncier. Lendit demandait à la CBFA, même en l'absence de réponse du Certificat Foncier, d'approuver le projet de prospectus lors de sa réunion du 9 novembre 2004 (télécopies des 5 et 8 novembre 2004).

12. Le Comité de direction de la CBFA s'est réuni le 8 novembre 2004 et a décidé d'ajourner l'examen de la demande d'approbation du projet de prospectus dans l'attente de la réponse de Fortis Banque à la lettre de la CBFA du 3 novembre et de l'avis du Certificat Foncier.

Cette décision n'a pas été portée à la connaissance de Lendit.

Elle a été prise sur la base d'une note d'information rédigée par les services de la CBFA (Doc EMS 2/3) dans laquelle le mécanisme de financement des OPA de ramassage, accepté par la CBFA dans le passé, est décrit comme suit (traduction libre):

“Ce mécanisme implique que le prix de l'offre à concurrence de la prime (en tenant compte d'un taux d'acceptation de 40%) est financé par l'offrant et est versé sur un compte bloqué auprès d'une institution financière; le prix de l'offre est 'autofinancé' à concurrence du coupon de liquidation: le coupon de liquidation est payé par l'émetteur sur un compte au nom de l'institution financière guichet (de telle sorte que l'offrant ne puisse pas disposer des sommes payées par l'émetteur à l'institution financière guichet), qui paie ensuite les coupons de liquidation et la prime aux détenteurs de certificats qui ont accepté l'offre. Le paiement des coupons de liquidation se fait simultanément avec le transfert des certificats fonciers par l'institution financière guichet d'un compte au nom de l'institution (de telle sorte que l'offrant ne puisse pas non plus disposer des certificats apportés à l'offre) vers un compte au nom de l'émetteur, qui mettra par la suite les certificats au nom de l'offrant. Ceci est une demande de Lendit; le but en est d'obtenir de l'émetteur la rétrocession des commissions de prestataire de services financiers (en ce qui concerne la rétrocession, il y a déjà eu des différends entre Lendit et le Certificat Foncier pour les offres dans le passé). Cette procédure suppose l'accord tant de l'émetteur que de l'offrant (l'institution financière étant en effet le mandataire de l'offrant).”

La note indique que le montant bloqué sur le compte auprès de Fortis Banque pour couvrir la prime correspondait à cette date à 40% de la prime totale mais que Fortis Banque n'avait pas encore transmis une nouvelle attestation pour ce montant.

S'agissant de la partie “autofinancée” du prix d'OPA, elle indique que les services de la CBFA avaient répondu à Fortis Banque que “soit la procédure qu'elle proposait devait être complétée par l'accord tant de l'émetteur que de l'offrant, soit Fortis Banque devait constituer une garantie inconditionnelle et irrévocable pour le paiement de la partie du prix de l'offre qui correspond au coupon de liquidation”.

13. Par lettres du 9 novembre 2004 à Lendit et à Fortis Banque, le président de la CBFA confirmait que la Commission restait en attente “d'une adaptation de ladite procédure (de paiement) ou d'une confirmation par Fortis Banque du fait que le mécanisme d'autofinancement mis en place satisfait aux prescriptions de la CBFA, en ce sens qu'il ne met les porteurs, à aucun moment, en risque sur l'offrant pour la partie autofinancée de l'offre”. Suivant cette lettre, le mécanisme mis en place par Fortis Banque ne correspondait pas, sur des points essentiels, à celui qui avait été utilisé dans l'opération IMC Nivelles.

Il était demandé à Fortis Banque de lui faire parvenir “une mise à jour de l'attestation de disponibilité des fonds couvrant 40% de la prime d'OPA suite aux versements complémentaires effectués par Lendit pour le compte de l'offrant”. Par ailleurs, la CBFA communiquait à Lendit la réponse de la SA Certificat foncier à la demande d'avis en la priant de lui faire part de ses observations.

Par courrier du 9 novembre 2004, Le Certificat Foncier informait la CBFA qu'il était dans l'incapacité d'émettre la moindre observation sur le montant de la prime proposée aux porteurs, à défaut de justification du montant. Le Certificat Foncier faisait valoir, quant au montant de la prime, qu'il n'était pas justifié: “(l'offrant) semble fonder le prix offert ainsi que les modalités de son paiement sur la prémisse inexacte qu'il y aurait mise en paiement à la fin de ce mois de novembre, d'un coupon unique de liquidation, d'une valeur équivalente à l'estimation annoncée dans notre communiqué de presse du 30 septembre 2004, ce paiement entraînant la clôture définitive de la liquidation de l'opération d'émission du certificat “Neerpelt”. Pourtant, à ce jour, nous ne pouvons déterminer avec la moindre certitude le montant exact qui sera versé, plus que probablement, à la fin du mois ou au début du mois de décembre, du chef d'un premier coupon de liquidation. Comme nous l'indiquions dans notre susdit communiqué du 30 septembre dernier, nous ne pouvons pas plus déterminer à ce jour les montants ni les dates des coupons suivants de liquidation. Cette imprécision est intimement liée aux risques résultant du comportement de Lendit qui, comme la CBFA le sait, a introduit diverses procédures posant des questions dépassant le cadre des émissions concernées par celles-ci”.

Par courrier du 10 novembre 2004 au président de la CBFA, Lendit réitérait ses critiques sur la manière dont le dossier était traité par la CBFA, en se plaignant d'une prolifération de demandes et de démarches sans justification objective.

Elle demandait si l'exigence relative à la garantie de la banque assurant le service guichet devait être comprise en ce sens que la CBFA entendait qu'à défaut de l'accord de l'émetteur sur le mécanisme de paiement mis en place par Fortis, la banque garantisse la bonne fin de l'opération en cas de défaillance de l'émetteur. Lendit précisait qu'une telle exigence aurait pour effet de rendre impossible la poursuite de la mission qu'elle avait confiée à Fortis Banque.

S'agissant de la lettre de la société Le Certificat foncier, Lendit indiquait que son contenu n'était pas conforme à ce qui avait été annoncé dans le communiqué du 30 septembre 2004 et qu'il ne répondait pas aux engagements que l'émetteur avait pris envers les porteurs au respect duquel la CBFA devait veiller. Elle soulignait que le lancement de l'OPA ne pouvait justifier un retard quelconque dans le paiement du coupon de liquidation.

Elle faisait toutefois savoir à la CBFA que pour éviter toute discussion, elle n'avait pas d'objection à ce que la phrase suivante soit ajoutée à la fin du deuxième paragraphe de son projet de communiqué tenant lieu de prospectus:

“En cas de coupons de liquidation multiples, c'est le montant net du coupon qui sera chaque fois payé aux porteurs, le premier coupon étant augmenté d'une prime de € 190; en aucun cas le total des montants ainsi distribués ne serait inférieur à € 8.500.”

Selon Lendit, la CBFA disposait des informations nécessaires pour approuver le prospectus.

14. Lendit a publié un avis, paru dans la presse du 13 novembre 2004, par lequel elle portait à la connaissance du public qu'elle avait avisé la CBFA, par lettre du 11 octobre 2004, de son intention de lancer une OPA dite de ramassage sur le certificat immobilier Neerpelt à un prix de € 8.500 par certificat et qu'aucune décision n'avait encore été prise concernant l'approbation ou le refus d'approbation du prospectus. Le communiqué avait été transmis préalablement à la CBFA, le 10 novembre 2004, qui a réagi par courrier du 12 novembre en rappelant à Lendit le prescrit de l'article 16 de la loi du 22 avril 2003.

Par courrier recommandé du 17 novembre 2004, adressé également par télécopie, Lendit mettait la CBFA en demeure de prendre une décision dans le délai de quinze jours ouvrables visé à l'article 20 alinéa 2 de la loi du 22 avril 2003 relatives aux offres publiques de titres. Elle insistait toutefois pour qu'une décision soit prise le 22 novembre de manière à lui permettre de réaliser l'opération le lendemain.

15. Le président de la CBFA a répondu aux différentes critiques de Lendit par courrier du 17 novembre 2004, avec copie à Fortis Banque.

Il rappelait que la CBFA n'avait pas pour politique de rendre public l'avis d'OPA en cas d'OPA de ramassage sur des certificats immobiliers et ajoutait que “cette publication ne pourrait, en outre, se faire selon l'article 6 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 que pour autant que le dossier soit complet, ce qui suppose que toutes les conditions de recevabilité, et en particulier la condition de financement, soient remplies.”

Contrairement à ce que prétendait Lendit, la CBFA aurait, dans le passé, sollicité l'avis de l'émetteur, “en particulier lorsque les données sont encore non définitives et nécessitent par conséquent une confirmation de l'émetteur afin d'assurer une information adéquate du public”.

Le président de la CBFA indiquait que la CBFA n'avait nullement demandé que Fortis Banque garantisse la bonne fin de l'opération en cas de défaillance de l'émetteur mais qu'elle attendait toutefois la “confirmation de Fortis du fait que le mécanisme d'autofinancement mis en place ne met pas les porteurs en risque sur l'offrant, y compris pendant la période de liquidation de l'opération, compte tenu de la modalité voulue par (Lendit) de mise au nominatif des titres. Cette mise au nominatif - qui implique un transfert de propriété - ne pourra se faire avant le paiement des porteurs. Elle ne pourrait - au mieux - qu'être concomitante au paiement des porteurs, ce que ne permet pas une procédure de livraison contre paiement de type 'standard'. Ceci nécessite la mise en place d'un mécanisme de liquidation ad hoc, ainsi que ce fut le cas dans le dossier IMC Nivelles et l'accord des parties intéressées sur cette procédure.”

S'agissant du passage que Lendit proposait d'insérer dans le projet de prospectus, il est répondu que:

“Cette procédure n'offre, de notre point de vue, pas les garanties requises en termes de financement et d'information des porteurs.

Il n'est pas acceptable que le prix d'OPA soit payé par l'offrant en plusieurs tranches au gré des aléas de la liquidation. Il convient que les porteurs reçoivent le prix d'OPA à l'issue de l'offre et c'est à l'offrant qu'il revient de financer, en cas de coupons multiples, la différence entre le montant du premier coupon de liquidation et le prix d'OPA. Le financement et le prospectus doivent être revus pour refléter cette situation.”

Lendit a réagi par lettre et télécopie du 19 novembre 2004 en faisant grief à la CBFA d'opérer un revirement d'attitude sans justifier celui-ci, le paiement du prix de l'offre en plusieurs tranches ayant été accepté sans réserves dans le passé par la CBFA. Elle indiquait qu'elle n'apercevait pas les risques que le paiement par tranches ou la mise au nominatif des certificats avant le paiement du prix d'OPA feraient courir aux porteurs, vu l'intervention d'un service guichet.

Lendit faisait enfin remarquer qu'aucun des nombreux commentaires de la CBFA, depuis l'introduction du dossier le 11 octobre, ne visait le contenu du projet de prospectus.

À la même date, la Fortis Banque informait la CBFA qu'elle avait écrit à l'émetteur le 4 novembre pour qu'il lui confirme que, dès qu'il aurait réceptionné les certificats Neerpelt résultant de l'OPA, il procèderait à l'inscription nominative au nom de Lendit Louise et au paiement immédiat des coupons de liquidation sur le compte Fortis qui lui serait communiqué à cet effet, mais qu'elle n'avait pas reçu de réponse à ce courrier. Elle joignait à ce courrier une attestation de disponibilité des fonds datée du 2 novembre 2004, pour un montant de € 23.332 bloqué sur le compte de Lendit Louise jusqu'à la fin de l'opération, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2004.

III. La décision attaquée du 23 novembre 2004

16. Suivant la note EMS 2/2 et le projet de lettre qui y était joint, il était proposé au Comité de direction “de décider, en application de l'article 18 § 1 de la loi du 22 avril 2003 et de l'article 3, 2° de l'arrêté royal du 8 novembre 1989, que le dossier introduit par Lendit pour le compte de Lendit Louise contenant une OPA des certificats immobiliers émis par le Certificat Foncier est incomplet, à défaut du financement exigé par la CBFA, et de constater en outre que le projet de prospectus ne satisfait pas aux adaptations requises par la CBFA.” (traduction libre).

S'agissant de la question des coupons multiples, la note indique que si Lendit avait été autorisée par le passé à payer le prix de l'offre en plusieurs tranches, c'était dans des situations dans lesquelles le prix de l'offre n'était pas fixé définitivement à la date de l'offre, et pouvait encore être augmenté en fonction du produit de la vente de l'immeuble sous-jacent. Un droit à un éventuel surprix était dans ces cas représenté par un titre émis par Lendit et payable à l'issue de la procédure de liquidation, nommé PEN (Prime d'Equivalence Nette). Or en l'espèce, selon ladite note, le prix de l'offre étant fixé définitivement à € 8.500, il ne pouvait être admis “que l'offrant paye son prix en tranches, en fonction de la distribution des coupons par l'émetteur. Le mécanisme d'autofinancement ne peut être élargi à pareils cas, d'autant plus que Lendit serait à l'origine d'une éventuelle liquidation par tranches et que nous n'avons aucune garantie que cet engagement sera respecté pendant toute la durée de la liquidation.” (traduction libre).

En outre, selon cette note, le mécanisme d'autofinancement ne pourrait être appliqué dès lors que l'émetteur n'est pas d'accord avec la procédure de paiement proposée et que le montant et le moment du paiement du coupon de liquidation ne sont pas encore établis. Il serait par conséquent impossible de vérifier si le montant bloqué chez Fortis correspond à la différence entre le prix de l'offre et le (premier) coupon de liquidation.

17. Suivant l'extrait du procès-verbal de la réunion du 23 novembre 2004, “les membres du Comité de direction marquent leur accord sur les propositions de décision telles que formulées dans la note EMS 2/2, étant entendu qu'ils se limitent à la constatation que le dossier introduit par Lendit SA est incomplet sur le plan de l'information aux porteurs de titres. Le projet de lettre est adapté en ce sens.” (traduction libre)

18. La lettre du 24 novembre 2004 par laquelle la décision a été portée à la connaissance de Lendit attire tout d'abord l'attention de Lendit sur le prescrit de l'article 13 de la loi du 22 avril 2003 qui vise le contenu du prospectus et expose comme suit les motifs de la décision:

“La CBFA n'accepte que les offres publiques d'achat sur certificats immobiliers puissent faire l'objet d'un prospectus simplifié que pour autant que les modalités de l'opération soient telles que le paiement des titres apportés soit garanti et que les porteurs ne soient donc à aucun moment en risque sur l'offrant. Les informations reprises dans le prospectus simplifié doivent par ailleurs et en toutes hypothèses conserver un caractère suffisamment précis pour permettre au public de se prononcer en connaissance de cause sur l'opération.

En l'espèce, et après avoir pris connaissance de l'avis du conseil d'administration de l'émetteur, le Comité de direction est d'avis que les modalités de l'offre sont insuffisamment décrites dans le projet de prospectus, tant en ce qui concerne les perspectives et les modalités de paiement des porteurs que les causes de coupons multiples éventuels, à savoir l'existence de contentieux introduits par Lendit et de nature à avoir un impact sur la liquidation du certificat (cf. avis de l'émetteur du 9 novembre 2004). Le rôle de Fortis, en cas de coupons multiples, n'est pas davantage précisé et celle-ci n'a d'ailleurs, à notre connaissance, pas marqué son accord sur une intervention multiple échelonnée dans le temps. Vous vous contentez pour le surplus de renvoyer à des précédents sans indiquer en quoi la situation actuelle serait comparable et sans préciser les modalités de leur mise en oeuvre, à les supposer acceptables (ce qui n'est pas établi à ce jour).

Par ailleurs, et plus généralement, le Comité de direction a constaté que le financement de l'opération ne présente pas les garanties requises pour les raisons énoncées dans nos lettres des 9 et 17 novembre 2004 (étanchéité du mécanisme d'autofinancement et adaptation du financement de la prime d'OPA en fonction du montant du premier coupon payé par l'émetteur) et que les conditions d'un prospectus simplifié ne sont donc pas réunies (…).

Le Comité de direction a, par conséquent, décidé de déclarer le dossier incomplet pour ces motifs.”

IV. Faits postérieurs à la décision attaquée

19. Lendit a publié un avis dans la presse du 30 novembre 2004 pour informer les porteurs que l'OPA annoncée n'aurait pas lieu, et qu'un recours serait vraisemblablement introduit contre cette décision. Cet avis avait été communiqué préalablement à la CBFA (lettre du 26 novembre 2004).

20. Lendit a écrit le 6 décembre 2004 à la CBFA que compte tenu de son libellé, elle interprétait la lettre du 24 novembre comme un refus d'approuver le prospectus qu'elle avait introduit le 11 octobre 2004 et nullement comme une demande d'informations supplémentaires.

Elle faisait état, dans cette lettre, de l'extrait de l'annexe à l'ordre du jour du Comité de direction de la CBFA du 19 janvier 2004 dans lequel il est question de la transmission, en novembre 2003, par le Service public fédéral Finances (section AFER) d'une dénonciation au procureur du Roi relative à des “mécanismes frauduleux impliquant des OPA”, accompagnée d'une lettre selon laquelle “l'administration estime qu'il serait nécessaire d'en informer la CBFA, de manière à éviter que des OPA puissent encore être lancées à l'avenir”, pour conclure en substance que la décision attaquée était inspirée par la volonté de supprimer toute possibilité pour Lendit de lancer à l'avenir des OPA dites de ramassage.

Elle demandait à la CBFA le retrait de cette décision.

La CBFA n'a pas réagi à ce courrier.

21. Par courrier du 28 décembre 2004, le Certificat Foncier communiquait à la CBFA l'avis suivant, publié dans la presse du 29 décembre:

“Neerpelt”

émission privée

“Dans le cadre de la liquidation de l'opération, les coupons n° 33 et 34 sont mis en paiement à partir du 29 décembre 2004 aux guichets de ING Belgique, soit:

-Coupon n° 33, représentant la dernière distribution de revenu courant, à raison de € 441,84 brut, soit € 331,38 net de précompte mobilier de 25%;

- Coupon n° 34, représentant le coupon comprenant un acompte sur le produit net de la réalisation du bien immobilier, à raison de € 8.844,90 brut, y compris un remboursement de capital de € 2.553,30 soit € 7.272,00 net de précompte mobilier de 25%.

(…)

Les coupons restant à payer (coupon n° 35 et suivants) devraient représenter, sous réserve d'imprévus, environ € 920 brut par certificat, soit environ € 690 net de précompte mobilier. Ces montants constituent des estimations au mieux des informations actuellement disponibles et peuvent faire l'objet de variations significatives.

La date du (des) prochain(s) coupon(s) ainsi que le(s) montant(s) seront annoncés par avis de presse.”

II. En droit
I. Sur le recours en annulation
A. Sur la recevabilité du recours en annulation

22. Le recours a été introduit dans le délai prévu par l'article 121 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers, ce qui n'est pas contesté.

23. Dans sa requête, Lendit soutient qu'en déclarant le dossier incomplet pour les différentes raisons invoquées dans la décision, le Comité de direction a refusé d'approuver le prospectus. Elle demande à la cour de dire pour droit que la CBFA ne pouvait, pour les motifs invoqués dans sa décision du 24 novembre 2004, décider que le dossier introduit par Lendit était incomplet et refuser d'approuver le prospectus.

La CBFA rétorque que par sa décision, le Comité de direction s'est borné à constater que le dossier était incomplet, conformément aux pouvoirs qui sont les siens en vertu des articles 18 § 3 et 20 alinéa 2 de la loi du 22 avril 2003, ce qui laissait à Lendit la possibilité de compléter le dossier ou de présenter des propositions nouvelles de nature à permettre l'approbation du prospectus.

Aux dires de la CBFA, la décision attaquée n'a pas mis fin à la procédure d'instruction du projet d'offre et, au jour de cette décision, les délais imposés à la CBFA par la loi du 22 avril 2003 pour statuer sur la demande d'approbation n'avaient pas commencé à courir.

La CBFA relève encore que si Lendit avait véritablement eu la volonté de mener son offre à bien, elle aurait eu plus d'un mois pour compléter son dossier et le présenter à nouveau au Comité de direction, ou pour compléter son prospectus en y décrivant la procédure de transfert des titres et de paiement de ceux-ci, puisque l'émetteur n'a payé le premier coupon de liquidation que le 29 décembre 2004, soit plus d'un mois après la décision attaquée.

Elle conclut que le recours doit être déclaré sans objet en ce qu'il est dirigé contre une décision que le Comité de direction n'a pas prise, à savoir une prétendue décision de refus d'approuver le prospectus.

24. Le moyen soulevé par la CBFA n'est pas fondé. La recevabilité du recours ne saurait dépendre de l'interprétation que donne le requérant de la décision attaquée et de ses effets, en se fondant sur les motifs de la décision. La discussion sur la portée de la décision attaquée et sur ses effets relève du fond.

B. Sur le bien fondé du recours en annulation
a. Les conclusions des parties

25. Selon Lendit, il ressort de l'ensemble des éléments du dossier qu'en adoptant la décision attaquée, la CBFA a dépassé le cadre légal de sa mission de contrôle de l'information due au public en voulant prémunir les porteurs contre tout risque.

Le projet de prospectus contenait l'ensemble des renseignements nécessaires pour permettre au public de porter un jugement fondé sur l'opération et il était conforme aux multiples projets de prospectus que Lendit avait soumis à la CBFA dans le cadre d'OPA sur certificats fonciers lancées antérieurement et qui furent approuvés. Le dossier était complet et l'opération ne présentait en outre aucun risque pour les porteurs.

Lendit fait grief à la CBFA d'avoir subordonné son approbation du prospectus à plusieurs conditions portant sur le mode de financement de l'offre et les modalités de paiement du prix offert, en s'écartant de sa pratique en matière d'OPA de ramassage. Elle aurait remis en cause la technique d'autofinancement qui est la base de l'ensemble des OPA lancées par Lendit et refusé le paiement du prix de l'offre par tranches successives, en se basant, à tort, sur une application par analogie de l'arrêté royal du 9 novembre 1989.

Les exigences que la CBFA a formulées seraient en outre excessives et irréalisables. Exiger la preuve de l'accord de l'émetteur sur le mécanisme de paiement mis en place par Fortis, que l'émetteur n'avait aucune intention de donner ou, à défaut d'obtenir cet accord, la garantie irrévocable et inconditionnelle de la banque guichet aurait rendu impossible le lancement de l'OPA.

26. Lendit fait valoir que la distinction entre une décision de refus d'approbation et une décision de constat que le dossier n'est pas complet, est sans intérêt dans la présente cause dès lors qu'il est établi que la CBFA n'a pas approuvé le prospectus dans le délai requis et qu'aucune raison objective ne pouvait justifier le défaut d'approbation. Elle rappelle que suivant le communiqué de l'émetteur, le solde de liquidation devait être payé fin novembre.

La lecture de la décision, de la correspondance et des P.V. des réunions du Comité de direction révèleraient que la décision attaquée a mis un terme à la procédure d'examen puisque les motifs qui la fondent ont trait au caractère non satisfaisant du mode de financement du prix de l'OPA et à son mode de paiement.

27. La Commission fait observer que contrairement à ce que soutient Lendit, la décision attaquée n'est pas justifiée par le fait que la CBFA aurait refusé que le prix de l'offre soit payé par tranches ni par l'absence de blocage de fonds nécessaires au paiement du prix de l'offre.

Les développements consacrés par Lendit sur ces deux points seraient donc dépourvus d'intérêt.

Procédant à une analyse de la décision attaquée à la lumière de l'arrêt du 25 février 2005 de la cour (Dr. banc. fin. 2005, p. 135), elle expose qu'en l'espèce, la CBFA serait restée dans les limites de ses compétences en exigeant que Lendit complète le dossier en fournissant des informations relatives au mode de financement de l'opération et aux éventuels délais de paiement et qu'elle complète le projet de prospectus par des mentions sur ces points.

28. La décision attaquée serait légalement justifiée dès lors que le projet de placard ou prospectus simplifié établi par Lendit ne contenait pas, au vu du dossier, les renseignements nécessaires pour que le public puisse porter un jugement fondé sur l'offre et que le dossier déposé à l'appui du projet d'offre était lui-même incomplet.

Se fondant sur la lettre que le Certificat Foncier lui a adressée le 9 novembre 2004 et sur le projet de prospectus contenant le passage que Lendit avait proposé d'ajouter suite aux informations fournies par le Certificat Foncier (supra, point 13), la CBFA expose que le projet de prospectus restait lacunaire, inexact et de nature à induire le public en erreur.

Ce projet de prospectus serait inexact en ce qu'il contiendrait des mentions incompatibles avec les informations fournies par le Certificat Foncier postérieurement au communiqué paru le 30 septembre 2004, là où le projet de prospectus:

(a) indique que l'émetteur avait annoncé le paiement, à partir de fin novembre 2004, d'un solde final de liquidation, alors que la date de paiement restait indéterminée;

(b) présente l'hypothèse de coupons de liquidation multiples comme une simple éventualité, alors qu'il s'agissait d'une certitude;

(c) prévoit le dépôt auprès de la Fortis Banque des manteaux du certificat coupons nos 33 et suivants attachés, contre paiement de € 8.500, deux jours ouvrables après le paiement au service guichet du coupon de liquidation annoncé par le Certificat Foncier, alors que selon les informations fournies par l'émetteur, il y aurait des paiements fractionnés;

Ce projet de prospectus serait lacunaire en ce qu'il:

(a) n'indique pas si et comment le prix de l'offre annoncé par Lendit (€ 8.500) serait adapté en cas de paiement d'un coupon de liquidation supérieur ou inférieur au montant annoncé par l'annonceur qui était d'environ € 8.310 net de précompte;

(b) ne fixe pas les conséquences qu'aurait la liquidation du certificat par des coupons multiples sur les modalités de règlement des coupons multiples, sur la présentation des titres et des coupons;

(c) ne règle pas la procédure et les modalités de paiement du solde de prix de l'offre en cas de paiement de coupons multiples;

(d) ne comporte aucune indication concernant le mode de financement de l'offre et les garanties sur lesquelles les porteurs pouvaient compter quant au paiement de la prime proposée et, plus généralement, quant au paiement du montant global du prix de l'offre.

S'agissant de ce dernier point, la CBFA indique que le prospectus aurait dû contenir des indications sur le mode de financement puisque le financement de l'opération ne présentait pas les garanties suffisantes pour que les porteurs de titres ne soient pas en risque à l'égard de l'offrant.

La CBFA conclut que le Comité de direction ne pouvait que constater le caractère incomplet et lacunaire du projet de “placard” et du dossier déposé à l'appui du projet d'offre (conclusions de synthèse, point 24).

29. La CBFA rappelle par ailleurs qu'en vertu de l'article 18 § 3 de la loi du 22 avril 2003, elle a le pouvoir d'exiger que le dossier soit complété, si ce complément de dossier lui paraît nécessaire pour pouvoir apprécier la qualité des informations que l'offrant diffuse au moyen du prospectus et qu'il est indifférent à cet égard qu'elle ait fait référence - de manière erronée ou pertinente - à l'arrêté royal du 8 novembre 1989 pour fonder ses exigences dès lors qu'il suffit que les exigences posées soient justifiées au regard de la loi précitée.

Elle souligne que ses exigences doivent être comprises à la lumière du souci qu'elle a de vérifier si les conditions d'un prospectus réduit, sous la forme d'un placard, sont réunies, l'utilisation d'un prospectus réduit ne contenant pas d'informations sur les modalités de financement de l'offre n'étant envisageable que si le mécanisme de paiement des titres n'expose pas les porteurs à des risques.

S'agissant de la demande portant sur l'accord de l'émetteur quant aux modalités de liquidation de la partie autofinancée du prix de l'offre, la CBFA expose qu'elle avait pour objet “les modalités spécifiques de transfert des titres voulues par Lendit”, en particulier celle relative à la mise au nominatif des titres, “ce qui juridiquement impliquait le transfert de propriété des titres en sa faveur, en sorte qu'il était légitime que la Commission s'assure de l'adéquation de la formule de règlement du prix conditionnant, comme dans tout contrat de vente, ledit transfert de propriété” (conclusions, p. 20).

S'agissant de la demande adressée à Fortis Banque, la CBFA expose, - en se référant à la lettre de son président du 9 novembre 2004 (supra, point 13), qu'elle n'a pas demandé à Fortis Banque de se porter garante du paiement par l'émetteur des coupons, mais bien exigé la confirmation par la Banque que le mécanisme qu'elle se proposait de mettre en place ne mettrait, à aucun moment, les porteurs en risque sur l'offrant pour la partie autofinancée de l'offre (conclusions, point 43).

Par ailleurs, selon la CBFA, ni l'absence d'accord de l'émetteur ni l'absence de confirmation de Fortis Banque n'auraient constitué un obstacle à la réalisation de l'offre: il aurait suffi à Lendit, si elle avait eu la volonté de mener son offre à bien, de compléter son prospectus pour y décrire la procédure de transfert des titres et de paiement de ceux-ci.

30. S'agissant de la demande à l'émetteur de donner son avis sur le projet d'offre, la CBFA explique qu'elle était pleinement justifiée vu que les informations que la SA Le Certificat Foncier avait diffusées le 30 septembre 2004 étaient assorties de nombreuses réserves. Il se déduit des conclusions de la CBFA (p. 18) qu'elle considère que le prix offert par Lendit n'était pas définitif dès lors qu'il était lui-même basé sur les informations conditionnelles et révisables de l'émetteur.

31. Invoquant l'arrêt Tractebel de la cour du 19 janvier 2001 (Dr. banc. fin. 2001/11, p. 21 et la note D. Willermain, Rev. banque 1999, p. 478), la CBFA fait encore valoir qu'il n'appartiendrait pas à la cour de substituer sa propre décision à celle de la Commission en ce qui concerne l'insuffisance de l'information et l'opportunité de requérir d'un offrant qu'il complète sur tel ou tel point l'information qu'il compte mettre à la disposition du public à propos d'une offre publique de titres ou le dossier.

b. Sur la réglementation applicable aux offres publiques d'acquisition sur certificats fonciers

32. Les offres publiques d'acquisition sur certificats fonciers sont régies par la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres.

L'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition et aux modifications du contrôle des sociétés, pris en exécution de l'article 15 de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition, ne s'applique pas aux offres publiques d'acquisition sur certificats fonciers, qui ne sont pas des titres conférant le droit de vote, ce que la CBFA ne conteste pas.

33. Une application analogique aux offres publiques d'acquisition sur des titres de créances, des dispositions de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 qui concernent les offres publiques d'acquisition au travers desquelles l'offrant cherche à prendre le contrôle de la société cible, ne se justifie pas.

Les offres sur certificats fonciers restent en effet régies par le principe de l'autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle que le silence du législateur ne permet pas d'écarter en droit financier (Bruxelles 25 février 2005, et la note Bruyneel, Revue de droit bancaire et financier 2005, II, p. 135).

Dès lors, la réunion des conditions de recevabilité de l'offre que l'article 3 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 prévoit en vue d'assurer tant l'intégrité du marché que la sécurité de la société cible et de ses actionnaires, pour les offres publiques d'acquisition au travers desquelles l'offrant cherche à prendre le contrôle de la société cible - conditions auxquelles la CBFA peut d'ailleurs décider de déroger dans des cas “spéciaux” -, ne saurait conditionner la recevabilité du dossier relatif à une offre publique d'acquisition sur certificats fonciers.

34. À l'occasion des offres publiques d'acquisition sur certificats fonciers, le rôle de la CBFA consiste, avant le lancement de l'OPA, à contrôler la qualité de l'information que l'offrant se propose de mettre à la disposition du public et sa mission ne va pas au-delà. Ce contrôle doit s'effectuer en considération de l'offre faite par l'offrant et non sur la base d'une offre dont les conditions ne correspondraient pas à la volonté de celui-ci, les dispositions de la loi du 22 avril 2003 ne donnant pas à la CBFA le pouvoir d'enjoindre à l'offrant de modifier son offre.

En matière de prospectus d'OPA, elle n'a pas d'autre mission que celle de contrôler la qualité de l'information que le promoteur de l'information se propose de diffuser dans le public et seules des raisons liées à la déficience de l'information peuvent justifier un refus d'approbation du prospectus (X. Dieux, “Examen de Jurisprudence Droit financier”, R.C.J.B. 2004, pp. 245 et s., n° 12; A. Bruyneel, “Les prospectus financiers: quelques réflexions”, in Mélanges John Kirkpatrick, p. 116, n° 6.)

Les principes généraux tels que celui de l'irrévocabilité de l'offre, de l'interdiction de l'insertion de conditions autres que celles autorisées par les dispositions particulières applicables et de l'égalité des actionnaires de la société cible, justifiés par un impératif de sécurité des marchés qui explique les atteintes à la liberté contractuelle dans certains cas, ne peuvent constituer une base légale de l'intervention de la CBFA en dehors du domaine d'application des textes qui les consacrent (L. Simont et P.-A. Foriers, “Deux questions en matière d'offre publique”, in Mélanges John Kirkpatrick, p. 892).

Il convient dès lors de déterminer la nature et les effets de la décision attaquée à la lumière de la mission de contrôle de la qualité de l'information confiée à la CBFA par les dispositions applicables.

c. Sur la compétence de la cour pour apprécier le caractère complet du dossier et la qualité de l'information figurant dans un prospectus d'OPA

35. Dans la cause Tractebel dans laquelle la CBFA n'était pas partie, qui a donné lieu à l'arrêt précité du 19 janvier 2001, la cour d'appel de Bruxelles a décidé qu'elle n'était pas habilitée à reconsidérer la qualité de l'information figurant dans un prospectus approuvé par la CBFA aux fins d'ordonner, le cas échéant, que des informations complémentaires soient fournies par l'initiateur de l'offre aux investisseurs qui en font la demande et diffusées dans le public.

36. Partant de la prémisse qu'en l'espèce, la CBFA se serait bornée à contrôler le caractère complet du dossier et/ou la qualité de l'information contenue dans le projet de prospectus, la CBFA invoque les motifs repris dans cette décision pour soutenir que si, contre toute attente, la cour ne partageait pas les appréciations que la CBFA a portées, en l'espèce, pour conclure au caractère incomplet du dossier et à l'insuffisance de l'information que Lendit se proposait de diffuser dans le public, encore resterait-il qu'elle ne pourrait pas à l'occasion d'un recours formé par l'initiateur d'une offre contre une décision de la CBFA de déclarer le dossier incomplet ou d'une décision de refus d'approuver le projet de prospectus, “substituer son appréciation à celle de la CBFA de l'opportunité de requérir d'un offrant qu'il complète sur tel ou tel point l'information qu'il compte mettre à la disposition du public à propos d'une offre publique de titres ou le dossier (…)”.

37. Si cette position, telle que libellée, doit se comprendre en ce sens que toute intervention de cette autorité visant à requérir un complément de dossier ou à contraindre l'offrant à modifier son prospectus relève d'un pouvoir discrétionnaire de la CBFA, elle ne saurait être suivie. Elle viderait de tout sens les dispositions organisant un recours contre les décisions visées à l'article 20 de la loi du 22 avril 2003.

La CBFA ne conteste pas que la cour a le pouvoir de contrôler la légalité d'une décision par laquelle la CBFA requiert de l'offrant sur pied de l'article 18 § 3 de la loi du 22 avril 2003, qu'il complète le dossier. Or, l'exercice d'un tel pouvoir suppose nécessairement que la cour vérifie le caractère nécessaire, au sens de cette disposition, du complément d'informations requis par la CBFA en tenant compte de la marge d'appréciation dont dispose la CBFA à cet égard et qu'elle contrôle, à cette occasion, si la décision de déclarer le dossier incomplet a bien été prise avec l'objectif de mettre la CBFA en mesure de contrôler la qualité de l'information contenue dans le projet de prospectus.

De même, la CBFA ne conteste pas que la cour a le pouvoir de contrôler la légalité d'une décision par laquelle la CBFA refuse d'approuver le projet de prospectus. L'exercice de ce pouvoir suppose aussi que la cour vérifie la nécessité de compléter ou de modifier le projet de prospectus de la manière dont la CBFA l'a requis, en tenant compte de la marge d'appréciation dont dispose la CBFA, et contrôle, à cette occasion, si les objections formulées à l'encontre du projet de prospectus sont fondées sur la nécessité de veiller à ce que le public soit en mesure d'apprécier les mérites et les risques de l'offre.

L'arrêt Tractebel invoqué par la CBFA ne concerne en rien les droits subjectifs de l'offrant, mais bien la question de savoir si les bénéficiaires de l'information diffusée sous le contrôle de la CBFA sont habilités à saisir les juridictions aux fins d'obtenir, pour eux-mêmes et pour le public, d'autres informations que celles contenues dans un prospectus approuvé par la CBFA. Dans la présente affaire, il n'y a pas eu approbation du projet de prospectus établi par Lendit.

L'offrant a incontestablement un intérêt personnel à se prévaloir des règles de droit qui régissent l'intervention de la CBFA dans le domaine des OPA.

38. S'agissant de la question de la délimitation exacte du pouvoir de juridiction de la cour dans le contentieux des décisions de la CBFA en matière d'OPA, toute autre est la question de savoir si, et à quelles conditions, la cour dispose des pouvoirs de la CBFA pour statuer elle-même sur une demande d'approbation du prospectus à l'occasion d'un recours (voy., pour un état de la question en France: D. de Bechillon, D. Martin et N. Molfessis, “À propos de l'étendue des pouvoirs de la Cour d'appel de Paris dans le contentieux des décisions prises par l'AMF au sujet de la recevabilité d'une offre publique”, in Mélanges AEDF-France, IV, 2004, p. 31).

Cette question n'a pas à être examinée pour statuer sur le bien fondé du recours en annulation, qui vise à entendre dire pour droit que la CBFA ne pouvait pas, pour les motifs invoqués dans sa décision, décider que le dossier était incomplet et refuser d'approuver le prospectus (voy. infra, points 47 et s.)

d. Sur la légalité de la décision attaquée

39. L'article 20 alinéa 1 de la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres énonce:

“Dans les 15 jours ouvrables qui suivent la réception d'un dossier complet, la CBFA décide soit d'approuver le prospectus, soit d'accorder une dispense totale de l'obligation d'établir ou de publier un prospectus, soit de refuser d'approuver le prospectus”.

Lorsque la CBFA est mise en demeure de prendre une décision, elle peut aux termes de l'alinéa 2 de cet article “prendre la décision, en citant les éléments manquants, que le dossier ne peut encore être considéré comme complet”.

En outre, la demande d'approbation du prospectus est réputée rejetée à défaut d'une décision à l'expiration du délai de 15 jours ouvrables à dater de la mise en demeure.

Suivant l'article 13 alinéa 2 de la loi “le prospectus doit contenir tous les renseignements qui, selon les caractéristiques et la nature de l'opération concernée, sont nécessaires pour que le public puisse porter un jugement fondé sur le placement qui lui est proposé, tels qu'en particulier les données sur le patrimoine, la situation financière et les perspectives de l'offrant, de l'émetteur et le cas échéant de la société cible, sur les droits attachés aux titres qui font l'objet de l'offre publique, et sur la contrepartie demandée pour l'offre publique”.

Il se déduit par ailleurs de l'article 18 § 3 de la loi qu'un dossier est complet lorsqu'il contient toutes les informations nécessaires pour apprécier le caractère complet et adéquat de l'information reprise dans le prospectus (art. 18 § 3 de la loi).

40. La décision attaquée ne fait pas l'objet d'un seul document mais bien de plusieurs documents censés rendre compte de la position adoptée par la CBFA.

Il ressort en outre de l'ensemble de ces documents que les raisons avancées pour justifier le fait que le Comité de direction a estimé ne pas être en mesure de statuer sur la demande d'approbation du projet de prospectus lors de sa séance du 23 novembre 2004, ne portent nullement de manière exclusive sur le caractère complet du dossier. Elles concernent aussi bien le projet de prospectus que le dossier.

Il s'agit des documents suivants:

- la note EMS 2/2 à laquelle il est renvoyé dans l'extrait du P.V. de la réunion du Comité de direction de la CBFA qui contient différentes propositions de décision lesquelles visent tant le dossier présenté comme incomplet “à défaut du financement exigé” que le projet de prospectus présenté comme “ne satisfaisant pas aux adaptations requises” (supra, point 16);

- l'extrait du P.V. de la réunion du Comité de direction du 23 novembre 2004, qui indique que le Comité de direction marque son accord sur les propositions de décision formulées dans ladite note, tout en se limitant à la constatation que “le dossier est incomplet sur le plan de l'information aux porteurs de titres”, sans autres explications (supra, point 17);

- la lettre de notification de la décision du 24 novembre 2004 dans laquelle il est exposé que le Comité de direction a décidé “de déclarer le dossier incomplet” pour les motifs énoncés dans cette lettre qui concernent exclusivement le projet de prospectus dès lors qu'il y est indiqué que “les modalités de l'offre sont insuffisamment décrites dans le projet de prospectus” et que les conditions pour qu'un prospectus simplifié puisse être accepté ne sont pas réunies au motif que le financement de l'opération ne présente pas les garanties requises (supra, point 18);

- les lettres de la CBFA à Lendit des 9 et 17 novembre 2004, auxquelles il est renvoyé dans la lettre de notification pour ce qui concerne les motifs pour lesquels le Comité a constaté que “le financement de l'opération ne présente pas les garanties requises” (supra, points 13 et 15).

41. La CBFA n'a pas cité les éléments manquants, alors que l'article 20 de la loi précise que lorsque la CBFA décide que le dossier ne peut être considéré comme complet, elle cite les éléments manquants.

Suivant l'extrait du P.V. de la réunion du 23 novembre 2004, “le dossier est incomplet sur le plan de l'information aux porteurs”. Le sens de cette formule est difficile à saisir dès lors que les porteurs n'ont pas accès au dossier et que les informations que le dossier contient sont destinées à la CBFA. C'est en effet sur la base des éléments du dossier qu'il lui appartient de contrôler la qualité de l'information contenue dans le prospectus qui sera diffusé.

La lettre du 24 novembre 2004 par laquelle la décision attaquée a été portée à la connaissance de Lendit, seul document dont Lendit disposait à la date d'introduction du recours, n'indique pas en quoi le dossier ne serait pas complet. Il résulte de cette lettre que c'est précisément sur la base des informations dont il disposait que le Comité de direction de la CBFA faisait savoir à Lendit qu'il était “d'avis” que le projet de prospectus simplifié ne décrivait pas suffisamment les modalités de l'offre et que les conditions d'un prospectus simplifié n'étaient pas réunies. Le Comité de direction n'a cependant pas décidé de refuser d'approuver le prospectus, mais bien de constater le caractère incomplet du dossier.

Contrairement à ce que la CBFA soutient, la lettre du 24 novembre 2004 est libellée de telle façon qu'il était impossible pour Lendit d'avoir la moindre certitude sur la question de savoir si la décision qui lui était notifiée clôturait ou non l'instruction de l'offre par la Commission. Lendit qui avait soumis un projet de prospectus simplifié à l'approbation de la CBFA, était en effet informée de ce que le Comité de direction avait constaté que le projet de prospectus n'était pas complet et que les conditions d'un prospectus simplifié n'étaient pas réunies, ce qui l'autorisait à penser que la décision intervenue était une décision de refus d'approbation du prospectus, mettant fin à la procédure.

Lendit a d'ailleurs écrit à la CBFA qu'elle interprétait la décision, telle qu'elle lui avait été notifiée, comme un refus d'approbation de son prospectus. Cette interprétation n'a pas suscité la moindre réaction de la part de la CBFA qui était pourtant invitée, suivant les modalités prévues à l'article 121 § 2 de la loi du 2 août 2002, à retirer ou à modifier sa décision, et qui aurait donc pu facilement attirer l'attention de Lendit, à ce moment, sur l'erreur que cette dernière aurait commise (lettre de Lendit du 6 décembre 2004).

La décision attaquée qui déclare le dossier incomplet sans citer les éléments manquants n'entre dans aucune des catégories de décision prévues par l'article 20 de la loi du 22 avril 2003 et est donc à ce titre, illégale.

42. Dans ses conclusions devant la cour, la CBFA ne cite pas non plus les éléments manquants au dossier.

La CBFA conclut uniquement sur le caractère incomplet du projet de prospectus (conclusions, points 16 à 23), tout en faisant valoir que c'est en raison du caractère incomplet du projet de prospectus simplifié établi par Lendit sous la forme d'un “placard” qu'elle a constaté le caractère incomplet du dossier qui ne contenait pas l'accord de l'émetteur sur le mécanisme de transfert des titres ni la confirmation par Fortis Banque de ce que ce mécanisme ne mettait pas les porteurs en risque à l'égard de l'offrant (conclusions, point 11) pour ensuite prétendre que la décision attaquée n'a pas été dictée par une quelconque volonté de subordonner l'opération à la réunion de ces deux conditions et au paiement de la totalité du prix au moment du transfert et qu'elle est basée uniquement sur le fait que les modalités de financement et de paiement n'étaient pas suffisamment décrites dans le “placard” (conclusions, point 46 et 47).

Malgré les éléments repris ci-avant, la CBFA expose qu'elle s'est bornée à constater que le dossier demeurait incomplet et que c'est en des termes exempts de toute ambiguïté que la position du Comité de direction a été portée à la connaissance de Lendit.

Il est exact que la CBFA a décidé que le dossier ne pouvait être considéré comme complet et que cette conclusion a été portée à la connaissance de Lendit. Cependant, c'est à tort que la CBFA entend isoler cette conclusion des motifs qui la sous-tendent et qu'elle passe sous silence le fait que les éléments manquants au dossier n'ont pas été cités.

43. En l'espèce, la cour constate que le dossier est considéré comme incomplet à la lumière des informations contenues dans le projet de prospectus qui est lui-même jugé lacunaire, le caractère incomplet du dossier comme du prospectus étant déduit de considérations portant sur l'insuffisance des garanties offertes aux porteurs par Lendit quant au mode de financement de l'opération et au mode de paiement du prix d'offre.

Pour expliquer qu'elle pouvait constater ainsi le caractère incomplet du dossier, la CBFA tient un raisonnement qui consiste à dire qu'un dossier doit être considéré comme incomplet lorsque les informations qu'il contient ne sont pas reprises ou sont contredites de manière expresse ou même implicite par les informations contenues dans le projet de prospectus soumis à son approbation.

Ainsi, suivant la CBFA, lorsqu'un projet de prospectus (simplifié) soumis à son approbation est muet quant au mode de financement de l'opération choisi par l'offrant alors que le dossier révèlerait que le mode de financement choisi par l'offrant n'offre pas de garantie suffisante, il entrerait dans la mission de la CBFA d'exiger un complément de dossier, à savoir la production de pièces attestant que le mécanisme de paiement des titres n'expose pas les porteurs à des risques à propos desquels ils devraient recevoir une information adéquate.

Ce raisonnement est dépourvu de fondement légal.

Le caractère complet et adéquat de l'information contenue dans le projet de prospectus s'apprécie au regard du dossier d'OPA, le cas échéant complété par l'offrant à la requête de la CBFA (art. 18 § 3 de la loi).

En revanche, s'agissant d'une OPA non soumise aux conditions de recevabilité de l'offre énoncées par l'arrêté royal du 8 novembre 1989, il n'est pas exact de soutenir que le Comité de direction serait habilité à constater que le dossier demeure incomplet vu l'absence de preuves de l'existence des engagements ou des garanties qui justifieraient l'approbation d'un projet de prospectus muet sur les risques de l'opération pour les porteurs, lorsqu'au jour où celui-ci statue sur le projet de prospectus soumis à son approbation, il est manifeste que l'offrant n'entend pas prendre d'autres engagements ou offrir d'autres garanties que ceux et celles qui résultent des pièces du dossier.

Le fait que l'offrant n'entend pas prendre certains engagements à l'égard des porteurs, tel que l'engagement de payer la totalité du prix d'OPA au jour du transfert des valeurs, ou le fait qu'il n'offre pas de garanties suffisantes pour assurer le paiement du prix, constituent précisément des informations relatives aux conditions de l'offre, qui permettent à la CBFA d'apprécier la qualité de l'information que l'offrant se propose de diffuser au moyen du prospectus.

En décider autrement reviendrait à reconnaître à la CBFA le pouvoir de s'abstenir de statuer sur le projet de prospectus aussi longtemps que l'offrant ne défère pas à l'invitation qui lui est faite - sous couvert de requérir un complément d'informations - de modifier les conditions de l'offre et de son financement. En effet, le délai de 15 jours prévu à l'article 20 alinéa 1 de la loi ne commence à courir qu'à compter de la réception d'un dossier complet.

Aussi louable que soit l'objectif poursuivi par la CBFA, lorsque le régime de l'offre publique d'acquisition reste dominé par le principe de la liberté contractuelle, il ne peut être constaté que le dossier est incomplet au motif que les informations qu'il contient révèlent que l'offrant n'entend pas conclure avec les porteurs, une vente au comptant ou que les garanties qu'il offre pour le paiement du prix sont insuffisantes.

La décision attaquée est donc aussi illégale en ce qu'elle constitue un détournement de pouvoirs, le pouvoir de requérir un complément de dossier ne pouvant pas être utilisé pour contraindre l'offrant à modifier les conditions de son offre.

44. Suivant les explications fournies par la CBFA, la décision attaquée devrait cependant être interprétée en ce sens qu'elle laisserait à Lendit deux possibilités: soit compléter le dossier en cas d'usage du prospectus simplifié, soit compléter son prospectus par des informations relatives aux modes de financement de l'opération et aux modalités de paiement choisis.

Si telle est la portée de la décision, elle doit également être annulée.

Rien ne s'oppose à ce que la CBFA tente, au cours de la phase préparatoire, d'influer sur le mode d'information du public en acceptant l'usage d'un simple placard annonçant le prix d'OPA et le jour du paiement, à condition que le dossier contienne toutes les indications permettant de constater que c'est bien une vente au comptant supposant l'exécution “trait pour trait” des obligations corrélatives de délivrance et du paiement complet du prix offert et à la condition que le financement de l'opération soit assuré.

En revanche, la loi n'habilite pas le Comité de direction mis en demeure de statuer sur une demande d'approbation de prospectus, à adopter une décision alternative laissant l'offrant dans l'insécurité juridique sur le sort de sa demande d'approbation du prospectus.

Par ailleurs, à supposer même que le Comité de direction puisse adopter une telle décision au moment où il est mis en demeure de statuer sur la demande d'approbation du prospectus, ce n'est nullement en ces termes que le Comité de direction a pris position en l'espèce. Rien ne permet en effet de constater que Lendit se voyait offrir la possibilité de choisir entre l'usage d'un prospectus simplifié et l'établissement d'un prospectus détaillé ni que du choix qu'elle effectuerait librement dépendrait le maintien ou non des conditions requises par la CBFA pour le financement de l'opération et le paiement des titres.

À la lumière des courriers qui lui avaient été adressés au cours de la phase préparatoire, Lendit ne pouvait raisonnablement déduire de la seule mention dans la lettre de notification que “les conditions d'un prospectus simplifié ne sont pas réunies” qu'un tel choix s'offrait à elle, étant donné que le dossier était dans le même temps déclaré incomplet.

Indiquant qu'une application par analogie des dispositions de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 ou des principes consacrés par ces dispositions s'imposait, la CBFA avait fait savoir à Lendit:

- que le paiement du prix d'achat des titres acquis dans le cadre de l'offre devait être garanti, de manière à ce que les porteurs ne se trouvent à aucun moment en risque sur l'offrant (lettre du 21 octobre 2004);

- que le dossier ne pouvait être considéré comme complet que pour autant que les conditions de recevabilité de l'offre, prévues dans l'arrêté royal du 8 novembre 1989, et en particulier la condition de financement, soient remplies (lettre du 29 octobre 2004);

- que le transfert de la propriété des titres à Lendit (la mise au nominatif) ne pouvait se faire avant le paiement des porteurs, sauf dans l'hypothèse de mise en place d'un mécanisme de liquidation ad hoc, avec l'accord de toutes les parties intéressées répondant à l'objectif que les porteurs ne se trouvent à aucun moment en risque sur l'offrant (lettre du 17 novembre 2004);

- que le paiement du prix par tranches au gré des aléas de la liquidation étant inadmissible, il appartenait à Lendit de financer la différence entre le montant du premier coupon et le prix d'OPA (lettre du 17 novembre 2004).

Entre la date de l'avis d'OPA déposé le 11 octobre 2004 et la décision attaquée du 23 novembre 2004, les observations et objections de la CBFA ont toutes porté sur les modalités de financement de l'offre et du paiement du prix des titres acquis dans le cadre de l'OPA.

Si Lendit a été invitée, pour la première fois par la lettre du 17 novembre 2004 à laquelle la lettre de notification de la décision se réfère, à revoir non seulement le financement mais également le projet de prospectus, ce n'était pas pour l'informer qu'elle avait la possibilité de compléter le projet de prospectus par des mentions relatives au mode de financement de l'opération et aux modalités de paiement choisis par elle, ou aux risques qui en résulteraient pour les porteurs.

En effet, la CBFA exigeait que le projet de prospectus soit complété par des mentions rendant compte de l'existence d'un engagement de payer la totalité du prix de l'offre au moment du transfert des titres, ce qui entraînait pour Lendit l'obligation de financer, en cas de coupons multiples, la différence entre le montant du premier coupon de liquidation et le prix de l'OPA (“Il n'est pas acceptable que le prix de l'OPA soit payé par l'offrant en plusieurs tranches au gré des aléas de la liquidation. Il convient que les porteurs reçoivent le prix d'OPA à l'issue de l'offre et c'est à l'offrant qu'il revient de financer, en cas de coupons multiples, la différence entre le montant du premier coupon de liquidation et le prix d'OPA. Le financement et le prospectus doivent être revus pour refléter cette situation” (souligné par la cour))

Au cours de cet examen préalable, il n'a jamais été indiqué à Lendit que les conditions d'un prospectus simplifié n'étaient pas réunies et que dans l'hypothèse où elle n'acceptait pas les conditions énoncées par la CBFA en ce qui concerne le financement de l'opération et les modalités de paiement, il lui restait la possibilité d'établir un prospectus qui soit le reflet exact des conditions correspondant à sa propre volonté.

Suivant la lettre portant la décision à la connaissance de Lendit, le Comité de direction a constaté que le financement de l'opération ne présentait pas les garanties requises pour les raisons énoncées dans les lettres des 9 et 17 novembre 2004. Or, ces lettres énoncent les conditions, en termes de financement et de paiement, auxquelles la CBFA disait subordonner le lancement d'une OPA de ramassage et non les conditions auxquelles elle subordonne l'usage d'un prospectus simplifié.

En outre, suivant le P.V. de la réunion du Comité de direction, celui-ci a marqué son accord sur les propositions de décision formulées dans la note EMS 2/2. Or, si selon cette note, le dossier devait être considéré comme non complet, c'était en raison du défaut de financement exigé par la CBFA sur la base de l'article 3, 2° de l'A.R. du 8 novembre 1989. De même, si le projet de prospectus était jugé insatisfaisant, c'est parce qu'il n'avait pas été modifié pour tenir compte des remarques de la CBFA.

Enfin et surtout, l'absence au cours de l'instruction d'objections relatives au projet de prospectus lui-même, la confusion entretenue dans la lettre de notification par le mélange de considérations relatives au dossier, au prospectus et aux conditions de l'offre en termes d'engagements et de garanties ainsi que l'absence de toute indication des éléments manquants au dossier, sont autant d'éléments qui, réunis, ne peuvent s'expliquer autrement que par le refus de la CBFA d'autoriser l'offre au motif qu'elle pourrait résulter en un contrat entre Lendit et les porteurs aux termes duquel le transfert de propriété se réaliserait au moment de la mise en possession alors que le paiement complet du prix aux porteurs pourrait être retardé.

45. Il résulte de ce qui précède que, comme l'indique Lendit, en constatant que le dossier était “incomplet sur le plan de l'information aux porteurs des titres”, sans citer les éléments manquants, alors qu'il résulte de l'ensemble des pièces que par “éléments manquants”, il fallait entendre le refus de Lendit de modifier les conditions de l'offre, la Commission a excédé ses pouvoirs en refusant de statuer sur la demande d'approbation du prospectus.

46. Le recours en annulation de la décision est donc fondé, la décision attaquée étant illégale en ce qu'elle déclare le dossier incomplet sans citer les éléments manquants, en ce qu'elle laisse l'offrant dans l'incertitude quant au sort que la CBFA a réservé à sa demande d'approbation et quant aux effets de la décision sur la procédure d'instruction du dossier d'offre et en ce qu'elle constitue un refus de statuer sur la demande d'approbation du prospectus fondé sur des motifs étrangers à l'appréciation du caractère complet du dossier.

II. Sur la demande de Lendit en ce qu'elle vise à entendre dire pour droit que la CBFA ne disposait pas d'éléments objectivement justifiés pour refuser d'approuver le prospectus

47. Aux termes de l'article 21 de la loi du 22 avril 2003, l'offrant peut former un recours contre le refus de la CBFA d'approuver le prospectus ou contre la décision déclarant que le dossier n'est pas complet.

Il résulte de l'article 121 § 6 de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers que la cour d'appel de Bruxelles est investie d'un pouvoir de réformation de la décision qui lui est déférée. Cet article énonce en effet que la cour peut ordonner la suspension de la décision de la Commission lorsque le demandeur invoque des moyens sérieux susceptibles de justifier la réformation de la décision. Le pouvoir de réformation qui est un type de pouvoir dévolu au juge du plein contentieux, permet à la cour de substituer sa décision à celle de la CBFA.

Les travaux préparatoires de cette loi confirment que le contrôle exercé par la cour est un contrôle de pleine juridiction (Exposé des motifs, Doc. parl. Chambre, S.O. 2001-02, nos 1.842/1 et 1.843, p. 129).

La cour dispose donc d'un pouvoir plus étendu que celui d'annuler la décision pour incompétence, illégalité des motifs, violation de la loi, violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité, ou détournement de pouvoir (sur cette question, H.P. Lemaître, “Compétences respectives de la CBFA et du pouvoir judiciaire”, in OPA et modifications de contrôle, Séminaire Vanham & Vanham du 22 avril 2004; J.-F. Tossens, “Le nouveau régime des voix de recours instauré par les lois du 2 août 2002”, in La réforme du contrôle des marchés financiers, séminaire Vanham & Vanham du 9 octobre 2002; X. Taton, “La nature des nouvelles compétences de la cour d'appel de Bruxelles en matière d'offres publiques d'acquisition”, R.D.C. 2003, p. 811; J.-M. Nelissen Grade, “Kroniek van de openbare overname biedingen (1996-2003)”, Deel I, Financieel Forum 2004/I, pp. 30 et s.).

48. Cependant, il résulte également de la nature du contentieux que l'étendue du pouvoir de pleine juridiction dont la cour est investie doit être déterminée cas par cas, ce que les travaux préparatoires confirment puisque le législateur s'en est remis “à la sagesse de la cour d'appel de Bruxelles qui, dans l'exercice de ses nouvelles compétences exclusives, pourra (…) préciser et nuancer les limites de son contrôle, selon le type de recours qu'elle est appelée à connaître” (Exposé des motifs, o.c., p. 132).

Il va sans dire que la cour exerce sa juridiction dans les limites des compétences de la CBFA et dans le respect de la nature des pouvoirs confiés à cette autorité.

Par ailleurs, le pouvoir de réformation ne signifie pas que la cour puisse, dans tous les cas, substituer sa décision à celle de la CBFA ni que la cour doive dans tous les cas se placer au jour où elle se prononce lorsqu'elle exerce ce pouvoir.

S'agissant d'un recours contre une décision de déclarer le dossier incomplet ou d'une décision de refus d'approbation du prospectus, un pouvoir de substitution ne se conçoit que dans le cas d'une décision de la CBFA préalablement annulée. Il ne saurait en effet être admis que l'ouverture d'un recours donne à la cour le pouvoir d'agir en lieu et place de la CBFA sur la base de sa propre appréciation du dossier ou du prospectus, lorsque le contrôle de la légalité qu'elle a exercé, qui n'inclut pas la possibilité d'annuler pour des motifs d'opportunité, aboutit à un rejet du recours en annulation.

Enfin, la possibilité d'exercer un pouvoir de réformation et la latitude d'appréciation dont la cour dispose doivent s'apprécier, cas par cas, en fonction des modalités procédurales et des formalités auxquelles la CBFA est assujettie pour prendre sa décision et des garanties qui y sont liées et en tenant compte de l'étendue des moyens requis pour procéder aux contrôles nécessaires pour opérer des choix.

49. La CBFA ne conteste pas que la cour a une compétence exclusive de connaître de la demande de Lendit qui tend à entendre dire pour droit que la CBFA ne disposait pas d'éléments objectivement justifiés pour refuser d'approuver le prospectus.

Comme la cour d'appel de Bruxelles a une compétence exclusive pour connaître des recours en annulation et en réformation des décisions visées à l'article 20 de la loi du 22 avril 2004, il y a lieu de considérer qu'elle a également une compétence exclusive pour connaître d'une demande dont le sort dépend uniquement de l'appréciation des conditions d'obtention d'une décision d'approbation du prospectus et des formalités auxquelles est subordonnée la prise d'une décision finale, indépendamment de toute considération sur la responsabilité de la Commission.

Il n'est pas contesté non plus par la CBFA que Lendit a un intérêt personnel et direct à former cette demande.

50. Comme indiqué plus haut, les motifs pour lesquels la CBFA s'est abstenue de statuer sur la demande d'approbation du projet de prospectus par une décision d'approbation ou de refus d'approbation, ne sont pas fondés.

Encore faut-il examiner s'il y avait lieu pour la CBFA d'approuver le prospectus, en se plaçant, en l'espèce, au jour de la décision attaquée.

51. En l'espèce, il est établi que la phase d'instruction du projet d'offre devant la CBFA était terminée au jour de la décision attaquée.

La CBFA ne fait d'ailleurs nullement valoir devant la cour que le dossier était incomplet en ce sens qu'il ne contenait pas toutes les informations relatives aux conditions de l'offre et à son financement telles qu'elles ont été fixées par Lendit, nécessaires pour apprécier si le projet de prospectus contenait toutes les informations dont les détenteurs des valeurs visées devaient disposer pour prendre une décision sur l'offre en parfaite connaissance de cause.

La cour considère donc qu'elle dispose de tous les éléments nécessaires pour apprécier le caractère complet et adéquat de l'information contenue dans le prospectus.

52. Le projet de prospectus établi par Lendit contient des indications sur l'identité de l'offrant et les valeurs mobilières visées.

La contrepartie, en espèces, offerte par titres y est indiquée: € 8.500. Le projet de prospectus énonce qu'en cas de coupons de liquidation multiples, le total des montants qui seraient payés aux porteurs ne serait en aucun cas inférieur à € 8.500.

Ces indications relatives au prix d'offre ne laissent aucune incertitude sur la contrepartie offerte par titre. Le projet de prospectus ne contient pas d'indications de nature à laisser croire aux destinataires de l'information que le prix offert serait sujet à révision en cas de paiement, en une fois ou par tranches successives, d'un coupon de liquidation supérieur ou inférieur à € 8.310.

Le fait que le projet de prospectus indique aussi que suivant le communiqué publié par l'émetteur le 30 septembre 2004, celui-ci a annoncé le paiement d'un solde final de liquidation en Neerpelt “d'environ € 8.310, net de précompte mobilier”, n'est pas de nature à induire les détenteurs des titres en erreur sur la contrepartie offerte et sur son caractère définitif. Il ne s'agit là que de la relation exacte d'un fait, et le caractère indéterminé du montant du coupon de liquidation n'est pas présenté dans le prospectus comme pouvant donner lieu à révision, par Lendit, du prix d'offre.

C'est donc sans motif que la CBFA soutient que le projet de prospectus est incomplet parce qu'il n'indique pas si et comment le prix de l'offre serait adapté en cas de paiement d'un coupon de liquidation inférieur ou supérieur à € 8.310 (conclusions, point 20).

À aucun moment, Lendit n'a d'ailleurs été interrogée par la CBFA sur sa volonté de faire dépendre le prix offert du montant du coupon de liquidation et il résulte de la note EMS 2/2 que les services de la CBFA avaient également considéré que le prix d'offre avait été fixé définitivement à € 8.500 (note EMS 2/2, point 1, p. 2).

De son côté, la SA Le Certificat Foncier n'a nullement fait valoir dans son avis du 9 novembre 2004 sur le projet de prospectus, que le prix de l'offre n'était pas déterminé. Elle a souligné, de manière pertinente, que “l'offrant ne donne aucune justification du montant de la prime”, objection que la CBFA n'a cependant pas fait sienne.

C'est également à tort que la CBFA a estimé que lorsque les informations données par l'émetteur sur le montant du coupon de liquidation ne sont pas définitives, il lui appartient de demander à l'émetteur de les confirmer (lettre du 17 novembre 2004). On ne voit pas en quoi l'absence de confirmation ou l'annonce ultérieure par l'émetteur du paiement d'un montant supérieur ou inférieur à € 8.310 aurait pu avoir une incidence sur les contrats entre Lendit et les détenteurs de titres, découlant de l'offre, en particulier sur l'obligation de Lendit de payer le prix qu'elle avait fixé de manière définitive, question qui est distincte de la question de savoir s'il est admissible ou non que le paiement du prix de l'offre soit fractionné en cas de coupons multiples.

Par ailleurs, le fait que le montant du coupon de liquidation avait fait l'objet d'une évaluation approximative par l'émetteur était une donnée exacte, non contredite par la suite, et constituait précisément une information dont les détenteurs devaient disposer.

53. En revanche, et s'agissant toujours du prix, le projet de prospectus ne pouvait être approuvé en raison du fait qu'il y est affirmé, sans la moindre réserve, ce qui suit: “le prix offert par Lendit représente, en net, une prime de € 190 par certificat et tout porteur précompté a donc un intérêt à répondre à la présente offre”.

Cette indication est de nature à induire le public en erreur. Il ne pouvait en effet être affirmé au jour du lancement de l'offre que le prix de l'offre était supérieur au solde final de liquidation par certificat et encore moins que la différence s'élevait à € 190. Le montant du coupon de liquidation n'était pas connu puisque le Certificat Foncier n'avait pas procédé à la publication d'une nouvelle annonce après celle parue le 30 septembre 2004.

La proposition faite par Lendit d'ajouter une indication selon laquelle, en cas de coupons multiples, le premier montant serait augmenté de € 190 et le total des montants distribués par Lendit ne serait en aucun cas inférieur à € 8.500, ne lève en rien l'incertitude qui existait quant à l'existence d'une prime et quant à son montant. Cette indication renforce au contraire le risque d'erreur sur l'avantage que les détenteurs pourraient tirer de l'acceptation de l'offre.

54. Vu ce qui précède, il n'est pas nécessaire d'examiner si le projet de prospectus contient les informations nécessaires en ce qui concerne les modalités de paiement du prix d'offre et les garanties offertes par Lendit ou la banque guichet aux porteurs pour assurer le paiement.

Le montant de la prime constitue un élément essentiel de l'information due aux porteurs dès lors que le seul intérêt d'accepter l'offre réside dans l'avantage que constitue la prime.

Le recours doit donc être rejeté en ce que Lendit demande à la cour de déclarer que la CBFA ne disposait pas d'éléments pour refuser d'approuver le prospectus.

III. Sur l'action en responsabilité contre la CBFA

55. Lendit postule la condamnation de la CBFA à réparer le préjudice qu'elle dit avoir subi en raison de fautes lourdes, voire d'un dol, que la CBFA aurait commis dans l'instruction du dossier ayant donné lieu à la décision attaquée.

La CBFA soulève l'incompétence de la cour pour connaître en premier et dernier ressort, de cette demande.

56. Selon Lendit, l'attribution à la cour d'une compétence de pleine juridiction en ce qui concerne les recours contre les décisions de la CBFA impliquerait qu'elle puisse connaître des actions en responsabilité dirigées contre la CBFA.

Lendit fait valoir à cet égard deux arguments:

Si la cour a le pouvoir d'approuver un projet de prospectus en réformant une décision de la CBFA de refus d'approbation et d'éviter ainsi à l'initiateur de l'offre un dommage, elle doit pouvoir aussi - lorsqu'elle statue à un moment où le lancement de l'offre est devenu impossible-, condamner la CBFA à des dommages et intérêts qui constitueraient une réparation par équivalent, la réformation étant qualifiée par Lendit de réparation en nature.

Par ailleurs, le libellé très large de l'article 18ter § 1er de la loi du 2 mars 1989 relative à la publicité des participations importantes dans les sociétés cotées en bourse et réglementant les offres publiques d'acquisition, inséré par la loi du 2 août 2002 et figurant sous le chapitre II de cette loi relatif aux offres publiques d'acquisition, permettrait de conclure que le législateur a dérogé aux règles de la compétence en attribuant à la cour la compétence de connaître des actions en responsabilité contre la CBFA. Suivant cette disposition, “toute demande, au fond ou au provisoire vu l'urgence, fondée en tout ou en partie sur une ou plusieurs dispositions de la présente loi ou des dispositions arrêtées par le Roi en exécution de l'article 15 §1er et 2, ainsi que toute demande qui a pour objet ou qui est susceptible d'avoir pour objet de provoquer l'ouverture d'une offre publique d'acquisition ou de modifier le résultat, les conditions ou le déroulement d'une telle offre, sont de la compétence exclusive de la cour d'appel de Bruxelles”.

57. Les arguments invoqués par Lendit ne sont pas convaincants.

L'annulation d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours, suivie de sa réformation, ne constitue pas une réparation en nature du dommage que la décision attaquée, si elle avait été maintenue, risquait d'entraîner. En outre, Lendit perd de vue que la responsabilité de la CBFA peut être engagée en dehors de l'hypothèse d'une réformation par la cour d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours.

À supposer que le champ d'application de l'article 18ter de la loi du 2 mars 1989 doive, dans un souci de cohérence, être étendu aux offres non soumises à la loi du 2 mars 1989, le fait que le législateur a fixé à 15 jours le délai pour l'introduction des demandes visées à l'article 18ter § 1er de la loi du 2 mars 1989 et à 60 jours le délai dans lequel la cour doit statuer sur ces demandes, permet de conclure que l'intention du législateur n'a pas été d'inclure les actions en responsabilité contre la CBFA. L'objectif de célérité dans le traitement des contestations en matière financière ne vaut pas pour ce type d'actions.

58. La loi du 22 avril 2003 ne déroge pas au droit commun en ce qui concerne la compétence des cours et tribunaux de connaître des actions en responsabilité pour faute de la CBFA. Le moyen d'irrecevabilité est donc fondé.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Dit le recours recevable;

Dit le recours fondé en ce qu'il tend à l'annulation de la décision du Comité de direction de la Commission bancaire, financière et des assurances du 23 novembre 2004 constatant que le dossier introduit par la SA Lendit n'est pas complet;

Met cette décision à néant;

Dit le recours non fondé en ce qu'il tend à entendre constater que le projet de prospectus devait être approuvé;

Statuant sur la demande en responsabilité de Lendit, se dit incompétente pour en connaître en premier ressort.

Condamne la CBFA aux dépens, liquidés en ce qui la concerne à € 475,96 et en ce qui concerne la SA Lendit et la SA Lendit Louise, à € 186 + € 58,26 + € 475,96.

(...)