Article

Cour d'appel Bruxelles, 19/01/2006, R.D.C.-T.B.H., 2006/8

Cour d'appel de Bruxelles 19 janvier 2006

Lendit SA / CBFA

Siég.: M. Regout (conseiller ff. président), Ch. Schurmans (conseiller), S. Vanommeslaghe (conseiller suppléant)
Pl.: Mes P. della Faille et X. Dieux
I. L'objet du recours et les conclusions des parties

1. Le recours est dirigé contre la décision prise par le Comité de direction de la CBFA, le 17 septembre 2004, d'infliger à Lendit une amende administrative d'un montant de € 50.000, de publier cette décision sur son site Internet et d'en informer la presse.

Cette décision est intitulée “décision de sanction n° 2004/1 à l'encontre de la SA Lendit”. Elle a été notifiée à la SA Lendit le 20 septembre 2004.

2. La décision attaquée constate deux manquements dans le chef de la SA Lendit, commis dans le cadre d'un ensemble d'offres publiques d'acquisition lancées sur sept certificats immobiliers émis par la société Le Certificat Foncier et sur six certificats immobiliers émis par la société Le Patrimoine Immobilier.

Le premier est d'avoir diffusé un prospectus contenant un passage qui ne figurait pas dans le prospectus approuvé par la CBFA en date du 19 janvier 2004 et d'avoir ainsi violé l'article 14 de la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres en vertu duquel “Le prospectus et ses éventuels compléments ou mises à jour ne peuvent être publiés qu'après avoir été approuvés par la CBFA”.

Le second est d'avoir publié dans la presse du 21 janvier 2004 un placard annonçant les treize offres d'acquisition sans en avoir soumis préalablement le texte à la CBFA et d'avoir ainsi violé l'article 18 § 4 de cette loi du 22 avril 2003 suivant lequel “les avis, la publicité ou autres documents qui, à l'initiative de l'offrant ou de l'émetteur ou des intermédiaires désignés par eux, se rapportent à l'opération ou l'annoncent ou la recommandent, sont soumis à la CBFA avant leur publication”.

Le montant de l'amende a été fixé à € 20.000 pour le premier manquement et à € 30.000 pour le second.

3. La SA Lendit a formé un recours par requête déposée au greffe de la cour le 19 octobre 2004.

Elle demande à la cour d'annuler la décision attaquée. À titre subsidiaire, elle prie la cour de réduire l'amende à un montant raisonnable.

La CBFA conclut au rejet du recours.

Elle conclut à titre subsidiaire que, si la cour devait constater l'irrégularité de la décision, il lui appartiendrait de sanctionner comme de droit les manquements commis par Lendit et elle l'invite dans ce cas à confirmer les amendes prononcées.

II. Les faits à l'origine de la décision de la CBFA d'ouvrir une instruction à charge de Lendit
- La procédure à l'issue de laquelle la CBFA a approuvé, sous réserve, le prospectus

4. Lendit qui se proposait de lancer une offre publique d'acquisition sur sept certificats immobiliers du Certificat Foncier et six certificats immobiliers du Patrimoine Immobilier en a avisé la CBFA.

Elle a également fait paraître un communiqué de presse annonçant cette intention, rédigé comme suit (La Libre du 8 et 9 novembre 2003, De Tijd du 8 novembre 2003):

“OPA SUR TREIZE CERTIFICATS IMMOBILIERS

Sept émissions du Certificat Foncier

Borsbeek, Diest, Drogenbos, Falisolle, Huy Quai Batta, Montignies-le-Tilleul, Sint-Kruis

Six émissions du Patrimoine immobilier

Bouffioulx-Saint-Nicolas, Flémalle-Grande, Fléron- Hasselt, Gand, Malines, Leeuw-Saint-Pierre

Lendit porte à la connaissance du public qu'elle a avisé la Commission bancaire et financière le 7 novembre 2003 de son intention de lancer une offre publique d'achat sur les treize certificats immobiliers indiqués ci-dessus, qui sont tous en phase de liquidation. Le timing de cette opération, qui est imminente, dépendra essentiellement du temps nécessaire aux émetteurs pour donner leur avis sur le projet de prospectus qui est en cours de transmission”

La CBFA n'a pas formulé de remarque au sujet de ce communiqué. Il ne ressort pas des éléments du dossier que celui-ci a été soumis à la CBFA avant sa publication.

5. Au cours des discussions relatives au contenu du projet de prospectus, les services de la CBFA ont demandé à plusieurs reprises à Lendit de mettre en évidence lors de l'envoi des projets amendés, les modifications apportées, et de respecter la circulaire D2/F/2003/1 sur ce point (lettres du 18 et 30 décembre 2003).

Il a également été demandé à Lendit, notamment, de décrire les objectifs qu'elle poursuivait en lançant l'offre, d'insérer une section décrivant les différentes procédures en cours ou terminées que Lendit a introduites contre les émetteurs, et vu le refus des émetteurs d'émettre un avis, d'indiquer dans le prospectus les principaux arguments invoqués par eux pour justifier les retards survenus jusqu'à présent dans le paiement des coupons de liquidation.

Par lettre du 2 décembre 2003, Lendit se plaignait auprès de la Commission du retard apporté par elle dans le traitement du dossier par la Commission, apparemment sous la pression des émetteurs des certificats.

6. Lendit a communiqué à la CBFA, par lettre du 9 janvier 2004, reçue le 12 janvier, un nouveau projet de prospectus présenté comme sa version définitive.

Elle dit avoir pris note que ce document sera soumis au Comité de direction pour approbation le lundi 19 janvier, dans la perspective d'un lancement de l'opération le mercredi 21 janvier.

Par lettre du 12 janvier 2004 envoyée par télécopie, le département “Contrôle de l'information et des marchés financiers” de la CBFA fait savoir à Lendit qu'il constate que son projet contient des textes complémentaires par rapport à ce qui avait été convenu lors de l'entrevue du 9 janvier. Il indique les modifications à apporter au projet de prospectus.

Il est demandé à la SA Lendit de lui communiquer, avant le 13 janvier à midi, le projet de prospectus modifié afin de le communiquer aux sociétés “Le Patrimoine Immobilier” et “Le Certificat Foncier” qui n'avaient toujours pas donné leur avis sur les versions antérieures. Il est précisé que ceci ne devrait pas retarder le traitement du dossier par le Comité de direction de la CBFA prévu pour le 19 janvier.

Lendit a réagi le 12 janvier 2004 en communiquant:

- les pages du projet de prospectus auxquelles des modifications avaient été apportées conformément aux souhaits de la CBFA;

- une version consolidée du projet de prospectus qui intègre les modifications demandées.

Le projet de prospectus contient à la page 3 les passages suivants:

“L'objectif poursuivi par Lendit SA, en lançant la présente offre, suite à la décision prise par son Président le 7 octobre 2003, est d'augmenter, au sein du groupe Lendit, le nombre de certificats détenus dans les émissions visées.

L'OPA s'adresse à tout détenteur de certificats, de quelque catégorie qu'il soit. A la différence des OPA que Lendit a lancées par le passé, la présente OPA s'adresse indifféremment aux particuliers et fonds de pension pour qui le précompte mobilier est libératoire et aux institutionnels qui bénéficient d'une déduction de ce même précompte. En effet, l'objectif de la présente offre est de permettre aux porteurs, indépendamment de leur statut fiscal, de réaliser leur investissement dès maintenant, sans attendre la liquidation finale des certificats qui, pour des raisons indiquées ci-après, risque de n'intervenir que d'ici quelques années, à la fin d'une période qu'il est impossible de déterminer.”

Le projet de prospectus contient une note en bas de page selon laquelle le texte rédigé par Lendit qui fait état de la décision des émetteurs de ne pas donner d'avis, sera supprimé si la CBFA recevait les avis des émetteurs pour le vendredi 16 janvier à 16 heures.

Il ressort des éléments du dossier que la CBFA a demandé à Lendit de pouvoir adresser le projet de prospectus amendé aux émetteurs pour permettre à ceux-ci, une dernière fois, de prendre position, sans que cette transmission retarde le traitement du dossier (Rapport au Comité de direction, annexe à l'ordre du jour du 19 janvier 2004, point 6).

Les émetteurs ont chacun remis un avis à la CBFA, le 16 janvier à 16 h 30, accompagné d'une lettre confidentielle (rapport au Comité de direction du 19 janvier 2004).

7. Par télécopie du vendredi 16 janvier 2004 envoyée à 17 h 09, le département Contrôle des opérations financières de la CBFA a communiqué à Lendit copie des deux avis qu'elle avait reçus des sociétés émettrices en la priant d'insérer ces avis dans le prospectus (pièce 17 du dossier de Lendit).

8. Lors de sa réunion du lundi 19 janvier 2004, le Comité de Direction de la CBFA a examiné le projet de prospectus dans sa version transmise par Lendit le 12 janvier 2004 qui ne contenait pas l'avis des émetteurs, ainsi que l'avis des émetteurs (annexe à la note FMI EMS n° 005 annexée à l'ordre du jour du Comité de Direction du 19 janvier 2004).

Le rapport du Département “Contrôle de l'information et des marchés financiers”, présenté au Comité de Direction, conclut qu'il y a lieu d'approuver le prospectus.

On lit dans ce rapport que “le prix offert par Lendit SA correspond à la moitié du solde annoncé par l'émetteur (…). Ce prix très bas est justifié par l'offrant par le fait d'une part que les certificats sont très peu liquides et qu'il se peut que ce solde soit absorbé par les frais de procédures judiciaires entamées par l'offrant lui-même contre les émetteurs des certificats.”

Suivant ce rapport, “si Lendit abandonnait tous ses procès, le montant annoncé serait sans doute rapidement payé. En fin de compte, Lendit apparaît être à la fois à l'origine du retard du paiement (…) et la cause de la dépréciation possible des certificats”.

Il y est fait état de la transmission par un courrier du 28 novembre 2003 du Service Public Fédéral Finances (section AFER), à la CBFA, d'une dénonciation au procureur du Roi, concernant la SA Lendit, son dirigeant et ses collaborateurs, relative à “des mécanismes frauduleux impliquant des OPA”, dans laquelle il est ajouté que “Compte tenu du caractère frauduleux du montage fiscal, exposé au long de ce document, l'administration estime qu'il serait nécessaire d'informer la CBF, de manière à éviter que des OPA puissent encore être lancées à l'avenir”.

Le rapport conclut sur ce point comme suit: “Cette dénonciation est sans incidence sur le traitement de ce dossier par la Commission. Il faut remarquer à cet égard que le caractère d'opportunisme fiscal de ces opérations avait déjà été dénoncé par la Commission elle-même à l'administration fiscale en 2002, mais qu'il ne nous en était revenu aucun écho”.

Ce rapport a été complété après réception de l'avis des émetteurs des certificats. La proposition faite au Comité de direction d'approuver le projet de prospectus a été maintenue.

- La décision du 19 janvier 2004 du Comité de direction de la CBFA d'approuver, sous réserve, le prospectus du 19 janvier 2004

9. De l'extrait du procès-verbal de la réunion du Comité de direction du 19 janvier 2004, il ressort que: “À l'issue d'un commentaire et d'un échange de vues entre les membres, le Comité approuve le prospectus de l'opération, sous réserve, toutefois, de prévoir, sur la page de couverture du prospectus, dans un encart spécial sous le texte relatif à l'approbation de la CBFA, un texte précisant que la CBFA attire l'attention du public sur la situation de combinaison d'intérêts dans laquelle se trouve l'offrant, dans la mesure où l'offre porte sur des certificats immobiliers qui font l'objet de procédures judiciaires engagées par l'offrant lui-même. Il y a également lieu de préciser que la CBFA ne se prononce pas sur le caractère fondé ou non de ces procédures judiciaires”.

- Les faits intervenus entre le moment de la décision d'approbation conditionnelle du prospectus et la notification de cette décision à Lendit

10. Le 20 janvier à 14 h 17, le Département “Contrôle de l'information et des marchés financiers” adresse un courriel à Monsieur Ch. Dilley, président de la SA Lendit, rédigé dans les termes suivants (sic):

“Vu l'urgence, je vous soumets le texte qui devrait, sauf erreur de ma part, vous parvenir en fin d'après-midi aujourd'hui encore et qui doit être inséré l'avertissement suivant sur la page de couverture du prospectus, dans un encart spécial sous le texte relatif à l'approbation de la CBFA:

'La CBFA attire l'attention du public sur la situation de combinaison d'intérêts dans laquelle se trouve l'offrant. L'offre porte en effet sur des certificats immobiliers qui font l'objet de procédures judiciaires engagées par l'offrant lui-même. Le niveau de prix offert est notamment causé par l'existence de ces procédures.

La CBFA ne se prononce pas sur le caractère fondé ou non de ces procédures judiciaires'” (souligné en gras dans le document).

11. Le 20 janvier 2004 à 15 h 55, Monsieur Ch. Dilley a envoyé par courriel à la CBFA une nouvelle version du prospectus sans commentaire particulier, sauf la mention “comme demandé”.

La page de couverture de celui-ci comporte l'encart spécial reproduit ci-dessus, au point 10.

À la page 3 du prospectus, le texte reproduit plus haut (point 6) a été remplacé par le texte suivant:

“L'objectif poursuivi par LENDIT SA en lançant la présente offre, suite à la décision prise par son président le 7 octobre 2003 est d'augmenter au sein du groupe Lendit, le nombre de certificats détenus dans les émissions visées. D'autre part, Lendit estime devoir donner aux autres porteurs une porte de sortie du fait que plusieurs années vont vraisemblablement s'écouler avant la distribution des coupons de liquidation finale, compte tenu des procédures judiciaires intentées par Lendit. (Le passage précité est souligné par la cour).

L'OPA s'adresse à tous détenteurs de certificats, de quelque catégorie qu'ils soient. Ceci dit, c'est surtout les institutionnels qui sont visés, la plupart des particuliers ayant présenté leurs certificats lors des OPA antérieures. Indépendamment de leur statut fiscal, la présente offre doit permettre aux porteurs de réaliser leur investissement dès maintenant, sans attendre la liquidation finale des certificats”.

Le texte du prospectus reprend également l'avis des émetteurs, qui ne figure pas dans la version du prospectus soumise à l'approbation du Comité de direction du 19 janvier 2004, en lieu et place du texte qui figurait (biffé par les services de la CBFA) dans la version du prospectus sur laquelle le Comité de direction de la CBFA s'est prononcé.

D'autres modifications ont été apportées. Ainsi, Lendit a actualisé, comme annoncé dans cette dernière version, la liste des administrateurs des émetteurs mais elle a également ajouté l'information suivante “Au 31 décembre 2002, les capitaux propres du Certificat Foncier étaient de € 2.240.000” (p. 5, in fine).

En page 7 du prospectus, elle a reproduit un extrait du cinquième rapport de liquidation en Falisolle-Grimbergen-Wondelgem, communiqué le 31 mars 2003 et un communiqué de presse publié le 28 mars 2003 (Falisolle-Grimbergen-Wondelgem) en lieu et place de l'extrait du troisième rapport de liquidation en Huy Quai Batta, communiqué le 8 septembre 2003 et du communiqué de presse publié le 27 août 2003 (Huy Quai Batta) reproduits dans la version du prospectus soumise au Comité de direction de la CBFA.

Toutefois, seul l'ajout dans la version diffusée du prospectus, du passage souligné plus haut sera reproché à Lendit.

Suivant les informations fournies par le département “Contrôle de l'information et des marchés financiers”, ce passage n'a pas été discuté dans son objet ou son contenu à un moment ou l'autre des échanges de la SA Lendit avec les services de la CBFA en vue de la mise au point du prospectus, ce qui n'est pas contesté par Lendit. Il aurait été découvert à l'occasion de la publication du placard d'ouverture de l'OPA et son “caractère inacceptable a été discuté lors d'un entretien téléphonique avec le dirigeant de Lendit le 29 janvier 2004” (note du 14 avril 2004 au rapporteur).

Suivant les informations fournies par le président de la CBFA, le Comité de direction n'a pas été convoqué en vue de réexaminer le dossier au cours d'une réunion postérieure à celle du 19 janvier mais antérieure au 21 janvier 2004 (lettre au rapporteur du 11 juin 2004).

12. La décision du Comité de direction de la CBFA du 19 janvier 2004 est notifiée par télécopie à Lendit, le 20 janvier 2004 à 18 h 06, dans les termes suivants:

“Nous nous référons à votre courrier daté du 9 janvier 2004 et au nouveau projet de prospectus qui y était joint.

En date du 19 janvier 2004, le Comité de direction a approuvé le prospectus qui sera mis à la disposition du public à l'occasion de cette opération à condition que soit inséré l'avertissement suivant sur la page de couverture du prospectus, dans un encart spécial sous le texte relatif à l'approbation de la CBFA: (suit le texte de l'avertissement)”

Le texte de l'avertissement repris dans ce courrier correspond mot pour mot au texte communiqué par courriel du 20 janvier 2005 à 14 h 17, reproduit au point 10 de la présente décision. Il diffère quant à son contenu de l'avertissement repris dans l'extrait du P.V. de la réunion du Comité de direction du 19 janvier 2004 dès lors que ce dernier ne comprend pas de commentaires sur l'incidence de ces procédures sur le prix offert.

Ce courrier du 20 janvier 2004 à 18 h 06 indique qu'il y aura lieu de procéder à la publication de l'avis prévu par l'article 21 alinéa 2 de l'arrêté royal du 8 novembre 1989 relatif aux offres publiques d'acquisition et aux modifications du contrôle des sociétés, qui énonce:

“Le prospectus doit être rendu public sous la forme d'une brochure mise gratuitement à la disposition du public au moins auprès de l'établissement de crédit ou la société de bourse visés à l'article 3 alinéa 1, 6°.

En outre, un avis indiquant le ou les endroits où le public peut se procurer le prospectus en Belgique doit faire l'objet d'une insertion dans un ou plusieurs journaux à diffusion nationale ou à large diffusion en Belgique.”

Il est demandé à Lendit de communiquer à la CBFA trois exemplaires imprimés du prospectus et de lui transmettre un exemplaire électronique déclaré conforme à la version imprimée.

L'attention de Lendit est attirée “sur ce que les supports publicitaires (tels qu'insertion dans la presse, circulaires, etc.) utilisés pour annoncer l'opération ne peuvent en aucun cas se substituer au prospectus. Ces documents, qui sont à soumettre à la Commission préalablement à leur parution, doivent faire expressément référence au prospectus et indiquer où celui-ci est disponible”.

- La diffusion par Lendit du prospectus d'OPA, la publication par Lendit du “placard d'ouverture” de l'OPA et les premières réactions de la CBFA

13. L'opération d'offre publique d'acquisition a été ouverte au public, comme prévu, le 21 janvier 2004.

Un placard d'ouverture de l'OPA a été publié dans la presse du 21 janvier 2004 à l'initiative de Lendit. Il comporte, outre des informations relatives aux conditions de l'offre, un texte rédigé comme suit:

“Avis au porteurs

La présente OPA s'adresse surtout aux institutionnels, la plupart des particuliers ayant présenté leurs certificats lors des OPA antérieures. Les montants qui n'ont pas été distribués suite à la vente des immeubles ont été provisionnés par les émetteurs pour couvrir leur responsabilité éventuelle dans le cadre de ces émissions. Lendit conteste la légalité de ces retenues, pour les raisons détaillées dans son prospectus (disponible gratuitement chez (…)).

À l'heure actuelle, personne ne peut prévoir quels montants seront finalement distribués. Les émetteurs reconnaissent cependant que 'd'une manière générale, l'essentiel des clôtures des liquidations en cours est lié à l'issue de certaines procédures pendantes devant les tribunaux' (avis des émetteurs, cité dans le prospectus d'OPA).

À défaut de contre-OPA, les prix offerts actuellement par Lendit représenteront les prix du marché. Plusieurs années vont vraisemblablement s'écouler avant le dénouement des procédures citées par les émetteurs. Dans ces conditions, Lendit estime de son devoir d'offrir une porte de sortie aux autres porteurs.

Lendit SA”

Cet avis ne fait pas état de l'approbation du prospectus par la CBFA.

14. Le 23 janvier 2004, Lendit accuse réception de la lettre de la CBFA du 20 janvier 2004, faxée à cette date à 18 h 06, “confirmant l'approbation de notre prospectus par le Comité de direction le 19 janvier 2004”.

Elle répond à ce courrier en indiquant que “la version définitive” du prospectus a déjà été transmise par e-mail. Il s'agit de la version transmise par courriel le 20 janvier 2004 à 15 h 55. Elle joint trois exemplaires imprimés du prospectus.

Elle déclare qu'elle n'a pas l'intention de publier des avis autres que le placard d'ouverture, joint en annexe, qui avait déjà été publié le 21 janvier 2004 dans la Libre, l'Echo et De Standaard et De Tijd.

15. Faisant suite à un entretien téléphonique du 29 janvier 2004 avec les services de la CBFA concernant ledit communiqué, Lendit réagit par un courrier du même jour adressé par télécopie à 13 h 27 en indiquant “que l'approbation qui lui a été faxée le 20 janvier à 18 h 10, est la première lettre de ce genre qui demande que nos supports publicitaires soient soumis au préalable à la CBFA”.

Elle joint à cette lettre deux lettres d'approbation d'un prospectus, émanant de la CBFA lors d'opérations précédentes (l'une datée du 16 novembre 1965, l'autre du 17 avril 2003) desquelles il résulte que la CBFA attirait exclusivement l'attention de l'offrant sur ce que la publicité ne pouvait faire mention de l'intervention de la CBFA en vertu de l'article 30 de l'A.R. n° 185 du 9 juillet 1935.

Elle transmet également à la CBFA deux annonces (“Last Days OPA”) qu'elle se propose de publier dans la presse financière en l'absence de contre OPA.

16. Le 29 janvier 2004, le département “Contrôle de l'information et des marchés financiers” de la CBFA écrit à Lendit qu'il a relevé deux irrégularités graves dans son comportement, la première étant d'avoir modifié le texte du prospectus approuvé par la CBFA, la seconde consistant à avoir publié sans l'avoir soumis à la Commission un placard qui contient des commentaires qui n'ont pas leur place dans un placard officiel et qui reprend - élément aggravant - des extraits non approuvés du prospectus (dossier CBFA, pièce 1, annexe 13).

Copie de cette lettre est adressée à la société de bourse chargée du service guichet.

Lendit répond le même jour ce qui suit à la CBFA:

“Je vous rappelle qu'en réponse à votre e-mail du 20 janvier, envoyé à 14 h 6, nous vous avons envoyé, par e-mail à 15 h 55, le projet définitif du prospectus avec les modifications en couverture et en page 3 qui font l'objet de votre fax d'aujourd'hui.

Ce n'est qu'après la fermeture des bureaux, ce même 20 janvier, que la lettre signée par Monsieur Servais nous a été faxée, indiquant, pour la première fois (cf. ma lettre de ce midi) que la publicité relative à cette offre devait être soumise au préalable à la CBFA. Vous comprendrez dès lors que, si malentendu il y a, c'est parce que nous avons compris que la lettre, envoyée à 18 h 05 répondait à notre e-mail de 15 h 55 (que nous avons envoyé à votre demande expresse)”.

Le même jour, les services de la CBFA ont ordonné à l'intermédiaire chargé du service-guichet de suspendre la diffusion du prospectus en raison de l'irrégularité constatée.

III. La procédure administrative à l'issue de laquelle la décision attaquée du 20 septembre 2004 a été adoptée

17. Lors de sa réunion du 2 février 2004, le Comité de direction de la CBFA a été invité à délibérer sur:

- l'opportunité de faire publier un rectificatif et de prolonger l'OPA en donnant l'occasion aux investisseurs qui auraient accepté l'offre de se retirer;

- l'opportunité de transmettre le dossier à l'auditeur en vue de l'introduction d'une procédure en infraction.

Suivant le rapport établi par le département Contrôle de l'information et des marchés financiers en vue de cette réunion (document EMS/8), Lendit a commis plusieurs faits susceptibles de donner lieu à des amendes administratives et/ou des sanctions pénales, décrits comme suit:

- Lendit a distribué à des journalistes le projet de prospectus non encore approuvé;

- Lendit a publié un placard annonçant l'opération sans le soumettre préalablement à la CBFA et avec la circonstance aggravante qu'était ajouté à ce placard un avis aux porteurs contenant des commentaires qu'il n'avait précisément pas été autorisé à insérer dans le prospectus;

- le prospectus rendu public contient un passage qui ne figure pas dans le prospectus approuvé et qui n'a pas de place dans un prospectus d'OPA dans la mesure où il revient à donner de Lendit l'image de protecteur de la petite épargne.

S'agissant de la première pratique, il est précisé qu'il ne s'agit vraisemblablement pas en soi d'une irrégularité, dans la mesure où la circulation du document n'a pas eu un caractère public.

S'agissant du placard d'ouverture, il est dit dans ce rapport que “sommé de retirer de son avis le passage litigieux, M. Dilley a d'abord marqué une importante résistance, invoquant notamment le fait que ces commentaires étaient extraits du prospectus approuvé par la CBFA. Il se fait au contraire que cet ajout n'était pas compris dans le prospectus approuvé par la CBFA. Confondu, M. Dilley a alors tenté d'expliquer qu'il s'agissait pour lui d'inclure dans le prospectus une réaction aux deux éléments qui lui échappaient, les avis des émetteurs, qu'il n'a pas pu commenter, et l'avertissement de la CBFA”.

S'agissant du passage litigieux repris dans le prospectus rendu public et dans le placard d'ouverture, il est précisé que l'ajout que “Lendit estimerait devoir offrir une porte de sortie aux porteurs de certificats” n'est pas véritablement de nature à induire en erreur le public sur une question financière, mais bien sur les véritables mobiles de l'offrant.

Ce rapport contient les passages suivants:

- sous le titre “les OPA de Lendit”, il est rappelé qu'il s'agit “d'opérations par lesquelles Lendit profite d'opportunités fiscales”, que Lendit a introduit diverses procédures contre les émetteurs “qui ont eu pour effet de bloquer la liquidation de ces certificats” et que “M. Dilley provoque fréquemment des incidents qui sont source d'investissement de temps considérable dans ces dossiers, au détriment des autres dossiers”;

- sous le titre “le dossier administratif de l'OPA”, il est affirmé que “les retards mis à la clôture de leur liquidation ne tiennent plus actuellement qu'à des procès initiés par Lendit elle-même contre les émetteurs de ces certificats”;

- sous le même titre, il est dit que le comité de direction a finalement approuvé, le 19 janvier 2004, le prospectus d'OPA après que les émetteurs eurent, sur la base du projet final, émis un avis substantiel, et il est souligné que La CBFA a interdit à l'offrant, la SA Lendit, de faire le moindre commentaire à propos de l'avis des émetteurs dans le prospectus.

Lendit n'a pas eu connaissance de ce rapport dans le cadre de la procédure administrative en infraction engagée contre elle.

18. L'extrait du procès-verbal de la réunion du Comité de direction du 2 février 2004 est rédigé comme suit:

“Les membres prennent connaissance de: (suit la mention d'une série de documents), joints en annexe du présent procès-verbal.

À l'issue d'un commentaire par un collaborateur et un échange de vue entre les membres, le Comité constate qu'il y a non seulement violation des dispositions réglementaires régissant la publication de toute information relative à l'OPA, mais également falsification du prospectus. Or, et sans préjudice de la gravité de l'infraction, le Comité estime que l'action préventive d'une suspension de l'opération au moment où celle-ci vient pratiquement à échéance, resterait en réalité sans effet.

Cependant, vu les indices sérieux susceptibles de donner lieu à une amende administrative en vertu de l'article 27 de la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres, le Comité décide, après que le secrétaire général se soit retiré, de saisir l'auditeur. D'une part, Lendit SA a, en effet, publié un placard annonçant l'opération sans le soumettre préalablement à la CBFA. D'autre part, le Comité de direction a constaté que le prospectus diffusé à l'occasion de l'offre publique d'acquisition susmentionnée contient un passage important qui est en contradiction directe avec les mentions exigées par la CBFA et qui n'était pas compris dans le prospectus approuvé par la CBFA.”

Ce document a été communiqué à Lendit, à sa demande, par lettre du 20 juillet 2004 dans laquelle il était précisé que ce document ne faisait pas partie du dossier de l'auditeur.

19. Par lettre du 12 février 2004, le président de la CBFA a fait savoir à Monsieur Albert Niesten, secrétaire général, que lors de sa réunion du 12 février 2004, le Comité de direction avait “constaté, dans le chef de la SA Lendit (…) des faits susceptibles de donner lieu à une amende administrative en vertu de l'article 27 de la loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres” et décidé de le charger, en sa qualité d'auditeur, d'une instruction à charge et à décharge “du dossier relatif à ces constats” (dossier CBFA, pièce 1, annexe 1).

Les dits faits sont décrits comme suit:

“D'une part, Lendit SA a, dans le cadre de son offre publique d'acquisition sur 13 certificats immobiliers (…) publié un placard annonçant l'opération sans la soumettre préalablement à la CBFA. Ceci est constitutif d'une violation de l'article 18 § 4 de la loi du 22 avril 2003, aux termes duquel “les avis, la publicité ou autres documents qui, à l'initiative de l'offrant ou de l'émetteur ou des intermédiaires désignés par eux, se rapportent à l'opération ou l'annoncent ou la recommandent, sont soumis à la CBFA avant leur publication”.

D'autre part, le comité de direction a constaté que le prospectus diffusé à l'occasion de l'offre publique d'acquisition susmentionnée contient un passage qui n'était pas compris dans le prospectus approuvé par la CBFA en date du 19 janvier 2004. Ceci est constitutif d'une violation de l'article 14 de la loi du 22 mars 2003 qui dispose “le prospectus et ses éventuels compléments ou mises à jour ne peuvent être publiés qu'après avoir été approuvés par la CBFA”.

Quatorze pièces inventoriées sur lesquelles, suivant cette lettre, se fonde la décision du Comité sont annexées à la lettre.

Un rapporteur a été désigné par l'auditeur parmi les membres du personnel de la CBFA, conformément à l'article 70 § 2 alinéa 2 de la loi du 2 août 2002, aux fins d'accomplir les actes d'instruction nécessaires (lettre du 16 février 2004).

20. Par lettre du 21 avril 2004, l'auditeur a informé Ch. Dilley, président du conseil d'administration de Lendit, qu'il était chargé de cette instruction et lui a fait part des griefs qui lui étaient reprochés. Il l'invitait à un entretien fixé le 29 avril 2004 pour lui donner l'occasion de faire part de ses observations.

Lendit n'a pas fait usage de cette possibilité et a réagi par courrier du 23 avril 2004 en faisant valoir notamment:

“Tout ce qui a été publié se trouve dans la version finale du prospectus transmis par e-mail à Monsieur Gollier, à sa demande, le 20 janvier à 14 h 24. C'est sur base de ce texte que la lettre, confirmant le nihil obstat de la CBFA, nous a été faxée le 20 janvier à 18 h 05. Où est donc le problème?”

Par lettre du 28 juin 2004, l'auditeur informait Lendit qu'il communiquait le même jour ses conclusions au Comité de direction et qu'il était loisible à Lendit de prendre connaissance du dossier. Aux termes de ses conclusions, l'auditeur conclut que les infractions sont établies.

Lendit est également avisée de ce que, conformément à l'article 71 § 2 de la loi du 2 août 2002, elle pouvait demander, dans un délai de huit jours, à être entendue par le Comité de direction de la CBFA.

Lendit a obtenu copie du dossier constitué par l'auditeur le 1er juillet 2004.

Par lettre du 6 juillet 2004, Charles Dilley a demandé de recevoir copie du procès-verbal de la réunion du Comité de direction du 2 février 2004, document qui ne faisait pas partie du dossier de l'auditeur, ce qu'il a obtenu par courrier du 20 juillet 2004.

21. La lettre du 6 juillet 2004 de Lendit contient l'exposé des moyens et arguments invoqués par Lendit pour sa défense.

La SA Lendit déclare tout d'abord s'interroger sur l'utilité de faire usage de la possibilité d'être entendue, faisant clairement état d'un parti pris de la CBFA à l'encontre des OPA qu'elle lance sur certificats fonciers. Aux dires de Lendit, la procédure en infraction menée contre elle prend place “dans le contexte d'un ensemble de mesures adoptées par la CBFA pour rendre impossible la poursuite de relations normales, bloquant ainsi toute nouvelle OPA à connotation fiscale que Lendit pourrait être amenée à lancer à l'avenir”.

Elle relève:

- la modification “des règles traditionnelles appliquées” dans ses relations avec la CBFA ayant pour effet de retarder et de compliquer infiniment le lancement le l'OPA sur les treize certificats;

- une décision de la CBFA de déclarer irrecevable le dossier dans le cadre d'un projet d'OPA sur les certificats “Rijnkaai”, contre laquelle un recours avait été introduit;

- l'existence de pressions extérieures, résultant en un document confidentiel rédigé par l'administration des contributions directes en décembre 2002;

S'agissant du grief relatif à la publication d'un prospectus non approuvé, Lendit a fait valoir ce qui suit au sujet des conclusions de l'auditeur:

“Dans les multiples OPA lancées par Lendit depuis les années 1990 (…) il y a deux constantes. Nous recevions, presque sans exception, le nihil obstat de la CBF le jour même de la prise de décision. D'autre part, il existait nécessairement une délégation de pouvoir, via le Président, à celui qui traite le dossier, en l'occurrence Monsieur Gollier, habilité à traiter les problèmes de dernière minute (Sans une telle délégation, une approbation “conditionnelle” du prospectus, comme en l'occurrence, ne peut pas prendre effet.) L'analyse (de l'auditeur) nie ce qui pour nous est une évidence, c'est-à-dire que la version définitive du prospectus est celle soumise en dernier lieu à la CBFA”.

S'agissant du grief relatif à la publication du placard d'ouverture, Lendit a fait valoir qu'il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir tenu compte des mentions qui figuraient pour la première fois dans la lettre de notification de la décision qui ne lui avait été communiquée qu'après la fermeture de ses bureaux alors que l'avis d'OPA était déjà sous presse. Elle soulignait qu'il ne lui avait pas été demandé avant l'envoi de cette lettre de communiquer l'avis d'OPA en projet.

En ce qui concerne la portée qu'il y avait lieu de conférer au passage litigieux, Lendit a contesté que ce passage a pour objet ou pour effet d'atténuer “l'avertissement” exigé par la CBFA. Il ne s'agirait que “d'un ajout fournissant quelques précisions, qui sont tout à fait conformes à la réalité, et qui sont de nature à assurer le caractère adéquat et complet des informations soumises au public”. Elle indiquait ce qui suit: “En réalité, c'est l'avis des émetteurs, fourni juste avant la réunion du 19 janvier, qui a confirmé pour la première fois le lien entre les litiges en cours et le retard dans le paiement des coupons de liquidation. Il était donc, à mon sens, tout à fait normal que la CBFA mette ce point en exergue sur la couverture du prospectus et, pour compléter cette information, qui me paraissait assez lapidaire, j'ai pris l'initiative de signaler aux porteurs que ces litiges risquaient de durer plusieurs années, ce qui correspond à la réalité.”

Il résulte de la lettre du 20 juillet 2004 du président de la CBFA à Lendit qu'en sa séance du 20 juillet 2004, le Comité de direction de la CBFA s'est prononcé sur la suite à donner à la lettre du 6 juillet 2004 de Lendit et qu'il a déduit de celle-ci, en particulier du fait que Lendit disait s'interroger sur l'utilité de faire usage de la possibilité d'audition, que Lendit n'entendait pas en faire usage. Le procès-verbal de cette réunion n'est pas versé au dossier.

Elle contient en annexe l'extrait du procès- verbal du comité de direction du 2 février 2004, reproduit plus haut (point 18).

Le 29 juillet 2004, le conseil de la SA Lendit a demandé copie des annexes à la décision du 2 février 2004.

Ces documents lui ont été communiqués par courrier du 20 août 2004, à l'exception de deux documents. Le premier a été considéré comme relevant du fonctionnement interne de la CBFA (Doc. EMS 1/8). Il s'agit du rapport présenté au Comité de direction du 2 février 2004 qui a décidé de lancer une instruction à charge de Lendit (supra, point 17). Le second a été considéré comme étant couvert par le secret professionnel de la CBFA par ce qu'il émanait d'un tiers (EMS 1/8-1). Ces deux documents seront joints aux conclusions additionnelles pour la CBFA devant la cour.

IV. La décision attaquée du 17 septembre 2004

22. Le Comité de direction de la CBFA a considéré que les faits reprochés étaient établis.

S'agissant du premier grief, il est constaté dans la décision attaquée que dans la version du prospectus diffusée par Lendit dans le public, apparaît le passage litigieux qui ne figure pas dans la version du prospectus, transmise le 12 janvier 2004, sur laquelle le comité de direction de la CBFA a été appelé à se prononcer.

La CBFA a par ailleurs décidé que Lendit ne peut exciper de sa croyance légitime que le prospectus qu'elle a diffusé correspondait à celui approuvé par la CBFA, au vu des éléments suivants:

- la CBFA a approuvé le prospectus le 19 janvier 2004;

- Lendit savait que la CBFA se prononcerait sur l'approbation du prospectus le 19 janvier 2004;

- la nouvelle version du prospectus contenant pour la première fois le passage litigieux a été envoyée à la CBFA le 20 janvier;

- rien dans cette nouvelle version ne rendait le changement apparent;

- Lendit, société qui s'est spécialisée dans les OPA sur certificats immobiliers, ne pouvait ignorer “que le prospectus est devenu définitif par l'acte administratif d'approbation de celui-ci, et ne peut plus être modifié ultérieurement que moyennant l'accord du comité de direction”;

La circonstance que la décision du Comité de direction de la CBFA a été notifiée la veille du lancement de l'OPA à 18 h 06 et le contexte d'urgence sont considérés comme sans pertinence au motif qu'il appartient à un professionnel de s'organiser de manière telle qu'il satisfasse à ses obligations.

S'agissant du second grief, également considéré comme établi dès lors que Lendit n'a pas transmis le placard à la CBFA avant de le publier, la décision attaquée considère que Lendit ne peut exciper de son ignorance de la loi du 22 avril 2003 ni invoquer pour sa défense la circonstance que l'obligation de soumission préalable ne lui aurait jamais été rappelée.

Les faits retenus à charge de Lendit sont qualifiés de violations graves du système légal de contrôle de l'information financière susceptibles d'affecter la légitime confiance du public dans les documents publiés.

Les amendes infligées sont jugées appropriées eu égard à la gravité des pratiques illicites constatées, à la valeur des offres, au nombre et à la diffusion dans le public des certificats immobiliers visés par ces offres, et à leur visibilité jugée plus grande pour la publication du placard dans la presse.

La publication de la décision a été ordonnée au motif qu'il s'indique d'informer le public de la sanction prise, pour que soit confortée sa confiance dans les mécanismes de contrôle.

Discussion
A. Le cadre réglementaire
- La loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres

23. La loi du 22 avril 2003 relative aux offres publiques de titres est entrée en vigueur le 1er juin 2003.

L'article 13 de la loi dispose, en ses alinéas 1 et 2:

“Une offre publique de titres ne peut être effectuée, sauf le cas où une dispense totale de l'obligation d'établir un prospectus a été octroyée, qu'après qu'un prospectus a été rendu public et qu'un avis a été publié reproduisant le prospectus complet ou précisant où le prospectus complet est rendu public et où le public peut se le procurer.

Le prospectus contient les renseignements qui, selon les caractéristiques et la nature de l'opération concernée, sont nécessaires pour que le public puisse porter un jugement fondé sur le placement qui lui est proposé, tels qu'en particulier des données sur le patrimoine, la situation financière et les perspectives de l'offrant, de l'émetteur et le cas échéant de la société cible, sur les droits attachés aux titres qui font l'objet de l'offre publique, et sur la contrepartie demandée pour l'offre publique.”

Aux termes de l'article 14 de cette loi, “le prospectus et ses éventuels compléments ou mises à jour ne peuvent être publiés qu'après avoir été approuvés par la CBFA”.

L'article 16 de la loi énonce:

“Le prospectus contient l'indication qu'il est publié après avoir été approuvé par la CBFA conformément à l'article 14, et que cette approbation ne comporte aucune appréciation de l'opportunité et de la qualité de l'opération, ni de la situation de celui qui la réalise.

Sauf l'indication visée à l'alinéa 1er, aucune mention de l'intervention de la CBF ne peut être faite dans le prospectus, ses compléments ou mises à jour, ni dans les avis, la publicité ou d'autres documents qui annoncent ou recommandent l'opération ou qui s'y rapportent”.

L'article 18 § 4 de la loi énonce:

“Les avis, la publicité ou autres documents qui, à l'initiative de l'offrant ou de l'émetteur ou des intermédiaires désignés par eux, se rapportent à l'opération ou l'annoncent ou la recommandent, sont soumis à la CBFA avant leur publication”.

La loi abroge l'article 29ter de l'arrêté royal n° 185 du 9 juillet 1935, lequel énonçait en son § 1er que “Le prospectus, ses éventuels compléments, ainsi que les avis, annonces, affiches, placards et autres documents annonçant l'opération ne peuvent être publiés qu'après avoir été approuvés par la Commission bancaire”.

24. S'agissant des pouvoirs de la CBFA, il résulte de l'article 20 de la loi que la CBFA peut soit approuver le prospectus, soit accorder une dispense totale de l'obligation d'établir et de publier un prospectus, soit refuser d'approuver le prospectus.

La même disposition précise que si la CBFA reste en défaut, après mise en demeure, soit de constater que le dossier ne peut encore être considéré comme complet, soit de prendre l'une des décisions précitées, la demande d'approbation du prospectus ou de dispense de l'obligation d'établir et de publier un prospectus est réputée être rejetée.

25. Aux termes de l'article 25 de la loi, “Sont punis d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de € 75 à € 15.000, ou d'une de ces peines seulement:

(…)

(2°) ceux qui contreviennent aux articles 13 alinéa 1er, 14, 18 § 1er, ou 24;

(…)

(4°) ceux qui publient sciemment un prospectus ou tout autre document annonçant ou recommandant une offre publique ou s'y rapportant, qui contient des informations fausses, inexactes ou incomplètes qui peuvent induire le public en erreur sur le patrimoine, la situation financière, les résultats ou les perspectives de l'offrant et/ou de l'émetteur ou sur les droits attachés aux titres qui font l'objet de l'offre;

(5°) ceux qui rendent public un prospectus, un complément ou une mise à jour d'un prospectus, ou un autre document visé à l'article 18 § 4, en faisant état de l'approbation de la CBF alors que celle-ci n'a pas été donnée;

(6°) ceux qui rendent public un prospectus ou un complément ou une mise à jour d'un prospectus, différent de celui qui a été approuvé par la CBFA;

(…)

26. L'article 27 de la loi énonce:

“Sans préjudice d'autres mesures prises en exécution de la présente loi, la CBF peut, lorsqu'elle constate une infraction aux dispositions de la présente loi ou de ses arrêtés d'exécution, infliger à la personne responsable une amende administrative, qui ne peut être inférieure à 2.500,00 euros ni supérieure, pour le même fait ou le même ensemble de faits, à 2.500.000,00 euros.”

- La loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers

27. Aux termes de l'article 49 de la loi, le Comité de direction de la CBFA est composé, outre le président, de six membres.

Le président et les membres sont nommés par le Roi, pour une durée renouvelable de 6 ans.

Le Comité de direction ne peut statuer que si la majorité de ses membres sont présents. Les décisions sont prises à la majorité des voix exprimées. En cas de partage, la voix du président est prépondérante.

Il est tenu procès-verbal des délibérations du comité de direction. Les procès-verbaux sont signés par tous les membres présents.

Le secrétaire général, nommé par le Roi pour une durée renouvelable de 6 ans, est chargé de l'organisation administrative générale et de la direction administrative de la CBFA, sous l'autorité collégiale du comité de direction (art. 51 de la loi).

Il assiste aux réunions du Comité de direction avec voix consultative.

28. La loi du 2 août 2002 organise comme suit la procédure pour l'imposition de sanctions administratives:

Article 70.

§ 1er. Lorsque la (CBFA) constate, dans l'exercice de ses missions légales, qu'il existe des indices sérieux de l'existence d'une pratique susceptible de donner lieu a une sanction administrative, ou lorsqu'elle est saisie d'une telle pratique sur plainte, le comité de direction charge le secrétaire général d'instruire le dossier. Le secrétaire général porte à ces fins le titre d'auditeur.

§ 2. L'auditeur instruit les affaires à charge et à décharge et transmet ses conclusions au comité de direction. Aux fins d'accomplir sa mission, l'auditeur peut exercer tous les pouvoirs d'investigation confiés à la (CBFA) par les dispositions légales et réglementaires régissant la matière concernée. A cet effet, il désigne pour chaque affaire un rapporteur parmi les membres du personnel de la (CBFA).

Article 71.

§ 1er. Au terme de son instruction et avant de transmettre ses conclusions au comité de direction, l'auditeur informe l'auteur ou les auteurs de la pratique en cause de l'existence d'une instruction, en précisant la nature de la pratique faisant l'objet de l'instruction, et les convoque afin de leur permettre de présenter leurs observations.

§ 2. Lorsqu'il communique ses conclusions au comité de direction, l'auditeur en informe le ou les auteurs de la pratique en cause. Ceux-ci peuvent prendre connaissance du dossier qui a été constitué au siège de la (CBFA), aux jours et heures indiqués par l'auditeur.

Dans un délai de huit jours suivant la date à laquelle l'auditeur a informé, en application de l'alinéa 1er, le ou les auteurs de la pratique en cause peuvent demander à être entendus par le comité de direction.

Article 72.

§ 1er. Après réception des conclusions de l'auditeur et après avoir, le cas échéant, entendu la ou les personnes faisant l'objet de l'instruction, le comité de direction peut, par décision motivée:

1° constater l'existence d'une pratique illicite et prononcer une des sanctions administratives prévues par les dispositions légales et réglementaires régissant la matière concernée;

2° constater qu'il n'y a pas lieu à sanction administrative;

3° prévoir la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci.

§ 2. L'auditeur ne peut prendre part aux délibérations du comité de direction ni intervenir autrement dans le processus décisionnel lorsque celui-ci est appelé à se prononcer sur l'imposition de sanctions administratives.

§ 3. La décision du comité de direction est notifiée par lettre recommandée aux personnes faisant l'objet de l'instruction. La lettre de notification indique les voies de recours, les instances compétentes pour en connaître, ainsi que les formes et délais à respecter, faute de quoi le délai de prescription pour introduire le recours ne prend pas cours.

§ 4. En cas de péril grave pour le public, le comité de direction peut déroger aux règles de procédure prévues aux articles 70 à 72 § 2, pour les besoins de l'adoption des mesures visées à l'article 57 § 1er de la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit et à l'article 104 § 1er de la loi du 6 avril 1995 relative aux marchés secondaires, au statut des entreprises d'investissement et à leur contrôle, aux intermédiaires et conseillers en placements et a l'article 26 de la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d'assurances.

Article 73.

Toute amende administrative imposée par la (CBFA) à une personne et devenue définitive avant que le juge pénal ait statué définitivement sur les mêmes faits ou des faits connexes, s'impute sur le montant de toute amende pénale qui serait prononcée pour ces faits à l'égard de la même personne.

B. Sur la recevabilité du recours

29. Le recours a été formé dans le délai de 30 jours fixé par l'article 121 § 2 de la loi du 2 août 2002. Il est recevable dès lors que Lendit est destinataire de la décision attaquée.

C. Sur le bien fondé du recours
- Sur la violation alléguée du droit à un procès équitable au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des principes généraux du droit pénal et du droit administratif

30. Invoquant les principes généraux du droit pénal et du droit administratif, Lendit se plaint d'une violation de son droit à un procès équitable.

Elle estime que la présomption d'innocence a été méconnue dès lors que la lecture du procès-verbal de la réunion du Comité de direction du 2 février 2004 révèlerait que celui-ci considérait déjà à cette date que les infractions étaient établies.

Le caractère contradictoire de la procédure aurait été méconnu, ce qui résulterait du fait que Lendit ne s'est pas vu offrir la possibilité de prendre connaissance de certaines pièces qui, aux dires de Lendit, ont pu avoir une incidence sur la décision finale. Il s'agit des pièces EMS 1/8 et EMS 1/8-1 qui faisaient partie des pièces sur la base desquelles le Comité de direction de la CBFA a décidé, le 2 février 2004, de charger le secrétaire général d'une instruction à charge de Lendit, qui n'ont pas été communiquées à ce dernier.

L'instruction aurait été lacunaire. Lendit se plaint du fait que le rapporteur chargé par l'auditeur de mener des actes d'investigation, n'aurait pas rempli correctement sa mission. Elle estime que l'auditeur n'a instruit qu'à charge, ses conclusions passant sous silence certains éléments qui témoignent de sa bonne foi. En outre, les éléments qui auraient pu être regardés comme des éléments à décharge, auraient été présentés par celui-ci comme des circonstances aggravantes.

Se fondant sur le rapport du Département “Contrôle de l'information et des marchés financiers” soumis au Comité de direction en sa séance du 19 janvier 2004, Lendit se demande si, en la présente occasion, il n'y a pas lieu de conclure à un manque d'impartialité et d'indépendance dès lors que des pressions extérieures ont pu avoir une incidence directe sur la décision d'engager une procédure à son encontre, sur la décision de constatation d'infractions ou encore sur la fixation de la peine.

Lendit soutient enfin que les mesures prises sont manifestement disproportionnées à la gravité des faits.

31. La CBFA rétorque que la cour n'a pas à examiner le bien fondé des griefs formulés par Lendit. Les principes généraux du droit, invoqués par Lendit, tels qu'ils résultent plus particulièrement de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après “la Convention”, ne s'appliqueraient pas, tels quels, aux autorités administratives, si la décision de l'autorité administrative est susceptible d'un recours de pleine juridiction.

Elle invoque à l'appui de cette thèse les arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme des 10 février 2003 (Albert et Lecompte c. Belgique) et 21 février 1984 (Oztürk c. Allemagne), et l'arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 1988 (Pas. 1989, I, p. 353).

32. La cour relève que la jurisprudence invoquée par la CBFA concerne plus particulièrement la question de savoir si le fait qu'une loi nationale confie à une autorité administrative la tâche de poursuivre, de constater et de réprimer certaines infractions se heurte à la Convention.

Or, en l'espèce et bien qu'il ne s'agisse pas de délits mineurs, Lendit n'excipe pas de l'incompatibilité de la loi du 2 août 2002 qui confie à la CBFA, autorité administrative, la tâche de poursuivre, de constater et de réprimer les infractions aux dispositions sur les OPA, avec l'article 6 § 1 de la Convention. Cette loi paraît en effet compatible avec la Convention dès lors que la réglementation des OPA appelle par sa nature une surveillance particulière, que tout intéressé peut saisir la cour d'appel de Bruxelles qui offre les garanties de l'article 6 § 1 de la Convention, de toute décision ainsi prise à son encontre par la CBFA et que la cour dispose d'un pouvoir de pleine juridiction.

Lendit ne prétend pas non plus qu'elle a pu légitimement éprouver des doutes quant à l'indépendance et à l'impartialité structurelle du Comité de direction de la CBFA, auquel la loi attribue un rôle juridictionnel.

Elle se plaint en réalité d'un manque d'impartialité subjective en faisant état de la manière dont la procédure a été engagée et poursuivie à son encontre dans la présente affaire.

Par ailleurs, la cour ne souscrit pas à la thèse défendue par la CBFA dans la présente affaire, à savoir qu'étant donné que la cour d'appel de Bruxelles est dotée de la plénitude de juridiction, il n'est pas nécessaire d'examiner les griefs formulés par Lendit concernant la prétendue violation du droit à un tribunal indépendant et impartial.

Il est vrai que l'équité d'une procédure s'apprécie au regard de l'ensemble de celle-ci et que, même lorsqu'un organe chargé de constater et de réprimer des infractions ne remplit pas les exigences de l'article 6 § 1, il ne saurait y avoir violation de la Convention si la procédure devant cet organe a fait l'objet du contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties requises par cet article.

Cependant, il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que la notion de “pleine juridiction” déterminant l'étendue du contrôle requis en matière pénale, veut que la juridiction d'appel puisse, avant de juger à nouveau la cause en examinant les questions de fait et de droit ou de la renvoyer devant le même organe ou un organe différent, examiner les griefs fondés sur une violation alléguée du droit à un procès équitable, en particulier sur un défaut d'impartialité, et annuler la décision contestée. (Cour eur. D.H., arrêt Kingsley c. Royaume Uni du 7 novembre 2000, § 58; voy. aussi X. Taton, “La nature des nouvelles compétences de la Cour d'appel de Bruxelles en matière d'offres publiques d'acquisition”, R.D.C. 2003, pp. 819 à 822 et références citées; X. Taton, “Les nouvelles procédures contentieuses en matière d'offres publiques d'acquisition”, R.D.J.P. 2003, 319-348; D. Van Gerven, “Administratieve sancties, verhaalsmiddelen en beroep”, Dr. banc. fin. 2003, pp. 160 et s.).

Les griefs que Lendit formule doivent donc être examinés si les accusations dont elle fait l'objet relèvent du domaine pénal au sens de l'article 6 § 1er de la Convention.

33. Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme qu'afin de déterminer l'existence d'une “accusation en matière pénale”, il y a lieu d'avoir égard à trois critères: la qualification juridique de l'infraction litigieuse en droit national bien que celle-ci ne soit pas décisive, la nature même de l'infraction, et la nature et le degré de sévérité de la sanction qui peut être prononcée (Cour eur. D.H., arrêt Pierre-Bloch c. France du 21 octobre 1997, § 53; arrêt Malige c. France du 23 septembre 1998, § 35).

Il résulte de l'article 25 de la loi du 22 avril 2003 que les infractions litigieuses à l'origine des amendes infligées à Lendit par la CBFA et de la mesure de publicité qu'elle a ordonnée, sont qualifiées en droit national d'infractions pénales. Elles ne sont d'ailleurs pas soustraites à la loi pénale.

Il ne s'agit pas de “délits mineurs”, mais bien d'actes graves qui, s'ils sont établis, sont de nature à révéler l'indignité de leur auteur et à nuire à sa réputation.

Les amendes administratives que la CBFA peut infliger n'ont pas le caractère de mesures purement administratives. Elles revêtent un caractère punitif et dissuasif et présentent bien, vu leur degré de sévérité (montant maximal de € 2.500.000), le caractère d'une sanction pénale.

La mesure de publication de la décision revêt également ce caractère bien que l'on puisse considérer que la publication de ce type de décisions soit de nature à renforcer la confiance du public dans l'efficacité des mécanismes de contrôle des opérations sur titres. Il s'agit en effet d'une mesure complémentaire à la sanction principale de l'amende, qui intervient dans le cadre et à l'issue d'une procédure ayant pour origine une accusation en matière pénale. Quant au degré de gravité, la cour relève que la publication de la décision infligeant une amende pour violation des règles assurant la protection du public dans le domaine des OPA, peut entraîner pour l'intéressé des conséquences graves et irréversibles, notamment dans ses activités professionnelles.

Les accusations en cause relèvent donc du domaine pénal.

34. La présomption d'innocence et l'exigence d'impartialité sont méconnues lorsqu'une décision concernant un intéressé reflète le sentiment qu'il a commis l'acte incriminé, alors qu'aucune instruction n'a encore été menée et que sa culpabilité n'a pas encore été établie (M. Cornil, Observations sous Cass. 6 juin 1962, J.T. 1963, p. 314; Cour. eur. D.H., arrêt du 11 février 2003, Y C. Norvège et du 25 mars 1983, Minelli c. Suisse).

Comme Lendit l'indique, il est établi que lors de sa réunion du 2 février 2004, soit bien avant l'adoption de la décision attaquée, le Comité de direction de la CBFA avait déjà adopté une position définitive à l'égard de Lendit quant à la matérialité des faits reprochés. Il a été acté, dans le P.V. de cette réunion, que le Comité “constate qu'il y a non seulement violation des dispositions réglementaires régissant la publication de toute information relative à l'OPA, mais également falsification du prospectus”. Le fait que le Comité a constaté l'existence d'infractions a été confirmé par le président de la CBFA dans sa lettre du 12 février 2004 au secrétaire général de la CBFA chargé de l'instruction, en sa qualité d'auditeur.

Cet aspect de la procédure suivie suffit à indiquer que le Comité de direction, dont il n'est pas allégué que sa composition aurait varié entre l'acte de saisine et la décision attaquée, ne présentait pas, lors de la réunion du 17 septembre 2004, l'impartialité requise par l'article 6 § 1er de la Convention (CEDH, arrêt Kingsley c. Royaume Uni du 7 novembre 2000, § 49-50). La manière dont la décision de lancer une instruction a été rédigée crée en tout cas une apparence de partialité qui peut susciter chez Lendit un doute légitime quant à l'aptitude qu'avait le Comité de direction à aborder la cause en toute impartialité.

Contrairement à ce que soutient la CBFA, le Comité de direction de la CBFA ne s'est pas limité à constater l'existence d'indices d'infractions.

Par ailleurs, la cour ne souscrit pas à la thèse de la CBFA selon laquelle la qualification au regard du droit de la décision que le Comité de direction peut prendre en vertu de l'article 70 § 1er de la loi du 2 août 2002 de charger le secrétaire général d'une instruction, - à savoir “un acte qui, par sa nature, n'implique aucune décision du Comité de direction quant à la matérialité de l'infraction” (conclusions, p. 28) -, permettrait de considérer comme déraisonnable tout soupçon de partialité dans le chef du Comité de direction dans la présente affaire.

C'est en effet au regard des circonstances concrètes de la cause qu'il y a lieu dans chaque cas d'apprécier le caractère équitable d'un procès. Il convient donc de déterminer la portée de la décision du 2 février 2004 en prenant en considération la manière dont elle a été rédigée, en particulier le fait que le Comité de direction n'a nullement attendu le résultat de l'instruction pour conclure à l'existence des faits reprochés.

Ni le fait que l'auditeur se soit exprimé dans sa lettre du 21 avril 2004 à Lendit avec plus de prudence en parlant d'indices d'infractions et de faits susceptibles d'entraîner des amendes “s'ils sont avérés” ni la circonstance que le Comité de direction de la CBFA ait pris sa décision finale après qu'une instruction ait été menée par l'auditeur, ne modifient l'analyse.

En effet, l'exigence d'impartialité doit exister avant tout dans le chef de l'organe décisionnel, qui ne peut exprimer sa conviction ou son sentiment sur la réalité des faits faisant l'objet des poursuites, sur leur gravité ou sur la culpabilité de l'intéressé que dans la décision finale.

La présence de la majorité des membres étant indispensable à la prise de décision par le Comité de direction qui doit être en nombre pour délibérer tant pour lancer une instruction que pour statuer, cette exigence doit être scrupuleusement respectée.

35. S'agissant de l'exigence d'impartialité dans le chef du Comité de direction, il convient encore de relever que dans la présente affaire, l'appréciation par le Comité de direction de la CBFA des éléments de l'affaire et des moyens et arguments invoqués par Lendit pour contester l'existence d'infractions ou pour prouver sa bonne foi, amenait nécessairement le Comité de direction de la CBFA à devoir examiner s'il avait lui-même commis des erreurs ou adopté des comportements qui pouvaient dissiper les doutes quant à l'existence d'infractions ou à leur gravité.

En effet, il ressort clairement des différents courriers que Lendit a adressés aux services de la CBFA que Lendit considérait que celle-ci avait une responsabilité dans les faits qui lui étaient reprochés.

Lendit a fait valoir en substance que la sécurité juridique à laquelle elle pouvait légitimement s'attendre avait été mise en péril par la prise en considération des avis des émetteurs remis tardivement, l'adoption d'une décision d'approbation du prospectus “sous réserve”, suivie d'un échange de courriels avec les services de la CBFA portant sur le contenu même du prospectus, échange de courriels qui a pris place avant la notification de la décision elle-même.

Elle a fait valoir qu'elle avait légitimement pu avoir la croyance que le Comité de direction de la CBFA avait habilité ses services “à régler les problèmes de dernière minute”.

En ce qui concerne la publication d'un placard non approuvé par la CBFA, Lendit a souligné le fait que la lettre de notification de la décision d'approuver le prospectus qui lui est parvenue la veille du lancement de l'OPA après la fermeture des bureaux, au moment où le placard d'ouverture avait déjà été transmis à la presse financière, était la première lui rappelant les exigences en la matière, en invoquant le fait que la CBFA n'avait jamais exigé la communication préalable de l'avis en matière de certificats immobiliers.

Dans sa lettre du 6 juillet 2004, Lendit arrivait à la conclusion que “si des erreurs apparaissent (…), elles ont été commises des deux côtés”.

Dès lors que le Comité de direction était amené, pour examiner l'affaire, à statuer sur des erreurs que Lendit lui imputait, les doutes que Lendit pouvait avoir quant à l'impartialité de la CBFA sont objectivement justifiés (CEDH, arrêt San Leonard Band Club c. Malte du 29 juillet 2004, rendu à l'unanimité).

36. En outre, si la CBFA observe à juste titre que le législateur a veillé à distinguer entre la phase d'instruction, confiée au Secrétaire général de la CBFA qui porte pour cette occasion le titre d'auditeur, et la phase de jugement, force est de constater qu'en l'espèce, le secrétaire général était présent lors de la réunion du comité de direction du 2 février 2004 au moment où celui-ci a “constaté” les faits.

Il ne s'est retiré que pour laisser les membres délibérer sur l'opportunité de le charger d'une instruction. L'auditeur connaissait donc la position adoptée par le Comité lors de cette réunion. Il importe dès lors peu pour apprécier l'impartialité avec laquelle l'instruction a été menée, contestée par Lendit, que le P.V. du comité de direction du 2 février 2004 qui n'a pas été communiqué à Lendit pour préparer sa défense, n'ait pas fait partie des pièces qui ont été communiquées à l'auditeur au moment de sa saisine par courrier du 12 février 2004.

37. Il y donc lieu d'annuler la décision attaquée pour non respect de l'article 6 de la Convention et de procéder à un nouvel examen de la cause.

- Sur l'existence d'infractions
a) Sur l'infraction consistant à avoir publié un prospectus différent de celui qui a été approuvé

38. La CBFA souligne à juste titre que la diffusion dans le public d'un prospectus différent de celui qui a été approuvé est, en soi, quelle que soit l'importance des modifications apportées par l'offrant au texte, un manquement particulièrement grave à la réglementation sur les OPA qui ne peut être toléré, dès lors qu'il est susceptible d'ébranler la confiance des investisseurs tant dans la qualité de l'information diffusée que dans les mécanismes de contrôle de celle-ci.

Toutefois, l'importance que le législateur attache aux mécanismes de contrôle de l'information destinée au public dans le cadre d'OPA se manifeste aussi par la mise en place d'une procédure de contrôle de l'information contenue dans le prospectus d'OPA qui doit se clôturer par une décision libellée de façon à écarter, dans le chef de l'offrant, tout risque d'incertitude quant à l'existence d'une position définitive de la CBFA et quant à la portée de celle-ci.

39. Comme l'indique la CBFA, Lendit ne conteste pas avoir rendu public un prospectus différent de celui sur lequel le Comité de direction de la CBFA s'est prononcé lors de sa réunion du 19 janvier 2004.

Ceci ne signifie toutefois pas que Lendit reconnaît avoir commis une infraction consistant à avoir rendu public un prospectus non approuvé ni qu'il y aurait lieu de considérer la matérialité de l'infraction comme établie.

40. La CBFA prend apparemment, comme point de départ de son analyse en ce qui concerne les faits qu'elle impute à Lendit, l'existence d'une décision d'approbation du prospectus qui serait intervenue le 19 janvier 2004 et qui aurait été portée immédiatement à la connaissance de Lendit, et elle en déduit, sur le plan du droit, que si Lendit désirait modifier son prospectus après approbation de celui-ci par le Comité de direction de la CBFA du 19 janvier 2004, il lui appartenait d'introduire soit une nouvelle demande d'approbation du prospectus, soit une demande de publication d'un complément de prospectus.

Or, en l'espèce, la situation telle qu'elle résulte des faits et de leur chronologie est beaucoup plus complexe que celle qui eut pu exister si le Comité de direction avait effectivement approuvé purement et simplement le prospectus et porté cette décision à la connaissance de Lendit.

Premièrement, le Comité de direction de la CBFA n'a pas adopté, lors de sa réunion du 19 janvier 2004, une décision à laquelle l'offrant pouvait s'attendre eu égard à l'article 20 de la loi du 22 avril 2003 qui décrit les compétences de la CBFA, à savoir soit une décision d'approuver le prospectus, soit une décision de refus d'approuver le prospectus.

Le Comité de direction a en effet statué sur la demande d'approbation du prospectus en adoptant une décision non prévue par cette disposition légale, consistant à approuver le prospectus “sous réserve que” (P.V. de la réunion du 19 janvier 2004), ou “à condition que” (lettre de notification par télécopie du 20 janvier 2004, 18 h 06) soit inséré l'avertissement relatif à la situation de “combinaison d'intérêts” dans laquelle se trouvait (ou se serait trouvée) Lendit.

Deuxièmement, ladite décision conditionnelle du Comité de direction de la CBFA n'avait pas été portée à la connaissance de Lendit au moment où celle-ci, informée seulement par les services de la CBFA d'une exigence relative à l'insertion d'un avertissement en page de couverture du prospectus (courriel du 20 janvier 2004 à 14 h 16), a transmis “comme demandé”, la version du prospectus contenant non seulement l'avertissement demandé mais aussi le passage incriminé.

41. La CBFA ne s'explique pas sur la raison qui la conduit à considérer, sur le plan du droit, qu'une décision d'approbation du prospectus sous condition ou assortie de la charge d'en modifier le contenu, doit nécessairement être considérée par l'offrant comme la décision finale sur la demande d'approbation, plutôt que comme un acte préparatoire par rapport à la décision pure et simple d'approbation du prospectus ou de refus d'approbation.

Or, cette question doit être examinée au préalable, indépendamment de toute considération liée à l'urgence qui caractérisait la situation dans laquelle se trouvaient tant la CBFA que Lendit dans la présente affaire et de toute considération liée à la bonne ou à la mauvaise foi de Lendit.

En effet, dans l'hypothèse où une décision d'approbation du prospectus assortie de conditions doit nécessairement être considérée comme une décision mettant fin à la procédure d'examen du dossier et du projet de prospectus, il faudrait considérer aussi qu'une telle décision fait obstacle à tout nouvel examen du projet de prospectus et que la publication d'un prospectus différent de celui approuvé sous condition est une infraction.

La cour ne souscrit pas à la thèse défendue par la CBFA fondée sur la prémisse qu'un acte (en l'espèce, un e-mail) par lequel l'offrant est informé que le Comité de direction de la CBFA marque son accord sur le projet de prospectus tout en exigeant que des modifications y soient apportées, doit être considérée par l'offrant comme le reflet de la position finale de la CBFA sur la demande d'approbation du prospectus.

Dans le cadre de sa mission, qui est de contrôler si le prospectus contient les informations nécessaires pour que les détenteurs des titres concernés puissent rendre une décision sur l'offre en toute connaissance de cause, la CBFA est tenue, en application de l'article 20 de la loi du 22 avril 2003, de prendre une décision pure et simple d'approbation ou une décision pure et simple de refus d'approbation du prospectus, la demande d'approbation étant réputée rejetée en l'absence de décision.

L'énumération des décisions que le Comité de direction peut adopter à l'issue de l'examen d'une demande d'approbation d'un prospectus d'OPA conformément à cette disposition a un caractère exhaustif. Elle ne comprend pas la pratique de “ruling” consacrée par l'article 63 de la loi du 2 août 2002 qui permet à la CBFA, dans certains cas, de donner un accord préalable en l'assortissant de conditions. La sécurité juridique commande cette solution.

Une décision par laquelle la CBFA informe l'offrant qu'elle lui impose de modifier le prospectus pour qu'il puisse être approuvé peut en outre aussi bien être interprétée comme une décision de refus d'approuver le projet de prospectus motivée par la considération que certaines conditions ne sont pas réunies.

Enfin, il n'est pas raisonnable de soutenir, comme le fait la CBFA dans la présente affaire, que l'offrant qui est informé que la CBFA exige qu'il modifie les énonciations du prospectus ait pour seules alternatives:

- celle de se soumettre aux conditions posées sans pouvoir les discuter, quelle que soit la pertinence des exigences de la CBFA par rapport à l'appréciation du caractère complet et adéquat de l'information reprise dans le prospectus;

- celle d'introduire - s'il souhaite compléter ou amender le projet de prospectus au vu des conditions que la CBFA aurait formulées -, une nouvelle demande d'approbation faisant courir une nouvelle fois les délais prévus à l'article 20 de la loi;

- celle de renoncer à lancer l'offre d'acquisition. En effet, dès lors que l'offrant (et les personnes identifiées dans la déclaration de conformité) sont seules responsables du contenu du prospectus en vertu de l'article 17 de la loi du 22 avril 2003, l'offrant doit disposer au contraire, lorsqu'il est informé que la CBFA exige qu'il modifie le projet de prospectus pour bénéficier d'une décision d'approbation de celui-ci, de la possibilité de soumettre une nouvelle version du prospectus à un examen par la CBFA (sur la responsabilité pour le prospectus, voy. A. Bruyneel, “Les prospectus financiers: quelques réflexions”, in Mélanges John Kirkpatrick, Bruylant 2004, p. 118);

Il suit des considérations qui précèdent que la CBFA qui a demandé à Lendit, avant même de porter à sa connaissance la décision dont elle invoque le non-respect, de lui communiquer une nouvelle version du prospectus, ne pouvait pas présumer que la version qui lui serait communiquée ne comporterait pas d'autres modifications que celle demandée.

À cet égard, la cour observe qu'il résulte d'une note du 10 juin 2004 du rapporteur désigné par l'auditeur parmi les membres du personnel de la CBFA, que celui-ci considérait que rien ne permettait d'exclure a priori que la CBFA examine une nouvelle fois la demande d'approbation après la réunion du 19 janvier 2004. Le rapporteur a en effet demandé au président de la CBFA de bien vouloir préciser “si le Comité de direction a été amené à réexaminer ledit dossier au cours d'une réunion postérieure à celle du 19 janvier 2004 mais antérieure au 21 janvier 2004”.

Il y a donc lieu de constater, au regard des seules dispositions légales et quelle que soit la pratique, que Lendit pouvait - après avoir été informée que la CBFA exigeait qu'elle modifie son prospectus -, s'attendre à ce que la nouvelle version du prospectus soit examinée par la CBFA aux fins d'une décision finale dès lors que rien ne permet de considérer que Lendit avait marqué son accord sur l'ajout demandé. La mention “comme demandé” est en effet susceptible de plusieurs interprétations puisqu'elle peut être interprétée en ce sens que Lendit (qui n'avait pas encore connaissance de la décision intervenue) communique, comme demandé, une nouvelle version du prospectus.

Il en est d'autant plus ainsi qu'au moment d'envoyer la version modifiée du prospectus, Lendit ne pouvait pas être certaine que le texte de l'encart spécial qu'elle avait inséré répondait bien au voeu de la CBFA, puisque ce texte lui avait été dicté par les services de la CBFA qui attiraient son attention sur le risque d'erreur possible.

42. Lendit n'a cependant pas été poursuivie pour avoir publié un prospectus d'OPA non approuvé par le Comité de direction, infraction visée par l'article 25, 5° de la loi du 22 avril 2003, mais bien - sur pied de l'article 25, 6° de cette loi - pour avoir publié un prospectus différent de celui qui a été examiné lors de la réunion du Comité de direction du 19 janvier 2004 et qui a été approuvé sous condition, sans qu'une telle décision ait été suivie d'une décision pure et simple d'approbation ou de refus d'approbation.

Il y a donc lieu d'examiner, à supposer même que la décision du 19 janvier 2004 puisse tenir lieu de décision finale sur la demande d'approbation, si Lendit ne pouvait ignorer l'existence d'une telle décision mettant fin à la demande d'approbation et devait savoir qu'aucune modification autre que celle exigée par la CBFA, ne pouvait être apportée au prospectus.

Ces conditions ne sont pas remplies.

43. La CBFA expose qu'elle accepte parfois que des modifications soient apportées à un projet de prospectus approuvé par le Comité de direction, sans soumettre à nouveau le document à ce dernier. Elle précise que lorsqu'elle agit ainsi, “cela suppose que l'approbation ait été décidée sous réserve de la finalisation du prospectus en accord avec les services de la CBFA”.

Bien que la CBFA ne fournisse pas d'explications sur ce qu'il y a lieu d'entendre par des questions relevant de la “finalisation” du prospectus, il ne peut être admis d'un point de vue de la sécurité juridique, que cette pratique dispense la CBFA d'adopter une décision finale lorsque les modifications auxquelles l'approbation est subordonnée ne concernent pas des questions mineures ou de pure forme mais portent sur des informations jugées nécessaires pour que les détenteurs des titres puissent prendre une décision sur l'offre en toute connaissance de cause.

Or, en l'espèce, la CBFA a exigé que l'attention du public soit attirée sur la situation de “combinaison d'intérêts” dans laquelle se trouvait l'offrant, information qui revêtait, aux yeux de la CBFA, une importance considérable du point de vue de l'information du public sur la situation de celui qui réalise l'opération puisqu'elle devait figurer en page de couverture du prospectus, dans un encart spécial.

Il ne s'agit donc pas d'une question mineure pouvant relever de la “finalisation” du prospectus mais bien d'une information essentielle ou jugée telle par le Comité de la CBFA, ce qui laissait à Lendit la possibilité de présumer que la nouvelle version du prospectus contenant cette information serait examinée soigneusement.

La forme sous laquelle la CBFA a estimé devoir veiller à l'information du public sur la situation de l'offrant est sans incidence sur ce point. Il ne saurait en particulier être tenu compte du fait que du voeu de la CBFA, l'attention du public sur la “situation de combinaison d'intérêt dans laquelle se trouve l'offrant” ayant une incidence sur le niveau du prix offert, devait être attirée par l'insertion dans le prospectus d'un avertissement émanant de la CBFA elle-même. En effet, en application de l'article 16 de la loi, aucune mention de l'intervention de la CBFA ne peut être faite dans le prospectus sauf l'indication visée à l'alinéa 1er de cette disposition, qui est obligatoire, selon laquelle l'approbation de la CBFA ne comporte précisément aucune appréciation notamment “de la situation de celui qui réalise l'opération”. D'autre part, la CBFA a, tout au plus, le pouvoir de faire en sorte que le public reçoive de l'offrant, à propos du prix qui lui est offert, une information adéquate (A. Bruyneel, “Les prospectus financiers”, o.c.; X. Dieux, “Examen de jurisprudence, droit financier”, R.C.J.B. 2004, p. 249).

44. Force est de constater que l'existence même d'une pratique selon laquelle la CBFA considère elle-même qu'une “approbation conditionnelle”, - qui peut aussi bien se lire comme un “refus d'approuver” le prospectus dans sa version soumise au Comité de direction -, doit être considérée par l'offrant comme le reflet de sa position finale au regard de l'article 20 de la loi, suivie dans certains cas et selon des critères non définis d'une autre pratique qui consiste à laisser à l'offrant le soin de finaliser le prospectus en accord avec les services de la CBFA, sans nouvelle décision du Comité de direction, est de nature à créer une insécurité très grande. Cela a pour conséquence que la seule constatation qu'il existe une différence entre le prospectus diffusé et le prospectus approuvé sous condition, ne peut fonder la constatation que l'infraction visée à l'article 25, 6° de la loi du 22 avril 2003 a été commise.

Eu égard à l'insécurité juridique que ces pratiques sont susceptibles de créer, la circonstance que l'offrant ne prend pas contact avec la CBFA pour dissiper les doutes qu'il a ou ceux qui auraient pu naître dans son chef sur la version du prospectus qu'il est autorisé à rendre publique, ne saurait suffire à établir l'infraction consistant à publier un prospectus différent de celui qui a été approuvé sous condition.

Pour qu'il y ait infraction, il faut en outre qu'il soit établi que l'offrant qui a rendu public un prospectus différent de celui qui a été approuvé sous condition par la CBFA n'ait pu avoir le moindre doute sur la version approuvée ou n'ait pu en aucun cas croire que la version rendue publique était la version approuvée.

La cour doit donc avoir égard à toutes les circonstances concrètes de l'affaire.

45. Il ressort clairement du dossier et des conclusions des parties que les écrits entre la CBFA et Lendit (télécopies, courriels et lettres) ne reflètent qu'imparfaitement les échanges entre la CBFA et l'offrant.

Ainsi, selon le rapport présenté au Comité de direction de la CBFA le 2 février 2004, la CBFA aurait interdit à Lendit de faire le moindre commentaire sur ces avis dans le prospectus, mais il n'est produit aucune pièce sur ce point.

Comme la CBFA le note, ces questions sont étrangères au débat. Cependant, s'agissant de vérifier la matérialité d'une infraction, la cour ne peut faire abstraction du contexte général dans lequel les faits incriminés ont pris place dans la mesure où le caractère non écrit des échanges laisse aussi, inévitablement, une place au doute qui doit profiter à Lendit.

46. En l'espèce, l'insécurité a encore été renforcée par le fait que la décision du 19 janvier 2004 n'a pas été portée immédiatement à la connaissance de Lendit, malgré l'urgence, mais l'a été à un moment où Lendit n'avait plus le temps de respecter l'instruction contenue dans la circulaire D2/F/2003/1 qui veut que la personne responsable du prospectus transmette un exemplaire du prospectus après son approbation et avant le lancement de l'opération.

Contrairement à ce que la CBFA prétend, les pièces du dossier ne permettent pas de constater qu'au moment de l'envoi de la version litigieuse du prospectus, Lendit “savait parfaitement que son prospectus avait été approuvé la veille par l'organe compétent de l'autorité”. La CBFA ne fait d'ailleurs pas état du fait qu'une décision d'approbation du prospectus aurait été portée à la connaissance de Lendit de manière officieuse.

Ce n'est que la veille du lancement de l'OPA, en soirée, qu'une lettre a été adressée à Lendit l'informant que le Comité de direction avait, en sa séance du 19 janvier 2004, “approuvé le prospectus qui sera mis à la disposition du public à l'occasion de cette opération à condition que soit inséré (…)”.

Dans l'intervalle, Lendit avait pour seule information qu'il lui incombait de modifier le prospectus en insérant, sur la page de couverture, dans un encart spécial sous le texte relatif à l'approbation de la CBFA, un texte qui lui avait été “soumis” par les services de la Commission, communication qui était assortie de réserves quant au risque d'erreur. Le courriel du 20 janvier, envoyé à 14 h 16, ne fait même pas état de l'existence d'une décision d'approbation.

Il est exact qu'une lecture attentive de la lettre de notification de la décision du 19 janvier 2004, qui se réfère uniquement - et par erreur - à la version du prospectus transmise par lettre du 9 janvier alors que le Comité avait examiné celle transmise le 12 janvier, permettait à Lendit de constater d'une part que le Comité de direction n'avait pas pu examiner, à cette date, la version du prospectus publiée, qui correspondait à celle envoyée aux services de la Commission à leur demande le 20 janvier 2004 à 15 h 55, soit le lendemain de la date de la décision portée à sa connaissance, et d'autre part qu'elle bénéficiait d'une approbation conditionnelle.

Cependant, jusqu'au moment où elle a pris connaissance de ce courrier, Lendit pouvait raisonnablement imaginer que la nouvelle version qu'elle avait envoyée avait été examinée immédiatement vu l'urgence reconnue par les services de la CBFA et que faute de réactions, cette version n'avait pas soulevé d'objections.

En effet, comme indiqué plus haut, rien ne permettait à Lendit de supposer qu'une décision finale d'approbation avait été prise le 19 janvier 2004 de sorte qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir saisi la CBFA d'une nouvelle demande d'approbation du prospectus au moment où elle communiquait la version modifiée de celui-ci.

Si Lendit pouvait nourrir un doute sur la version approuvée, ce n'est donc qu'en prenant connaissance de la lettre de notification, ce qui n'a pu avoir lieu au plus tôt que la veille du lancement de l'OPA, dans la soirée.

Toutefois, le fait que la CBFA n'avait pas porté la décision à sa connaissance le jour même où elle a été prise, mais avait au contraire attendu le dernier moment pour lui adresser par télécopie la lettre de notification, pouvait également être interprété par Lendit comme l'indication que la nouvelle version contenant le texte de l'avertissement exigé par la CBFA et le passage litigieux n'avaient pas soulevé d'objections de la part des services de la CBFA chargés, dans la pratique, de surveiller la “finalisation” du prospectus.

47. Enfin, il n'est pas sans intérêt de relever que le texte de l'avertissement relatif à la “combinaison d'intérêts” qui a été dicté par les services de la Commission et celui qui figure dans la lettre de notification du 20 janvier, diffèrent de celui qui est repris dans le P.V. du Comité de direction du 19 janvier dont Lendit n'a pas eu connaissance avant le lancement de l'opération.

Ce dernier document ne comprend en effet aucune indication relative à l'incidence des procédures lancées par Lendit sur le niveau du prix offert par Lendit, alors qu'il ne s'agit pas d'une précision mineure, ce qui démontre comme Lendit l'indique, que les services de la Commission s'étaient bien vu confier à l'occasion de l'opération en cause, une tâche qui excédait celle consistant à vérifier, après la décision du Comité de direction et avant le lancement de l'opération, que le contenu du prospectus était conforme aux exigences de la CBFA.

48. La CBFA dénonce dans le chef de Lendit, un comportement contraire à la bonne foi à laquelle l'autorité de contrôle est en droit de s'attendre.

Elle estime qu'en communiquant, sous la seule mention “comme demandé”, une nouvelle version du prospectus contenant le texte de l'encart spécial dont la CBFA avait demandé l'ajout sur la page de couverture du prospectus sans attirer l'attention de la CBFA sur les autres modifications qu'elle avait apportées au document (supra, point 11), Lendit était de mauvaise foi et a dissimulé sciemment le fait que le prospectus qu'elle entendait diffuser n'était pas conforme au texte approuvé.

La cour n'a pas à se prononcer sur l'élément moral de Lendit dès lors que la matérialité de l'infraction n'est elle-même pas établie.

49. Il résulte de ce qui précède qu'eu égard aux circonstances propres à la cause, l'infraction incriminée n'est pas établie à suffisance de droit.

b) Sur l'infraction consistant à avoir publié une annonce non soumise à la CBFA

50. À la différence de ce qui était prévu à l'article 29ter de l'arrêté royal n° 185 du 9 juillet 1935 qui prévoyait que “les avis, annonces, affiches, placards et autres documents annonçant l'opération ne peuvent être publiés qu'après avoir été approuvés par la Commission bancaire et financière”, l'article 18 § 4 de la loi du 22 avril 2003 oblige seulement l'offrant à soumettre ce type de document à la CBFA avant la publication.

L'approbation préalable de la CBFA n'est donc plus requise avant la publication, à l'initiative de l'offrant, de tout document se rapportant à l'opération ou l'annonçant ou la recommandant. La nouvelle disposition ne prévoit d'ailleurs pas de délai pour l'examen de ces documents.

L'objectif de la nouvelle disposition est de permettre à la CBFA de vérifier que ces documents ne contiennent pas d'informations de nature à induire en erreur. Elle sert également à vérifier si tous les renseignements qui sont présentés dans ces documents et qui revêtent de l'importance pour l'appréciation de l'opération envisagée figurent également dans le prospectus à approuver ou déjà approuvé, et si ces renseignements ne sont pas différents des informations contenues dans le prospectus à approuver ou déjà approuvé, ni contraires auxdites informations du prospectus (Chambre, Doc. 50 2148/001).

Dès lors, la seule question qui se pose est de savoir si Lendit a communiqué à la CBFA l'annonce, publiée à son initiative dans la presse du 21 janvier 2004 et dont le texte est reproduit plus haut (point 13), avant sa publication.

Il n'y pas donc pas lieu d'entrer dans le débat sur la question de savoir si l'annonce a fait l'objet d'une “approbation”, le cas échéant implicite du fait de l'approbation du prospectus.

51. L'annonce répond à la notion d' “avis” ou de “publicité” au sens de l'article 18 § 4 de la loi du 22 avril 2003.

Elle ne correspond en revanche pas à l'avis visé à l'article 13 de la loi dont le seul objet est d'informer le public de l'existence de l'opération et d'attirer son attention sur l'information disponible dans le prospectus. L'annonce litigieuse ne se borne pas à annoncer l'opération et à renvoyer au contenu du prospectus mais contient d'autres informations qui ont pour objet de recommander l'opération.

L'annonce n'a pas été communiquée à la CBFA.

Les conditions légales de l'amende administrative sont donc remplies.

52. Lendit n'était nullement dans l'impossibilité de respecter cette obligation.

Elle ne peut se prévaloir de la circonstance que la CBFA aurait tardé à rappeler l'existence de l'obligation légale qui pesait sur elle, pour plaider son innocence ou l'existence d'une circonstance atténuante. Ladite obligation découle directement de la loi que Lendit ne peut ignorer, d'autant plus qu'elle lance régulièrement des OPA.

De même, elle ne saurait se prévaloir d'une pratique constante de la CBFA de ne pas veiller à ce que cette obligation soit respectée, en se fondant notamment sur un courrier daté du 16 novembre 1965 à une époque où l'obligation de soumettre les annonces à la CBFA pour approbation n'existait pas.

Par ailleurs, le fait que l'annonce ne ferait que reprendre des énonciations du prospectus n'a aucune incidence sur l'appréciation de l'existence de l'infraction, dès lors que l'obligation de soumission du prospectus à la CBFA a pour objectif de mettre la CBFA en mesure de vérifier la conformité de l'annonce avec les mentions du prospectus.

53. L'exercice par la cour de son pouvoir de pleine juridiction implique que la cour, le cas échéant après annulation de la décision attaquée, apprécie le montant de l'amende en fonction de tout ce qui relève de l'appréciation de la CBFA en matière d'amendes administratives en respectant le principe de proportionnalité qui s'impose à cette autorité (Cour d'arbitrage, arrêt n° 22/1999 du 24 février 1999 et arrêt n° 96/2002 du 12 juin 2002; Cass., arrêt n° JC02102 du 24 janvier 2002; Cass., arrêt S.04.0096.F/1 du 17 janvier 2005). La cour peut donc également apprécier l'opportunité d'infliger la sanction et accorder une remise complète ou partielle de celle-ci (Cour eur. D.H. 4 mars 2004, Silverster's Horeca Service c.Belgique).

À cet égard, compte tenu du fait que le premier manquement incriminé n'est pas établi, il ne peut être tenu compte du fait que l'annonce reprendrait (en partie) un passage du prospectus qui n'a pas été approuvé par la CBFA.

En revanche, le manquement présente un degré de gravité suffisant pour fixer l'amende à un montant dissuasif.

En effet, l'annonce ne fait pas état du fait que les procédures en cours ont été lancées par Lendit, de sorte que les détenteurs de titres qui n'auraient pas pris la peine de prendre connaissance du prospectus, ne pouvaient pas découvrir à la lecture de l'annonce qu'il existait un lien entre “les procédures citées par les émetteurs” et l'offrant. Cette omission a certainement été délibérée dans le chef de Lendit vu l'importance que l'autorité de contrôle avait attachée à ce que le public soit informé de ce que les retards de paiement des coupons de liquidation trouvaient leur cause dans des procédures lancées par l'offrant.

C'est donc à tort que Lendit minimise la gravité du fait en renvoyant aux énonciations du prospectus sur ce point. S'il est exact que le prospectus contient aussi des énonciations relatives aux mobiles de l'offrant, non critiquées par la CBFA, comme celle suivant laquelle “l'objectif de la présente offre est de permettre aux porteurs (…) de réaliser leur investissement dès maintenant, sans attendre la liquidation finale des certificats”, qui figurait dans la version du 12 janvier, et qui a été remplacée par le passage incriminé, le prospectus fait également clairement état des procédures lancées par Lendit.

Il n'existe pas de motifs d'opportunité ou d'équité permettant d'exonérer Lendit de la sanction.

Par ces motifs,

La cour,

Statuant contradictoirement,

Vu l'article 24 de la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire;

Reçoit l'appel,

Le dit fondé dans la mesure ci-après:

Met la décision attaquée à néant.

Statuant à nouveau:

Dit qu'il n'est pas établi à suffisance de droit que Lendit a commis un manquement consistant à rendre public un prospectus différent de celui qui a été approuvé;

Dit que Lendit s'est rendue coupable d'avoir publié une annonce se rapportant à l'opération sans l'avoir soumise préalablement à la CBFA;

Condamne Lendit au paiement d'une amende de € 30.000 à verser au profit du Trésor;

Met les dépens d'appel à charge de Lendit pour moitié; délaisse l'autre moitié à la CBFA; liquide les dépens à € 186 + € 58,26 + € 475,96 en ce qui concerne Lendit et à € 475,96 en ce qui concerne la CBFA.

(...)