Article

Cour de cassation, 19/05/2005, R.D.C.-T.B.H., 2006/7, p. 748-751

Cour de cassation 19 mai 2005

ASSURANCE
Contrat d'assurance - Conditions de validité - Cause illicite - Incendie - Sinistre volontaire - Charge de la preuve
1. Justifie légalement sa décision que l'objet du contrat d'assurance n'est pas illicite, l'arrêt qui considère, sur la base d'une appréciation qui gît en fait, que le contrat d'assurance, dont l'objet est de couvrir le risque d'incendie d'un bungalow pour lequel aucun permis de bâtir ou d'urbanisme n'avait été délivré, n'a pas eu pour effet de créer ou de maintenir une situation illégale.
2. Par application de l'article 1315 alinéa 2 du Code civil, il incombe à l'assureur, qui prétend être déchargé de la garantie, de prouver que l'assuré a commis un fait intentionnel qui le prive du bénéfice de l'assurance.
VERZEKERING
Verzekeringsovereenkomst - Geldigheidsvereisten - Ongeoorloofde voorwerp - Brand - Opzettelijk schadegeval - Bewijslast
1. Het arrest dat, op grond van een feitelijke beoordeling, beslist dat de door partijen gesloten brandverzekeringsovereenkomst voor een bungalow waarvoor geen enkele bouw- of stedenbouwkundige vergunning was uitgereikt er niet toe heeft geleid een onwettige toestand te scheppen of te handhaven, verantwoordt naar recht zijn beslissing dat het voorwerp van de verzekeringsovereenkomst niet ongeoorloofd is.
2. Met toepassing van artikel 1315 lid 2 B.W. moet de verzekeraar die beweert van dekking bevrijd te zijn bewijzen dat de verzekerde een opzettelijke daad heeft begaan waardoor hij het voordeel van de verzekering verloren heeft.

Generali Belgium SA / R.A. e.a.

Siég.: C. Parmentier (président), Ch. Storck, D. Plas, D. Batselé et Ph. Gosseries (conseillers)
M.P.: Th. Werquin (avocat général)
Pl.: Mes Fr. T'Kint et C. Draps
I. La décision attaquée

Le pourvoi en cassation est dirigé contre l'arrêt rendu le 9 octobre 2002 par la cour d'appel de Liège.

(...)

III. Les moyens de cassation

La demanderesse présente quatre moyens libellés dans les termes suivants:

(...)

2. Deuxième moyen
Dispositions légales violées

- articles 6, 1101, 1108, 1126, 1128, 1129, 1131, 1133 et 1134 alinéa 1er du Code civil;

- articles 1er, 37 et 60 alinéa 2 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre;

- article 84 § 1er du Code wallon de l'aménagement du territoire, de l'urbanisme et du patrimoine.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué, qui confirme partiellement le jugement entrepris et l'émende pour le surplus, dit pour droit que le contrat d'assurance n'est pas nul pour contrariété à l'ordre public et, en conséquence, après avoir fixé l'indemnité d'assurance revenant aux défendeurs à 71.730,07 euro, condamne la demanderesse à leur payer immédiatement un montant de 53.579,51 euro à titre provisionnel augmenté des intérêts depuis le 24 octobre 1998, outre les frais et les dépens des deux instances, aux motifs que, après avoir admis “qu'il n'est pas contesté qu'aucun permis de bâtir ou d'urbanisme n'a jamais été délivré relativement au bungalow (des défendeurs) détruit par le feu”, “l'objet du contrat d'assurance est la couverture d'un risque déterminé moyennant un prix, et non pas le bâtiment assuré; que cet objet doit être licite; que le seul fait que l'immeuble assuré ait été construit sans permis de bâtir ne suffit pas à établir que le contrat crée ou maintient une situation illégale; que la Cour de cassation, par son arrêt prononcé le 8 avril 1999, a implicitement décidé que couvrir un immeuble construit sans permis de bâtir ne créait pas une situation illégale; que le contrat d'assurance n'a aucun effet sur le statut de l'immeuble; qu'il n'enlève pas au pouvoir public le droit de demander la démolition de l'immeuble et ne donne pas au particulier le droit de reconstruire au même endroit en cas de sinistre.”.

Griefs

Aux termes de l'article 1108 du Code civil, quatre conditions sont essentielles à la validité d'une convention, à savoir le consentement de la partie qui s'oblige, sa capacité à contracter, un objet certain qui forme la matière de l'engagement et une cause licite de l'obligation.

En vertu de l'article 1134 du Code civil, il est loisible aux parties de donner aux contrats qu'elles forment n'importe quel objet, pourvu qu'il ne soit pas illicite, c'est-à-dire qu'il ne soit contraire ni à l'ordre public ni aux bonnes moeurs.

Et le contrat sera nul par application des articles 6 et 1108 du Code civil si, quoique la cause de l'obligation, c'est-à-dire son mobile déterminant, soit valable, l'objet du contrat est illicite.

S'il est exact que l'objet du contrat d'assurance-incendie n'est pas la chose assurée, l'immeuble garanti, mais la couverture contre l'incendie de cet immeuble accordée en vertu de l'engagement pris par l'assureur, il reste que si, comme le soutenait la demanderesse, cette couverture crée ou maintient - ou est susceptible de le faire - une situation illégale, alors, le contrat d'assurance doit être déclaré nul.

Il résulte de la combinaison des articles 1er, 37 et 60 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre que l'assurance-incendie a pour objet la protection et la conservation des biens assurés eux-mêmes, l'indemnité, en cas de sinistre, se substituant à la chose assurée.

Dès lors que l'objet du contrat d'assurance est la couverture du risque d'incendie d'un immeuble, et que cette couverture participe à la conservation de ce bien, si l'immeuble est érigé ou maintenu en contravention à une règle d'ordre public, la couverture du risque, qui constitue l'objet du contrat d'assurance, contribue à la conservation de cet immeuble illicite, en cas de destruction partielle ou à la conservation du patrimoine de l'assuré, en cas de destruction totale, l'immeuble constituant un élément de ce patrimoine auquel l'indemnité se substituera. Dans l'un et l'autre cas, la couverture d'assurance contribue au maintien d'une situation illicite.

L'arrêt attaqué admet, à cet égard, que l'immeuble des défendeurs avait été construit et maintenu sans qu'aucune autorisation de bâtir n'ait été délivrée. Or, l'article 84 § 1er du CWATUP dispose que “nul ne peut, sans un permis d'urbanisme préalable écrit et exprès du collège des bourgmestre et échevins: 1. construire ou utiliser un terrain pour le placement d'une ou plusieurs installations fixes; par 'construire ou placer des installations fixes', on entend le fait d'ériger un bâtiment ou un ouvrage, ou de placer une installation, même en matériaux non durables, qui est incorporé au sol, ancré à celui-ci ou dont l'appui assure la stabilité, destiné à rester en place alors même qu'il peut être démonté ou déplacé”, cette disposition étant d'ordre public dès lors qu'elle touche aux intérêts essentiels de l'état, les conventions qui violent l'article 84 § 1er du CWATUP devant être frappées de nullité absolue dès lors qu'elles créent, maintiennent ou contribuent à maintenir une situation en infraction à cette disposition.

Et, lorsqu'un immeuble érigé dans des conditions contraires à une telle règle d'ordre public vient à être détruit, l'indemnité d'assurance que l'assureur est condamné à verser au propriétaire de ce bien est destinée soit à la réparation du bien construit illicitement, soit à son remplacement dans le patrimoine de l'assuré, l'indemnité étant substituée au bien lui-même, la couverture d'assurance maintenant effectivement la situation illicite, peu important que l'assuré consacre ou non l'indemnité à la reconstruction d'un immeuble identique, érigé dans les mêmes conditions.

Il s'ensuit qu'en décidant, par les motifs reproduits au moyen, que “le seul fait que l'immeuble assuré ait été construit sans permis de bâtir ne suffit pas à établir que le contrat crée ou maintient une situation illicite”, l'arrêt attaqué ne justifie pas légalement sa décision et méconnaît les dispositions visées au moyen.

3. Troisième moyen
Dispositions légales violées

- articles 1134, 1315 et 1964 du Code civil;

- article 870 du Code judiciaire;

- articles 1er et, pour autant que de besoin, 8 de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres.

Décisions et motifs critiqués

L'arrêt attaqué qui, à cet égard, accueille l'appel incident des défendeurs et, émendant à cet égard le jugement entrepris, dit l'action originaire fondée, dit pour droit que l'indemnité à laquelle les demandeurs peuvent prétendre est fixée à la somme de 71.730,07 euros et condamne la demanderesse à leur payer immédiatement un montant de 53.579,51 euros à titre provisionnel, outre les intérêts depuis le 24 octobre 1998, les frais et dépens des deux instances, aux motifs que:

“(si) le premier juge a estimé que l'article 8 de la loi sur les assurances terrestres prévoyait que le fait intentionnel est une cause d'exclusion et non de déchéance du contrat d'assurance” dès lors qu'“en effet, le fait volontaire implique la disparition de l'aléa nécessaire pour qu'existe le droit d'être assuré, en manière telle qu'il n'existe plus d'événement accidentel”, en revanche, “en ce qui concerne la charge de la preuve, on notera avec intérêt l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 7 juin 2001, rompt avec le raisonnement dichotomique qui consiste à opposer cause d'exclusion et cause de déchéance pour lui substituer les règles plus sûres s'appuyant sur l'article 1315 alinéa 2 du Code civil; en vertu de cette disposition, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de l'obligation; en conséquence, c'est à l'assureur qui prétend être déchargé de la garantie de prouver que l'assuré a commis un fait intentionnel qui le prive du bénéfice de l'assurance, et non à l'assuré de démontrer que la réalisation du risque résulte d'une autre cause que son fait intentionnel (...); ainsi les assurés ont démontré qu'ils étaient régulièrement couverts, l'existence du sinistre et le dommage qui en est résulté; l'article 8 de la loi du 25 juin 1992 (...) a pour (effet), par application de l'article 1315 alinéa 2 du Code civil, d'imposer à l'assureur la preuve du fait intentionnel”, preuve que la demanderesse ne rapporterait pas, bien que l'arrêt admette que “l'expertise établit bien l'origine criminelle de l'incendie”.

Griefs

L'article 1er de la loi du 25 juin 1992 définit le contrat d'assurance comme étant celui “en vertu duquel, moyennant le paiement d'une prime fixe ou variable, une partie, l'assureur, s'engage envers une autre partie, le preneur d'assurance, à fournir une prestation stipulée dans le contrat au cas où surviendrait un événement incertain que, selon le cas, l'assuré ou le bénéficiaire a intérêt à ne pas voir se réaliser”.

Le contrat d'assurance est, conformément à l'article 1964 du Code civil, un contrat strictement aléatoire: l'intervention de l'assureur dépend, même en cas de faute de l'assuré, de la survenance d'un événement purement casuel, le risque n'étant assurable que si et dans la mesure où l'événement envisagé, le sinistre, ne dépend pas de la volonté humaine, spécialement, mais non exclusivement, de celle de l'assuré, la prestation de l'assureur ne pouvant être appelée qu'en cas de réalisation d'un risque strictement casuel, aléatoire, accidentel.

En matière d'assurance incendie, l'assureur ne couvre pas n'importe quel type d'incendie: il n'est tenu à accorder sa garantie qu'au cas où le sinistre est le résultat d'un cas fortuit, en sorte que si l'incendie procède d'un acte criminel, intentionnel, il ne doit pas sa couverture d'assurance.

Certes, l'incendie, même s'il procède d'un acte volontaire, peut être la conséquence d'une intervention qui, pour l'assuré, est un événement casuel: c'est le cas lorsque le fait intentionnel lui est étranger, est le résultat de l'intervention d'un tiers dont il ne répond pas, dont il n'est pas le complice, qu'il n'a pas commandité, c'est-à-dire d'un véritable “tiers” dont l'acte revêt, en ce cas, le caractère d'une cause étrangère.

En matière contractuelle et spécialement dans le domaine des assurances, il résulte des articles 1315 alinéa 1er du Code civil et 870 du Code judiciaire que le demandeur à l'action doit établir que les conditions auxquelles est soumise l'obligation sont remplies: il doit, en conséquence, démontrer non seulement l'existence du sinistre mais aussi, dès lors qu'il est avéré que celui-ci résulte d'un fait volontaire, qu'il conserve néanmoins, dans son chef, un caractère purement aléatoire, casuel, en d'autres termes qu'il a été provoqué par un tiers qui lui est totalement étranger.

Ainsi, spécialement en matière d'incendie, si, dans un premier temps, il suffit à l'assuré de prouver que le sinistre survenu est celui qui était en principe prévu par le contrat d'assurance (l'incendie), dès lors qu'il est démontré que l'événement procède en réalité d'un fait volontaire, n'est pas aléatoire, casuel, il appartient à l'assuré de démontrer que ce fait, dont le caractère volontaire est avéré, lui est étranger, qu'il est le résultat de l'intervention d'un tiers qu'il n'a pas commandité, dont il n'est pas le commanditaire et dont il ne saurait répondre.

De surcroît, l'assureur, défendeur à l'action, qui soutient que l'assuré, demandeur, ne démontre pas que toutes les conditions d'ouverture de son droit sont réunies et, spécialement, que l'incendie, s'il est volontaire, reste néanmoins un événement incertain pour lui, ne devient pas demandeur sur exception et n'a pas à assumer la charge de la preuve en vertu de l'article 1315 alinéa 2 du Code civil.

Il s'ensuit que l'arrêt attaqué, qui admet que l'incendie litigieux était d'origine criminelle, mais qui, néanmoins, décide qu'il incombe à la demanderesse, assureur, de prouver, en outre, que les défendeurs sont les auteurs, coauteurs, complices ou commanditaires de cet incendie, lesdits défendeurs ayant satisfait à l'obligation de preuve qui pèse sur eux en démontrant qu'ils ont souscrit un contrat les couvrant contre l'incendie à propos de l'immeuble garanti, qu'un incendie est survenu et qu'ils ont subi un dommage, méconnaît le caractère aléatoire du contrat d'assurance (violation des art. 1964§ 1er du Code civil et, pour autant que de besoin, 8 de la loi du 25 juin 1992 sur les assurances terrestres), la force obligatoire de la convention d'assurance intervenue entre parties (violation de l'art. 1134 du Code civil) et les règles relatives à la charge de la preuve en matière civile (violation des art. 1315 du Code civil et 870 du Code judiciaire).

(...)

IV. La décision de la Cour

(...)

Sur le deuxième moyen

Attendu que l'objet d'une obligation est la prestation promise par le débiteur; que celui du contrat d'assurance est la couverture d'un risque déterminé moyennant un prix; que cet objet doit être licite;

Attendu qu'il ressort de l'arrêt que les parties ont conclu un contrat d'assurance dont l'objet est de couvrir le risque d'incendie d'un bungalow appartenant aux défendeurs et pour lequel aucun permis de bâtir ou d'urbanisme n'avait été délivré;

Attendu que l'arrêt considère que “le contrat d'assurance n'a aucun effet sur le statut de l'immeuble” et “qu'il n'enlève pas au pouvoir public le droit de demander la démolition de l'immeuble et ne donne pas au particulier le droit de reconstruire au même endroit en cas de sinistre”;

Que, sur la base d'une appréciation qui gît en fait, l'arrêt considère que le contrat d'assurance conclu par les parties n'a pas eu pour effet de créer ou de maintenir une situation illégale;

Que, par ces énonciations, l'arrêt justifie légalement sa décision que l'objet du contrat d'assurance n'est pas illicite;

Que le moyen ne peut être accueilli.

Sur le troisième moyen

Attendu que l'article 1315 du Code civil dispose, en son premier alinéa, que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver et, en son second alinéa, que, réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation; que l'article 870 du Code judiciaire n'est que la généralisation de la règle consacrée par l'article 1315 précité;

Attendu qu'en vertu de l'article 8 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, nonobstant toute convention contraire, l'assureur ne peut être tenu de fournir sa garantie à l'égard de quiconque a causé intentionnellement le sinistre;

Attendu que, par application de l'article 1315 alinéa 2 du Code civil, il incombe à l'assureur, qui prétend être déchargé de la garantie, de prouver que l'assuré a commis un fait intentionnel qui le prive du bénéfice de l'assurance;

Que, partant, le moyen, qui soutient qu'il appartient à l'assuré de démontrer que le caractère volontaire de l'incendie ne lui est pas imputable, manque en droit.

(...)